Il ne savait pas pourquoi il était venu. Il ne savait pas ce qu'il fichait là, ni pourquoi il avait accepté de venir. Avec le recul, il se disait que ça n'avait aucun sens. Pourquoi aller au parc ? Ils ne seraient pas seuls, en plus, et puis où devait-il rejoindre Stefano ? Il n'avait pas réfléchi à tout ça avant de lui refermer la porte au visage, hier. Alors maintenant, comme prévu, il était venu ici, toujours aussi confus.

Le soleil commençait à peine à se coucher, il n'y avait pas beaucoup de gens, c'était assez calme. À part le léger chant des oiseaux de temps en temps, le bruit des feuilles dans le vent ou de l'eau qui coulait dans la rivière non loin, on n'entendait pas grand chose. Malgré tout, ce décor était très agréable à regarder, et il se rendit compte que le parc était vraiment un endroit apaisant où aller. Il se dit qu'il devrait y aller plus souvent, à l'avenir.

Mais pour l'instant, il déambulait simplement à travers les chemins en terre, les mains dans les poches en regardant autour de lui pour voir s'il ne trouvait pas l'autre abruti. Plus il avançait, plus il se disait qu'il approchait de la fin du parc, là, il allait se retrouver tout au fond si ça continuait. Mais il ne faisait pas ça pour rien, parce que finalement, au loin, il vit une silhouette violette, de dos.

Il avait visiblement choisi le meilleur endroit du parc, celui assez éloigné du reste, comme si c'était un lieu secret que personne ne connaissait. Les gens avaient tendance à rester vers le début, pas à la toute fin, là où il ne restaient que des arbres ou des buissons pour quasiment bloquer le passage. Mais là, malgré tout, c'était un endroit assez ouvert et vaste, pas caché par de la verdure, il fallait juste vraiment avancer, et s'égarer du chemin pour le trouver.

Et visiblement, il avait la meilleure vue. Juste à côté, étant donné que le parc se finissait là, on pouvait voir la ville, de loin, à travers les quelques branches des arbres. Et si on s'en approchait, on ne pourrait pas aller plus loin, de toute façon il n'y avait rien après, à part une pente assez raide où personne n'irait s'aventurer. Matthew ne s'était pas attendu à ce que d'ici, on ait une vue en hauteur sur la ville. Visiblement, il lui restait encore beaucoup de choses à apprendre sur elle.

En clair, Stefano avait choisi le meilleur endroit du parc, et il se trouvait là, à admirer le paysage, de dos à Matthew qui s'approchait lentement. Est-ce qu'il l'avait entendu ? Il savait qu'il était là, au moins ? Il ne comptait pas attendre là cinquante ans qu'on l'ait remarqué, mais il ne voulait pas non plus l'interpeller.

-Tu ne trouves pas que le paysage est impressionnant ?

Sérieusement, il lui parlait encore de paysage dans une situation sérieuse ? Ce n'était pas le moment de parler de ça, et il le savait très bien. Alors Matthew le regarda en haussant un sourcil, comme s'il se demandait de quoi il parlait maintenant.

-Tu étais obligé de choisir l'endroit le plus à l'écart ?

Puis il lui posa cette question, sans répondre à la précédente. Après tout, elle était sérieuse, elle. Alors, enfin, Stefano se retourna vers lui, sans aucune expression particulière sur le visage.

-Il fallait qu'on soit au calme.

Dans ce cas, il aurait juste pu aller chez Matthew, ou inversement, comme d'habitude. Pourquoi avait-il voulu aller dans un parc ? Pour le décor ? C'est vrai qu'il donnait quand même plus envie de discuter, contrairement à des intérieurs souvent sombres, et tristes.

Mais bon, Matthew n'avait ni le temps ni l'envie de relever ça. Ils étaient là pour s'expliquer, à la base, alors il n'allait pas tourner plus longtemps autour du pot.

-Bon, c'est toi qui voulais parler, alors est-ce que tu sais ce que tu voulais me dire ?

C'est vrai que lui, au départ, il ne voulait toujours pas. Et c'était Stefano qui avait dû insister pour qu'il accepte enfin, alors c'était à lui de lancer le sujet de conversation. Parce qu'après tout, Matthew ne savait même pas de quoi il voulait parler, tellement il y avaient de choses à dire.

Mais en retour, Stefano lui sourit d'une façon triste, comme si à cet instant, il savait tout ce qui le tourmentait.

-Et toi, tu es sûr que tu n'as rien à me dire ?

Il essayait d'éviter la question, là ? Il voulait que ce soit Matthew qui lui dise tout ce qu'il avait dans la tête depuis trop longtemps ? Et puis quoi encore, se dit le concerné. Ce n'était pas lui qui avait des choses à dire, aux dernières nouvelles, ce n'était pas lui qui avait tout raté, une fois de plus.

