CHAPITRE 3

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WILLOW


— Mademoiselle Montgomery ?

Je relève la tête vers Henri, mon chauffeur. Sa casquette taupe posée sur sa tête aux épis grisonnants lui donne l'air d'un capitaine de navire à la retraite. Le sourire qu'il m'offre est le seul que je verrai de la soirée alors je m'efforce de le mémoriser.

Il sera mon unique chaleur dans le froid polaire qui m'attend.

— Nous sommes arrivés.

— Merci, Henri.

Je ne bouge pas. Le vieil homme plisse les yeux. Les pattes d'oie au coin de ses paupières s'intensifient.

— Tout va bien mademoiselle ?

J'opine du chef. Mes cheveux dansent autour de mon visage. Une mèche se coince dans mes cils, me dissimulant en partie.

Si je pouvais me cacher aussi facilement...

— Tout va bien, Henri. Merci ! Demain, huit heures. Ne soyez pas en retard !

Je me penche vers la portière quand mon chauffeur me dit :

— L'ai-je déjà été, mademoiselle ?

Je me retourne et soupire. Cet homme mérite toute la douceur du monde. Parfois, j'ai l'impression qu'il me perçoit aussi délicate qu'une rose. De cette fleur, je n'ai que les épines.

J'aimerais poser la main sur son épaule ou esquisser un geste qui effacerait la brutalité de mon attitude. Je ne sais pas comment m'y prendre.

Alors je me contente de sortir en lâchant :

— À demain, Henri !

La portière claque derrière moi. J'avise le gratte-ciel qui s'étend sous mes yeux. L'ultime étage abrite le penthouse dans lequel je vis depuis ma naissance. Je n'ai connu aucun autre foyer que celui-ci, si tant est que ce terme lui convienne. Il s'agit plus d'une demeure que d'un « foyer ». Ce mot m'évoque une chaleur qui ne colle pas à mon existence.

La reine des glaces. Voilà comment on me surnomme à Alexander Whitaker. C'est aussi bien ainsi. Peu importe le nom ou l'adjectif que les gens se complairont à ajouter derrière mon titre. Tant que j'incarne la royauté, le reste m'importe peu.

Les gens qui aiment, trahissent. Les gens tenus en respect par la peur n'esquissent pas l'ombre d'un mouvement.

Dans l'ascenseur, je fixe l'écran numérique qui affiche les étages défiler. Mon cœur bat subtilement plus vite à chaque dizaine franchie.

Ding. Je tressaille.

Le marbre du vestibule fait résonner mes talons alors que je pénètre dans l'espace haut de plafond. Anna-Beth, notre femme de chambre, me débarrasse de mon trench.

— Vous avez passé une bonne journée, mademoiselle ?

— Excellente.

Jusqu'à ce que je rentre.

— Votre mère vous attend dans la cuisine.

Ma mère me fait l'honneur de sa présence ? Serait-ce mon anniversaire ?

Appuyée sur l'élément central au revêtement Terre de Sienne, ma mère rit devant l'écran de son téléphone. Un verre de vin rouge posé à côté d'elle, elle ne s'aperçoit même pas de ma présence.

Elle m'attends vachement.

Je me coule derrière elle.

— Encore sur Tik Tok ?

Elle sursaute.

— Ma chérie ! Tu m'as fait peur. La rentrée s'est bien passée ?

Ma mère me prend dans ses bras. Je me laisse faire sans lui rendre son étreinte. Quand elle s'écarte, je fais face au reflet de mon avenir. Je lui ressemble comme deux gouttes d'eau, si on retire les marques de l'âge sur son visage. De mes yeux, à mes cheveux, en passant par mes pommettes et mes lèvres, je suis son portrait craché.

De mon père, je n'ai reçu que le tombeau polaire qui me sert de cœur.

— Comme tous les ans, réponds-je froidement.

Ma mère passe une main dans mes cheveux.

— Tu es de plus en plus belle, Willow. Les filles doivent te jalouser au lycée. Pas vrai ?

— Évidemment.

Elle me sourit.

— Tu veux regarder des vidéos avec moi ? J'ai trouvé ce compte de deux amis qui font des pranks.

— Depuis quand tu connais ce mot ?

Elle jette un œil à l'horloge murale.

— Une demi-heure, environ.

Je lève les yeux au ciel mais me prends au jeu.

— Montre !

Ma mère se penche de nouveau sur le plan de travail. Je pose mon sac puis me glisse par-dessus son épaule pour observer l'écran. Deux mecs dont j'ai entendu parler plusieurs fois au bahut dans la journée s'amusent à jeter des seaux d'eau glacée par-dessus les cabines de douche de ce qui semble être un campus.

— Super drôle, commenté-je.

