23 : La crêpe

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AMINA


─ Camille, non !

Ils étaient enfin parvenus à la sortir du festival et la ramener dans la voiture, mais au dernier moment, alors qu'elle allait y rentrer, elle avait filé entre les doigts, pourtant forts, de Samuel, et s'était mise à courir sur le parking. D'un coup, elle disparut, arrêtant de crier au passage. Le jeune homme poussa un long soupir de lassitude, leva les mains en signe d'abandon, avant de se tourner vers les deux filles.

─ Démerdez-vous.

Amina se sentit mal pour lui, et un peu coupable de lui faire endurer ça. La soirée avait pourtant bien commencé, et portés par les bières et la musique, ils s'étaient tous bien amusés. Samuel, qui conduisait, avait arrêté de boire il y a déjà quelques heures, et Sélène, l'avait suivi peu après. Amina avait continué de se rendre au bar avec Camille, mais au bout d'un moment, elle s'était rendu compte qu'elle était bien en retard quant au nombre de verre. Sur les coups de 23 heures, un peu écœurée par le goût de la bière qu'elle ne trouvait même pas si bonne que ça, elle avait dit à Camille qu'elle n'en pouvait plus. Mais sa nouvelle amie n'avait pas cessé de son côté. Il était désormais presque 2 heures du matin, et ils se retrouvaient avec une Camille complètement soûle qui faisait n'importe quoi.

Ils l'avaient déjà empêchée de se mettre nue au milieu de la foule, de monter sur la scène pour embrasser le chanteur du groupe. C'en était devenu tellement infernal qu'ils avaient coupé court, et avait préféré rentrer plutôt que d'assister au dernier concert. Samuel avait réussi à la traîner jusqu'à la voiture, et voilà que désormais, elle s'échappait. Amina, qui se sentait responsable de la jeune femme qu'elle avait invitée, alluma la lampe de son téléphone pour chercher entre les voitures.

─ Camille ! l'appelait-elle.

Elle était tout de même un peu inquiète, car cette fille, malgré les galères dans lesquelles elle la mettait à chaque fois qu'elle la croisait, elle commençait à s'y attacher. Elle était résolument drôle, et incroyablement franche. Aucune retenue ne filtrait sa parole. C'était peut-être d'ailleurs la raison de l'amitié qu'Amina lui portait déjà. Après tous les secrets, les tromperies, les trahisons qu'elle avait vécus dans les derniers mois, elle avait besoin d'honnêteté, par tous les moyens. Avoir quelqu'un comme Camille, qui disait tout sans se préoccuper des conséquences, c'était une véritable bouffée d'air frais.

─ Camille, retenta Amina en promenant sa lampe entre les différentes voitures. Allez, on va y aller, c'est pas grave, on recommencera la fête plus tard.

Soudain, le faisceau de son téléphone rencontra une silhouette roulée en boule contre la portière d'une voiture. Elle reconnut les jambes dénudées de Camille – ils avaient réussi à lui faire remettre son haut, mais avaient perdu son short dans la bataille. La tête enfouie dans les genoux, elle sursautait à intervalles réguliers, comme... comme si elle sanglotait. Amina fronça les sourcils, et s'approcha, s'agenouillant au passage.

─ Eh, qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-elle d'une voix douce.

Il y avait à peine deux minutes, elle s'était échappée en riant aux éclats, et là, elle la retrouvait dans un état plus que misérable. Camille releva la tête, ses paupières et ses joues étaient colorés du maquillage flashy de la jeune femme qui avait coulé. Quand elle aperçut Amina, elle tendit les bras, comme réclamant un câlin, ce qu'Amina lui donna. Le cœur de cette dernière se serra : et si Camille n'allait pas bien, et qu'elle avait gardé ses émotions durant toute la soirée ? Amina posa une main dans ses cheveux courts, et chuchota, pendant que Camille trempait son épaule :

─ Qu'est-ce qu'il se passe ? Tu veux en parler ?

Camille sanglota à nouveau, et parvint à articuler, d'une voix saccadée :

─ C'est Sam ! Il est méchant avec moi ! Il m'aime pas ! pleura-t-elle en accentuant longuement la dernière syllabe.

Amina se retint de rire, pour ne pas vexer Camille. Ses épaules se détendirent, soulagée. Si ce n'était que ça ! Elle chercha à la réconforter.

─ Mais non, t'inquiètes pas. Il est juste très fatigué en ce moment. Il t'aime bien, promis.

Camille sembla se ressaisir, elle essuya sa joue du revers de sa main.

