Chapitre 11

Màu nền
Font chữ
Font size
Chiều cao dòng

Xavier

Avant

— Est-ce que tu peux au moins nous donner ton âge ?

Le visage tourné vers la vitre de la voiture, Colombe secoue la tête. Son regard ne se détache pas une seule fois du paysage qui défile à toute vitesse. Ses bras dénudés enserrent avec étroitesse sa fine taille et elle garde résolument les lèvres cousues, se murant dans un silence quasi complet, uniquement entrecoupé par le bruit de ses respirations.

L'indifférence dont elle fait preuve m'amuse. Un sourire m'échappe, accompagné d'un ricanement que je m'empresse de camoufler en feignant une quinte de toux. Je finis par me reconcentrer sur la route, mais je dois prendre sur moi pour ne pas jeter un énième regard dans le rétroviseur. Il ne manquerait plus que Colombe me surprenne en train de l'observer à la dérobée. La honte.

— Si je résume bien, tu ne veux pas nous donner ton nom de famille, ton âge, ton pays de naissance, ta couleur préférée et si tu as des animaux ou non ? s'énerve Eleanor en se tournant vers la banquette arrière pour mieux fusiller Colombe du regard.

Face à ce ton si brusque, la jeune femme tressaille, mais ne délaisse pas pour autant son mutisme. Je porte une main sur le genou de ma copine, que j'enserre avec amour, dans le fol espoir de calmer sa fureur avant qu'elle ne prenne des proportions démesurées. La plupart du temps, Eleanor est un véritable ange, douce comme un agneau, mais elle ignore comment gérer son agacement, faire en sorte qu'il ne déborde pas. Depuis tout à l'heure, elle tente de tirer les vers du nez à Colombe avec Tyler, et, franchement, c'est loin d'être un franc succès. Elle qui a l'habitude que tout lui tombe dans le creux de la main, ce refus de coopérer la déstabilise plus qu'elle ne veut l'admettre.

Nos doigts se nouent comme elle tourne le visage dans ma direction. Malgré la pénombre qui plane dans l'habitacle, j'arrive à entrevoir l'éclat de colère mêlée à de l'agacement dans le fond de ses prunelles vertes. Son regard s'apaise légèrement quand il vient trouver le mien. Ses lèvres rouges s'incurvent en un petit sourire qui suffit à me faire flancher. Qu'elle soit un ange ou un démon, sage comme une image ou épineuse comme la plus sublime des roses, je tombe tous les jours un peu plus amoureux d'elle, de son caractère, de ses mimiques, de son âme et de son cœur.

Un raclement de gorge vient nous arracher à ce moment qui s'annonçait mièvre à souhait.

— Je ne vous connais pas, je ne vous dois rien, marmonne enfin Colombe en se détournant de sa vitre adorée et en délaissant le silence.

Comme nous sommes devant un feu rouge, je pivote vers la banquette arrière où sont installés un Tyler somnolent et une Colombe qui semble s'ennuyer ferme. Son indifférence s'est volatilisée au profit d'une froideur déconcertante. Je ne sais pas ce qui cloche chez moi, mais je la trouve incroyablement belle, encore plus que tout à l'heure.

— Je ne t'ai demandé que ton âge ! s'insurge ma petite amie en plissant des paupières. Ce n'est pas grand-chose.

Colombe redresse le menton, dans un geste impérial, et ses yeux luisent dans la pénombre. On aurait dit deux billes de mercure.

— Je ne vous connais pas, répète-t-elle.

— Je ne te connais pas non plus, mais je te permets de t'asseoir dans ma voiture, soulevé-je en souriant pour atténuer mes propos.

Colombe entrouvre les lèvres, un peu ébranlée et surprise de m'entendre prendre la parole, moi qui, jusqu'à maintenant, étais aussi silencieux qu'elle. Elle me fixe plusieurs longues secondes avant de reprendre ses esprits. Elle esquisse un sourire froid, qui me va droit au cœur.

Sans m'en rendre tout de suite compte, j'arrache ma main de celle d'Eleanor.

Colombe le remarque, mais j'ignore le regard amusé qu'elle me jette ; sans se délaisser de son sourire narquois, elle s'amuse avec une boucle de ses cheveux :

— Et alors ?

Je hausse une épaule.

— Je ne te connais pas.

— C'est toi qui as insisté pour me raccompagner, je te signale, siffle-t-elle, la mâchoire crispée.

Elle n'a pas tort, mais je suis incapable de m'avouer vaincu pour la simple et bonne raison que je n'ai pas envie que cet échange prenne fin. Pas encore, en tout cas. Je me passe une main — celle qui tenait il y a encore quelques secondes celle d'Eleanor — dans les cheveux et détaille Colombe sans aucune gêne, mon regard parcourant chaque millimètre de son corps. Mes yeux finissent par se poser sur son visage toujours aussi dur.

