- 8 - Une Page se Tourne

Màu nền
Font chữ
Font size
Chiều cao dòng

Ce chapitre contiendra 2 illustrations. Déblocables à 30 et 35 votes. Oui, je suis à la bourre, mais je me dois de vous satisfaire quand même =) J'augmente un chouia les prérequis pour les débloquer, parce que de 1) j'ai besoin d'un peu de temps pour faire tout ça et de 2) vous êtes les meilleurs, je sais que vous saurez les débloquer ♥


Après avoir clairement fainéanté toute l'après-midi de la veille, Ezarel refusa catégoriquement de passer une journée de plus à ne rien faire. Il tenta bien de subtiliser une mission à l'extérieur, mais les Gardes avaient reçu l'ordre de ne le laisser sortir sous aucun prétexte. Eweleïn avait demandé à faire surveiller chaque sortie vers la grande plaine. Et étant elle-même une Absynthe, elle connaissait toutes les petites issues propres aux herboristes.

N'en démordant pas, Ezarel la tanna des heures durant pour se dégoter au moins un semblant d'activité.

- Tu me fatigues à piailler comme un Crowmero ! avait beuglé Eweleïn en sortant en trombe de l'infirmerie, l'alchimiste sur les talons.

- Alors file-moi un truc. C'que tu veux, rien de trop ingrat, quand même, ajouta-t-il précipitamment. Sois correcte, mais quelque chose. Ils n'ont pas besoin d'un superviseur dans un atelier ?

- Pour te redonner un ersatz d'autorité ? Ne compte pas sur moi. Tu dois te reposer. Te re-po-ser ! Tu comprends ce mot, Ezarel ?

- Non, je dois bien être le seul de l'Absynthe pour qui cette notion est étrangère, rétorqua l'Elfe aux cheveux bleus. Et puis, à vous tous, vous avez pris assez d'avance dans ce domaine pour que je puisse travailler d'arrache-pied jusqu'à la fin de ma vie sans ressentir une once de fatigue.

Eweleïn s'arrêta brutalement et Ezarel dut se contracter tout entier pour éviter de lui rentrer dedans. La jeune femme se retourna furieusement, une lueur de rage dans les yeux. Sa mâchoire se contractait sans cesse tandis que ses yeux lançaient des éclairs. Elle cherchait visiblement ses mots.

- Bon sang, Ezarel. Tu sais que je me retiens, là ! Parce que je sais que je le regretterai quand tu reprendras ton poste, mais si tu savais tout ce que j'ai envie de te faire, en ce moment !

L'alchimiste fit un pas de recul, par sécurité. Non, il ne savait pas tout ce qu'Eweleïn avait en tête, mais il était persuadé qu'il ne serait pas consentant pour au moins la quasi-totalité de ce qu'elle avait prévu.

- Ça veut dire que tu vas me donner une mission ? osa-t-il, prêt à décamper si elle se montrait physiquement menaçante.

La jeune femme ferma les paupières. Elle les ferma si fort qu'Ezarel se demanda si elle serait capable de les rouvrir un jour. Il n'osa pas la toucher pour lui signaler qu'il attendait toujours une réponse. Il savait que l'infirmière avait de bons réflexes d'auto-défense. Il en avait fait les frais une fois et ne souhaitait pas se reprendre un coup dans ses parties fragiles.

- Oui, gronda-t-elle comme le tonnerre. Je vais te filer un truc ! Et t'as intérêt à prendre tout ton temps, sinon je te promets Ezarel, que je t'émascule de mes propres mains et que...

- De tes mains ? T'es sérieuse, là ? C'est carrément pas hygiénique, fit-il remarquer. Avec des outils, encore je dis pas, mais là, c'est un coup à me refiler une infection.

- Mais tu vas la fermer, ta grande bouche ?! s'égosilla l'Elfe à la peau de parme, au bout de sa vie. Je te les arrache de suite et sans anesthésie si tu ne te tais pas sur le champs !

- Non, tu peux p...

- Juste, tais-toi, Ezarel. Tais-toi ou je ne réponds plus de rien !

L'alchimiste jugea qu'il était préférable de ne pas provoquer davantage la régente de l'Absynthe et attendit en silence qu'elle daigne lui trouver une occupation. La jeune femme inspira profondément avant d'expirer entre ses lèvres pincées pour se calmer.

