Chapitre XIII

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Il ne fallait pas trois pieds du pas de la porte au puits, aussi la fille de basse-cour dû tout le jour durant porter deux lourds seaux tantôt vide tantôt plein de mangeoires en marres. Mais son esprit rêvassait sous la contrainte physique, elle repensait à l'apparition de la forêt ; fut-ce un doux rêve éveillé ou la folie la guettait-elle ? Oh ! elle ne pouvait oublier ce visage si doux au toucher l'air si agréable, ces beaux yeux si clairs et si vifs... Et la lumière qui l'auréolait troublait son souvenir et le changeait en ange gardien.

Dieu ! Faites donc qu'elle puisse le revoir encor une fois, une simple fois, pour graver son image au fond de ses yeux, pour le voir partout où elle posera le regard, pour l'imaginer en rêve et le voir encor et encor !

« Mais je ne peux point ! dictait la petite voix dans sa tête. Il est si beau, il doit être prince ! Pourquoi revenir voir la pauvre fille de ferme que suis-je ? Jamais il ne me laissera l'approcher, ni même le toucher ! »

Un bruit de fond se fit entendre, si léger qu'il me parut à peine perceptible.

Et pourtant elle y croyait, si fort et si fort que son cœur en serait sorti de sa poitrine. Et déjà elle se voyait danser avec cet homme qui peut-être n'en était point un, lui chanter milles sérénades et poser ses mains sur son doux visage. Bientôt les seaux devinrent des bras qui la soutenaient, et ses pieds dansèrent sur le chemin du puits. Cent fois elle manqua d'y tomber, cent fois elle ne le vit point, car ses yeux avaient disparu pour un autre monde où elle ne voyait que ce qu'elle souhaitait voir.

Elle ne pouvait plus que danser, et danser encor, dans ces bras de fer et de bois, sous les chants de colombes imaginaires flottant autour d'elle. Elle se voyait, les fleurs nouées dans les cheveux, ses pas graciles en harmonie dans le vent, elle se voyait belle et heureuse avec cet homme de ses pensées.

« Cela ne peut m'arriver ! criait pourtant la petite voix. Je ne suis rien, il doit être tout. Il ne sait point que j'existe en ce bas monde, alors que lui vit dans le luxe et la volupté ! »

Encore une fois, un bruit léger, comme un coup que l'on ne veut faire entendre sur une porte de bois.

Mais qui pouvait la raisonner ? Personne ne voyait ce que ses yeux projetaient, personne ne voyait ni sa folie ni son délire. Alors elle resterait là, perdue sous une brume d'étoiles, dans les bras d'un prince des songes auréolé de soleil, tandis que, doucement, son esprit sombra en eau profonde.

« Azenet... ? »

Ce fut l'entente de mon nom qui me tira de ma transe littéraire. Un instant, je restai là, à cligner des yeux dans le vide, faisant disparaître la vision de l'histoire, comme si cela m'aidait à revenir plus vite dans le monde réel. Puis, posant mon livre sur le lit où j'étais installé, je me relevais rapidement et, sans un bruit, j'ouvris la porte pour laisser entrer la frimousse souriante de Elyes.

Cela faisait bien longtemps que nous nous côtoyons chaque jour, près de trois ans désormais, nous retrouvant dans ma chambre à des heures parfois tardives en raison de l'emploi du temps chargé du roi. Car oui, maintenant que le jeune enfant avait grandi, ses responsabilités avaient doublé, bien que son pouvoir sur les décisions restât des moindres. Les conseillaient royaux faisaient tout leur possible pour « faire perdurer ce fichu régime stupide et borné », comme le disait mon ami. Toujours est-il que nous avons passé tout le temps que nous pouvions ensemble, nous apprenant mutuellement ce que nous savions : il m'apprenait à lire, à compter, je lui apprenais la vie au village ; il m'apprenait l'histoire du monde, je lui apprenais les légendes des anciens. Nous avions bien vu que nos deux mondes, pourtant côte à côte, n'avaient rien en commun, et pourtant c'est comme ça que nous nous sommes rapprochés...

Avec le temps, j'ai fini par être peu à peu accepté dans ce château qui ne pouvait me supporter. Je prenais beaucoup de plaisir à aider les autres, à les écouter, à régler des conflits, et le temps passant j'ai compris que les habitants de la citadelle n'étaient pas hostiles de nature, ce que me confirmait jour après jour mon ami à chaque visite.

« -Tu ne m'as pas entendu frapper ? me questionna Elyes en entrant silencieusement.

-Non, m'excusais-je, je lisais le livre que tu m'avais prêté, ''Contes du jour et des nuits''. J'aime vraiment beaucoup !

-Je suis heureux de voir que je ne t'ai pas appris ça pour rien. »

Son sourire chaleureux était toujours aussi agréable à voir : lors de mes premiers mois ici il me rassurait, maintenant il était mon accroche dans ce monde... Comme depuis quelques temps maintenant, j'ouvris mes bras pour qu'il s'approche et se joigne à l'étreinte demandée, puis nous restions là un moment, à profiter de la chaleur bienvenue de l'autre. Je ne pouvais dire que j'avais oublié Aypierre ni que je l'avais remplacé, car chaque fois que je lui parlais du village je revoyais son visage, mais Elyes m'avait aidé à faire mon deuil jour après jour. Il occupera toujours cette place si importante dans mon cœur, celle du sauveur, celle du protecteur, mais la tendresse et l'affection de mon nouvel ami me fait ressentir les choses différemment.

