11 : La cabane

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SÉLÈNE


Sélène n'avait pas beaucoup dormi, hantée par la conversation de la veille. Elle s'était tournée et retournée dans son lit, son cerveau se refusant à débrancher la machinerie et la laisser tranquille. Comment était-ce possible ? Comment était-il possible que Sam se tape l'ex d'Amina aussi simplement, presque sur le pas de la porte ? Ça ne collait pas. Les relations ne pouvaient jamais être aussi facile. Elle ne pensait pas nécessairement qu'il mentait à nouveau, elle avait bien vu à quel point tout dire avait été difficile, et cette fois-ci, elle le croyait sincère.

Mais... car il en fallait toujours un, elle n'était pas convaincue qu'il s'agissait de toute la vérité. Il manquait une pièce. Pour le moment, tout semblait trop simple, et distendu. Il restait un maillon pour que tout fasse sens. Mais Sélène n'avait pas la force de pousser un peu plus l'investigation. Elle était fatiguée, usée de se battre contre trois garçons qui pensaient que le mensonge et la dissimulation étaient des procédés convenables dans les rapports amicaux. Elle était encore dégoûtée de leur idée saugrenue de ne rien dire à Amina. Ce n'était simplement pas envisageable. Et puis, Amina s'énerverait sûrement moins que ce qu'ils pouvaient s'imaginer : elle était calme, et réfléchie. Oui, Sam perdrait une grande partie de sa confiance, mais pas son amitié.

Elle leur laissait la semaine de vacances. Si à son retour, Amina ne savait toujours rien, alors elle s'en chargerait. Elle ne pouvait pas affronter sa meilleure amie avec un tel secret, de toute manière.


Sélène réussit à gratter quelques minutes de sommeil vers la fin du trajet, bercée par les mouvements de la voiture et caressée par les rayons de soleil matinaux. Émile n'avait pas cherché à faire la conversation, il s'était contenté de mettre la radio et de la laisser dormir, et pour ceci, elle lui était reconnaissante. Lorsqu'elle ouvrit de nouveau les yeux, la route commençait à se faire sinueuse, annonçant le début du Massif central où ils habitaient. Sélène sentit son cœur s'alléger quand les paysages de montagnes apparurent. Elle qui n'avait jamais été vraiment nostalgique de la maison de son enfance, la région lui avait manqué.

Ils entrèrent dans leur petit village, et Émile emprunta de nombreux routes de campagnes, pas plus large que le véhicule, jusqu'à déboucher dans une rue bordée de grandes maisons, principalement d'anciennes bergeries retapées. Il bifurqua dans l'allée de chez lui, et Sélène reconnut la voiture de son père, ce qui laissa supposer qu'ils étaient attendus. Elle claqua la portière du véhicule et épousa le paysage du regard. De grands arbres, du relief, et un air frais : tout ce qui lui manquait dans son studio urbain. Émile, lui, fonça à la porte d'entrée, accordant peu d'importance à la nature qui l'entourait, Sélène finit par le suivre.

─Ah ! entendit-on quand ils rentrèrent. Ils sont là !

Un petit comité d'accueil vint les accueillir, composé de la mère d'Émile, de son beau-père, et du père de Sélène, et de son chien, qui allait partout où son maître se rendait. Ce fut d'ailleurs l'animal qui eut le premier câlin.

─ Bien roulé ? demanda le beau-père d'Émile en le prenant par les épaules.

─ Moi ? Toujours.

Sélène sourit en coin : aucun doute, ils étaient bien à la maison. Les blagues graveleuses, les accolades trop serrées, l'odeur du bois des poutres et la déco douteuse, autant d'éléments qui, même si elle détestait chacun d'entre eux, la réconfortait. Elle allait pouvoir échapper à sa vie le temps d'une semaine. Elle espérait simplement que le retour n'allait pas être trop brutal.

Ils ne déjeunèrent pas, ils se gavèrent. La mère d'Émile, Catherine, trouvait son fils trop pâle, et était persuadée que Sélène avait perdu un peu de poids, ayant dû, en réalité, avoir fait ces affirmations bien avant leur arrivée. Le repas fut donc un festin de crudités trop vinaigrées, de blanquette, de pommes de terres, et d'éclairs au chocolat de la boulangerie qui furent compliquées à caler dans son estomac. Après être sorti de table, son père l'embrassa avant de retourner au travail.

─ Émile te ramènera ? l'interrogea-t-il.

Sélène hésita de sa réponse. Elle était partagée entre l'envie de rentrer passer la soirée avec son père, et dormir dans son lit, et celle de rester ici pour la nuit. Étrangement, elle ne voulait pas être seule. Comme elle avait l'impression que tout le groupe s'effritait, elle voulait à tout prix rester proche d'Émile, de peur que leur relation en prenne un trop gros coup. Elle n'avait jamais été très casanière non plus, à vrai dire. Elle avait besoin des autres pour se ressourcer. Catherine vint à sa rescousse.