- Bon... Keroshane fait du rangement dans la bibliothèque. Il a déménagé quelques rayons de place et j'ai cru comprendre que celui de l'alchimie et de la botanique en font partie. Tu n'as qu'à aller voir si tu peux t'occuper de ça. C'est assez calme pour ne pas te surmener, mais ça devrait t'occuper un moment.

Ezarel hocha la tête, n'osant plus dire un mot et se sauva en direction de la bibliothèque. Mais déjà, la voix d'Eweleïn tonna dans le grand hall :

- Ezarel !

L'homme s'arrêta promptement, comme si une arme était pointée entre ses omoplates. Oubliait-il quelque chose ? Il était presque certain que la belle jeune femme avait un ancêtre Gorgone. Pour sûr, par excès de rage, elle aurait pu le pétrifier sur place. En tout cas, sa voix suffisait à le paralyser, alors ses yeux...

- Oh, euh, merci Ewe', sourit-il en espérant ne pas se faire assassiner du regard.

- Mais tu... souffla-t-elle en secouant la tête. Tu m'exaspères, on dirait que tu as dix ans, parfois ! N'oublie pas d'aller manger, ou tu risques de mettre un terme définitif à ta lignée.

La colonne vertébrale de l'Alchimiste se souda. Elle se souda, tout simplement, faisant de lui un Elfe avec un manche à balai dans un orifice initialement pas prévu à cet effet. La sommation d'Eweleïn lui glaça le sang. Il savait pertinement que la jeune femme était bien capable de mettre ses menaces à exécution. L'idée de se voir tronqué de cette partie de son anatomie ne l'enchantait guère, il fallait bien l'admettre.

Ezarel ne put que hocher la tête devant l'ordre de sa chef temporaire et parvint à lutter contre la tétanie pour disparaître derrière les lourds battants de la bibliothèque.

Après un rapide briefing de Kero, Ezarel fut informé que les ouvrages concernant sa discipline seraient déplacés dans une petite pièce de la bibliothèque. L'alcôve servait jusque là de débarras pour les anciens traités devenus obsolètes, les recueils détériorés et autres bouquins usés. La raison de ce déménagement n'était autre qu'un arrivage massif de nouvelles œuvres littéraires en provenance d'Alexandria, la capitale culturelle d'Eldarya. Leur grande bibliothèque prenait soin d'alimenter chaque cité du continent régulièrement afin d'assurer un accès aux nouveautés culturelles ou magicologiques à toute personne souhaitant élargir ses horizons.

Ainsi donc, pour que la grande pièce principale puisse accueillir tout ce fabuleux exotisme, l'Alchimie et la Botanique avaient été balayées dans la petite pièce du fond. L'Elfe fut partagé entre la fierté d'avoir une pièce spécialement réservée pour sa discipline et l'agacement de l'affront de voir ces ouvrages séparés de tous les autres, comme s'ils ne devaient pas se mélanger ou que ce savoir devait rester reclus.

Quoiqu'il en fut, Ezarel était persuadé d'une chose : à rester cloîtré dans cette pièce dont le seul éclairage provenait d'une petite fenêtre crasseuse, personne ne risquait de venir l'importuner à moins de le chercher lui, précisément. Le rayon de soleil se déposait sur le parquet irrégulier et mettait en évidence toutes les petites particules de poussière dans l'atmosphère. Dans les coins sombres de la pièce, Ezarel pouvait distinguer sans difficulté les piles de livres qui l'attendaient sagement.

[illustration bonus - débloquée à 30 votes]

L'Elfe souffla longuement et se mit au travail, ne tenant pas à perdre plus de temps que nécessaire.

Ce fut le Brownie qui le sortit de sa concentration en toquant à la porte. D'après lui, l'après-midi était déjà bien entamée et il lui ramenait de quoi manger, s'étant étonné de ne pas le voir à la cantine.

- Tu as bien vu que je ne te suivais pas quand t'es parti manger, si ? rétorqua Ezarel, persuadé que sa présence n'était plus désirée par qui que ce soit.

- J-j'ai regardé dans la réserve, mais je ne t'ai pas vu, alors j'ai supposé que tu étais parti devant pendant que j'avais la tête dans les bouquins, se défendit la Licorne.

- Et bien tu as mal vu. Je devais être dans un recoin.