Alors ce n'était pas lui qui allait devoir s'expliquer comme s'il avait fait quelque chose de mal.

-Tu te fiches de moi ? Je suis venu parce que tu m'as limite forcé, je te signale. Et je t'avais dit que tu avais intérêt à avoir de bons arguments si tu voulais te faire pardonner. Alors, qu'est-ce que tu as à me dire ? Est-ce que tu as réfléchi à ce que tu devais me dire ?

Après tout, il n'avait pas semblé comprendre où était le problème, à la base. Il n'avait pas compris pourquoi Matthew était aussi énervé, il n'avait pas compris ce qu'il avait autant fait de mal pour en arriver là. Mais dès le moment où il avait décidé de partir, et de tout arrêter, Stefano avait compris. Et il avait passé les derniers jours à y réfléchir.

Oui, finalement, il savait ce qu'il avait fait de mal. Il savait qu'il était le coupable dans toute cette histoire, et il avait fini par comprendre qu'en effet, c'était lui qui avait des choses à dire à Matthew. Et pas qu'un peu. Alors, par où devait-il commencer ? Est-ce qu'il devait s'excuser ? Tout lui expliquer ? Essayer de changer ? Tout ça lui paraissait impossible, mais il savait qu'il devait faire des efforts, au moins un peu, sinon il n'arriverait plus jamais à avoir une conversation normale avec Matthew. Sinon, tout ne serait jamais plus pareil entre eux. Et il ne voulait pas qu'il lui en veuille jusqu'à la fin de sa vie.

Mais malgré tout, malgré ces tensions, il savait encore comment il fonctionnait, Matthew. Et il savait donc que dans n'importe quelle situation, aussi désespérée soit-elle, comme maintenant, il ne le repousserait jamais éternellement. Il finirait toujours par revenir vers lui, avec beaucoup de reproches et aucun acte oublié ni pardonné, bien sûr. Ce n'était pas parce qu'il revenait qu'il cautionnait..

En clair, il essayerait toujours de lui faire la morale, comme aujourd'hui. Parce qu'il ne pouvait pas l'abandonner, évidemment. Il savait que sans lui, Stefano serait encore pire. Et Stefano lui-même savait tout ça, justement, alors il n'avait même pas peur de la future réaction de son si cher ami lorsqu'il lui dirait sa réponse.

Qu'est-ce qu'il avait à lui dire ? Est-ce qu'il avait réfléchi à ce qu'il devait lui dire ? Savait-il par quoi commencer ? Est-ce qu'il avait tout préparé de A à Z, décidément déterminé à se faire pardonner et prêt à assumer tous ses actes ? Il mit un long moment à réfléchir, et pendant un instant, Matthew eut l'espoir que tout ce temps consacré à sa réponse n'ait pas été en vain.

Il s'attendait enfin à quelque chose de sérieux avec lui.

-Non, lui répondit-il enfin dans un sourire qui ne se voulait pas énervant, à la base, mais qui l'était complètement pour Matthew, maintenant.

Après tout, ce n'était pas entièrement faux. Il avait compris qu'il était en tort, qu'il avait causé trop de mal autour de lui, et surtout à Matthew, et qu'il devait se rattraper s'il ne voulait pas définitivement finir seul. Oui, il devait se rattraper, mais comment ? Ça, il n'avait toujours pas la réponse, alors il n'y avait pas réfléchi, il avait fait la première chose qui lui était passée par la tête, parce qu'il ne voulait plus attendre, et il était directement allé voir celui qui ne voulait plus le voir.

Il avait donc dû faire croire qu'il savait exactement quoi faire, qu'il savait ce qu'il voulait dire, comme le soir où il était allé chez lui après qu'il ait découvert la vérité. En vérité, il ne savait ni quoi dire, ni quoi faire, il ne gérait rien, mais il avait dû faire croire le contraire à Matthew s'il voulait qu'on l'écoute.

Alors il avait répondu en toute franchise et spontanéité que non, il ne savait toujours pas ce qu'il devait dire. Pour le moment, il essayait de retrouver Matthew, et comme il l'avait pensé plus tôt, il savait que même avec cette réponse, ça marcherait. Il avait juste voulu attirer son attention sur lui, du début à la fin.. Et visiblement, ç'avait marché, du début à la fin.

Parce que du côté de Matthew, lui, il avait l'impression de bouillir de l'intérieur. Qu'est-ce qu'il venait de lui répondre, là ? Il n'avait vraiment rien à lui dire ? Il ne devait vraiment pas s'excuser ? Est-ce qu'il se fichait de lui ?