─ Oh, elle peut bien dormir ici ce soir. Faut que je lui fasse sa lessive, de toute manière. Tu vas pas la faire, toi ?

Son père fit la grimace, et Sélène rit. Elle le soupçonnait de ne jamais laver ses vêtements de lui-même, et tout amener ici. Catherine l'aidait de bon cœur, surtout depuis que les parents de Sélène s'étaient séparés, il y a quelques années.

─ Puis tu viendras manger aussi, ce soir, l'invita Catherine en débarrassant. On va faire des crêpes.

─ Oh ! Des crêpes ! s'exclama Émile.

Sélène remercia la mère de son ami d'un sourire, et fit un signe à son père qui s'en allait. Le chien, Billy, en revanche, resta dans les pieds de Sélène, ce qui, pour le gros labrador, signifiait beaucoup. Il avait clairement choisi son camp.


Le beau-père d'Émile s'écroula dans le canapé après le repas, et les deux amis décidèrent de sortir pour une balade digestive. Ils emmenèrent le chien avec eux, et prirent la direction du village, en contre-bas de la maison d'Émile. C'était une petite marche de deux ou trois kilomètres, mais très pentue, et à cette saison, le sol était très humide et glissant. Sélène prenait toutes ses précautions pour ne pas tomber, quand Émile dévalait avec assurance le versant de la colline sur laquelle ils étaient perchés.

─ Allez ! l'encouragea-t-il, devant trouver qu'elle n'allait pas assez vite. T'as perdu ta fibre de montagnarde.

Sélène lui fit une grimace, et quand elle arriva à la fin de la pente, elle devait sauter un petit fossé pour atterrir sur le chemin. Émile lui tendit la main pour l'aider, mais blessée par la remarque juste faite, elle décida de ne pas la saisir pour se débrouiller toute seule. Sans grande surprise, son pied glissa au moment où elle voulut prendre son élan, et tomba dans le fossé, qui, heureusement pour elle, était asséché, quoiqu'un peu boueux. Émile baissa les yeux sur elle.

─ Bah voilà, qu'est-ce que je t'avais dit !

Il l'aida à se relever, et une fois sur le chemin, Sélène explosa de rire sans le contrôler, imaginant à quoi sa chute avait dû ressembler de l'extérieur. Émile sourit, le chien aboya, et autour d'eux, les oiseaux chantaient au printemps. C'était comme si elle était entrée dans une nouvelle dimension, et que tous les problèmes de la dernière semaine n'existaient plus, ou n'avaient peut-être même jamais existé.


**


Catherine installa Sélène dans la chambre d'amis, et lui apporta une pile monstrueuse de couvertures au cas où elle aurait froid, et de coussins, si jamais le lit n'était pas assez moelleux. Billy dut rentrer se coucher avec son père, à qui elle avait fait la promesse de venir le lendemain, mais pour le moment, en attendant que son linge sèche, Sélène allait profiter du maternage de Catherine. Émile passa peu après que sa mère ait fait le lit, et s'étonna de toutes les couettes et édredons entreposés dans un coin de la pièce.

─ Ouah, t'as la grippe, ou un truc comme ça ?

Sélène haussa les épaules, et Émile prit quelques coussins dans ses mains en riant.

─ Tu te souviens qu'on les utilisait pour faire des cabanes quand on était petit ?

─ Ouais, acquiesça Sélène. Et on était jamais d'accord sur la forme de la cabane, alors on en faisait une chacune. Et ma cabane était toujours clairement mieux que la tienne.

─ Mais ma cabane était la plus solide, la tienne, quand on allait dedans, elle se cassait toujours sur nous.

Sélène pinça les lèvres, pas certaine de cette affirmation. Assise sur le lit, elle observa Émile qui fouillait parmi les coussins et les couvertures, jusqu'au moment où il se tourna vers elle, et lui demanda :

─ On fait une cabane ?

─ Là ? rétorqua Sélène, perplexe face à la proposition.

─ Ouais, dans ma chambre, j'ai plein de chaises qui sont entassées dans mon placard.

Sélène garda le silence quelques secondes, franchement perturbée, mais elle décida de se laisser prendre au jeu, et se leva pour marquer son accord. Ils attrapèrent donc toutes les couvertures et les coussins qu'ils pouvaient faire tenir dans leur bras et traversèrent le couloir pour rejoindre la chambre d'Émile, au bout. Ils passèrent devant Catherine, qui, étonnée, leur demanda ce qu'ils faisaient.

─ Une cabane, expliqua simplement Émile.