Cependant, Ezarel n'en oublia pas son éducation et grommela des remerciements en saisissant l'assiette que lui tendait Kero. Il s'assit un instant à même le sol pour déguster son repas et délaissa les couverts dans un coin de la pièce après avoir terminé pour reprendre son travail. La fenêtre était ouverte et laissait un embrun léger aérer la pièce. Ezarel appréciait sentir le vent dans ses cheveux et sur sa peau. Il aimait le toucher des choses immatérielles, parce qu'il savait qu'elles ne l'atteignaient que superficiellement. L'Elfe appréciait beaucoup le calme de cette petite pièce que seul le pépiement des oiseaux au loin perturbait.

- Bah alors, tu nous snobes ? scanda une voix claire, tout d'un coup.

Perché en haut d'une échelle pour atteindre la dernière étagère de la bibliothèque, Ezarel manqua de dévaler plusieurs marches à cause de l'irruption soudaine de Nevra. Il se retint de justesse avant de pester sur la discrétion du Vampire.

- Tu veux me faire clamser, c'est ça ? lui reprocha-t-il.

- Si ton cœur lâche, je te ferai un massage cardiaque. Je suis doué à ce qu'il paraît, lui indiqua le brun avec un clin d'oeil.

- Hum... ne confond pas massage cardiaque avec palpation mammaire, rectifia Ezarel en fronçant les sourcils.

- Ah, me voila démasqué. Décidément, tu me connais trop bien, ironisa Nevra en approchant de l'Elfe.

Ce dernier préféra l'ignorer et se recentra sur sa tâche. Il avait calé quelques livres sur la dernière marche de l'échelle pour ne pas avoir à monter et descendre en permanence.

- Je pensais que tu étais de repos ? questionna Nevra.

- Oui, hier après-midi.

- Eza'...

- Quoi ?! s'agaça l'Elfe. Je supporte pas de ne rien faire ! Et au moins, je suis sûr que ces ouvrages seront bien rangés.

Voyant que quoiqu'il aurait pu dire, il aurait eu tort, Nevra lâcha l'affaire et préféra aller dans le sens de son ami.

- Okey, laisse-moi t'aider alors, tu veux quelle pile de livres, après ?

Ezarel s'interrompit un instant pour darder sur Nevra un regard indiquant qu'il se débrouillait très bien tout seul. Mais voyant que son interlocuteur n'était pas très réceptif, il capitula et indiqua un tas de grimoires usés du bout du doigt. Nevra s'en empara et les proposa un à un à l'Elfe, toujours en haut de l'échelle.

- J'ai dû harceler Eweleïn pendant près de deux heures pour avoir l'autorisation de m'occuper. Tu te rends compte ? Pour avoir une autorisation ! insistait l'Elfe sur ce détail aberrant.

- C'est pour ça qu'elle avait l'air au bord du suicide à midi ?

- Hein ?! se retourna vivement Ezarel.

L'Elfe avait déjà poussé bien de ses subalternes à bout, mais jamais il n'avait réussi à en mener un jusqu'au suicide. Qu'Eweleïn fut la première à s'en approcher le déçut à tel point qu'il eut du mal à le cacher. Il attendait tellement plus de cette Elfe. Elle partageait la noblesse et la robustesse de sa race. Elle se devait de leur faire honneur.

- Je te promets, reprit Nevra. J'ai cru qu'elle allait s'égorger avec sa fourchette.

- Avec sa fourchette ! T'as rien trouvé de plus tranchant pour étayer ta connerie ?

- Que veux-tu ? Je n'invente rien. Elle s'est peut-être dit que souffrir lui ferait oublier la cause de son énervement. T'as dû y aller fort avec elle.

- Pas plus que d'habitude... ronchonna l'Elfe, admettant seulement pour lui-même qu'il avait été un véritable petit emmerdeur ce matin-là.

- Elle pleurait sur son pudding, Ezarel ! Elle suppliait Miiko de te redonner ta place.

- Et elle a accepté ? s'enquit immédiatement l'Elfe.

- Qui ça ?

- Mais Miiko, espèce de triple nouille ! Tu ne te suis pas toi-même ?

- Mais elle était même pas là, Miiko ! s'esclaffa le Vampire. C'était ça le pire ! Je crois qu'elle perd la boule, en fait. Elle réalise ce qu'est le boulot de Chef de Garde et n'a pas la carrure, voila tout.

- Bof, je ne vois pas ce qu'il y a de si extraordinaire, banalisa Ezarel.

- Pour toi peut-être, tu es fait pour commander. Pas Ewe'. Dis-toi que je lui ai proposé une morsure pour la détendre. De l'humour évidemment : tu es le seul Elfe de ma vie, ricana Nevra. Et tu sais quoi ? Elle s'est réellement posé la question. Je crois qu'elle va pas tarder à claquer.

