16 : La tournée

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SÉLÈNE


─ Tu as parlé à Émile ?

C'était le problème lorsque l'on avait qu'une seule amie. La personne avec qui l'on s'amusait était aussi celle à qui l'on se confiait. Sélène ne pouvait donc pas échapper aux questions et à la morale d'Amina, et cette dernière ne savait pas non plus faire la différence entre les moments où elle devait être une oreille attentive, et ceux où elle devait simplement rire à ses blagues sans lui poser de questions.

Sélène secoua la tête, un peu honteuse – même si une part d'elle lui criait qu'elle ne devait pas l'être, c'était sa vie, après tout ! Amina soupira, un regard de désapprobation en prime. Elles étaient posé dans le même bar que celui où elles avaient attendu Élise, il y a plus d'un mois. Ce n'était pas symbolique, c'était simplement qu'à cet endroit, le verre de vin était le moins cher de la ville.

─ Ça fait trois semaines, là ! se plaignit Amina. En trois semaines, tu lui as même pas adressé la parole ?

─ Arrête, je lui ai parlé plein de fois. Mais... pas de ça, et... pas longtemps.

En fait, elle avait presque tout fait pour l'éviter. Bien sûr, maintenant qu'ils avaient repris la tradition du repas du vendredi soir, elle était obligée de le voir au moins une fois par semaine, mais elle s'arrangeait toujours pour ne pas s'asseoir à côté de lui. Elle ne voulait pas non plus rester auprès de César, car ça aurait rendu la situation encore plus ambiguë. Alors elle faisait de son mieux pour ne pas avoir à passer du temps avec les garçons, ou quand ce n'était pas possible, abréger au plus vite les soirées. Ça faisait bientôt trois semaines qu'elle ne voyait presque plus qu'Amina, et en plus de se sentir terriblement seule, les sentiments de Sélène ne faiblissaient pas le moins du monde. Mais Émile n'y mettait pas du sien non plus ! Il fuyait toujours son regard, et les rares moments où leurs yeux se croisaient, il déviait les siens aussitôt. Il s'enfermait dans sa chambre quand elle passait. Bref, à croire qu'ils ne s'étaient jamais rencontré.

─ Tu te fais du mal à attendre, lui reprocha Amina. Plus vous vous évitez, plus vous dégradez votre amitié.

─ Non, mais merci, madame l'experte, tu crois que je m'en rends pas compte ? C'est encore pire, parce que le fait de ne pas lui parler, ça fait monter une tension en moi. Je suis... je suis ultra tendue, tu vois. Quand je le vois, ça me... ah !

─ Ouah, souffla Amina. Ça fait combien de temps que t'as pas couché avec quelqu'un ?

─ Je sais plus ! s'exclama Sélène. Tu penses que ça fait trop longtemps ?

─ Ah bah, pour qu'Émile te fasse cet effet, c'est certain !

Sélène soupira, elle ne comprenait peut-être pas. Ce n'était pas que ça. Il y avait vraiment quelque chose de plus. Le souvenir de la semaine de vacances qu'elle avait passé avec lui ne cessait de lui revenir. Ç'avait été vraiment... magique, il n'y avait pas d'autres mots. Et puisqu'elle savait à quel point les moments avec Émile étaient parfaits, elle se demandait ce qui la retenait de lui parler. C'était peut-être l'idée qu'il la rejette, et que ces quelques jours ne deviennent qu'un vague souvenir, et l'image parfaite d'une relation qu'elle n'aurait plus jamais. Oui, c'était sûrement ça. Elle termina son verre dans une geste un peu désespéré, avant de répondre à son amie.

─ C'est pas juste ça, c'est... Tu vois, j'y ai beaucoup réfléchi, et je me dis qu'Émile, c'est le gars parfait pour moi !

─ Mais... dit Amina, avant de soupirer longuement. Sélène ! Évidemment que c'est le gars parfait pour toi, c'est ton ami depuis vingt ans ! Tu sais combien de temps ça fait, vingt ans ? C'est quatre-vingt-dix-huit pour cents de ta vie ! Il te connait par cœur. C'est pas que vous êtes faits pour être ensemble, c'est que vous avez tous les deux grandi et évolué de manière à toujours vous entendre. C'est dingue que tu t'en rendes compte que maintenant, en fait.