Sélène lui sourit, et Catherine n'ajouta rien, faisant demi-tour en secouant la tête.

Ils se retrouvèrent donc, à 22 heures, à sortir toutes les chaises pliantes stockées dans la penderie d'Émile, et à les disposer en cercle pour former l'armature de leur future cabane. À nouveau, comme quand ils avaient neuf ou dix ans, ils se disputèrent sur la meilleure façon de faire la cabane, car Sélène voulait des murs de couvertures, tandis qu'Émile voulait utiliser des coussins. Ils parvinrent à quelques concessions, et en moins d'une demie-heure, la cabane tenait debout. Émile avait déniché une guirlande de Noël qu'il avait réussi à accrocher à l'intérieur pour éclairer, Sélène, elle, avait disposé des coussins supplémentaires un peu partout pour la décoration, et avait rajouté une couverture que l'on pouvait soulever et qui tenait lieu de porte. À quatre pattes, ils se glissèrent donc dans la plus belle cabane qu'ils avaient jamais réalisée, et s'y installèrent. Leurs têtes touchaient presque le plafond, mais ils avaient de la place.

─ C'est fou, chuchota Sélène, quand j'étais petite, j'avais l'impression que c'était un véritable château.

─ Mais ça, c'est un château aussi. Château Émile. On y fait du très bon vin.

Elle lui sourit, et soudain, les yeux d'Émile se perdirent dans le vide. À la lueur de la guirlande, son visage paraissait plus grave qu'il ne l'avait jamais été. Sélène réalisa alors que, si elle avait attendu ce retour avec hâte, ce n'était peut-être pas le cas de son ami. Qui sait, peut-être aurait-il préféré rester à la colocation, pour éviter de laisser César et Samuel ensemble ? Elle préféra s'en assurer.

─ Ça va ?

─ Hein ? dit Émile. Ouais. Je pensais juste à... Tu te rappelles quand on avait invité tout le monde ici, l'été avant d'emménager à Limoges ? Je sais pas, ça me paraît hyper loin ces moments-là.

─ Ces moments-là ? répéta Sélène. Comment ça ?

─ Les moments où on s'éclatait tous, où... où on était super soudés. J'en sais rien, en fait, les moments où on était amis sans aucun doute.

Le cœur de la jeune femme se serra. Elle s'était bien douté que toute l'histoire avait pesé sur le jeune homme, même s'il s'était refusé à l'admettre. Ce n'était pas bon signe : si même Émile, la force tranquille, se mettait à douter de la cohésion de leur groupe et de leur amitié, alors il ne restait plus beaucoup d'espoir. Elle chercha à le rassurer :

─ Attends, c'est qu'une mauvaise passe, cette histoire. Quand tout sera réglé, ça ira mieux, ça reviendra à la normale.

─ Je pense pas, lui confia Émile. C'était déjà pas normal avant la capote, en fait. Sam partageait de moins en moins de trucs avec nous, ce qui est logique, parce qu'il travaille, et pas nous. Amina, bah, Amina vivait autre chose, dans son coin. César, on n'en parle même pas, il est vraiment trop bizarre... Et même moi, hein, je passais mon temps à jouer, parce que mes potes virtuels, parfois, ils ont plus de conversations que mes colocs. Je sais pas, j'ai souvent eu l'impression que la dernière personne qui s'accrochait vraiment à l'idée du groupe de potes, c'était toi, et que t'essayais absolument de souder des personnes qui prenaient des chemins différents.

Sélène fut incapable de parler, c'était comme s'il avait réussi à verbaliser le sentiment indescriptible contre lequel elle luttait depuis plusieurs mois, et qu'elle ne comprenait pas. Les larmes lui montèrent aux yeux, elle avait toujours été extrêmement sensible, il suffisait d'appuyer tout doucement sur le point qui faisait mal pour activer le mécanisme.

─ Oh, souffla Émile en tendant la main pour essuyer une larme qui coulait. Eh, c'est pas grave. Je disais ça comme ça, comme un constat. Ça reviendra plus à la normale, parce qu'il y a plus de normale. Ça veut pas dire qu'on sera plus amis, on va juste devoir trouver une nouvelle façon de l'être.

Sélène acquiesça, la gorge serrée, et attrapa la main du jeune homme pour la garder entre les siennes, un peu réconfortée par la chaleur de sa peau. Après une longue inspiration, elle réussit à articuler sans trembler.

─ Tu vois, j'ai toujours eu cette idée qu'on serait toujours tous les cinq, toute notre vie. Même si au fond de moi je savais qu'il y aurait un moment où ça deviendrait plus possible, où chacun irait faire sa vie de son côté. Mais je restais vraiment accroché à l'espoir qu'on serait pas comme tous les groupes de potes. Moi, j'ai pas d'amis en dehors de vous. Vous, vous avez tous d'autres connaissances, vous fréquentez d'autres cercles, et tout... Mais moi... Alors t'imagines pourquoi je veux absolument pas qu'on se mente, ou... ou qu'on se fasse la gueule. Je veux pas finir toute seule.