Ezarel secoua la tête devant la montagne d'idioties que déblatérait Nevra et secoua ses doigts tendus pour signaler qu'il attendait les ouvrages suivants.

- Tu sais, si t'étais pas phobique, tu serais pas là à faire du tri dans cette pièce poussiéreuse, remarqua Nevra après plusieurs minutes de silence.

- Bravo, Captain Obvious ! Quelle perspicacité ! Je devrais te décerner une médaille pour ton niveau d'observation qui dépasse toutes mes attentes ! Non mieux, se coupa-t-il lui même, faussement hilare. On va organiser une grande cérémonie. Nevra, le Vampire borgne voit ce que tous les autres ont déjà vu, mais avec un demi-siècle de retard !

- Ha ha ! Très drôle, râla le brun en portant ses doigts à son cache-oeil. Je suis mort de rire, t'as vu ?

Puis il se tut, baissant la tête pour échapper au regard meurtrier de l'Elfe. Ses doigts caressaient la surface rigide du petit accessoire de cuir, prenant appui sur son arcade sourcilière. Il ne montrait jamais ce qui se cachait dessous. Et pour cause, cela lui rappelait beaucoup trop de souvenirs douloureux. Qu'Ezarel s'en serve dans son discours ironique ne manqua pas d'en faire remonter quelques uns à la surface.

- Ce que je veux dire... reprit-il, murmurant presque pour lui-même. C'est... comment t'en es arrivé là, Ez' ?

- Tu le sais bien, répondit l'Elfe, toute trace d'agacement ou de moquerie s'étant évaporé. Tu me l'as fait répéter je ne sais combien de fois. C'est l'autre greluche qui m'a sauté dessus.

- Non, je veux dire... Comment tu es devenu haptophobe ? questionna clairement Nevra en plongea son unique prunelle dans les yeux fébriles d'Ezarel.

La question le déstabilisa. Visiblement, c'était un sujet sensible qu'il ne souhaitait pas aborder.

- Tu sais, chaque phobie a une origine...

- Je sais, grommela Ezarel.

- Trouver la cause de ton mal, c'est te donner les clefs pour en guérir.

- Je sais...

- Explique-moi, aide-moi à te comprendre. Tu as besoin de te libérer de ton passé, Ez', tu...

- Je sais tout ça ! gronda l'Elfe pour couper court aux tentatives de Nevra.

Il le fixa un instant, laissant à son souffle le temps de retrouver son rythme normal. Sa voix avait tonné si soudainement que les échos assourdissants semblaient se répercuter encore dans la petite pièce.

- Je sais déjà tout ça, mais je ne peux pas. Si je t'en parle, je risque de...

- De quoi ? Tu risques de quoi ? insista Nevra.

- Je risque de me briser encore une fois, avoua Ezarel, cachant sa honte derrière sa mèche de cheveux bleus.

Aussitôt, Nevra entreprit d'escalader la bibliothèque en s'aidant des étagères. Arrivé au niveau de l'Elfe, il écarta ses mèches d'un doigt, pour capter son regard sans le brusquer.

- Brise-toi. Je te le demande, brise-toi en mille morceaux, s'il le faut. Je serai là pour les recoller et je ne laisserai aucune fêlure, tu peux en être certain.

Ezarel frémit. Une fois de plus, la sincérité de Nevra le toucha. Elle le toucha bien plus qu'un simple geste, plus qu'un contact. Il hésita, tiraillé entre le besoin de se livrer et la crainte de souffrir encore. Il redoutait que Nevra ne soit pas capable de le réparer, non pas qu'il doutait des capacités du brun, mais plutôt qu'il le soupçonnait de ne pas se douter de l'ampleur des ravages qu'avait laissé le traumatisme.

- C'est pourtant tellement stupide, tenta-t-il de minimiser pour esquiver la confession.

- Peut-être mais ça te ronge, rétorqua doucement Nevra. Laisse-moi porter ton fardeau avec toi.


Les pupilles d'Ezarel étaient frénétiques et ne parvenaient pas à rester en place dans leurs orbites, cherchant dans les moindres recoins de l'iris anthracite du Vampire une quelconque issue. Ce fut vain évidemment, puisque Nevra lui était dévoué corps et âme à ce moment précis.

