15 : La veillée

Màu nền
Font chữ
Font size
Chiều cao dòng


CÉSAR

« Bonjour César,

Je vous transmets les billets de train pour votre venue du 16 mai. Toute l'équipe vous remercie encore grandement d'avoir accepté de participer au reportage. Le détail du trajet à partir de la gare jusqu'à l'hôtel, puis de l'hôtel aux studios est en pièce-jointe.

Dans l'attente de vous rencontrer,

Cordialement,

Annie Durandi. Service communication. »


César ouvrit les deux pièces-jointes, y jeta un coup d'œil rapide, et ferma aussitôt la fenêtre, comme pour mettre cette histoire dans un coin de sa tête, jusqu'au moment où il aurait besoin de la ressortir. Il se demandait ce que les gens penseraient s'il leur annonçait que, finalement, il refusait. Cette idée lui avait traversé l'esprit plusieurs fois, mais il la réprimait toujours. Il était peut-être beaucoup de choses, mais il n'était pas un lâche, et comme il avait donné sa promesse, il ne se voyait pas la reprendre. Même s'il savait que ça allait être dur. Ça allait être très dur.

Il éteignit son ordinateur et sortit dans le salon, où Samuel essayait tant bien que mal de faire rentrer la toile de tente dans sa housse. Émile débarqua à son tour, un bob de pêcheur et des lunettes de soleil lui masquant une partie du visage. Il ne lui manquait plus que la chemise à fleurs et les claquettes pour avoir l'apparence du parfait plagiste.

─ Tiens, César, l'interpella Samuel, prends le bout là, et aide-moi.

Le jeune homme s'exécuta, sans trop savoir ce qu'il était censé faire. Il suivit les vagues instructions de Sam, qui ne furent pas bien productives, la tente ne rentrait pas dans housse. Au bout d'un moment, son ami lâcha tout, et s'énerva :

─ Putain ! Qui a eu cette idée de merde, là ?

─ Toi, lui rappela Émile.

─ Gna gna gna.

L'idée en question, c'était un week-end camping entre mecs. Ils avaient décidé de la chose le lundi soir, après que Sélène soit partie de chez eux. Ils avaient pensé que ça leur ferait du bien, de s'aérer l'esprit. Alors ils avaient réservé une nuit dans un endroit perdu de la campagne limousine, un endroit où il n'y avait peut-être même pas de sanitaires, et ils prévoyaient de passer la soirée à faire des grillades, et se bourrer la gueule. Au début, ils avaient pensé proposer aux filles, mais Émile avait refusé. Il avait sûrement eu raison, les trois garçons avaient beau vivre ensemble, ils ne partageaient pas tant de moments que ça, et ils en avaient pourtant bien besoin.

Samuel soupira, les mains sur les hanches et leva les yeux sur César.

─ Tu veux toujours y aller ?

─ Bah, ouais, confirma César. Pourquoi ?

─ Je sais pas, t'as peut-être envie d'être un peu seul en ce moment...

─ Non, c'est bon, ça va être cool.

─ Et donc moi, on me demande pas si j'ai envie d'être seul ? gémit Émile qui s'était assis sur le rebord du canapé.

─ Tu veux être seul, Émile ? tenta alors Samuel.

─ Non.

Samuel leva les mains, de manière à dire « C'est réglé, alors », et se remit à la tâche de la tente. Après une rude bataille à trois contre la housse, ils y parvinrent, et désormais que la tente était prête, ils pouvaient commencer à charger la voiture d'Émile, et espérer partir avant 16 heures, ce qui, les connaissant, eux et leur art d'être désorganisés, n'étaient pas gagné.

Pourtant, ils réussirent l'exploit de prendre la route avant l'heure qu'ils s'étaient fixés. Ils firent plusieurs escales, car Samuel avait une petite vessie, et parce qu'ils devaient s'arrêter faire des courses tant qu'il y avait encore des supermarchés sur leur route. Ils trouvèrent une supérette, dans laquelle ils dépensèrent une somme astronomique, qui avait dû faire le chiffre d'affaire du gérant. Désormais, ils se retrouvaient avec deux bouteilles d'alcool, des bières, beaucoup de saucisses, et de paquets de chips. Et de la brioche, pour le lendemain, puisqu'il y avait toujours quelqu'un pour prendre de la brioche pour le lendemain de fête, même si personne n'avait jamais faim après une nuit arrosée. Une dernière escale dans un tabac pour César qui était bientôt à sec de cigarettes, et ils entamèrent la dernière demie-heure de route, où ils s'enfoncèrent dans les petits chemins ombragés de campagne.