« Alors, reprit-il alors que nous nous asseyions sur le banc, tu lisais quelle histoire pour ne plus entendre le monde ? »

Un fin sourire se dessina sur mon visage. Une discussion banale, voilà ce que j'aurais toujours aimé vivre, sans en avoir conscience. Une vie tranquille à parler de tout et de rien, faire ce que l'on veut – pour ce point-là j'attends quelques améliorations –, ne pas baigner dans une peur constante même sous notre propre toit. Ce que Elyes m'apportait aujourd'hui, jamais je n'aurai pu l'imaginer il y a quelques années.

« Oh, c'est Songes d'une douce folie, répondis-je en tournant le livre, j'aime beaucoup la manière dont le personnage principal se décrit lui-même sans conscience de son trouble.

-Ah, oui, je l'ai beaucoup aimé celui-là ! Mais mon préféré reste le suivant... Je te laisserai le découvrir seul !

-Même pas un indice sur l'intrigue ?

-Non non ! Il vaut mieux que tu le découvres entièrement de toi-même, vraiment. L'histoire vaut le détour ! »

Je lâchais un léger gloussement devant l'enthousiasme de mon ami, qui m'avait voué avoir dévoré ce livre bien des dizaines de fois – l'expression m'ayant surpris au premier abord – et que c'était pour cela qu'il me le laissait. Si je l'écoutais, tous les récits étaient ses préférés ! C'est sûr, mon bon ami est un féru de littérature et ne manque pas une occasion de le prouver.

Tout à coup, mon bras se fit lourd, si lourd que le livre que je tenais chuta ; mon corps tout entier se mit alors à trembler tandis que ma tête vibrait sous les à-coups d'une douleur vrillante. Je sentais la présence de Elyes à mes côtés, mais ma vision troublée m'empêchait de le voir et aucun de mes membres ne répondait à mes vaines tentatives d'appel à l'aide. Mon souffle se faisait court et sec, chaque inspiration me donnait l'impression de m'étrangler. Lamentablement, je me senti basculer sur l'assise moelleuse puis tomber lourdement sur le sol avec l'élan précédent.

« Azenet ! »

Au bord de l'inconscience, tout ce que je pouvais sentir c'était cette douleur qui me martelait, comme les pas des soldats se dirigeant vers le combat inévitable, comme les violents coups d'épée qui résonnaient sur les champs de bataille, comme la guerre sur notre monde.

« Azenet ! »

À chaque battement supplémentaire, j'avais l'impression de me vider de mes forces, de perdre mon souffle et mon esprit.

« Ne t'en va pas Azenet ! »

J'ai envie de dormir, le sommeil a l'air si doux...

« Réveille-toi !! »

D'un coup, mon corps se contracta brusquement, me faisant inspirer une grosse goulée d'air, tandis que la douleur se dissipait chaque seconde. Je sentais les mains de Elyes autour de mes épaules, mon dos contre son torse, me soutenant dans une position semi-assise, sûrement dans un faible espoir de me permettre de mieux respirer alors que j'étouffais. Doucement, je clignais des yeux, contractant lentement chacun de mes muscles puis, après de longues secondes, je pus me redresser avec l'aide de mon ami.

« Ça va ? lança ce dernier avant de ravaler sa question. Désolé, c'était idiot...

-Je vais bien, ne t'en fais pas, articulais-je, la langue pâteuse. Juste un coup de faiblesse.

-Encore ces drôles de malaises ? »

Je hochais fébrilement la tête, préférant me remettre de cet instant avant de trop forcer sur moi. Elyes soupira bruyamment :

« J'aimerais bien comprendre ce qui te provoque tout ceci... C'est de plus en plus courant, et de plus en plus violent »

Il a raison, il nous faudrait comprendre, mais comment pourrions-nous ? Il ne s'agit que d'un instant de mal-être.

« Tu peux te relever ? demanda Elyes. On va aller un peu dehors, l'air frais te fera le plus grand bien.

-Oui... Merci. »

Sa prise sur mon corps se raffermi tandis que je repliais doucement les jambes, posant les pieds au sol, pour me redresser avec son aide. Une fois bien droit et bien en place, nous allâmes dans le couloir puis nous nous dirigeâmes avec quelques difficultés vers la porte vitrée menant dans le jardin de la reine. Nous sortîmes sans un bruit, bien que notre discrétion fût aujourd'hui inutile, puis nous nous installâmes sur un vieux banc de pierre taillée au milieu des parterres de fleurs.

Respirer l'air frais finit d'apaiser mes résidus de mal-être, et la vue des milles couleurs du jardin effaça pour de bon ma panique et mes tremblements.

« Tu vas mieux ? questionna Elyes en me voyant reprendre des couleurs.

-Oui, répondis-je dans un souffle. Merci de t'occuper de moi... »

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