14 : La promesse

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SAMUEL 


Samuel rentra tard ce soir-là, car il avait dû entraîner une femme qui travaillait de 8 heures du matin à 8 heures du soir, et qu'il n'avait pas pu caler de séances à une autre horaire. Il faisait bien nuit quand il passa la porte de l'appartement, et de fait, celui-ci était bien calme. Il s'attendait à trouver le salon totalement fantôme, car les garçons mangeaient ensemble, mais repartaient bien vite dans leurs chambres respectives. Mais à sa grande surprise, la lumière au-dessus de la grande table à manger était allumée, et sous celle-ci, un Émile au visage grave, les coudes sur la table et la tête dans sa main gauche fixait le vide. Le reste de la pièce était plongé dans la pénombre, ce qui donnait à la scène un air d'autant plus flippant. Samuel laissa tomber son sac de sport à ses pieds, et demanda :

─ Mec ? Ça va ?

Il ne l'avait jamais vu comme ça. Son visage semblait pétrifié par une sorte de mélancolie. Il ne bougeait pas, et Samuel vint claquer des doigts devant ses yeux, au moins pour s'assurer qu'il n'était pas mort. Émile réagit à peine, il ne lui accorda qu'un long soupir.

─ Je déteste ma vie, finit-il par articuler.

Samuel tira une chaise en face de lui.

─ Oh, tu t'es encore fait battre par un gamin de treize ans sur Fortnite, c'est ça ?

Au regard que lui adressa Émile, Samuel comprit qu'il l'avait vexé, et que la situation était bien pire que ça. Il chercha à lui sourire pour détendre l'atmosphère, et l'encourager à parler. Si Sam avait bien appris une chose de trois ans de vie commune avec ses deux colocs, c'était qu'aucun des deux n'aimait parler de leurs problèmes. Alors que lui était un livre ouvert ! Il pouvait rencontrer une personne en soirée, et deux heures après, lui livrer tous ses déboires sentimentaux dans les moindres détails, et lui raconter sa relation compliquée avec son père.

─ Tu veux en parler ? proposa-t-il à Émile.

Ce dernier haussa les épaules, ce n'était donc pas un non définitif. Samuel l'encouragea donc, en mettant en application sa méthode particulière, qu'il avait développé au fil des années, à force de croiser des gens mal dans leurs peaux qui se cachaient derrière des carapaces. Tout l'art de la chose consistait à ne jamais poser de questions trop abruptes, sur le cœur du problème, mais plutôt interroger la personne de manière satellite, sur le contexte, sur comment il se sentait, jusqu'à ce que l'autre se sente suffisamment en confiance pour tout expliquer.

─ Quand est-ce que c'est arrivé ? commença Samuel.

Émile se redressa sur sa chaise : il était ouvert à la discussion.

─ Pendant les vacances.

─ Et depuis ?

─ Bah depuis, ça me travaille ! J'ai l'impression d'avoir fait une connerie.

─ Ah ouais ? Pourquoi t'as ce sentiment ? C'est que tu te sens en faute ?

─ Oui, enfin, non. Genre d'un côté, j'ai l'impression que ce que j'ai fait, c'est une connerie, mais aussi que ce que j'ai pas fait, c'est une connerie. Tu saisis ? J'aurais peut-être pas dû faire le truc dans un premier temps, mais maintenant que c'est fait, c'est trop tard, et j'ai l'impression que j'aurais pu mieux gérer la situation à ce moment-là.

Samuel fronça les sourcils, essayant de comprendre à partir des bribes qu'Émile lui donnait ce qu'il s'était passé. Ça ne donnait rien, il ne pigeait que dalle, mais il continua.

─ Comment t'aurais pu mieux gérer la situation ? En réagissant différemment, par exemple ?

─ Ouais. En parlant, en fait. Mais non, parce que je suis nul, et maladroit.

Il marqua un silence, que Samuel laissa sciemment flotter. Les gens détestaient les blancs, et feraient tout pour les combler, Émile n'échappa pas à la règle, et reprit.