— J'ai insisté, c'est vrai, mais tu aurais pu refuser, et tu ne l'as pas fait. (Je me penche vers elle.) Pourquoi ?

Eleanor me donne un violent coup de coude et me demande à mi-voix à quoi je suis en train de jouer. Je l'ignore, toute ma concentration étant focalisée sur Colombe. Je ne bouge pas d'un poil, même quand la lumière passe au vert.

— Alors ? dis-je en penchant la tête. Pourquoi ?

Les poings serrés sur ses genoux, Colombe tremble de rage et soutient mon regard quelques secondes, quelques minutes, quelques jours, quelques années, je n'en sais strictement rien. Le temps semble s'être mis en pause tandis que nous nous fixons bêtement, elle avec fureur et moi, avec émerveillement. D'un coup, plus rien n'existe. Il n'y a plus de Tyler qui ronfle sur la banquette arrière, plus de feu qui passe au vert, plus de petite amie qui m'intime silencieusement de me taire une bonne fois pour toutes.

Juste elle et moi.

— Je n'avais pas envie de me retrouver seule la nuit, articule-t-elle finalement en arrachant son regard au mien. Maintenant, pourrais-tu démarrer ? La lumière a eu le temps de passer six fois au vert.

Ah.

Si sa réponse m'a déçu — ce qu'elle a bien évidemment fait — je n'en laisse rien paraître. Je conserve mon petit air espiègle, même lorsque Colombe m'annonce dans un grognement que nous sommes arrivés à destination, une quinzaine de minutes plus tard. Les yeux plissés, je m'enfonce dans mon siège et examine la bâtisse qu'elle nous indique mollement. Éclairée par néons rouges et argentés, elle semble dans un état déplorable. Mon regard effleure ses murs délabrés et un frisson glacé me parcourt l'échine quand, enfin, je percute et reconnais l'endroit : The Circle of Ghosts, l'un des bars les plus dangereux de la ville. Chaque année, il a le droit à son propre article dans le journal, souvent sur la première page, rarement sur la deuxième, jamais dans les dernières. Il est toujours accompagné d'un titre à vous glacer le sang, digne d'un film policier, ceux qui nous font réaliser que, merde, on ne vit pas dans un monde rose bonbon. Quand cet endroit figure dans les journaux, c'est toujours pour annoncer la disparition, la mort ou le viol de l'un de leurs clients. Très rassurant, je sais.

Même si ce n'est pas l'envie qui me manque, je ne pose aucune question sur le choix pourtant très discutable de la destination. Si au départ Colombe me paraissait inoffensive, j'ai désormais l'intime conviction qu'elle pourrait me casser la mâchoire d'un simple coup de poing. Les bras croisés sur mon torse, j'attends qu'elle s'en aille.

L'intruse se passe une main sur le visage en prenant une profonde inspiration.

— Merci beaucoup de m'avoir déposée, articule-t-elle avec un sourire faux tout en posant sa main sur la poignée.

Je grommelle quelque chose et Eleanor me foudroie du regard avant d'offrir une moue crispée à Colombe :

— Ce n'est rien... Tu es sûre de vouloir entrer là-dedans ? Toute seule ? Cet endroit est dangereux. Je ne crois pas que tu devrais y aller...

À ces simples mots criants de vérité, le corps de Colombe se tend et une lueur de rage s'allume dans le fond de ses prunelles, mais disparait si rapidement que je me demande si je ne l'ai pas imaginée. Pourquoi serait-elle en colère alors qu'Eleanor ne fait qu'énoncer des faits ? Il est évident qu'elle est beaucoup trop jeune pour cet endroit, malgré son maquillage distingué et sa tenue qui pourrait facilement la faire passer pour une femme dans la trentaine.

— Je ne comptais pas y entrer, se défend-elle en se mordant l'intérieur de la joue. Ma mère ne vit pas loin d'ici, je ne veux pas vous déranger davantage en vous demandant de me déposer là-bas. Je vous ai déjà fait assez perdre de temps comme ça !

Et la revoilà, la gentille Colombe ! Son ton se fait doux, mais les traits de son visage restent crispés.

— Ça ne nous dérange pas du tout, la rassure Eleanor. N'est-ce pas, Xavier ?

Je hoche la tête, Colombe secoue la sienne.

— Non. Vraiment, je peux faire le trajet toute seule, ne vous inquiétez pas pour ça.