Et enfin, il s'abandonna. Ezarel ferma les paupières, souffla longuement, libérant sa cage thoracique de toute la pression qu'elle subissait jusque là et se laissa glisser tout en bas de l'échelle avant de choir au sol, aussi léger qu'une feuille morte à l'automne.

Nevra atterrit à son tour sur le parquet grinçant et vint s'asseoir en tailleur en face de son ami. Il voulait que la vérité de son passé le percute de plein fouet, pour qu'il l'encaisse entièrement. Il ne voulait pas que les affres de l'ancienne vie de l'Elfe puissent s'enfuir au risque de revenir tourmenter leur hôte.

- C'est... commença-t-il, la voix éraillée par la crainte et l'hésitation. C'est à cause d'une femme.

Nevra ferma les yeux, accablé par l'évidence. Les femmes. Toujours les femmes.

- Je n'ai eu qu'une seule vraie relation dans ma vie, admit Ezarel, un sourire nostalgique étirant ses fines lèvres. J'étais encore jeune, mais ça n'excuse pas tout. Elle était belle, Nevra, si tu savais. La plus belle de toutes. La lune s'effaçait tant elle étincelait. Les fleurs jalousaient son parfum et les arbres... ils se courbaient lors de sa marche majestueuse. Son sourire a fait battre mon cœur pour la première fois. Elle était attentionnée, intéressée et cultivée.

- La femme parfaite, en somme ? résuma le Vampire, attendant d'entendre la suite.

- Encore mieux que parfaite.

Puis le sourire de bienheureux de l'Elfe s'estompa au fur et à mesure que les souvenirs se faisaient plus vifs.

- Je l'ai laissé m'approcher à tel point qu'elle tenait mon cœur entre ses mains. C'était la femme avec qui je voulais passer les nombreux siècles de mon existence, celle avec qui je ne voulais faire qu'un. Mais je voulais aussi faire les choses bien. J'ai attendu, patiemment, qu'arrive l'Equinoxe.

- C'est pas la plus grande célébration elfique ?

- Si, bien sûr. Nous fêtons l'arrivée du Printemps, le renouveau de la nature et du cycle de la vie. Les pêchers sont en fleurs et lors de la brise printanière, tous leurs pétales s'envolent. C'est une nuit de fête et d'ivresse dans nos cités. Il neige au printemps. On a l'habitude de décorer les rues et les bâtisses de lampions lumineux, il y a de la musique, des danses et d'autres manifestations. J'ai attendu cette soirée pour lui déclarer ma flamme. Ma véritable flamme, je veux dire, se reprit-il pour bien préciser que c'était du sérieux. Elle adorait les pêchers, je savais qu'elle ne pourrait pas dire non.

Nevra fronça les sourcils, redoutant la suite. Il pensait la deviner mais espérait se tromper.

- Lorsque les premiers pétales se sont éparpillés dans les airs, je lui ai demandé. Je lui ai solennellement demandé d'être mienne pour toujours et promis d'être sien à jamais.

- Qu'a-t-elle répondu ? osa demande Nevra, les yeux ronds comme des billes, suppliant intérieurement qu'elle avait pleuré de joie et accepté, tout en sachant qu'il n'en était rien.

Ezarel, sourit sans joie, comme pour donner le change, et haussa une épaule, le regard fuyant.

- Elle s'est fichue de moi, voilà tout. Pour elle, ce n'était qu'un jeu. Elle s'est mise à rire si fort que tout le monde nous regardait. Elle m'a avoué qu'elle m'avait trompé maintes et maintes fois avec les beaux guerriers de notre peuple. Moi, je n'étais qu'une distraction. Elle m'a humilié, elle a jeté mon cœur à terre et l'a roué de coups jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'une noix desséchée.

- Ez...

- Elle a prit un malin plaisir à me détruire. Morceau par morceau, elle m'a déchiqueté toute la soirée, devant tout le monde. J'étais à genoux devant elle et je n'ai même pas eu la force de relever la tête. Quand elle est partie au bras d'un éphèbe, je suis resté comme un con dans la poussière. Parce que j'étais mort à l'intérieur.

Ezarel s'efforça de sourire pour se prouver à lui-même que tout ça, c'était du passé, que c'était révolu. Mais il ne put ignorer ses cils qui s'humidifiaient. Il balaya ses larmes de honte d'un revers de main avant qu'elles ne soient trop visibles.