Ma mère me donne un petit coup d'épaule.

— Sois pas coincée, Willow ! C'est marrant.

— Potache serait plus approprié.

— Avoue qu'ils sont beaux !

— Maman !!

Je recule, les yeux écarquillés. Elle se tourne vers moi.

— Quoi ?

— Ils ont mon âge. Tu ne vas quand même pas fantasmer sur eux ?

— Fantasmer ! Tout de suite les grands mots. J'ai juste dit qu'ils étaient beaux, pas que je les trouvais plaisants. Et puis, s'ils ont dix-huit ans, ils sont majeurs.

Tu parles d'une majorité ! Pour l'alcool, il faut tout de même attendre vingt-et-un ans. Heureusement, dans les sphères privées, cette limite a autant d'impact que de lever son téléphone dans les airs quand on cherche du réseau.

— Et toi tu es mariée. Ou tu l'aurais oublié ?

Elle souffle par les narines.

— Comment le pourrais-je ?

Ma mère m'ignore pour se plonger de nouveau sur son téléphone. Elle aspire une énorme gorgée de vin, soit la moitié de son verre.

— Je croyais que le médecin t'avait déconseillée de boire avec tes anxiolytiques ?

— Il a diminué ma dose. Maintenant, je peux.

Bien sûr ! La connaissant, elle doit prendre deux fois sa nouvelle dose.

— N'inverse pas les rôles, Willow ! C'est moi la mère, ici.

— Si tu agissais comme tel, tu n'aurais pas besoin de le rappeler.

Agacée, je récupère mon sac sur le plan de travail, quitte la cuisine et traverse le grand salon en direction du couloir qui mène à ma chambre.

Mon père sort de son bureau. Je me fige net. Engoncé dans un costume gris clair dont la chemise met en relief son ventre de plus en plus distendu, il se tient fermement sur ses deux pieds écartés. Cette posture de mâle alpha, tout le monde y a le droit. Il m'arrive de songer que s'il serrait davantage son nœud de cravate, il mourrait, privé d'air.

Il abaisse son regard effilé comme une lame de rasoir sur moi.

— Willow ! Tu as l'air bien pressé. Tu as quelque chose à cacher ?

— Non, papa.

— Tu n'oserais pas me mentir ?

Je secoue vivement la tête. Mon père m'observe de la tête aux pieds. Ma peau irradie, elle va prendre feu. Je me sens comme Icare. Je n'ai pas d'ailes mais je vole trop près du soleil et j'en oublie les basiques.

Le feu, ça brûle.

— C'est quoi cette tenue ?

Par réflexe, mes mains coulissent vers ma jupe et je tire dessus dans l'espoir vain de la rallonger.

— Je ne te donne pas encore assez d'argent de poche ? T'es obligée de faire le trottoir ?

Ses mots me criblent la poitrine comme autant de balles tirées d'une mitraillette. Mon père fouille dans la poche intérieure de sa veste de costume pour en sortir son portefeuille. Il me tend un billet de cent dollars.

Je refuse d'y toucher.

— Si tu ne le prends pas, tu sais ce qui va t'arriver.

Je déglutis. D'une main tremblante, je récupère le billet. En passant près de moi pour gagner le salon, il murmure :

— Si je te vois encore une fois porter une jupe aussi courte, je te présente mes Call-Girl favorites. Elles seront ravies de t'apprendre les ficelles du métier.

Ses pas s'éloignent dans l'appartement. L'eau déborde de mes paupières et s'écoule sur mes joues. Je rejoins ma chambre à grandes enjambées et ferme derrière moi.

Le dos collé à la porte, je me laisse glisser jusqu'à ce que mes fesses entre en contact avec le carrelage gelé. Même le revêtement de sol se range à l'avis de mon père : ma jupe est tellement courte que le froid me pénètre jusqu'à la moelle.

Les larmes continuent de couler. En entrant dans la salle de bain attenante à ma chambre, je sursaute. Mon reflet me renvoie l'image d'une furie. Mon mascara dégouline jusqu'à mon menton, me donnant l'impression d'être une folle échappée de l'asile.

Je retire ma cravate, mon pull Tommy Hilfiger, ma chemise blanche, puis mon soutien-gorge. Je place mes ongles sur les cicatrices bien marquées dans la chair de mes seins, puis je les enfonce de toutes mes forces. Lorsque le sang émerge, la douleur submerge le reste.

Je ne pense plus à rien. Ni au manque de sens de mon existence. Ni à la barbarie de mon père. Ni à l'indifférence de ma mère.

Je me contente de souffrir. Et ça fait du bien. Le mal s'exfiltre de mes veines.

C'est tellement plus simple d'infliger la douleur que de la recevoir.


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