─ De toute manière, c'est peut-être mieux comme ça.

Son ami se leva de sa chaise, sans ajouter rien d'autre. Samuel comprit rapidement que sa tentative de le faire parler avait lamentablement échoué, ce n'était pas une technique infaillible, malheureusement. Émile disparut se terrer dans sa chambre sans lui donner d'informations supplémentaires sur les causes de son état. Samuel soupira, la prochaine fois, il s'y prendrait autrement.

Avant de filer sous la douche, il fit un détour pour frapper à la porte de la chambre de César.

─ Je peux rentrer ? questionna-t-il.

Il entendit un vague braillement de l'autre côté, qu'il prit pour un« oui » et tourna la poignée pour trouver son ami assis sur le rebord de sa fenêtre, en train de fumer une cigarette et regarder la rue d'un air perdu. Super, maintenant, ses deux colocs étaient devenus des emos. César tourna tout de même la tête vers Sam.

─ Tu sais ce qu'il se passe avec Émile ?

César secoua la tête d'un air nonchalant, sans un mot, puis redirigea son regard vers la rue éclairée. Visiblement, personne n'avait envie de taper la causette sous ce toit. Samuel, ayant pigé le message : laisse-moi tranquille, allait repartir, quand son ami le retint.

─ Je peux te parler de ma sœur ?

─ Euh... hésita Samuel, un peu pris de court. Ouais, bien sûr.

Il s'avança donc dans la pièce, et ferma la porte derrière lui. En s'asseyant sur le lit de César, une sensation étrange traversa Samuel. Il était... un peu effrayé, car il avait le sentiment que les prochaines minutes allaient être lourdes. Il n'avait encore jamais aperçu dans les yeux de César une teinte aussi grave. Samuel patienta en silence, que l'autre commence. Cette fois-ci, pas le méthode alambiquée, il fallait que tout, absolument tout, vienne de César.

─ Tu sais pourquoi elle est venue ce samedi soir-là ? T'as entendu ce qu'elle m'a dit ?

─ C'est une vraie question que tu te poses, ou c'est genre une question rhétorique pour me dire ce qu'elle t'a dit ?

─ Non, c'est une vraie question, je me souviens vraiment pas. Enfin, j'ai une petite idée mais... j'en sais rien. En tout cas, elle me parle plus depuis.

─ Sérieux ? s'étonna Samuel. Pourquoi, t'as fait un truc de mal ?

César prit le temps de peser ses mots avant de rétorquer.

─ Bah... Disons qu'elle est dans une période un peu compliquée, et elle aurait besoin de moi, mais, moi, de mon côté, j'ai aussi des trucs qui m'emmerdent. Et je peux pas être là pour elle pour le moment, parce que mes trucs à moi sont directement liés à ses trucs à elle. Et plus je suis avec elle, plus ça me détruit.

─ Tu lui en as parlé ? demanda Samuel, qui ne savait pas quoi dire d'autre.

─ J'ai essayé. Elle m'écoute pas vraiment.

─ J'en sais rien, mec, je... je me sens un peu impuissant, là.

César accepta sa réponse.

─ Ouais, normal. Je te dis rien.

─ T'inquiète, le rassura Samuel. C'est quand tu veux. T'es même pas obligé de le faire. Je comprends.

─ Merci.

Samuel esquissa un sourire, et allait se lever, quand César relança :

─ Tu sais ce qu'on risque quand on se présente pas à une convocation de la gendarmerie ou pas ?

Le jeune homme se raidit d'un coup à la question.

─ Euh, ils viennent te chercher, je crois. Mais attends, t'as fait quelque chose ?

─ Non, lui confia César d'un ton calme, qui ne rassura pas Samuel pour autant.

Samuel commençait à sérieusement s'inquiéter. L'attitude de César, si elle était étrange depuis quelques mois, était devenue de plus en plus flippante ces derniers temps. D'abord, il s'était énervé pour presque rien – bon, d'accord, une accusation à tort... – pour cette histoire de capote. Puis, depuis qu'ils s'étaient réconciliés, les choses ne s'étaient pas grandement arrangées. César s'isolait de plus en plus, prenait son repas seul, parfois à 3 heures du matin,et Samuel le soupçonnait de fumer le double de d'habitude. Il était aussi peut-être trop tôt pour s'en rendre compte, mais Samuel croyait avoir vu qu'il avait perdu du poids, lui qui n'était déjà pas bien gros...