Sélène la fixa longuement, et haussa les épaules. Elle n'avait jamais été aussi perdue dans sa vie.

─ Je sais pas de quel côté tu te places, lui confia-t-elle.

─ Aucun, je suis pour que vous en parliez et que vous mettiez sur la table ce que vous ressentez, et ce que vous voulez en faire. J'ai presque vingt-et-un ans, meuf, et à partir de maintenant, je suis une personne qui dit les choses quand elles doivent être dites. Je compte devenir une meilleure femme.

─ Et si t'étais à ma place, du coup, qu'est-ce que tu lui dirais ?

─ « Émile, soulève-moi. »

Sélène grimaça et la frappa gentiment sur le bras, Amina éclata de rire. C'était peut-être drôle pour elle, mais Sélène n'en riait pas volontiers. Elle était perplexe, même si elle savait ce qu'elle devait faire, encore fallait-il qu'elle ose le faire. La jeune femme avait la tête trop pleine, alors elle chercha à changer le sujet de la conversation.

─ Et toi, du coup ? Tu penses vouloir retrouver quelqu'un ?

Amina soupira.

─ On pourrait pas parler d'autre chose ?

─ Euh... il y a la fille de l'autre soir, dit Sélène. Tu sais, celle qu'on a sauvé de son date Tinder.

Son amie sembla encore plus accablée.

─ Franchement, je vais rester célibataire un moment, je pense pas que...

─ Non, reprit Sélène en comprenant que le message était mal passé. Je veux dire, elle est là, elle vient d'entrer dans le bar. Ah, elle vient de me voir ! Oh, elle se dirige vers nous.

Amina n'eut même pas le temps de se retourner que la fille en question arriva à leur hauteur. Elle affichait un grand sourire, comme si elle était une amie de longue date et qu'elle semblait ravie de les retrouver. C'était une drôle de coïncidence, trouva Sélène, que de la revoir au même endroit. Quelles étaient les chances pour que cela arrive ?

─ Je vous connais, vous deux ! leur lança la fille. Vous m'avez sauvé d'un mauvais plan ! Franchement, ça vaut bien un verre. Vous prenez quoi ? Un verre de vin ? Deux ? OK, je reviens.

Elle tourna les talons dans la seconde, laissant Amina et Sélène confuses. Les deux amies se regardèrent longuement, et Sélène finit par se pencher pour chuchoter.

─ Elle est soûle, tu penses ?

Amina haussa les épaules.

─ Ça, ou elle est très amicale.

─ On fait quoi ? demanda Sélène.

─ Qu'est-ce que tu veux faire ? On prend le verre, on s'assure qu'elle n'est pas livrée à elle-même, et sinon, on la ramène chez elle.

Sélène acquiesça, et quand la fille de la dernière fois revint, suivie d'un serveur avec un plateau qui comportait six verres, elle lui sourit, peut-être un peu faussement, mais elle ne vit rien. Elle pensa que le serveur allait poser trois des verres qu'il tenait et continuer sa route, mais il vida son plateau sur leur mange-debout. Amina et Sélène échangèrent de grands yeux écarquillés. Dans quoi s'étaient-elles embarquées ?


**


Bien entendu, la soirée ne se passa pas tranquillement. Elles enchaînèrent les tournées, et au bout du quatrième verre, Sélène se dit qu'elle ferait mieux d'arrêter de boire, si elle voulait retrouver le chemin de chez elle. Amina avait été plus raisonnable, et ne buvait plus que du Coca depuis une heure. Mais l'autre fille, Camille, avaient-elles appris, elle était dans un état lamentable. A deux heures matin, il ne restait plus qu'elles, et une bande de supporters qui fêtaient la victoire de leur équipe favorite (alors qu'il n'avait aucun match ce soir-là). Les deux amies durent se rendre à l'évidence : Camille était seule. Elle était peut-être venue accompagnée, mais ces personnes l'avaient abandonnée depuis longtemps. Il fallait la ramener chez elle, mais elle était incapable de dire où elle habitait. Elles parvinrent à la traîner devant le bar, Camille riait aux éclats car elle n'arrivait pas à tenir sur ses jambes. Sélène était encore un peu sous les effets de l'alcool, mais avait encore toute sa tête, elle.