─ Il te l'a dit ?

─ Pas vraiment, mais je le connais bien. Je sais tout de lui, et quand il n'aime pas la personne, il n'en prend pas soin comme il fait attention à toi. Tu veux bien me croire ?

Camille réfléchit, avant de hocher la tête. Finalement, Amina parvint à la faire se lever, et la ramener jusqu'à la voiture, où Sam et Sélène attendaient sur les sièges avant. Elle fit rentrer Camille sur la banquette arrière sans un mot, et ils démarrèrent au son lointain du concert dans leur dos. Sûrement bercée par les balancements de la voiture, Camille s'endormit quelques dix minutes plus tard. Amina regardait le paysage défiler, elle aussi fatiguée de cette soirée. Un sourire se dessina sur ses lèvres, elle s'était tout de même bien amusée. Elle se demanda comment s'était passée la nuit du côté de César et Émile.

Dans le rétroviseur, elle croisa le regard de Sam, qui la dévisageait. Il lui dit :

─ Elle a un problème, ta pote.

Amina leva les yeux au ciel.

─ Elle est juste super extravertie, Émile était pareil, il y a deux ou trois ans, et personne disait rien.

─ Non, mais, Mina, insista-t-il, elle... je sais pas combien de bières elle a bu, ou d'argent qu'elle a claqué, mais... Attends, personne bois comme ça, même à un festival. Elle était déchirée.

─ Et... ajouta Sélène, je crois bien qu'elle avait déjà un peu bu quand on l'a récupérée. J'étais sur la banquette arrière, ça sentait le Ricard.

─ Ça sent toujours le Ricard sur la banquette arrière de la voiture d'Émile ! chercha à justifier Amina.

Elle ne savait pas trop à quoi ils jouaient. Au début, Amina se ferma complètement à leurs critiques, elle se disait qu'ils cherchaient tout et n'importe quoi pour la dissuader de ramener Camille, à l'avenir, juste parce qu'ils ne l'aimaient pas trop, ou qu'ils voulaient préserver leur petit groupe sacré – ce groupe n'existait plus trop, il fallait bien se faire une raison ! Sélène continua :

─ Je sais, je sais ! Mais là, plus ! Et puis... on n'a jamais vu Camille sans un verre à la main depuis qu'on l'a rencontrée.

─ Évidemment ! On l'a toujours croisée en milieu festif !

─ Mina... dit Samuel d'un ton réprobateur. T'as pas besoin de sauver les gens de leurs problèmes pour être une bonne personne, on n'en a déjà parlé.

Là, c'était le pompon !

─ J'apprécie Camille, je l'aime vraiment bien. Je la trouve super drôle, et elle, au moins, elle dit toujours la vérité.

─ Évidemment, elle a toujours trois grammes d'alcool dans le sang ! s'emporta soudain Samuel.

Amina secoua la tête, et ne répondit pas. Elle ne voulait pas s'engueuler avec lui, de peur que certains reproches qu'elle n'avait pas encore réussi à ravaler ne sortent brutalement. Le cœur lourd, elle posa sa tête contre la vitre, et regarda le ciel s'étendre au fur et à mesure qu'ils avançaient. Personne ne fit une nouvelle tentative pour meubler un peu la conversation, Samuel monta le son de la radio, et ils rentrèrent à presque 3 heures et demie du matin. Amina était épuisée.

Ils ne réussirent pas à réveiller Camille, alors ils la laissèrent dans la voiture, sur le parking de l'immeuble. L'appartement était des plus calmes, Amina s'écroula sur le canapé. Sa tête lui tournait un peu.


Quand elle se réveilla, il était presque midi. Autour d'elle, Sélène, Émile et Samuel prenaient leur petit-déjeuner en chuchotant. Elle émergea difficilement, avec un mal de dos lancinant. Elle se leva, but presque un litre d'eau d'une traite, et soupira pendant longtemps. Elle évita soigneusement le regard de Samuel. C'était étrange de se dire qu'avant toute l'affaire de la capote, il était son meilleur ami, et son plus proche confident. Jamais auparavant, elle n'avait dormi sur le canapé après une fête. Puis, d'un coup, ils s'étaient éloignés. D'abord, parce qu'elle n'avait pas supporté son comportement toujours sur la défense, mais même quand le voile a été levé, quand elle avait compris pourquoi il était comme ça, ils n'avaient pas réussi à retrouver leur alchimie. Désormais, elle avait de plus en plus de mal à passer du temps seul avec lui. Elle ne faisait pas vraiment d'effort non plus.

