Je ne sais pas où je suis. Tout est en noir ici, je ne comprends plus. Est-ce que je suis mort ? C'est sûrement ça, c'est pour ça que depuis un moment je ne suis plus dans le monde réel, mais dans un monde vide. Un monde où je ne suis même pas sûr d'être présent. Je ne sens pas mes membres, je ne peux même pas bouger la tête, voir si je suis bien là, je vois juste du noir. Le néant.

Je ne suis même plus sûr de mon existence, à force d'être ici. Je ne me rappelle plus vraiment non plus ce qui s'est passé avant que je n'arrive ici. Mais qu'est-ce qui se passe ?

Puis, d'un coup, alors que je commençais de plus en plus à m'inquiéter, le décor semble s'éclaircir. Tout devient subitement blanc autour de moi, ce qui me fait mal aux yeux. Les yeux.. Je m'en rappelle, maintenant. Il s'est passé quelque chose avec mon oeil, ce qui m'a fait perdre connaissance. Et maintenant, je me retrouve ici. D'ailleurs, je suis où au final ?

Je me rends compte que je peux à nouveau bouger, je suis bel et bien là, tout va bien. Mais je ne comprends toujours pas où je suis. Le monde autour de moi est blanc, vide. J'ai l'impression d'être au paradis. C'est peut-être le cas, en fait. Je n'arrive plus à savoir si j'ai juste perdu connaissance ou si j'ai aussi perdu la vie.

Je regarde autour de moi, et d'ailleurs je me rends compte que j'ai toujours mes deux yeux. Comment ça se fait ? Enfin, ce n'est pas vraiment important, puisque dans tous les cas ça ne sert plus à rien, je ne suis plus dans le monde réel.

Sauf que, alors que j'étais en train de regarder où je suis en tournant sur moi-même, au moment de me retourner, je le vois.

Qu'est-ce qu'il fait là ? Pourquoi il est là, avec moi ? Soudainement je n'ai plus trop envie d'être mort. Car si je suis mort, ça voudrait dire que je le rejoindrais, et je ne suis pas encore prêt pour ça. Ce n'est pas le moment. Pas encore..

Il s'approche doucement de moi en souriant, alors que moi je ne sais pas comment réagir face à lui. Je devrais être heureux, pourtant.

— Tu as grandi Stefano.

Qu'est-ce que mon père fiche ici ?

Il n'a pas changé depuis le temps, il porte encore son fidèle uniforme militaire, celui dans lequel il est mort, mais je ne comprends plus. Où est-ce que je suis ? Pourquoi est-il ici ? Qu'est-ce qui se passe ?

— Je suis mort ?

Il met un moment avant de me répondre, réfléchissant sûrement à ce qu'il pourrait dire.

— Ça dépend. Est-ce que toi tu as envie d'être mort ?

— Depuis que toi tu es mort.

C'est vrai, je crois. Depuis sa mort à lui, j'avais définitivement tout perdu, et donc perdu ma raison de vivre, ce qui a fait que je voulais mourir. Pourquoi est-ce que j'aurais dû continuer à vivre alors que je n'avais aucun but sur cette planète ?
Et donc, suite à ma réponse, il me regarde un moment, tristement. Comme il avait l'habitude de faire. Je crois que ça ne l'avait jamais vraiment plu quand j'étais pessimiste.

Mais ce n'était pas de ma faute, ni de la sienne, c'était de sa faute à elle...

— Mais tu as réussi à survivre. Tu vois que tu es fort.

"Comme mon père."

Il me répétait souvent d'être fort comme lui. Peut-être qu'à force ça a fini par fonctionner. Enfin, pas vraiment, sinon je ne serais pas ici.

— J'ai tout vu tu sais.

C'est sorti d'un coup, tout seul. Comme si j'avais besoin de lui dire.

Je pensais sûrement que d'un coup, son visage allait s'assombrir, comme l'aurait fait ma mère après lui avoir dit la vérité. Sauf que non. J'avais oublié que lui n'est pas comme elle. Il reste calme, et garde son air bienveillant, comme toujours.

— Et qu'est-ce que ça t'a fait ressentir ?

— De l'incompréhension. Mais en même temps j'ai tout compris. J'ai pu voir pour quoi tu partais pratiquement tous les mois, et je me dis que ça n'en valait pas la peine.

Mon ton est froid. Pourquoi j'ai l'impression d'être sans émotions, en plus avec lui ? Je devrais être heureux de le revoir, pourtant je n'ai rien ressenti. À part peut-être.. de la peur. Mais pourquoi de la peur ?

"Peut-être celle d'affronter ton passé ?"

Cependant, il me regarde encore avec ce sourire. Bienveillant.

— Je te comprends. Ce n'est pas joyeux tout ce qu'on voit.

— Alors pourquoi tu m'abandonnais pour ça ?

Maintenant je peux voir de la culpabilité sur son visage. Il s'en veut sûrement.

— J'ai l'impression de voir beaucoup de colère en toi, Stefano.

De la colère ? Je ne m'en étais même pas rendu compte. Mais il a sûrement raison, maintenant qu'il en parle, c'est vrai que depuis toutes ces années j'étais en colère. En colère contre lui, pour m'avoir abandonné. Mais aussi contre d'autres choses.

Tout de même, je ne sais pas quoi répondre, je me contente de le regarder avec un air... absent.

— Je sais que tu m'en veux, mais je pense que tu ne dois pas être en colère contre tout le monde pour ce qui t'es arrivé. Tu dois vivre dans le présent Stefano, plus le passé, essaie d'oublier tout ça, ça te fera du bien.

Pourquoi est-ce qu'il me dit tout ça maintenant ? D'ailleurs, pourquoi est-ce je lui parle maintenant, alors qu'il est censé être mort depuis presque quinze ans ? Et comment se fait-il qu'une illusion en sache autant sur moi et "m'aide" à avancer dans la vie ? Enfin, peut-être qu'il a raison... En plus, si j'avais décidé d'être photographe de guerre, ça venait encore une fois de lui. Je voulais faire comme lui.. Ça doit être une preuve que je n'ai pas réussi à me décrocher du passé.. Et c'est ce qui m'a conduit ici, au final.

— Malheureusement, je n'ai plus beaucoup de temps pour te parler. Tu dois te réveiller.

Me réveiller ? Alors je ne suis pas mort ? Mais pourquoi maintenant ? Malgré tout j'avais encore plein de choses à lui dire.. Je n'ai pas envie de le voir partir une nouvelle fois.

— Je suis obligé de vivre ? J'aurais préféré rester avec toi..

"Je préfère être comme toi."

Même quand il s'agit de la mort, j'ai envie de tout faire comme mon père, suivre son exemple. Sauf que là, il ne s'agit pas de simples choses, mais de vouloir mourir. Encore une preuve que le passé s'accroche à moi.

— Il y a encore plein de choses que tu dois découvrir. Moi, je fais partie du passé.

Quoi comme choses ?

Je n'ai même pas le temps de lui demander, de comprendre ce qu'il voulait dire, que le décor autour de moi tourne, pour redevenir noir. Je n'avais pas fini, je n'ai pas eu le temps de finir, je voulais encore lui demander, lui parler. J'ai encore tant de questions, je ne peux pas le laisser partir. J'avais encore tant de choses à dire...

"Décroche-toi du passé."

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J'avais fini par oublier ce souvenir. Mais c'est lui qui m'a permis de comprendre une nouvelle chose.
J'avais compris que mon passé me hantait, même encore aujourd'hui.