Puis, sans nous laisser le temps d'argumenter, elle ouvre la portière, sourit une dernière fois à ma copine et s'extirpe du véhicule. Elle ne m'a même pas regardé, et ça me vexe sans que je comprenne pourquoi. Je devrais être content qu'elle s'en aille, mais ça me fait comme un vide à la poitrine. Plus désagréable que douloureux. Colombe disparait dans la nuit, ne devient qu'une personne parmi tant d'autres. Quand elle n'est plus qu'un petit point rouge au milieu de cet océan de couleurs, Eleanor pivote vers moi et me pince violemment le biceps.

Je hoquète de douleur et m'écarte vivement d'elle.

— Mais tu es folle ?! C'était pour quoi, ça ?! sifflé-je entre mes dents tandis que la douleur fuse dans mon bras.

Ma copine écarte une mèche blonde de son visage et pose ses mains à plat sur ses cuisses.

— Parce que tu n'es qu'un connard.

Je la fusille du regard.

— Si je te demande de développer un peu, tu vas encore me violenter ?

— Ce n'est pas le moment de faire tes blagues de merde, grogne-t-elle en se tournant vers sa vitre. Ramène-moi chez mes parents, je ne suis pas d'humeur à te parler.

— Eleanor...

Je pose deux doigts sous son menton et l'oblige à me regarder dans le blanc des yeux. Je n'aime pas lorsqu'elle est en colère contre moi, j'ai toujours la désagréable impression d'avoir échoué quelque part. Nos prunelles s'accrochent et je me penche en avant pour déposer un baiser sur ses lèvres en guise d'excuses. Elle reste totalement immobile et quand j'ose ouvrir les yeux, je la surprends à me dévisager avec froideur.

— Ramène-moi chez moi, dit-elle à nouveau en posant ses mains sur ma poitrine pour me repousser.

Quand elle s'essuie rageusement les lèvres pour essuyer les traces du baiser, mon cœur se fend en deux. La tristesse et la douleur m'enveloppent pendant que je mets le contact pour la ramener chez elle. Un silence pesant s'installe dans l'habitacle de la voiture et rend le trajet insoutenable. Plus d'une fois, j'essaye de prendre la parole, mais me ravise avant de jeter de l'huile sur le feu. Quelque chose se brise en moi quand Eleanor ouvre avec brusquerie sa portière, les joues rouges de colère et fonce dans sa maison sans me jeter le moindre regard. Je reste figé plusieurs longues secondes avant de trouver le courage de redémarrer.

Je pousse un soupir tremblant et ferme les yeux un court instant, tentant vainement de boucher le trou béant dans mon cœur. Je sais que demain tout sera oublié, que sa fureur retombera, mais ça fait quand même un mal de chien. Je tends la main vers la radio et mets le son au max pour réveiller Tyler qui pionce toujours sur la banquette arrière.

Comme je m'y attendais, dès les premières notes de piano, mon ami commence déjà à s'agiter.

— Il n'y a vraiment que toi pour te réveiller en entendant du classique, commenté-je en pivotant vers lui, un demi-sourire sur les lèvres.

Tyler se redresse lentement et se frotte les yeux, complètement désorienté, et jette des regards autour de lui. Un air perplexe s'imprime sur son visage.

— Il manque pas des gens ? me questionne-t-il, la vaux rauque de sommeil.

— J'ai déposé Colombe il y a une vingtaine de minutes et je viens de ramener Eleanor chez elle. Elle est fâchée contre moi, lui confié-je en ralentissant pour laisser un chat traverser la rue.

Mon pote fronce les sourcils, puis détache à la va-vite sa ceinture pour se glisser sur le siège passager. Installé, il me demande ce qui s'est passé.

Je hausse des épaules, la mâchoire crispée.

— J'en sais trop rien. Je n'ai rien fait de mal, putain ! Ta cousine est juste bizarre, mec.

Il approuve d'un rapide geste de la tête : Eleanor n'est pas la personne la plus facile à vivre, son côté lunatique joue pour beaucoup. Parfois, elle peut se montrer douce et, la seconde suivante, être épineuse. En devenant son copain, je savais que ça n'allait pas être facile tous les jours, que j'allais devoir me montrer patient envers elle.

Il y a beaucoup de moments éprouvants, où nous nous disputons, décidons de mettre notre couple en pause, le temps de respirer, de mettre nos idées au clair, mais, heureusement, il y en a des magnifiques et ils sont beaucoup plus nombreux.

— Tu as dû merder quelque part, finit par dire Tyler en ouvrant la boîte à gant pour en extraire une barre énergisante. Mais tu inquiètes, les emmerdes s'arrêtent toujours.

Le regard dans le vide, je ne réponds pas. Mes doigts pianotent sur le volant tandis que quelque chose, comme un frisson, me parcourt l'épine dorsale. Tyler a tort. Les emmerdes ne vont pas s'arrêter, pas maintenant, en tout cas.

Elles viennent à peine de commencer.  

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen2U.Pro