Ils arrivèrent au camping un peu avant 17 heures, et le ciel se faisait menaçant. Émile sortit de la voiture dans sa tenue d'été, alors que l'on était qu'à la mi-mars, et se retrouva obligé d'enfiler un k-way pour ne pas avoir trop froid. Sa dégaine en jetait encore plus, et César le prit discrètement en photo pour son anniversaire. Une fois que Samuel se fut présenter à l'accueil pour récupérer les instructions et leur numéro d'emplacement, ils repartirent pour s'enfoncer dans le terrain. Il n'y avait personne d'autre qu'eux, la végétation était aussi dense qu'en pleine forêt, et un bruit de tonnerre éclata lorsqu'ils se garèrent. Ambiance au top.

─ C'était quoi ça ? sursauta Émile.

─ Un ours, s'amusa César en prenant son air le plus sérieux.

─ C'est un faisan, ça, plutôt, je crois, se prit Samuel au jeu.

─ Un campagnol.

─ Une libellule !

Émile, comprenant qu'ils se moquaient ouvertement de lui, entreprit de sortir de la voiture, mais au moment où il ouvrit la portière, les premières gouttes commencèrent à tomber, et bientôt, ce fut un véritable déluge. Il s'enferma rapidement, et se tourna vers les garçons.

─ Bon, bah, cool.

César regarda à travers la fenêtre, un peu désespéré. Ça ne pouvait tomber que sur eux, de toute manière. Ils avaient la poisse. Ils étaient partis avec un grand soleil et à peine arrivaient-ils qu'ils se prenaient une averse. Il ne savait même pas pour combien de temps ils étaient bloqués.

─ On fait un jeu ? proposa Émile pour passer le temps. Moi, j'en ai un. Ça s'appelle « Devinez la personne qui a réservé la date du camping mais n'a pas vérifié la météo. »

─ Oh, on se calme. Je vous ai dit qu'il risquait de pleuvoir, mais vous avez quand même accepté.

─ Ces accusations sont calomnieuses, je les réfute, répliqua Émile.

─ C'est bon, tenta de les apaiser César. On est bien, là aussi. Et puis, de toute manière, qu'on soit dehors ou dans la voiture, on est coincés ensemble.

Aucun des garçons ne sembla s'opposer à cette affirmation. Un silence s'installa dans le véhicule, et César en profita pour s'allumer une cigarette, et baissa la fenêtre de la banquette arrière – à la manivelle, car Émile avait une vieille Fiat Punto. La première bouffée fut véritablement salvatrice, et ce sentiment, aussi agréable était-il, l'effrayer. Il voulait arrêter, car il détestait être autant dépendant du tabac (et car c'était un gouffre financier pour son compte en banque déjà pas très rempli), mais ne savait pas s'il y parviendrait un jour. Là n'était pas le bon moment de sa vie, en tout cas. Il arrêterait quand tout irait mieux. Peut-être après le 16 mai. Oui, après le 16 mai, ça irait sûrement mieux.

Pendant presque une minute, les trois garçons ne parlèrent pas, et écoutèrent le bruit de la pluie qui tombaient en abondance sur le pare-brise. Devant eux, leur emplacement de pelouse s'imbibait d'eau, et les feuilles des arbres dégoulinaient. Au moins, ils n'auraient pas de problème pour planter la tente... César fit de son mieux pour ne pas leur cracher la fumée au visage, mais comme il ne voulait pas faire rentrer trop d'eau dans la voiture, c'était une véritable gymnastique. Émile finit par briser le silence, en se tournant vers lui. Il avait toujours son chapeau et ses lunettes de soleil.

─ Vous en êtes où, Sélène et toi ?

César trouva la question étrange, surtout venant d'Émile, qui avait toujours pris un grand soin à ne pas se mêler de cette histoire. Il était très ami avec les deux, et avait peur de devoir prendre parti. Bien souvent, c'était Sam qui le poussait à parler de ça. Un peu pris de court, César haussa les épaules, et baissa les yeux, incapable d'affronter les regards intrigués de ses colocataires.

─ Bah, rien. C'est mort. Je lui ai dit que ça servait à rien d'espérer quelque chose de moi. Depuis, on se parle normal, tu vois.

Il ne savait s'il devait leur dire qu'il lui avait avoué des sentiments. Il avait un peu peur que les gars lui fasse la morale, comme quoi il était débile de laisser passer sa chance, et tout le reste. Comme s'il ne le savait pas ! Mais il n'y pouvait rien, il ne se sentait vraiment pas prêt à s'engager dans une relation.

─ Tu penses qu'elle est en train de tourner la page et t'oublier ? questionna encore Émile.