Émile sourit, presque béat, avant de secouer la tête.

─ Stop, tu fais trop ta victime alors que tu sais qu'on te laissera jamais tomber. En tout cas, moi non. Si jamais tu t'embrouilles avec n'importe lequel des trois autres, je prendrai ton parti. Même si t'es en tort.

─ Même si je m'embrouille avec toi ? proposa Sélène.

─ C'est pas possible, l'algorithme a pas été programmé pour. À chaque fois que je pourrais potentiellement t'en vouloir, je me fâche directement contre quelqu'un d'autre. Crois-moi, j'ai essayé.

Sélène leva les yeux au ciel.

─ T'es vraiment un softboy, plaisanta-t-elle dans un sourire.

─ Et j'arrive quand même pas à pécho !

Elle rit, et un silence s'installa entre eux. Sélène attrapa un coussin derrière elle, et le disposa sur le côté de manière à s'allonger et à en faire un oreiller. Sur le dos, la cabane prenait alors une allure tout à fait différente. Les ombres des ampoules dansaient sur les couvertures dans une ondulation reposante, elle ferma les yeux, et sentit Émile qui l'imitait, et se couchait sur sa droite. Les yeux clos, elle l'interrogea.

─ Tu crois Sam ?

─ Je sais pas, dit Émile. C'est bizarre. Genre... bon, je sais que je suis un mauvais exemple parce que j'arrive pas à conclure de manière générale, mais... tu couches pas avec quelqu'un deux minutes après l'avoir rencontré sur le pallier de la porte, si ? Surtout si cette personne vient de larguer une de tes meilleures amies. C'est... après c'est peut-être juste moi !

─ Non, le rassura Sélène. Moi aussi je trouve ça chelou. Mais je pense pas qu'il mente, je crois vraiment que c'était lui et Élise. Je pense juste qu'il cache une partie de la vérité.

Émile opina.

─ Je crois que César est puceau, au fait.

─ Hein ? s'étonna Sélène.

─ Ouais. Il m'a dit un truc qui laissait supposer qu'à chaque fois qu'on le taquinait avec le fait que c'était un fuckboy, on disait des conneries. Et... bah, genre, en fait, c'est vrai, on a jamais vu César avec une seule meuf.

La jeune femme fronça les sourcils, et fixa le plafond de la cabane. Elle réalisa alors que l'idée d'Émile faisait sens. Ça expliquait en grande partie pourquoi il s'était obstiné à affirmer avec conviction que ce n'était pas lui.

─ Y a quand même un autre truc, réfléchit Sélène à voix haute.

─ Oh, ouais, carrément. Il a des problèmes, ce gars, pas du tout lié au fait qu'il est sûrement puceau. Mais quand même. Attends, tu te rends compte, ça voudrait dire que j'ai perdu ma virginité bien avant César ! Alors qu'il est quand même vachement plus beau que moi ?

Sélène tourna la tête vers Émile, et fit mine de l'examiner en détail. Il n'était pas aussi dégoûtant physiquement que l'état de sa chambre l'aurait laissé croire. Émile avait été béni d'une peau très lisse et de cils très noirs, et très longs. Et si individuellement, les divers éléments de son visage n'avait rien d'exceptionnel, ensemble, ils ne faisaient pas tâche. Émile était banal, et affirmer le contraire aurait été pour Sélène un mensonge, mais il avait quelques aspects qui lui donnait du charme : quelques tâches de rousseur, un regard pétillant, et une dizaine d'expressions très drôles, qu'il ne faisait même pas exprès d'avoir.

─ Ça va, t'as quand même moins de cernes que lui, dit Sélène.

─ Ça, c'est parce que je bois beaucoup d'eau !

Elle leva les yeux au ciel, Émile continua :

─ Non, mais attends. Quand on y pense, je suis le premier et seul garçon qui a embrassé Amina. Genre, si Amina était pas lesbienne... Directe dans mes bras.

─ Non, chuchota Sélène.

─ Hein ? Quoi ? J'entends pas les haters.

Elle explosa de rire.

Ils discutèrent encore un temps, puis Émile sortit de la cabane pour mettre un peu de musique, et au fur et à mesure que le temps passait, plus les conversations se faisaient à voix basse. Au bout d'un moment, Émile cessa de lui répondre, et Sélène réalisa qu'il s'était endormi. Alors, elle se roula en boule sur le côté, et ferma les yeux à son tour. Ce ne fut qu'une question de seconde avant que la chaleur du cocon de leur cabane ne l'emporte. 

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