─ T'es sûr ? insista Sam que toute cette histoire travaillait au corps.

─ Sûr. J'ai rien fait. T'as dit à Sélène de passer ?

─ Hein ? balbutia Samuel, perturbé par le changement soudain de conversation. Non, pour... pourquoi ?

─ Parce qu'elle est en bas, elle va sonner.

Comme pour confirmer ses mots, la sonnette retentit dans tout l'appartement. Samuel se leva pour aller lui ouvrir. Décidément, cette soirée était complètement à l'envers, plus rien ne faisait sens. Il descendit jusqu'au rez-de-chaussée puisque depuis quelques jours, le dispositif d'ouverture à distance les avait lâchés, et comme le syndic' prenait toujours des plombes à engager des réparations, ils auraient peut-être déménagé avant que tout soit fixé. Il ouvrit à Sélène qui sortait visiblement d'un cours de sport, elle avait un tapis de yoga à la main et des cheveux volants en dehors de sa queue de cheval.

─ Hey, la salua Samuel. T'es venue voir César ?

─ Euh, non, je peux entrer ?

D'un signe de la tête, il l'y encouragea. Elle fit quelques pas, puis posa son tapis au pied de l'escalier en bois, avant de reprendre :

─ On peut s'asseoir là, trois secondes ?

─ Là ? s'étonna Samuel.

─ Mmh. Faut que je te parle.

─ Eh bah, c'est ma soirée.

Il s'assit donc sur une des marches grinçantes, pour une troisième conversation importante en moins d'une demie-heure. S'il avait su, il serait resté un peu plus longtemps à la salle, histoire de se défouler avant de devoir affronter trois amis en pleine crise existentielle.

─ Élise a parlé à Amina ce midi.

─ Oh, lâcha Samuel. Elle lui a dit ?

Une sueur froide coula le long de son échine. Il n'avait pas eu le courage de tout avouer à Amina, même si elle était venue plusieurs fois pendant les vacances, même s'il avait en fait la promesse. C'était trop compliqué, et il tenait trop à leur amitié pour tout foutre en l'air, car il le savait, Amina avait un grand cœur, mais ça, elle ne pourrait jamais lui pardonner.

─ Elle lui a dit qu'elle l'avait trompée, mais pas que c'était toi,et pas que c'était vous deux dans l'histoire de la capote.

─ OK, souffla Samuel.

Il grattait encore un peu de temps, mais tôt ou tard, la vérité allait sortir.

─ Tu nous as encore menti, hein ? affirma Sélène avec conviction. Élise, tu l'as pas du tout vu pour la première fois ce samedi soir. C'est une de tes clientes.

Samuel baissa les yeux, penaud, et son silence fut révélateur. Il ne savait même pas pourquoi il s'était senti obligé de mentir de la sorte. Il aurait bien aimé pouvoir dire que ce n'était pas dans ses habitudes, mais ça aurait été enjoliver la réalité. Il avait grandi en étant poussé à mentir, son père, ses frères, on l'avait éduqué en lui apprenant que pour se sortir des mauvais pas,mieux valait-il dégainer un mensonge. Même s'il était destructeur. Sélène ne se vexa même pas, elle ne lui fit aucune morale, comme si elle était profondément lassée de la situation. Samuel chercha à se défendre un peu :

─ Je te promets que je ne savais pas que c'était la copine d'Amina ! Et quand je l'ai appris, quand j'ai vu une photo d'elles sur le portable d'Élise, j'ai pété un câble. Du coup j'ai dit qu'on arrêtait, et elle, elle a cru que c'était parce qu'elle avait déjà quelqu'un, et que j'étais jaloux. Alors elle a rompu avec Amina. Et... bah, tu connais la suite. Quand elle est venue le samedi... je sais même pas qui elle voulait récupérer.