- J'ai longtemps souffert de cette trahison, poursuivit-il malgré tout. Inconsciemment, je me suis mis à me méfier des autres. Des femmes en particulier, que je savais sournoises. Pour m'assurer qu'aucune d'entre elles ne puisse me briser le cœur à nouveau. J'ai tout fait pour les maintenir à distance, avec mon humour. Je fais exprès d'être blessant, tu sais.

- Je sais, oui, murmura Nevra.

- Je suis un connard avec elles, un vrai goujat. Mais la meilleure de mes parades était de leur interdire tout contact physique. Avec le temps, cette interdiction s'est transformé en aversion puis en dégoût. Et avant de m'en rendre compte, je refusais de me faire approcher par tout ce qui vivait et respirait.


Ezarel prit le temps de faire le tri dans ses souvenirs et surtout dans ses émotions. Cependant, Nevra sentit bien qu'il n'en avait pas terminé et ne voulut pas l'interrompre. Il préféra rester là, à attendre qu'il soit prêt. L'Elfe renifla et inspira de nouveau.

- Quand je suis parti de la citadelle elfique, j'ai tenté de réfréner ma phobie. Je me suis bien rendu compte que ça allait trop loin. Le temps d'arriver à Eel, je parvenais à tolérer un contact accidentel, même si la personne avait plutôt intérêt à me lâcher fissa. Et puis tout le monde a apprit à me connaître et respectait mon espace vital. Ça me convenait très bien de cette manière. Jusqu'à ce que cette espèce d'écervelée me touche réellement et j'ai eu l'impression qu'elle m'enfonçait une lance en plein cœur. Toute ma relation passée m'est revenue en pleine face. J'ai pas pu lutter, j'ai pas pu...

- Je comprends, le rassura Nevra en tendant la main vers son épaule, sans pour autant la toucher.

- C'est pas un caprice, Nevra, plaida Ezarel. Miiko ne saisit pas.

-Je sais. Je sais que c'est sérieux pour toi, appuya-t-il en apposant sa main sur l'épaulette de l'Elfe avec une douceur exagérée, de peur qu'il ne le repousse.

Pourtant, l'Elfe n'en fit rien. Bien au contraire. Son épaule roula sur elle-même, comme si elle cherchait ce contact, comme si Ezarel recherchait cette caresse rassurante.

- C'est pour ça que j'y accorde tant d'importance, lui avoua Nevra. Miiko comprend très bien, si tu veux mon avis. Mais le fait de l'admettre reviendrait à accepter ta défaite face à ta peur et elle s'y refuse...

La voix de Nevra s'éteignit et resta en suspend dans l'air, comme si les mots qu'il voulait prononcer étaient retenus par un filet invisible. Ezarel sembla percevoir cette mince hésitation et s'engouffra dedans.

- Quoi ? inspecta-t-il.

Nevra hésita encore un instant, cherchant à dissimuler ce qui le démangeait méchamment. Mais le regard d'Ezarel dut terriblement lui brûler l'échine puisqu'il finit par abdiquer.

- Nous avions déjà discuté de ton cas avec Miiko.

- Qu-

- Nous avions abordé le sujet de ton comportement et d'une possible sanction, poursuivit le Vampire avant d'être interrompu. Miiko savait qu'il te faudrait un électrochoc pour te pousser à te dépasser. Tu es trop fier pour admettre que tu as un problème, Ezarel. Miiko savait qu'il faudrait être extrême avec toi pour que tu aies la force de reprendre le contrôle sur toi-même.

D'un geste bref, Ezarel se défit du contact de Nevra. Sa bouche se tordit en rictus de dégoût tandis que ses yeux scrutaient assidument la moindre parcelle du visage en vace de lui.

- Vous avez comploté dans mon dos ! Bande de vipères ! siffla Ezarel, outré.

- Ne le prend pas mal. Je sais que tu peux nous en vouloir, mais on était tous d'accord, Eweleïn aussi.

- Elle était au courant ? C'est une mutinerie, ça ! fronça Ezarel de plus en plus tendu.

- Tss, t'es pas sur un navire, ricana Nevra. Plus sérieusement, Miiko devait s'assurer de notre soutien au cas où elle devrait en venir à ce stade avec toi. Ewe' était d'accord pour être régente et moi, j'acceptais de t'aider.

- Tu as dit que Miiko t'avais demandé ça comme un service, s'insurgea Ezarel, les yeux exorbités, au bord de la rupture.

L'Elfe était écoeuré. Il se sentait trahi par ses confrères, qui avaient déjà envisagé son cas comme celui d'un prisonnier ou d'un condamné. Comment pouvait-il à nouveau leur accorder sa confiance ?

