17 : La météo

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ÉMILE


Il ne savait pas ce qui lui avait pris. C'était peut-être le fait qu'il était tard, et que la nuit, il s'était toujours senti un peu plus courageux, comme protégé des conséquences de ses actes. Ou c'était peut-être un ras-le-bol complet de l'ambiance qui régnait entre Sélène et lui. Après tout, s'il ne devait jamais rien se passer, autant qu'ils se mettent d'accord, et fassent leur maximum pour redevenir amis au plus vite. Tout le monde y gagnerait, sur le long terme. Malgré son raisonnement plus que logique, sur le coup, il se trouva bien bête. Et maintenant ? Que faisait-il ?

Sélène le suivit dans sa chambre, où seuls les écrans d'ordinateur faisaient de la lumière. Il avait quitté le jeu en pleine partie, et Greg lui avait promis de maudire toute sa famille pour l'avoir dans la merde. Émile s'avança pour éteindre les écrans, Sélène resta dans l'encadrement de la porte, les bras croisés, ne sachant visiblement pas quoi faire de son corps.

Quand plus aucune lumière, mise à part celle du salon ne les éclairait, Sélène appuya sur l'interrupteur à côté d'elle. Émile resta alors lui aussi debout, et la scène se retrouva être d'un malaise très palpable. Aucun des deux ne savait lequel devait parler en premier. Émile était tenté de le faire, parce qu'il était en général le plus détendu de tous, et qu'il n'avait aucun filtre, mais il ne s'était non plus jamais retrouvé dans cette situation. Il n'arrivait même pas à interpréter les signaux qu'elle lui renvoyait. En fait, elle n'en envoyait même pas ! Merde, il en avait marre de réfléchir. Il tentait sa chance !

─ Tu penses pas qu'on devrait un peu parler ?

Sélène acquiesça frénétiquement, mais ne bougea pas pour autant. Elle avait toujours les bras croisés, les traits tirés.

─ J'ai juste pas trop envie d'être embêtée par les autres autour.

Émile se sentit un peu désemparé par sa requête. Il chercha une solution, ils auraient pu sortir de l'appartement, partir dans un parc, mais il faisait un peu froid, et il se sentait trop fatigué pour conduire d'avantage. Et puis, il n'était pas romantique, à la base ! Il ne savait pas trop ce qu'elle attendait de lui. Alors il improvisa. Il attrapa la couette sur son lit, et l'installa sur le sol sous le regard intrigué de Sélène, puis il attrapa deux chaises, celle de son bureau, et une vieille qui traînait là avant leur emménagement, et s'en servit pour faire une sorte de plafond. Cette cabane construite à l'arrache avait beaucoup moins de gueule que celle qu'ils avaient monté pendant les vacances, mais il supposa qu'elle ferait l'affaire.

Émile regarda Sélène.

─ Personne peut venir nous embêter dans une cabane, assura-t-il. C'est un monde parallèle.

D'un geste de la main, il lui désigna son palace pour l'inviter à y entrer. Sélène sourit, sans un mot, et entra pour s'y installer. Émile allait fermer la porte derrière elle, et au dernier moment, attrapa une feuille déjà accrochée à un bout de Scotch qu'il gardait sur sa commode à côté. Elle disait « Je dors, je ne suis pas mort », et servait à rassurer les garçons quand il était 16 heures, et qu'Émile n'était toujours pas levé. Samuel s'en servait aussi quand il ramenait des filles, l'affiche prenait alors une toute autre signification. Émile la placarda, et referma sa porte.

─ Tu peux éteindre la lumière, lui affirma Sélène.

Ce qu'il fit, ils se retrouvèrent alors dans le noir complet.

─ Attends, rigola la jeune femme. J'essaie de ramener ta lampe de chevet dans la cabane.

─ OK, j'arrive.

Il essaya de se repérer dans le noir, mais dut mal calculer les distances, et se prit le petit orteil dans le pied de son lit.

─ Ah putain ! lâcha-t-il.

─ Ça va ? fit mine de s'inquiéter Sélène, même si le ton de sa voix laissait deviner qu'elle se retenait de rire.

Comme par magie, la lampe de table s'alluma enfin.

─ Désolée, s'éleva la petite voix de Sélène à l'intérieur de la cabane.