─ Elle peut dormir chez moi, proposa-t-elle.

Elles n'allaient pas laisser cette fille livrée à elle-même. La bande de garçons sortit à leur tour, et l'un d'eux les interpella.

─ Eh, on vous ramène ?

─ Non merci, répondit calmement Amina. On va s'en sortir toutes seules

─ Ah ouais ? T'es sûre ? C'est un peu dangereux si vous rester toutes seules.

Le garçon se rapprochait avec insistance. Sélène s'accrochait au bras de Camille, à la fois pour l'empêcher de tomber et pour se rassurer. Son cœur battait à toute vitesse, elle se sentait menacée. Il était cinq, elles n'étaient que trois, voire deux et demie, ou peut-être même juste deux. Sa gorge se noua. Elle se demanda si les hommes se rendaient parfois compte à quel point ils pouvaient être effrayants ? Surtout en pleine nuit, en bande, et alcoolisées.

─ Non merci, continua Amina fermement. C'est vraiment gentil, mais on va se débrouiller.

─ C'est pas cool, commença-t-il à lui reprocher.

─ Je sais, mais c'est comme ça. Encore une fois, merci, c'est sympa de proposer, mais on va rentrer toutes seules.

L'homme leva les mains, en signe d'abandon, et ses copains derrière, qui devaient comprendre qu'il se donnait du mal pour rien le tirèrent, et la bande finit par partir dans la direction opposée. Sélène dévisagea Amina, bluffée. Comment avait-elle fait pour garder son calme et se débarrasser si poliment d'eux ? Sélène était parfaitement nulle pour ça, elle bégayait, rougissait de honte, et fuyait. Voyant sûrement le visage impressionnée de son amie, Amina soupira et s'expliqua :

─ Respecte-les et ils te respectent. Ça marche pas à chaque fois. Bon, allez, il faut qu'on lui trouve un endroit. Camille ? Debout !

La pauvre était affalée sur le sol, adossée à la façade du bar. Les deux filles tentèrent de la soulever, mais elle n'était qu'un poids mort, et Sélène s'essouffla rapidement. Comprenant qu'il allait être compliqué de la déplacer jusqu'à chez elle, elle s'accroupit à côté de Camille, qui somnolait presque, pour récupérer un peu. Amina, les mains sur les hanches, regardait la rue, sûrement à la recherche d'une solution.

─ Tu penses qu'Émile dort toujours ? finit-elle par demander.

Sélène haussa les épaules. Elle n'en savait rien. Normalement non, puisqu'on était vendredi soir, et que lorsqu'il n'avait pas cours, il lui arrivait souvent de faire des nuits blanches. Amina sortit son téléphone.

─ On va l'appeler.

Dans le calme de la rue, Sélène perçut les sonneries dans le portable de son amie. Elle attendit de savoir si le garçon allait décrocher, gardant sa main autour du bras de Camille, pour s'assurer qu'elle se rafraîchissait pas trop vite. Puis, elle entendit sa voix, et aussitôt, baissa les yeux, comme s'il était devant elle, et qu'elle ne voulait pas l'affronter. Amina discuta, lui expliqua la situation, puis raccrocha.

─ Il est là dans cinq minutes.

Sélène acquiesça, et secoua un peu Camille, qui semblait sombrer dans le sommeil de plus en plus. La fille réagit en sursautant et en marmonnant des paroles inaudibles, avant de piquer à nouveau du nez. Amina s'agenouilla auprès d'elle, et pendant les longues minutes d'attente, s'affaira à lui parler pour qu'elle reste un minimum consciente. Sélène, impuissante, la regardait faire, et se demandait comment elle avait pu se dégoter une amie aussi précieuse et attentionnée. Amina était une personne parfaite, et elle ne méritait pas tout le mal qui lui tombait dessus. Sélène avait presque envie de pleurer, mais c'était sûrement les quatre verres de vin qui la rendaient si émotionnelle. À ce moment-là, elle aurait donné sa vie pour être certaine qu'Amina ne souffre plus jamais !