─ Mec ! s'insurgea Samuel.

─ Quoi ?

─ Y a d'autres façons de le dire !

─ Ouais, je pense, répondit César en jetant sa cendre par le fenêtre. Enfin, je lui souhaite. C'est une fille cool.

Il affichait peut-être cet air nonchalant, mais en réalité, au fond de lui, il était beaucoup moins confiant de ses propos. Oui, une part de lui voulait du fond du cœur que Sélène passe à autre chose, car elle l'avait trop attendu, et elle avait peut-être déjà manqué de belles histoires à cause de lui. Mais... en même temps, il ne pouvait s'empêcher d'avoir un minuscule espoir qu'elle resterait auprès de lui, et lorsqu'il se sentirait en mesure d'être avec elle, ils pourraient vivre l'histoire qu'ils méritaient. Malgré tout, César ne voulait pas s'attacher à cette idée.

─ Mais en même temps, lança soudain Émile, ce serait chelou si elle était avec quelqu'un d'autre ? Non ? Genre, elle essaierait de se consoler, peut-être...

─ Mais ? Mec ! s'immisça une nouvelle fois Sam. Il en sait rien. Laisse-le tranquille !

─ C'est l'affaire de Sélène, ça, répondit César. Je suis pas dans sa tête, faut lui demander.

Avec cette phrase, les curiosités d'Émile semblèrent se calmer, et il se renfonça dans son siège, les mains dans les poches de son k-way. César termina sa cigarette, et il lui sembla que la pluie commençait à se calmer. Samuel alluma alors la radio, et la seule station qu'ils captaient était Jordanne FM qui leur donnait la météo d'Aurillac. Ils patientèrent avec la voix du présentateur, et au bout de trois chansons, l'averse s'était définitivement arrêtée.


Ils profitèrent de l'accalmie pour s'installer, et la tente, fut plantée en moins d'un quart d'heure par Samuel, pendant que les deux autres le regardaient, debout face à lui, les bras croisés.

─ Il fait ça bien, déclara Émile à l'intention de César.

─ Ah, ça...

─ Sardine ! leur cria Samuel, et les deux se précipitèrent pour lui donner le petit bout de métal.

Bientôt, la toile fut montée, le sol mis, et ils purent installer leur matelas et leurs duvets. Leur campement était composé de deux chambres et il fut décidé qu'ils dormiraient tous ensemble, et l'autre « pièce » servirait de salon, au cas où la pluie reprennent et qu'ils ne puissent pas rester dehors. 18 heures arriva, et à 18 heures, c'était l'heure de l'apéro. Ils passèrent deux bonnes heures à siroter des bières, et écouter de la musique, en regardant des filles sur Instagram, puisque quitte à être beauf, autant l'être jusqu'au bout. Puis ce fut l'heure du repas, ils sortirent le réchaud à gaz et le petit grill qu'ils s'étaient cotisés pour acheter plusieurs années de cela, et carbonisèrent les saucisses, car Samuel avait peur que le temps qu'elles avaient passé dans le coffre n'ait complètement brisé la chaîne du froid.

La pluie reprit, les garçons rentrèrent en panique dans la tente, et à cause de l'orage, il faisait déjà presque nuit noire. Ils étaient donc serrés à trois, avec une lampe torche qui pendait au plafond pour les éclairer, en train de manger des saucisses au charbon et des chips à la moutarde. Ils chantaient à tue-tête, comme ils étaient seul à un bon kilomètre à la ronde, mais leurs voix ne suffisait même pas à couvrir le bruit du déluge dehors. C'était à la fois la pire situation que l'on pouvait imaginer, et le meilleur moment que César avait passé depuis un bon bout de temps. Pour la première fois depuis longtemps, il avait le sentiment que sa vie n'était pas totalement dénuée de sens. S'il pouvait encore profiter d'instants comme ceux-ci, avec ses meilleurs amis, alors il avait encore une raison d'être. Alors qu'il étouffait depuis plusieurs mois, cette soirée était une bouffée d'air frais. Il était peut-être un peu soûl, mais au moins, il ne l'avait pas fait pour échapper à la douleur qui l'assaillait de plus en plus chaque jour. Il avait simplement apprécié la veillée, et il se trouvait que l'alcool l'avait enivré. Il avait quand même encore tous ses réflexes et sa conscience. L'état idéal.

Ils ne veillèrent pas si tard que ça, minuit, mais parce qu'ils avaient commencé à picoler assez tôt, et que la semaine de cours se faisait ressentir. Quand Émile commença à piquer du nez, les garçons décidèrent d'aller se coucher. Ils se glissèrent tout habillés dans leurs duvets, mais ne s'endormirent pas du tout immédiatement. La pluie n'avait pas arrêté de taper contre la toile de tente depuis trois bonnes heures.