Émile soupira, il ne lui en voulait même pas plus que ça. Il se glissa à quatre pattes à ses côtés dans la cabane, et même si elle ne cassait pas trois pattes à un canard, elle faisait parfaitement office de cocon douillet. Soudain, il se retrouva face à son amie d'enfance, plus proche qu'il ne l'avait été en trois semaines. Il faisait chaud, seules leurs respirations couvraient le bruit de l'ordinateur qui continuait de tourner derrière eux. Longtemps, ils se regardèrent sans un mot, et il allait parler, quand Sélène l'arrêta dans son inspiration d'un geste de la main.

─ Je crois qu'Amina vient de sortir de la douche, murmura Sélène.

─ Sélène, t'es où ? entendit-on une voix dans le salon.

Émile ne savait pas si elle allait répondre. Il n'avait même pas la moindre idée de si Amina était au courant. Sûrement, les deux filles se disaient tout. Mais le silence de Sélène lui mit un doute. De l'autre côté de la porte, Amina reprit :

─ Tape un coup n'importe où si tu m'entends mais que tu peux pas me répondre.

Sélène et Émile échangèrent un regard surpris, et la jeune femme finit par hausser les épaules. Elle dégagea un peu la couverture du sol, et avec son poing, cogna contre le plancher de la chambre. Ils attendirent de savoir si le tour avait fonctionné, se retenant de rire.

─ OK, déclara Amina. Bonne nuit.

Sélène et Émile soufflèrent de soulagement, le sourire aux lèvres. Cette petite distraction n'avait pas pour autant résolu le problème qui taraudait le jeune homme : quoi dire ? Ils avaient tout : l'endroit, le moment, l'opportunité, maintenant, encore fallait-il réussir à ne pas tout gâcher. Qu'était-il censé lui annoncer ? Qu'ils devaient à tout prix conserver leur amitié ? Qu'ils pouvaient se donner une chance ? Il ne savait même pas précisément ce qu'il voulait ! Si ça se trouvait, elle n'avait aucun intérêt pour lui. Émile ! se raisonna-t-il. Si tu ne demandes pas, tu ne sauras pas.

─ Est-ce que ça va ? commença-t-il en douceur.

Il chuchotait. D'abord, parce que tout le reste de la maisonnée dormait, mais aussi parce que l'instant était si précieux qu'il ne voulait le partager avec personne d'autre qu'elle. Sélène lui parut un peu perturbée par la question, il trouva utile de s'expliquer.

─ On s'est pas vraiment adressé la parole depuis trois semaines. Et tu vois, quand j'étais petit, ma mère me demandait toujours de faire la météo de mes émotions après l'école. Genre, tu prends un temps pour toi, tu fermes les yeux, et tu dis comment tu te sens. On peut le faire si tu veux.

─ Euh... OK.

─ Je commence si tu veux, dit Émile.

Il ferma les paupières, prit une longue inspiration et répéta machinalement un exercice qui avait bercé son enfance.

─ OK, alors je me sens... fatigué, parce qu'il est plus de 2 heures du matin. Je me sens... un peu dépassé par tous les événements de ma vie. Avec les cours, et j'ai toujours pas de stage alors qu'il doit commencer dans deux semaines. Et aussi, je me sens... enfin, j'ai le cœur qui palpite énormément parce que je sais pas comment vont se passer les minutes qui suivent, et j'ai un peu peur.

Émile ouvrit les yeux, pour croiser le regard d'une Sélène bouche bée. Il ne savait pas si c'était une bonne chose.

─ Ta mère te faisait faire ça tous les soirs ? demanda-t-elle.

─ Ça faisait partie de son éducation non-genrée. Tu sais, pour pas que j'intègre qu'un garçon n'a pas le droit d'avoir de sentiments. Mais, eh, c'est à toi maintenant. Vas-y ferme les yeux.

Sélène hésita, elle se redressa, suivit ses instructions, et rit nerveusement.

─ C'est trop bizarre, murmura-t-elle.

─ N'y pense pas, l'encouragea Émile.

Il lui fallut un moment pour qu'elle ose se lancer. Le jeune homme attendit patiemment. C'était toujours difficile au début.

─ Je me sens... commença enfin Sélène. Je me sens... Je suis super anxieuse à l'idée d'être là avec toi, et ça fait trop bizarre, puisque j'ai toujours pensé que t'étais un peu comme un phare pour moi. Du genre, peu importe ce qui m'arrive, tu serais toujours là pour faire de la lumière et me ramener à toi, où je serais bien. Et l'idée que... bah, que... je puisse plus te regarder dans les yeux, ça me fait du mal, et en même temps ça m'effraie. En même temps, je suis super soulagée que tu sois pas allé te coucher tout seul.

