Le néant, à force je le connais trop bien. Encore et toujours quand je suis en plein cauchemar, je me retrouve d'abord dans un endroit noir, où je ne vois rien, puis le décor autour de moi change et je me retrouve quelque part. Le plus souvent je suis de retour sur le champ de bataille, et soit je revis mon accident, soit je revois juste les paysages de désolation permanents. Et en plus, ça ne dure pas très longtemps. Juste le temps de me rendre compte que je suis de nouveau sur les lieux qui m'ont marqué, puis il y a certaines paroles qui reviennent, pour me faire regretter.

Le but de ces cauchemars est de me rappeler tout ça, mais à force, j'y suis habitué. Avec les années, ça ne me fait plus rien, surtout depuis que j'ai changé. Le seul point positif est que je ne suis plus autant effrayé par ces cauchemars. Et maintenant, je vais découvrir quel sera le sujet de celui qui m'attend. J'espère qu'il sera rapide lui aussi.

Alors, maintenant, je me retrouve dans un hall. Le hall d'une maison. Mais laquelle ? Je regarde autour de moi. L'ambiance est sinistre, j'ai l'impression qu'il n'y a plus aucune couleur. Et quand je regarde bien, cette décoration et le lieu me disent quelque chose.. Mais oui, comment j'aurais pu l'oublier, et surtout ne pas m'en rendre compte. Quand je regarde mieux, je me rends compte d'une chose très importante.

Je suis de retour à la maison.

Mais pourquoi je suis là ? Pourquoi dans cette maison que j'ai tant détestée ? La réponse devrait être claire pourtant. C'est évident, je suis dans un cauchemar, et mes cauchemars font tout pour me déstabiliser. Ce n'est pas pour rien que l'ambiance est si sombre, silencieuse, même presque effrayante. Mais ce qui m'a d'un coup le plus effrayé, c'est d'entendre des cris, soudainement.

Comme en écho, j'entends des cris. Mais ce ne sont pas des cris de terreur ou de douleur, ce sont ceux d'une personne qui crie après quelqu'un. Mais qui est-ce ? Et qu'est-ce que ça dit exactement ? En écoutant mieux, je me rends compte que c'est une femme qui crie, et ça a l'air d'être destiné à son enfant. Et en même temps, les pleurs d'une petite fille se mélangent à ces cris.

Mais qu'est-ce qui se passe ? Ce n'est pas ma mère qui s'énerve, même si j'aurais pensé vu que je suis dans la maison familiale. Et ce n'est ni envers moi, mais envers une fille. Mais qui est-elle ? Qui sont-elles, toutes les deux ? Une mère qui crie sur sa fille ? Mais pourquoi ? Et qu'est-ce qu'elle lui dit exactement ? Je n'arrive pas vraiment à discerner ce qui est crié. Mais il y a trop de questions qui se mélangent, d'un coup. J'ai besoin de réponses.

Alors, pour essayer de comprendre ce qui se passe, je monte à l'étage en prenant les escaliers qui se trouvent à ma gauche. J'ai l'impression que ces voix viennent d'en haut. Je dois aller vérifier. En arrivant en haut, je ne vois rien, à part le couloir qui s'étend devant moi. Et j'entends toujours ces cris, je dois aller voir dans les pièces qu'il y a ici, dont ma chambre. Sauf qu'en avançant, une sensation bizarre m'envahit. Je suis de retour dans cette maison que j'ai détestée, je ne peux être serein, en plus que l'ambiance est si sombre. Mais après tout, je suis dans un de mes cauchemars, c'est logique que je sois effrayé.

Quand je regarde sur le mur à ma gauche, je vois un tableau. Il a toujours été là, mais ce qui est montré dessus n'est pas la même chose que d'habitude. Il y a juste écrit "Fais tomber le masque" sur un fond noir. Qu'est-ce que ça veut dire, ça ? Rien n'a de sens, et c'est normal, je suis dans un cauchemar. Mais ça ne m'empêche pas de continuer à avancer, et alors que je cherche toujours la source de ces cris en regardant dans une pièce à ma droite, je sens soudainement la présence de quelqu'un.

Mon regard est automatiquement attiré sur le fond du couloir, en face de moi. Je m'éloigne de l'entrée de la pièce et, tout en ne quittant pas des yeux la personne qui se trouve au fond, j'ai l'impression que mon coeur a raté un battement. Je ne m'attendais pas à ce que je la retrouve dans mon cauchemar, mais en voyant son apparence aussi sombre que le décor, ça ne m'étonne pas de voir ma mère ici. Je suis dans un cauchemar, c'est normal d'avoir peur.