- Et c'est le cas. Mais ce n'est pas à elle que je rends ce service, insista Nevra, c'est à toi et à toi seul. Si Miiko a été si sévère avec toi, c'est parce qu'elle sait que tu peux dépasser cette phobie. Elle sait qu'elle peut tirer quelque chose d'encore meilleur de toi. Te laisser te faire bouffer par ton haptophobie, c'est juste inconcevable. Aucun d'entre nous n'accepterait cette fatalité.

Nevra marqua une pause. Il savait bien que cette vérité pouvait être difficile à encaisser. Mais Ezarel lui faisait confiance. Bien assez pour lui avouer la cause de son mal, alors le Vampire se devait d'être tout à fait honnête avec lui. Il ne voulait pas avoir de secret pour lui, sa guérison en dépendait.

L'Elfe resta silencieux un long moment, à scruter la prunelle de l'Ombre. Il y cherchait un détail, un indice de leur fourberie, mais n'y trouva rien. Il n'y avait pas de piège, rien que la stricte vérité. Il sembla mesurer toutes les informations, émettre des hypothèses sur les agissements de chacun, peser le bien fondé de leur réaction et surtout, réfléchir au comportement à adopter en conséquence. Au lieu de voir transparaitre une colère profonde sur son visage, le regard d'Ezarel était dubitatif.

- Pourquoi ne m'avoir rien dit ? questionna-t-il enfin.

- On pensait que te mettre une épée de Damoclès au dessus de la tête ne serait pas une bonne motivation. Tu l'aurais fait par dépit et non pas par réelle nécessité.

- Parce que c'est pas par dépit que je suis ta thérapie, actuellement ?

- Non, réagit Nevra. Pas du tout. Tu pouvais décliner l'offre de Miiko. Tu pouvais t'en aller, si tu le voulais. Tu avais déjà perdu ta place, alors ça ne pouvait pas être pire.

- Ça revient exactement au même, te fiche pas de moi.

- Je ne suis pas d'accord, grinça le Vampire. Si on t'avait donné cet ultimatum sans te destituer, tu aurais agit par crainte. De peur de perdre ce que tu possèdes. Mais maintenant que tu l'as perdu, que tu n'as plus rien à perdre, tu agis par courage. C'est ta détermination qui te pousse à récupérer ce que tu as perdu. La nuance est faible, je te l'accorde, mais bel et bien existante.

Ezarel garda les yeux bas, fixant ses mains jointes, les doigts croisés comme s'il suppliait l'Oracle de l'extirper de cette situation. Il digérait ce que Nevra venait de lui révéler, mais ne parvenait tout de même pas à y croire. Aussi, souffla-t-il pour exprimer toute l'ironie de la situation.

- Miiko est tordue, en convint-il, mais je ne pense pas qu'elle s'intéresse réellement à ce genre de choses. Et puis, elle ne connaît pas le détail de mon ancienne vie.

Nevra croisa alors les bras contre son buste en haussa un sourcil.

- Tu crois vraiment qu'elle ne s'est pas renseignée un minimum sur nous tous avant de nous accepter dans la Garde ? Tu m'étonnes, tu n'es pas si naïf, pourtant.

Ezarel s'empara d'un livre resté au sol près de lui et le déposa sur ses genoux. Il glissa ses doigts fins sur la couverture rugueuse de l'ouvrage et articula :

- Tu as peut-être raison. Mais l'issue reste la même : ça ne changera pas que je ne peux plus faire confiance aux femmes.

- Qui t'a demandé de leur faire confiance ? Je ne te demande que d'accepter un contact physique, je ne te demande pas d'aller embrasser Erika, non plus !


Un frisson de dégoût secoua Ezarel de la tête aux pieds à l'évocation de cette idée.

- Je ne serai jamais comme toi, Nevra. Je ne serai probablement jamais quelqu'un de très tactile.

- Ce n'est pas non plus ce que je te demande.

- Mais Miiko, si. Elle voudra une preuve, tu l'as dis toi-même.

Nevra sourit et dévoila un mélange d'émotions variées sur son visage, allant de la malice à l'attendrissement en passant par la jubilation. Rien de bien rassurant pour Ezarel, en somme.

- Mais tu ne sais pas encore quoi, comme preuve, rappela Nevra, en souriant de toute ses dents.

Après avoir relevé ses yeux d'azur sur lui, Ezarel lui balança le bouquin en pleine figure.