─ On fait quoi s'il y a une inondation ? interrogea Émile.

─ Il y aura pas d'inondation, affirma Samuel, sûr de lui. C'est de la qualité Décathlon.

─ On va se faire bouffer par un ours avant que ça inonde, de toute manière, grinça César.

Émile se raidit dans le duvet à côté de lui.

─ Mais arrête avec ton ours !

─ Pourquoi, t'as peur des ours ?

─ Bah évidemment ! Si toi, t'as pas peur des ours, c'est que t'es plus abruti que ce que je pensais.

César voulut le bousculer mais dans le noir, et avec les résidus d'alcool, il visa mal et frappa sans le faire exprès Samuel, de l'autre côté d'Émile. Sam gémit, et César, même s'il sentait tout penaud, ne put s'empêcher d'éclater de rire, bientôt suivi des deux autres. Ils parlèrent encore pendant une demie-heure, mais bientôt les ronflements d'Émile marquèrent le début de la nuit. César, lui, n'arrivait pas à s'endormir, l'esprit n'arrêtant pas de cogiter. Il lui semblait qu'il se trouvait dans un monde parallèle, loin des problèmes de sa vie. Ici, il pleuvait peut-être tout le temps, mais la nuit était calme et noire, tout l'inverse de la rue animée et lumineuse devant sa chambre. Et dans cette pénombre, il se sentait en sécurité, même s'il avait toujours eu peur du noir. C'était peut-être le fait d'être loin de tout qui jouait.

La pluie s'arrêta, et le silence qui arriva fit monter un peu l'angoisse. Comme il balançait sans cesse entre le sentiment d'être bien, et la peur de l'obscurité, il voulut se rassurer. Alors il chuchota :

─ Sam ?

─ Mmh, lui répondit-il.

─ Tu veux que je te laisse dormir ?

Il n'entendit que les mouvements de Samuel dans son duvet, et finalement, son ami lui dit.

─ Non, qu'est-ce qu'il y a ?

La gorge de César s'était asséchée. Il ne savait pas s'il allait réussir à parler, mais il n'aurait peut-être jamais de meilleures occasions. Il se répéta qu'il ne craignait rien. Il était loin, dans une tente perdue, sans personne d'autres autour de lui que ses plus proches amis. S'il y avait un moment où il pouvait se livrer, c'était celui-là. Alors il pris une longue inspiration, pour se donner le reste du courage dont il avait besoin.

─ Ma sœur attaque mon père en justice.

Silence. Le cœur de César battait si fort, que si ça se trouve, Sam lui avait répondu, mais il n'avait rien entendu. Le jeune homme ne bougeait pas de son duvet, un peu paralysé par les sentiments qui l'animaient.

─ Sérieux ? rétorqua Samuel avec le ton de quelqu'un qui ne savait trop quoi dire. Mais... je.. je croyais que vous connaissiez pas trop votre père.

─ Il est parti quand j'avais quatre ans, et elle trois, du coup... On l'a un peu connu.

Samuel mit un nouveau temps à répliquer, il devait vraisemblablement chercher, et peser ses mots. Il finit par demander, d'une voix si basse qu'elle était à peine décelable.

─ Pour quoi ?

César inspira, et étonnement, il réussit à le dire, il réussit à verbaliser un gros morceau qui lui était toujours resté en travers de la gorge jusqu'ici.

─ Pour attouchements sur mineure.

Encore une fois, un blanc. César comprenait. Que pouvait-il dire à ça ? Lui-même ne savait pas comment envisager la chose, alors Samuel ne pouvait rien de plus. Son ami, sentant peut-être la délicatesse de la situation, se contenta de question très pragmatiques, et pour une fois, n'essaya pas de lui faire dire comment il se sentait par rapport à ça.

─ C'est pour ça, la convocation à la gendarmerie ?

─ Pour l'enquête, oui. J'y vais en tant que témoin.

─ Est-ce que je peux faire un truc pour toi ? s'enquit Samuel.

César réfléchit, puis secoua la tête, avant de se rappeler qu'il ne le voyait pas.

─ Non, c'est bon. Sois juste peut-être un peu patient avec moi.

─ Ouais, t'inquiète mec. Toujours.

La conversation trouva naturellement sa fin à ce moment là, et César esquissa un léger sourire dans l'obscurité. Il se tourna sur la gauche, et entreprit de s'endormir, même s'il avait très envie de pleurer, et qu'il ne voulait pas que Samuel l'entende. 

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen2U.Pro