Elle se demanda si elle n'était pas arrivée au bout. Ces derniers temps, elle préférait être seule, ou alors, avec d'autres personnes. Déjà, quand elle était avec Élise, elle avait senti que ses amis du lycée ne lui suffisaient plus. Elle avait envie de faire de nouvelles rencontres. C'était peut-être pour cela que les autres étaient si réticents à l'arrivée de Camille, et qu'elle, au contraire, était si emballée. Peut-être le sentaient-ils, qu'Amina n'était – et ne voulait plus être – aussi proche qu'auparavant. Elle n'aurait jamais cru être la première à prendre son envol, elle avait toujours pensé que ce serait Sam, car il était déjà à un autre stade de sa vie qu'eux. Pourtant, ça semblait bien parti.

Alors qu'elle était perdu dans ses pensées, la voix de Sélène la ramena sur Terre :

─ Camille est partie.

Amina haussa les sourcils.

─ Ah ouais ? Où ?

─ Je sais pas. On a voulu aller la voir tout à l'heure, mais elle n'était plus là, elle a dû se réveiller et rentrer chez elle.

Amina pinça les lèvres. Encore une fois, cette fille disparaissait sans aucun moyen pour qu'elle puisse la retrouver. Elle avait bien cherché de la trouver sur Facebook, mais combien de Camille y avait-il sur ce réseau ? Impossible de trouver. Amina n'était pas défaitiste pour autant, elle avait bon espoir qu'à nouveau, elle allait la trouver sur son chemin, au moment où elle s'y attendrait le moins. À ce moment, il fallait bien qu'elle se souvienne de prendre son numéro, ou au moins son nom complet.

Samuel se leva et annonça qu'il devait aller à la salle de sport, et Sélène demanda si ça gênait Amina de rester à l'appartement pour surveiller César le temps qu'Émile et elle « fasse deux trois courses », ce qui signifiait qu'ils allaient sûrement chez Sélène pour traîner dans le lit. Amina n'avait rien à faire, elle aurait pu rentrer chez elle pour réviser en vue des partiels, mais elle se dit qu'elle avait deux semaines pour le faire, et qu'aujourd'hui n'était pas un bon jour. Elle accepta. Bientôt, la coloc se vida, et la jeune femme resta seule au milieu du grand salon, elle n'avait pas vu César de la matinée, elle ne savait même pas s'il dormait.

Elle resta sur le canapé comme une larve pendant près d'une heure, jusqu'à ce que le grincement d'une porte éveille son attention, et l'amène à se retourner. Elle trouva alors un César tout habillé, qui sortait de sa chambre. Il paraissait moins cerné que d'habitude, mais était toujours aussi pâle.

─ Coucou, lui lança-t-elle, agréablement surprise de le voir ainsi. Tu sors ?

─ Ouais, dit-il d'une voix un peu enrouée, avant de la clarifier. J'ai envie de manger une crêpe. Tu veux venir ?

Amina hésita un peu, avant tout car elle était profondément surprise par la proposition. Elle préféra ne pas poser de question, et d'aller dans le sens de son ami. Elle se leva donc, enfila ses chaussures, et suivit César dans l'escalier de l'immeuble. Ils marchèrent un peu, et même si elle s'était promis de ne pas trop l'embêter, elle ne put s'empêcher de poser la question qui lui brûlait les lèvres :

─ Donc, ça va, toi ?

César haussa les épaules, les yeux rivés sur le trottoir. Il n'avait pas vu le jour depuis deux semaines, il devait sûrement être un peu aveuglé par le soleil du mois d'avril.

─ Je sais pas. Mais j'ai envie d'aller mieux, ça commence peut-être par aller manger une crêpe.

Amina acquiesça dans un sourire. Ils trouvèrent un petit salon de thé à quelques rues de la coloc, et s'installèrent en terrasse. César commanda une crêpe et deux parts de gâteaux, ce qui pouvait paraître beaucoup, mais qui n'était rien en réalité, quand on savait qu'il n'avait mangé que quelques ramens ci-et-là en quatorze jours. Il était affreusement amaigri, et ça se voyait sur son visage. Ses joues étaient creusées, ses yeux rentrés dans leurs orbites. Amina sentit la mère-poule s'éveiller en elle, et insista pour qu'il prenne une autre crêpe.

─ Tu devrais aller chez ma grand-mère, lui proposa-t-elle. Elle te laisserait pas repartir avant que t'ait repris au moins dix kilos.

César sourit.