Après tout ce qu'il avait fait, et surtout fait pour convaincre Matthew de l'écouter, il n'avait finalement rien à dire ? C'était lui qui allait devoir commencer la discussion pour lui dire tout ce qui n'allait pas ? Il avait l'impression que c'était une blague, que Stefano se moquait juste de lui. Sérieusement, il ne pouvait pas encore se demander ce qu'il avait fait de mal après tout ce temps ?

Il avait vraiment espéré, pendant un instant, que Stefano allait enfin régler les choses lui-même, et qu'il avait fait de vrais efforts. Seulement, il ne savait pas que c'était en parti le cas..

-Tu rigoles j'espère ?

Il avait l'impression d'halluciner.

-Tu m'as fait venir ici pour rien, au final ? En fait, tu ne sais même pas ce que tu voulais me dire ?

Et il recommençait à s'énerver, aussi, devant un Stefano qui n'arborait aucune expression, comme d'habitude. Alors qu'à l'intérieur, il trouvait ça drôle. Il savait que cette réponse allait énerver Matthew, mais le pauvre ne savait pas tout.

-Après tout ce qui s'est passé, tu ne crois pas que tu me devais des explications ? Alors que c'est toi qui as insisté pour qu'on parle. Si malgré ce que je t'avais dit, tu as quand même voulu me revoir, tu ne penses pas que c'est toi qui aurais dû savoir de quoi tu voulais me parler ?

C'était la moindre des choses à faire. Ça n'allait pas non plus être à Matthew de tout régler, comme d'habitude, en attendant que Stefano veuille bien parler, pour une fois. Il en avait marre d'avoir l'impression d'être le seul à tout prendre au sérieux dans cette histoire.

Alors en attendant, il s'énervait simplement contre Stefano, pendant que lui, il avait approché tout doucement.

-Ça fait des jours que j'ai essayé de ne plus penser à toi, de t'oublier, à cause de tout ce que tu as fait ! On ne pouvait plus continuer comme ça alors qu'on ne se comprenait pas, et maintenant que tu es revenu en me faisant croire que tu avais enfin compris le problème, et qu'on devait sérieusement en parler, tu n'as plus rien à me dire ?

À quoi tout ça a servi, alors ? Il avait vraiment l'impression que les choses ne changeraient jamais.

Sauf que Stefano, lui, n'avait pas cessé de s'approcher de lui, sans rien dire.

-Quand est-ce que tu vas enfin prendre tout ça au sérieux..?

À la fin, il était complètement désespéré, se demandant si Stefano allait enfin comprendre un jour. Si les choses s'arrangeraient vraiment. S'il était le seul à faire des efforts et à essayer de régler la situation, comment pourraient-ils avancer ?

Sauf que visiblement, toutes ces questions, et tous ces reproches faits - comme il l'avait d'ailleurs prédit - ne semblèrent pas concerner Stefano qui était maintenant arrivé juste en face de Matthew, qui le regardait à la fois comme s'il ne comprenait pas ce qu'il faisait, et comme s'il espérait une réaction de lui. Il savait que malgré tout ce qu'il pouvait faire, il finirait par retrouver Matthew, et cette fois-là en faisait partie.

C'est pour ça que, sans que ça n'ait vraiment de sens, juste après que Matthew ait fini de s'énerver, il l'entoura soudainement de ses bras, sans prévenir.

-Qu'est-ce que-

Il n'avait même pas le temps de comprendre, ou de réagir, qu'il était maintenant emprisonné par un Stefano qui visiblement, ne comptait toujours pas s'expliquer. Même pour la raison de ce geste innatendu. Sauf qu'en retour, Matthew ne voulait évidemment pas se laisser faire, et essayait maintenant de se débattre par tous les moyens. Il ne voulait pas de ce câlin, bon sang ! Qu'est-ce qu'il fichait, encore ?

-Stefano, lâche-moi tout de suite !

Il essayait de se débattre, de bouger dans tous les sens pour se libérer de son emprise, même de taper le plus fort possible ses poings sur son dos pour qu'il le lâche, mais rien n'y faisait. Ses protestations ne servaient à rien, Stefano ne semblait toujours pas décidé à le lâcher, et restait toujours aussi muet.

Alors, soudainement, Matthew eut l'impression qu'il avait envie de pleurer. Comme s'il avait besoin d'évacuer toute la pression de ces derniers jours, et qu'il en avait enfin l'occasion. Mais sa colère ne diminuait toujours pas à l'égard de Stefano, au contraire, maintenant il avait de plus en plus envie de le frapper, à cause de tous les coups foireux qu'il continuait de faire.