— Tu cherches quelque chose ?

Sa voix n'est pas du tout rassurante, rien n'est rassurant ici. Et comme je suis complètement terrifié soudainement, la meilleure solution que j'ai trouvée pour lui échapper est de faire demi-tour et de dévaler les escaliers pour me retrouver en bas, cette fois. Je dois partir d'ici. Je n'aurais quand même pas compris le sens de ce rêve mais, là tout ce que je veux faire c'est m'en aller. Je ne veux pas rester avec elle.

"Elle te déteste."

Je sais que c'est faux pourtant, mais c'est sûrement cette maison qui doit me donner cet effet. C'est pour ça que je n'ai pas hésité avant de me jeter sur la porte d'entrée puis de l'ouvrir et d'enfin quitter ce lieu de malheur. Je suis enfin dehors, sauf qu'alors que je pensais être sauvé de ce cauchemar, que ce serait la fin, une lumière blanche m'éblouit. Qu'est-ce qui se passe, encore ?

Cette fois, au lieu d'entendre les cris d'une mère qui s'énerve sur son enfant, j'entends des coups de feu, des bruits d'explosion. Et quand je reprends mes esprits et que l'environnement autour de moi revient à la normal, je me rends compte que je suis à nouveau sur le champ de bataille. Je m'y attendais, en fait. J'étais même étonné de voir que ce n'était pas le sujet initial de ce mauvais rêve. Mais quand je pense à ce que je viens de vivre, des frissons me parcourent. Tout était fait pour m'effrayer.. Et cette fois j'ai l'impression que c'était plus que d'habitude.

Enfin, ce n'est pas vraiment le moment de penser à ça, car actuellement je suis dans un lieu dangereux. J'ai tout de même atterri dans ce qui semble être les ruines d'une maison.. Je ne suis pas entièrement à la merci des tirs d'obus, au moins. Sauf que je dois sortir d'ici. Mais pour aller où ? Comme d'habitude, j'espère que c'est pour quitter ce cauchemar. En bruit de fond, il y a toujours ces tirs constants. Je les ai entendus pendant trois ans, à force je n'y faisais même plus attention, comme maintenant. Les habitudes ne changent pas, jusqu'au bout.

Alors que j'erre à travers les ruines, tout de même sur mes gardes, quand je semble enfin atteindre ce qui a l'air d'être une sortie, quelque chose m'interromp. Mais ça ne m'a pas directement touché, ça a fait prendre conscience de sa présence. Parce que ce qui m'a interrompu, c'est la toux d'un soldat assis contre le mur à ma droite. J'ignore s'il s'est mis à tousser exprès pour que mon attention soit rivée sur lui, mais en tout cas ça a marché. Parce que maintenant, je le fixe alors que lui a l'air d'être mal en point et n'arrive même pas à lever son regard sur moi. Si seulement j'avais mon appareil, j'aurais pu le prendre en photo.

— Tu comptes aller où..?

Sa voix est faible, il a dit sa phrase difficilement. Et ça se comprend, vu l'état dans lequel il se trouve. La mort va sûrement bientôt venir le chercher. Mais ce qui devrait le plus m'intéresser, c'est sa question, et non son état. En y pensant, je ne sais pas vraiment ce que je pourrais répondre. J'essaie juste de me réveiller.

— Dehors.

— Et qu'est-ce que tu vas faire dehors ?

J'ai une exposition à réaliser, alors je dois m'en aller d'ici. Mais ça, je n'aurais pas pu lui dire. Et comme il met du temps à réagir à mon silence, je me dis que je perds mon temps à essayer d'avoir une conversation avec lui, alors que ça ne sert à rien puisque je ne suis pas dans la réalité. C'est pour ça que, en le regardant une dernière fois et en pensant qu'il doit souffrir à cause de toutes ses blessures, je me concentre à nouveau sur la sortie et avance vers elle. Il va pouvoir se reposer avant de mourir.

— Tu es déjà mort, Stefano.

Je m'arrête, puis je tourne lentement ma tête vers lui. Pourquoi il m'a dit ça ? Et comment connaît-il mon prénom ? En y réfléchissant bien, je me dis que ce soldat n'est pas un inconnu. Je le connais sûrement, mais j'ai vu tellement de mes camarades mourir sous les balles ou les explosions qu'à force je ne me rappelle pas de tout le monde. Par contre, lui, il se souvient de moi. Ce qui est logique, je suis dans un rêve, tout est possible.