Elle rouvrit les yeux, Émile ne savait pas quoi répondre. Son corps était devenu hypersensible, il pouvait percevoir chaque battement de cœur, chaque bout de tissu qui effleurait sa peau, chaque mouvement de chaleur qui passait sur son visage. Il retroussa les lèvres, et baissa les yeux, caressant la couette du bout de ses doigts pour fixer son attention, et ne pas laisser toutes ses émotions le submerger.

─ Tu regrettes ? demanda-t-il sans croiser les yeux de Sélène (peut-être qu'elle non plus, ne le regardait même pas).

─ Je sais pas, lui confia-t-elle d'une voix presque inaudible.

La gorge du garçon se noua, et il acquiesça lentement. C'était normal, lui aussi s'était longuement posé la question, et n'était parvenu à aucune réponse satisfaisante.

─ Mais imagine si on se dit qu'il vaut mieux qu'on reste amis, reprit la jeune femme, ce sera plus jamais comme avant ! Là, c'est sûr que je le regretterais.

Émile haussa les épaules, il ne voulait toujours pas la regarder. Elle venait d'insinuer qu'il existait une possibilité pour eux deux, et rien que pour ça, l'esprit d'Émile s'emballait. Il comprit alors qu'il s'était peut-être trompé depuis le début, et qu'il n'avait pas rêvé l'alchimie des vacances, et que ce n'était pas non plus unique à ces mêmes vacances. Il doutait toujours de lui quand il ne devait pas. Même si l'enthousiasme grandissait autour de lui, sa raison le ramena vite sur Terre. Il se devait de voir aussi l'autre côté de la situation.

─ Mais on peut pas non plus tenter d'être ensemble, juste comme ça, lui rappela-t-il. Enfin, y'a plein de trucs... Déjà, si on se sépare, ça sera encore pire !

─ Tu penses déjà à la rupture ? plaisanta Sélène.

─ Non ! nia très sérieusement Émile. Je dis juste que c'est un truc à prendre en compte. Avec César, aussi.

─ Pourquoi César ?

Elle jouait sûrement à la niaise pour le pousser à en dévoiler un peu plus. Il n'y avait pas moyen qu'elle n'y ait jamais pensé. Mais Émile accepta son petit jeu.

─ J'ai pas envie que ce soit juste parce que César t'a rejetée.

Sélène mit un temps à répliquer, il semblait l'avoir un peu agacée. Elle remit les pendules à l'heure.

─ C'est moi qui aies dit à César qu'on serait pas ensemble, déjà, qu'on se mette d'accord. Et ensuite, honnêtement, si tu savais comme ce serait plus simple si c'était le cas. Si c'était juste pour me consoler. Comme ça, j'aurais pu me dire que c'était une passade, et que ça n'avait aucune importance. Mais le problème, c'est que ça passe pas du tout ! Je suis pas amoureuse, continua-t-elle en insistant sur le mot, c'est évident que je le suis pas, mais... je sais pas...

Elle haussa les épaules, marqua une pause.

─ Je pourrais l'être.

Ce ne fut qu'à ces mots qu'Émile leva enfin la tête vers elle. En lui, tout était si fort et intense que ses membres en étaient presque ankylosés. C'était une sensation étrange, puisqu'il était en train de vivre littéralement ce qu'il espérait depuis des semaines, et pourtant, il était perdu, et perplexe. C'était loin de se dérouler comme il se l'était imaginé. C'était peut-être parce qu'il n'avait jamais eu aucune copine sérieuse, et qu'il basait toutes attentes sur les films qu'il avait vus. Or, ce n'était pas ça, la réalité. Ce n'était pas des baisers enflammés après s'être rencontrés sur le pas de la porte. Ça pouvait l'être, mais pas tout le temps. La réalité, c'était aussi les longues conversations où chacun se dévoile petit à petit, et qui retournaient le cerveau.

Il réalisa qu'il avait gardé le silence trop longtemps, et que Sélène devait commencer à se poser des questions, et peut-être paniqué. Alors, il hocha la tête.

─ Ouais, moi aussi.

