Résolu donc à abandonner sa passion pour les humains, Ratibus avait travaillé très dur, passant ainsi de stagiaire à stagiaire-en-chef (l'ascension professionnelle était lente et fastidieuse dans un monde de rat). Son travail consistait notamment en la ratification de divers traités mineurs. Il s'acquittait à sa tâche avec sérieux et assiduité.

Tout se passait plutôt bien et Ratibus était heureux; il avait d'ailleurs l'impression d'être parvenu à tirer un trait sur son passé difficile, ses journées à l'orphelinat Bieber, ou plus communément appelé l'orphelinat TORTURE, dans lequel le directeur les forçait à écouter de la musique pour pré-pubères humaines, l'abandon par ses parents rats, son complexe d'Oedipe loupé, bref, Ratibus semblait avoir surmonté toutes ces choses qui auraient pu troubler son bonheur de rat.

Ce que le petit rattus norvegicus ne savait pas, malgré son intelligence et sa vivacité d'esprit, c'était que la passion qu'il avait raisonnablement enterrée risquait de se réveiller à tous moments, et briser ainsi le cocon douillet qu'il s'était créé.

Et, au bout d'un moment, Ratibus se mit à collectionner les actes manqués. Oublis, lapsus, casse d'objets, tout y passait.

Au travail, tout le monde se demandait ce qu'il lui arrivait. Les plus audacieux se risquaient à supputer, entre deux ratifications de traités, qu'une femelle rat avec su toucher le coeur de Ratibus. On supposa même qu'il sortait secrètement avec Rita, ou Pétunia, ses soeurs de coeur, et à ceux qui objectaient qu'elles étaient comme sa famille, on leur répondait avec un aplomb freudien que de toute façon il n'avait pas dû intégrer l'interdit parental de l'inceste.

Rita et Pétunia, de leur côté, commencèrent à vraiment se poser des questions quand Ratibus se mit à les confondre, erreur totalement inédite.

Notre petit rat gris avait en parallèle parfaitement conscience qu'il était en train de devenir un véritable boulet (nous pouvons souligner à ce propos que c'est une qualité que beaucoup d'humains ne possèdent pas, comme quoi les rats peuvent se montrer bien plus perspicaces sous certains aspects).

Il mettait donc le maximum de ses connexions synaptiques en oeuvre (et Dieu Rat seul sait à quel point cela peut être difficile pour ces bestioles) pour essayer de comprendre ce qu'il lui arrivait. Certes, être un rat stagiaire-en-chef n'était pas tous les jours facile (il y avait quand même des responsabilités), mais de là à être aussi perturbé, c'était étonnant.
Non Ratibus ne comprenait pas, et ce malgré tous ses efforts...