Pourquoi faisait-il ça ? Qu'est-ce que ça lui apportait ? Il ne comprenait pas. Il ne comprenait vraiment pas.

-Je t'ai dit de me lâcher, espèce d'imbécile !

Malgré tout, sa colère se transformait peu à peu en désespoir, encore une fois, pendant que les larmes commençaient à lui monter aux yeux. Il était fatigué. Il en avait marre de lutter, surtout contre Stefano, qui continuait de faire les actes les plus illogiques de la Terre.

-Je te préviens, je vais...

Ses menaces n'arrivaient même pas à être formulées. Il sentait qu'il avait de plus en plus de mal à parler, avec les sanglots qui commençaient peu à peu à s'incruster dans sa gorge. Il n'arrivait même pas à affronter Stefano, à simplement se libérer de son emprise, à lui faire entendre raison. Il n'arrivait à rien face à lui, il ne pouvait pas le changer, et doucement, il commençait à comprendre ses réelles intentions depuis le début.

Stefano aussi avait compris, oui, il n'était pas totalement venu ici sans savoir quoi faire. Au contraire, il avait même tout prévu. Prévu de ne rien lui dire, au final, parce que dans ce genre de moment, ce n'étaient pas les paroles qui étaient nécessaires, mais les actes. Il avait simplement voulu voir Matthew, pas lui parler. Il avait voulu le retrouver, et avait pour ça eu une idée qui ne pouvait pas les garder éloignés. Il s'en fichait de parler, il s'en fichait de tous les reproches qu'on allait encore pouvoir lui faire, pour une fois, il avait juste voulu sentir qu'il était proche de Matthew, dans tous les sens du terme.

Ils avaient tous les deux besoin d'affection, alors pour une fois, il allait enfin lui en donner, surtout dans cette période où Matthew était fatigué de tout. Il devait sentir qu'il n'était pas seul, que malgré tout, Stefano était encore là pour lui, et qu'il ne le lâcherait jamais, lui non plus.

C'est pour ça que Stefano savait que malgré tout ce qu'il pouvait faire, Matthew reviendrait toujours vers lui, surtout si comme aujourd'hui, il lui offrait un câlin pour le réconforter au moins un peu.

Alors, quand après une énième tentative pour se libérer de la part de Matthew, Stefano renforca au contraire son emprise sur lui, toujours sans rien dire, il sentit que les larmes se mirent soudainement à couler.

Il finit par se laisser faire, se disant qu'il ne pourrait de toute façon jamais lutter contre lui, et essayant aussi de se convaincre qu'il devait se laisser aller. Alors, sûrement pour son bien, et voyant que ça ne servirait à rien de se battre, il préféra resserrer l'étreinte en passant à son tour ses bras autour de Stefano. Comme d'habitude, il cédait face à lui.

-Pourquoi tu fais ça...

Il posa cette question dont le sens était multiple, tout en ayant posé sa tête sur son épaule, laissant les larmes couler le long de son visage. Il ne voulait plus lutter, il était fatigué. Et si Stefano était la seule compagnie qui lui restait, alors il acceptait. Après tout, il n'était rien sans lui.. Il avait besoin de lui. Il avait besoin de le voir. Il avait essayé d'être fort, de faire croire qu'il n'avait pas besoin de sa présence, mais maintenant qu'il le prenait littéralement dans ses bras, il se rendit compte qu'en fait, tout ce dont il avait toujours eu besoin, c'était lui, juste lui.

Peu importe qui il était, ce qu'il faisait, il ne voulait juste pas être loin de lui. Et il semblait avoir de la chance, cette fois, puisque Stefano, lui, était bien décidé à faire des efforts. Il savait que Matthew n'allait pas bien, en parti à cause de lui, et il savait qu'il était donc le seul à pouvoir l'aider. Il était le seul qui pouvait encore tout régler maintenant, il lui avait juste suffit que Matthew accepte de le voir.

Et voilà, il avait réussi. Il savait qu'il reviendrait, il avait juste suffit que Stefano montre qu'il.. tenait à lui, d'une certaine façon. Il n'était pas venu là pour discuter, malgré ce qu'il avait fait croire, il était venu parce qu'il ne voulait plus être en froid avec Matthew. Ils ne pourraient pas discuter normalement si tout n'était plus pareil entre eux, non, alors il fallait d'abord lui montrer qu'il était toujours là, qu'il serait là pour lui. Et que malgré tout, rien ne changerait vraiment entre eux.

Les discussions sérieuses seraient pour un autre jour, là, pour le moment, ils devaient simplement être là l'un pour l'autre, parce qu'ils étaient les seules personnes qui pouvaient encore être là l'une pour l'autre.

Stefano avait réussi.. Il avait retrouvé Matthew.