— Tu es mort comme nous tous. Et ce n'est pas avec tes objectifs pitoyables que tu vas renaître.

Est-ce qu'il parle de mon exposition, justement ? Et puis, il vient de sous-entendre que c'est complètement stupide de vouloir faire ça. Peut-être qu'une part de moi-même, celle qui existait avant mon accident, pense la même chose. Car quelque chose au fond de moi me dit qu'il a raison. C'est stupide. Mais pourtant, je ne veux pas les croire. Je dois le faire, car mon art doit être reconnu. Ce n'est pas pour.. espérer renaître. Ça, je n'ai plus à m'en inquiéter, car grâce à cet art justement, je ne me suis jamais senti aussi vivant.

Mais, encore une fois, quelque chose me dit que je me mens à moi-même.

— Tu dois faire tomber ton masque, retire-le. En faisant ça, tu te rendras compte de beaucoup de choses.

De quoi il parle, au juste ? Je n'ai pas besoin de ses conseils qui ne veulent rien dire. Et qu'est-ce que c'est, cette histoire de masque ? Je ne comprends plus rien, encore une fois. Je ne sais même pas ce que je suis censé répondre à ça. Depuis avant, je ne fais que le regarder, avec un visage qui montre sûrement mon incompréhension. Et soudainement, il n'a plus de mal à parler, comme s'il allait bien.

— Maintenant, tu vas te rappeler de ce qui a créé ce masque.

Encore une fois, je ne comprends pas. Mais ce n'est que lorsque j'ai envie de lui demander ce qu'il veut dire par là qu'une énorme explosion retentit non loin de moi. Je tourne ma tête et j'ai à peine le temps de voir quelque chose se diriger droit sur mon oeil, avant que tout ne s'arrête et que ma vue se voile à nouveau de blanc. En même temps, mes oreilles sifflent aussi. Ce sont les dégâts d'une explosion, après tout.. Et cette explosion n'était pas une simple explosion, c'était celle qui m'a coûté mon oeil. Ça aussi, je m'y attendais..

Je me demande si maintenant, mon cauchemar va enfin s'arrêter, car j'ai l'impression de devenir fou. Enfin, je le suis déjà.. Alors ça me donne l'impression de l'être encore plus. Sauf qu'évidemment, mon souhait n'a pas été écouté et je me retrouve encore dans un autre endroit. Je suis où cette fois-ci ? Je regarde bien les lieux, et, soudainement, je me rends compte que je suis dans mon studio, à Krimson City. Il est sombre, lui aussi. Comme si la lumière n'était pas allumée. Je me demande quand même ce que je fais là, je n'ai jamais été ici avant, dans un de mes rêves.

— Tu vas m'exposer ?

Je me retourne d'un coup. À quelques mètres de moi, plongée dans le noir, se trouve une personne que je connais très bien. Décidément, elles ont toutes décidé de venir me hanter. Et comme avec ma mère, je suis soudainement effrayé. Ça ne m'avait pas fait cet effet, avec ce soldat, alors pourquoi avec elles ?

— Je sais que tu m'as tuée car quelque chose t'a dit de le faire. Je ne t'en veux pas.

Elle a toujours su tout comprendre avec moi. Emily s'avance doucement vers moi, avec son sourire bienveillant sur le visage. Au niveau de son cou, il y a une sorte de grosse entaille qui saigne légèrement. C'est à partir de cet endroit que je l'ai tuée, après tout.. Et pourtant elle ne m'en veut pas. La tuer a été une grosse erreur, car c'était la seule qui pouvait m'aider. Mais comme elle l'a dit, ce n'est pas moi qui me suis imposé ça. J'ai obéi à quelque chose, et cette fois j'ai obéi à une propre partie de moi-même.

— Tu allais être encore plus magnifique comme ça, je devais le faire.

— C'est pour ça que tu vas m'afficher aux côtés de toutes les autres.

Malgré tout, elle sourit toujours. Comme si elle était contente, qu'au moins, sa mort n'aura pas servi à rien. Bien sûr que non, les morts de toutes les personnes que je connaissais n'ont pas servi à rien. Elles ont pu me faire comprendre des choses, et celles de toutes les femmes que j'ai tuées vont servir à faire comprendre des choses aux gens, cette fois.

Faire cette exposition sera bénéfique pour tout le monde, j'en suis sûr.