─ Je vais chez la mienne à partir de demain, pour toutes les vacances. Pour réviser. Et pour manger, parce que la mienne, elle me laissera pas partir avant que j'en ai repris au moins vingt !

Amina rit. De toute la bande, César avait toujours été celui dont elle était le moins proche. Il était loin d'être un inconnu, après tout, ils étaient amis depuis six ans ! Mais les moments où elle avait été seule avec lui se comptaient sûrement sur les doigts d'une seule main, contrairement aux trois autres. Elle ne savait pas vraiment ce qui avait causé cette distance entre les deux, si c'était leur personnalités trop différentes, ou simplement qu'ils n'avaient jamais pris le temps d'apprendre à se connaître comme avec les autres. Là, pourtant, elle se sentait bien. Elle ne se sentait pas jugée comme avec Samuel, elle n'avait aucune pression, comme avec Sélène. César était peut-être la personne qu'il fallait à ce moment de l'existence d'Amina.

─ C'était bien, hier soir ? demanda-t-il.

─ Mmh, acquiesça Amina. Même si Sam était chiant sur la fin.

─ Ah ouais ? Qu'est-ce qu'il a fait ?

Elle haussa les épaules.

─ C'était pas tant ce qu'il a fait que ce qu'il a dit... Il arrêtait pas de dire à Camille qu'elle était chiante, du coup, elle est partie en courant, elle a pleuré, et quand j'ai réussi à la ramener, il m'a dit que c'était une meuf avec des problèmes. En gros, il m'a fait comprendre qu'il voulait pas que je le fréquente.

─ C'est qui, Sam, ton daron ? s'étonna César, les yeux rivés sur sa deuxième crêpe.

─ Non... rétorqua Amina avant de soupirer. Mais... tu t'es déjà senti comme si... comme si nous, le groupe, je veux dire, on pouvait pas te comprendre, ou te satisfaire ? Enfin, je sais pas comment expliquer...

─ Comme si même être les meilleurs amis du monde, c'était pas suffisant ? acheva César.

Amina hocha la tête. C'était exactement ce qu'elle ressentait. César laissa sa fourchette léviter au-dessus de son assiette, et acquiesça à son tour.

─ Si, admit-il. Parfois, j'ai pas envie d'être avec vous, mais je veux pas être seul non plus. C'est comme la famille, tu vois, t'aimes ta famille, mais des fois, tu peux plus l'encadrer. C'est pareil. T'as besoin d'autres personnes. C'est pour ça qu'Émile a ses potes en ligne, et que moi, parfois, je traîne avec les gars de ma promo, et que Sam passe autant de temps à la salle. Il y voit des gens qui ont les mêmes intérêts que lui, avec qui il peut parler muscles et... protéines, j'en sais rien. Comme ça, quand il revient à la coloc, il ressent pas le besoin de parler de ça avec des gens qui en ont rien à foutre. On peut pas être amis seulement avec les mêmes personnes depuis toujours, parce qu'on évolue tous, et pas forcément de la même manière, et on a besoin de nouvelles rencontres pour continuer de s'ouvrir au monde, et pas étouffer dans sa bulle.

Il marqua une pause, Amina n'osa même pas parler, tellement tout ce qu'il disait faisait sens. C'était ce qu'elle avait cherché à comprendre depuis plusieurs semaines. Elle s'était demandé pourquoi avec la rupture, elle rejetait ses amis. Ce n'était pas qu'elle ne voulait plus d'eux, c'était qu'en quittant Élise, elle s'était entièrement reposé sur le groupe, et elle avait fini par suffoquer. César continua :

─ C'est peut-être pour ça, aussi, que Sam aime pas trop Camille. Parce que lui, il comprend pas pourquoi tu t'attaches tant à être amie avec cette fille, il voit pas que t'as besoin de ça. Il pense juste que tu veux le remplacer. Ça, et aussi parce que toi, tu veux faire de nouvelles rencontres, et lui, il cherche absolument à retrouver votre amitié. Tu vois, ce sont deux mouvements dans deux sens différents, c'est pour ça que ça bloque.

─ Qu'est-ce que je devrais faire, tu penses ?

César haussa les épaules. Il venait de finir sa crêpe.

─ C'est à toi de voir. Si tu veux vraiment du changement, ou si t'es prête à faire quelques concessions et trouver du temps pour tout le monde.

Amina baissa les yeux sur sa tasse, et se mordit la lèvre inférieur. Elle releva les yeux sur César dans un soupir. Elle avait fait son choix.

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