Sélène secoua la tête.

─ Si tu le dis. Tu pourrais encore mentir, pour ce que j'en sais.

─ C'est la vérité, affirma Samuel.

─ Ouais. OK. Enfin, bref, je suis pas venue pour t'écouter chanter de belles paroles. J'ai eu une super longue conversation avec Amina, et... elle veut tourner la page, elle veut vraiment ne plus jamais entendre parler d'Élise. Alors... je reviens sur ce que j'ai dit. Il faut pas qu'on lui dise. Nous quatre, j'aimerais bien qu'on se fasse la promesse de garder cette histoire secrète pour... je sais pas... pour au moins dix ans !

Samuel hésita longuement avant de donner sa réponse. Il ne s'était pas attendu à cette proposition, surtout pas de la part de Sélène, la reine invétérée de l'honnêteté. D'un côté, ça l'arrangeait bien, car il ne voulait pas avoir à tout avouer, et donner à Amina l'impression qu'il l'avait trahie – ce qu'il avait peut-être un peu fait, mais dans l'histoire, il était aussi une victime ! Il ne voulait pas non plus revoir Élise. Il avait d'ailleurs annulé tous ses cours depuis plusieurs semaines. Mais était-il prêt à vivre sans cesse dans le secret ? Samuel réfléchit, et finit par se décider : oui, après tout, ce n'était qu'une affaire sentimentale parmi tant d'autres. D'ici quelques mois, tout le monde serait passé à autre chose. Et dans dix ans, quand ils seraient parents et habiteraient dans de sublimes villas, ils se retrouveraient pour un repas, et raconteraient la véritable histoire, et ils en riraient bien.

Sam acquiesça.

─ Ça me va.

─ Cool, faut aller prévenir les gars. Ils sont en haut ?

─ Ouais, mais fais gaffe, ils sont un peu... chelou. Il s'est passé un truc dans la vie d'Émile pendant les vacances ? Il va pas bien du tout.

─ Je... je vais voir si je peux lui parler, dit Sélène.

Ils se levèrent tous les deux pour rentrer dans l'appartement, au salon aussi vide que lorsque Samuel l'avait quitté. Il appela les deux garçons, et réussit à les réunir autour de la table basse pour que Sélène leur rapporte ce qu'elle venait de leur dire. Elle se garda bien de préciser que Samuel leur avait encore menti, ce qu'il apprécia énormément. Émile et César, tous les deux visiblement très tendus, hochèrent la tête à la fin du petit discours.

─ OK, chuchota César. On dit rien.

─ On jure ? encouragea Sélène.

Samuel lança alors un mouvement, et mit sa main au centre de la table, rapidement rejoint par César, puis Sélène. Les trois amis regardèrent Émile, qui finit par avancer son bras à son tour, et il eut alors la réaction la plus étrange, que Samuel ne manqua pas de remarquer. Il hésita à poser sa main sur celle de Sélène, il l'effleura d'abord, avant de la retirer aussitôt, et se reprit,avant accepter de la mettre. Les yeux de Samuel passèrent d'Émile, à Sélène, qui était rouge comme une pivoine, et là... il crut deviner quelque chose.

La mère de Samuel avait toujours vanté la sensibilité de son benjamin comparé au reste de la fratrie. Elle disait qu'il était plus réceptif aux énergies, plus empathique, qu'il pouvait mesurer l'ambiance d'un groupe dans les quelques secondes de son arrivée, et avec le temps, Samuel avait fini par la croire, puisque, effectivement, il tapait toujours en plein dedans. Il savait comment les gens se sentaient, et à cet instant, il avait ressenti une gêne inhabituelle entre les deux amis d'enfance. Il ne savait pas bien ce qui était arrivé pendant cette semaine de vacances, mais il était indéniable que quelque chose était arrivé.

Ils venaient peut-être de mettre un terme à l'affaire de la capote, mais visiblement, leur bande d'amis réservait encore bien des mystères et surprises.

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