— Pourtant tu sais que ce n'est pas la bonne solution.

D'un coup, son sourire disparaît et elle me regarde tristement. J'ai l'impression qu'elle lit dans mes pensées. Et elle aussi, elle essaie de me dissuader de faire ça. Pourquoi ils pensent tous que c'est une mauvaise idée ? En fait, peut-être que moi aussi je sais que c'est une mauvaise idée, mais je n'arrive pas à y penser longtemps, car la partie de moi qui me dit que c'est une bonne idée est plus forte. Je n'arrive même pas à lutter contre moi-même.

— Quelle est la bonne solution, alors ?

Ils sont marrants, à tous me dire que ce n'est pas avec ça que je vais mieux vivre, mais qu'est-ce que je suis censé faire pour mieux vivre, alors ? La seule solution que j'ai trouvée, c'est cette exposition, et si c'est celle qui me permet de mieux me sentir, pourquoi est-ce qu'ils veulent tous m'empêcher de mieux me sentir, justement ? Ils essaient de m'aider, ou de me faire regretter ?

Pendant que je pensais à tout ça, Emily aussi semble réfléchir, de son côté. Elle cherche sûrement la réponse adéquate. Et si elle n'arrive pas à la trouver, c'est qu'il n'y en a pas. Je sais que j'ai raison, j'en suis persuadé.

— Peut-être celle de faire tomber ton masque ?

Même si c'est un rêve, ils se sont tous passés le mot, ou bien ce n'est que moi ? Pourquoi ils me parlent tous de ça, aussi ? Pourquoi me parlent-ils tous en message codé, et pourquoi je ne comprends rien à tout ça ? J'ai l'impression que je commence à saturer. J'ai juste envie de me réveiller, pour que tout ça se termine et que je sois tranquille.

— Crois-moi, après cette exposition tu te rendras compte de beaucoup de choses, et tu pourras enfin te débarrasser de ce masque qui t'étouffe au quotidien.

Mais de quel masque parle-t-elle enfin ? Comment ça je vais pouvoir m'en débarrasser ? Et comment est-ce qu'elle sait tout ça ?

— Tu souffres beaucoup, Stefano. Tu l'as juste oublié.

Cette phrase me dit quelque chose, elle me rappelle quelqu'un, mais impossible de me souvenir de quoi que ce soit. De toute façon, ce n'est pas l'endroit approprié pour réfléchir à tout ça. Et alors que je voulais dire quelque chose, j'entends soudainement un bruit. Quelque chose qui est tombé sur le sol, et ce bruit ressemble à celui d'une goutte d'eau.
Je regarde par terre, et je vois que sur le sol, il y a bien une goutte, mais de sang. Qu'est-ce que c'est que ça ?

Je relève la tête vers Emily, et je vois qu'elle me regarde, mais son regard semble être sans émotion, vide. Et maintenant que j'y pense, j'ai une sensation étrange au niveau de mon oeil droit. Je pose une main sur ma joue, en dessous de cet oeil, et quand je la regarde, je vois qu'il y a du sang dessus. C'est moi ou.. je saigne de l'oeil droit, subitement ? Et pourquoi maintenant ? Pourquoi il saigne, surtout ? Qu'est-ce qui se passe ?

J'ai l'impression que l'univers autour de moi tremble, je regarde à nouveau Emily mais je n'arrive plus à distinguer les formes de son visage, de son corps. Tout devient flou, et mon oeil me fait atrocement mal, d'un coup. Elle m'a dit que je souffrais beaucoup, mais que je l'avais oublié.. Maintenant, je crois que je m'en rappelle. Mais je ne voulais pas m'en rappeler. Non, je ne voulais pas m'en rappeler, maintenant j'ai la sensation de perdre l'équilibre puis de tomber. Je tombe, et je ne comprends plus le décor autour de moi.

"J'ai besoin d'aide."

Puis soudainement, je me réveille.

Je me redresse sur mon lit, le souffle saccadé. J'ai l'impression d'avoir été en apnée, et maintenant je respire à nouveau. Qu'est-ce qui s'est passé ? Quelle était la signification de ce cauchemar, au juste ? Rien n'avait de sens, je n'ai rien compris. Pourquoi je me suis retrouvé dans la maison de mon enfance..? Pourquoi je l'ai revue..? Pourquoi j'étais à nouveau sur le champ de bataille, et pourquoi j'ai revu Emily ? De quoi me parlaient-ils tous ?

Quel est ce masque dont ils me parlent tous ?