Nul. Zéro. Il n'était toujours pas bon pour répondre aux déclarations. Mais Sélène eut l'air d'être satisfaite de sa réponse, elle sourit, et lui attrapa tendrement la main. Le contact fut électrique, surtout après trois semaines à s'éviter. Émile était complètement abasourdie par leurs deux mains l'une contre l'autre. Il l'avait pourtant prise des centaines de fois, cette main, que ce soit lorsqu'ils devaient se mettre en rang, en maternelle, quand il devait toujours l'aider à descendre des arbres, à douze ans, où même très récemment, pendant les vacances : il l'avait aidé à se relever d'une chute.

Ce n'était plus la même main qu'il prenait, désormais. Elle lui paraissait plus fragile, plus précieuse. Cette main, il ne voulait plus jamais la lâcher.

─ Qu'est-ce qu'on fait, alors ? interrogea-t-il en caressant la paume de la main de Sélène avec son pouce.

─ On peut... essayer ? proposa-t-elle. Ça risque d'être bizarre, au début, mais...

─ Pas plus bizarre qu'une capote dans un lit, rit Émile.

─ Quand même un peu bizarre.

Ils se sourirent mutuellement, et désormais qu'ils s'étaient tout dit, c'était encore pire pour Émile. Maintenant, il ne savait pas quoi faire ? Si Sélène venait officiellement de devenir sa petite amie, était-il censé l'embrasser ? Ils l'avaient bien fait plusieurs autres fois, mais ça n'avait jamais rien eu d'officiel. Là, ça allait être leur premier baiser, et s'il était beaucoup plus nul que les autres ? Et puis, après s'être embrassés ? Qu'allait-il se passer après ça ?

─ Toi aussi, tu sais pas quoi faire ? chuchota Sélène en laissant échapper un rire nerveux.

─ Pas du tout.

─ On devrait juste s'embrasser.

Émile acquiesça, et les deux entreprirent de se rapprocher. Il pressentait un baiser nul, du genre, avec des dents qui s'entrechoquaient, un peu trop de bave et tout le gratin. Mais étonnement, ce fut très doux, et aussi naturel que les anciens. Émile sut même où mettre ses mains, sur la taille de Sélène. En fait, ce fut un premier baiser officiel incroyable, jusqu'au moment où la couverture qui servait de toit leur tomba dessus. Sélène se détacha de lui, et explosa de rire.

─ Chut, lui intima Émile en mettant son index devant sa bouche. Tu vas réveiller les autres.

─ Bah vas-y, fais-moi taire, répliqua-t-elle avec insolence.

─ OK, on est déjà à l'aise à ce point, à ce que je vois.

Il l'embrassa à nouveau, et à deux, ils réussirent à se débarrasser de la couverture au-dessus d'eux. La lampe de chevet se renversa au passage. Émile jugea que le sol était un peu dur, et qu'ils seraient bien mieux sur le matelas, il aurait voulu porter Sélène pour la poser délicatement sur le lit, mais il était un peu bourru, alors il jeta plutôt la jeune femme, qui rit aux éclats. C'était mort, ils avaient réveillé tout le monde. Émile ramassa la couette en boule, puis la lança elle aussi sur le lit, inspirant pour essayer de se calmer, car en bas, ça s'affolait, et il ne voulait pas avoir l'air d'un gars qui ne pensait qu'à ça – même si... bah, il en pensait forcément !

Alors qu'il allait s'asseoir à côté de Sélène, un bruit vint troubler le silence de la nuit. Une sorte de froissement. Les deux jeunes se tournèrent vers l'endroit d'où il venait : le salon, ils aperçurent alors qu'on glissait quelque chose sous la porte. Émile se tourna vers Sélène, intrigué. D'un geste de la tête, elle lui fit signe d'y aller. Le garçon se pencha donc pour ramasser l'objet, il y en avait deux, en réalité. Il le montra à Sélène.

─ Un préservatif ? devina-t-elle.

─ Avec un mot. D'Amina, je pense. « À la poubelle, cette fois-ci ».

Sélène soupira, et Émile resta les bras ballants. Ça avait très certainement jeté un petit froid. Il voulut la rassurer.

─ On n'est pas obligés, hein, on ferait même peut-être mieux d'attendre.

Sélène, assise en tailleur sur le lit, se mordit la lèvre inférieure, comme en proie à un dilemme.

─ Je crois pas que je pourrais attendre plus longtemps. Mais... c'est pas un peu précipité ?

─ On a déjà foutu en l'air vingt ans d'amitié, autant passer un bon moment, non ?

La jeune femme – sa petite amie – le dévisagea. Et comme réponse, elle enleva son tee-shirt.

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