- Allez, lâche le morceau ! Dis-moi ce que c'est ! Je saurais sur quoi concentrer mes efforts au moins !

Nevra se protégea du projectile en relevant les bras devant son visage, tandis qu'un rire sonore s'échappait de sa gorge.

- Certainement pas ! Tu ne le ferais pas avec les bonnes intentions, sinon.

Puis il ajouta en ramassant le livre :

- Je croyais que tu étais un homme précieux, Ez'. Tu me déçois, tu es prêt à endommager un de tes livres d'alchimie pour me pousser à la confession ?

- Ce livre est un navet ! C'est un hérétique humain qui l'a écrit. Je me demande pourquoi je ne l'ai pas encore brûlé d'ailleurs.

- Sûrement parce que Kero te dénoncerait ? suggèra le Vampire en rendant le manuel à Ezarel.

- Oui, sans doute. Encore que, je suis sûr qu'il n'en connaît pas l'existence.

Puis les deux compères s'arrêtèrent, tous les deux figés et les yeux rivés sur le vieux grimoire.

- Tu penses à ce que je pense ? questionna Nevra.

- Si tu penses à ce que, moi, je pense, alors oui, exulta Ezarel de son habituel sourire machiavélique.

Aussitôt Ezarel extirpa un petit dispositif simple de sa besace de cuir. Quand il vit le regard de Nevra s'illuminer, il comprit donc qu'ils avaient bien eu la même idée. Ensemble, ils se ruèrent vers la fenêtre comme deux gamins sur le point de fumer leur première cigarette. Ils gloussaient et se collèrent, épaule contre épaule, sur le petit rebord qui donnait vers l'extérieur. Nevra attrapa le livre et l'ouvrit sur une page au hasard. Ezarel en saisit le coin et la déchira lentement en suivant la reliure de près. Il tendit alors la feuille de papier jauni devant lui et actionna le petit appareil. Deux petites pierres vinrent s'entrechoquer et une gerbe d'étincelles se jeta sur le papier.

Rapidement, une flamme prit vie et courut le long des phrases terre à terre de cet auteur ignare. Alors que la page se consumait, le feu s'approcha des doigts d'Ezarel, lui léchant dangereusement le bout des phalanges. Il attendit le dernier moment avant de laisser la feuille tomber dans le vide pour la voir brûler entièrement avant d'attendre le sol.

- Une page se tourne, Ez', lui sourit Nevra, plein de fierté. Je t'aiderai à remplir les autres de choses tellement positives que tu en oublieras cette fille.

Ezarel haussa les épaules avant de reculer pour s'éloigner dans la pièce.

- Garde tes jolies tournures pour tes donzelles, Nevra. Ne fais pas ton numéro de charmeur avec moi.

- Pauvre naze ! le rejoignit Nevra. C'est pas l'affection qui t'étouffe. T'en aurais bien besoin, pourtant.

- Je n'ai pas besoin d'affection. Juste de retrouver mon poste de Chef de Garde.

Nevra ne put s'empêcher de rire de l'obstination d'Ezarel. Il faisait de nombreux efforts, mais ne perdait jamais son objectif de vue. Il faudrait pourtant bien qu'il lâche du leste s'il voulait vraiment avancer.

Nevra proposa alors à l'Elfe de passer la soirée au Colimaçon, la taverne du Labyrinthe Brumeux, réservés aux Ombres. Il lui assura que pour une soirée, il serait le bienvenu. Après quelques minutes d'acharnement, Nevra réussit à faire céder Ezarel et l'emmena avec lui boire quelques verres d'hydromel pour lui faire danser la gigue toute la nuit. Ce fut d'ailleurs l'hydromel qui l'avait convaincu. Apparemment, la taverne avait reçu une nouvelle cargaison d'une région voisine. L'Elfe allait enfin pouvoir se gorger de ce nectar doré qu'il adorait tant.

[illustration bonus - débloquée à 35 votes (Ezarel dansant la gigue, ça vous dit ? xD)]

Je vous préviens, je me lance dans une animation pour la gigue d'Ezarel. Je ne sais pas quel Spadel m'a piqué xD Mais du coup, ça prend vraiment beaucoup de temps. Vraiment, ça m'a pris comme une envie de pisser, sans me rendre compte dans quoi je m'embarquais... Je déchante, si vous saviez. Mais je m'amuse. J'espère que le résultat vous plaira.

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen2U.Pro