─ Tu pleures ? l'interrogea Amina en voyant Sélène les larmes aux yeux, sur le point de craquer.

─ Je t'aime ! s'exclama-t-elle en éclatant en sanglots.

Sélène ne put se retenir de se lever pour aller étreindre Amina, qui resta totalement raide à son câlin.

─ C'est pas vrai, chuchota-t-elle. Maintenant j'en ai deux à gérer.

─ Je suis pas bourrée, je t'aime juste, lui dit Sélène en la serrant fort.

Les phares d'une voiture se rapprochèrent, et le véhicule se gara sur une place juste devant. La vitre du siège passager se baissa, et la tête d'Émile apparut.

Get in losers, we're going shopping, lança-t-il dans un très bon anglais.

Comme Sélène n'avait aucune force et qu'Amina ne pouvait pas soulever Camille seule, il dut venir les aider. A deux, ils réussirent à installer (plutôt jeter) la fille sur la banquette arrière. Sélène se fit toute petite à côté d'elle, et ils prirent la route en silence. Émile n'avait pas l'air d'avoir été pris au saut du lit, mais il ne paraissait pas en grande forme pour autant. Comme tous les jours depuis plusieurs semaines d'ailleurs, il perdait en jovialité, et même Sélène qui minimisait au maximum son temps avec lui pouvait le voir. Elle craignait être la responsable de son état. Pendant le trajet, plusieurs fois, leurs yeux se croisèrent dans les rétroviseurs, mais à chaque fois que l'un attrapait le regard de l'autre, ce dernier le détournait aussitôt.

Finalement, Émile demanda :

─ On va où, au fait ?

─ Je sais pas, est-ce que c'est pas mieux de rentrer tous à la coloc' ? proposa Amina.
─ Ça va pas être super flippant pour elle, de se réveiller le lendemain en milieu inconnu ?

─ Au moins, elle sera en sécurité...

─ Tant qu'on retrouve pas une capote usagée auprès d'elle, plaisanta Sélène.

Amina se tourna vers elle avec un visage réprobateur, le silence d'Émile parla pour lui.

─ C'est bon, je plaisantais, se défendit la jeune femme.

─ Bah, c'est pas drôle.

Ceci acheva de jeter un froid dans le véhicule. Ils arrivèrent jusqu'à l'appartement, et Émile réussit à monter Camille à l'étage, en la portant sur son épaule comme un sac de riz. Son corps n'en menait pas large, mais il était plus musclé que Sélène l'aurait pensé. Oups... Non, mauvaise pensée ! Rembobiner, il fallait rembobiner.

Ils installèrent Camille sur le canapé, et comme elle dormait à poings fermés depuis longtemps, même tous les remous ne la réveillèrent pas. Amina prit le soin de mettre une bassine vide à côté d'elle, au cas où. Après ça, elle disparut dans la salle de bain sans un mot, et bientôt, le son de la douche anima l'appartement. Sélène et Émile restèrent seuls dans la pièce principale. La jeune femme ne savait pas quoi faire, devait-elle lui parler ? C'était le moment idéal, mais elle se retenait quand même. Amina avait sûrement eu raison, l'autre jour, c'était elle qui avait un problème : elle ne voulait jamais assumer et mettre les choses sur la table.

Le jeune homme se racla la gorge et déclara :

─ Bon, bah, je vais me coucher.

Il prit alors la direction de sa chambre, et quelque chose dans la poitrine de Sélène tomba. OK, message reçu. Elle avait passé trois semaines à se poser des questions et se faire des films, et maintenant, elle avait la réponse. Comme d'habitude, elle s'intéressait aux garçons qui ne voulaient pas d'elle. Elle sourit simplement, sans même être sûre qu'Émile l'avait vue, et se résignait à dormir sur bout du canapé, en position fœtale.

Émile s'arrêta juste avant d'entrer dans sa chambre, et lui fit un signe de la tête.

─ Tu viens ?

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