22 : La discussion

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ÉMILE


 Aux alentours de 20 heures, Émile commença légèrement à regretter son choix. Il ne voulait pas mentir : il aurait de loin préféré être avec les autres au festival, bien plus que de rester jouer les nounous pour quelqu'un qui – à son sens – n'en avait pas besoin. Mais il avait vu le regard de détresse dans les yeux de Sélène, et il n'avait pas faire autrement que s'assurer qu'elle aurait l'esprit tranquille. Puis... bon, il y avait aussi un peu de jalousie. Il ne pouvait pas nier l'inverse. Laisser Sélène seule avec César toute une soirée lui déplaisait. Ce qui était complètement stupide, puisqu'elle l'avait déjà fait – en fait, depuis six ans, c'était arrivé des milliers de fois ! – et il ne s'était jamais rien passé. C'est bien d'ailleurs ce qui avait fait que Sélène avait fini par lâcher l'affaire.

Émile détestait ce sentiment. Il n'aimait pas être jaloux. Il trouvait que c'était un des pires défauts. Pour lui, les personnes qui fliquaient les moindres faits et gestes de leurs partenaires manquaient cruellement de confiance, et il s'était toujours dit que quand lui aurait une petite amie, il ne l'assaillirait jamais de questions sur qui elle fréquentait, et lui ferait absolument et aveuglément confiance. Il avait peut-être été un peu trop ambitieux, et avait ignoré le pouvoir des émotions humaines.

Bon, ce n'était pas que ça, heureusement, qui l'avait poussé à rester à l'appartement. César était avant tout un ami très cher, et il n'avait pas fait grand-chose pour lui ces derniers jours. Alors il pouvait bien prendre le relais, et laisser souffler tout le monde. Le reste du groupe respirait un peu et échappait au climat d'inquiétude constant, et du coup, César ne les avait pas constamment sur le dos. C'était tout bénef.

Mais là, le temps commençait à se faire un peu long. Émile avait répondu à tous ses e-mails en retard, révisé un peu pour son oral qui venait la semaine suivante, et même fait du rangement dans ses cours. Il n'avait pas envie de jouer ou de regarder la télé, il avait tenté de lire, ça n'avait pas fonctionné. L'appartement était aussi calme que deux heures auparavant : il se faisait royalement chier. Le seul divertissement était les messages qu'il échangeait avec Sélène. Sauf qu'au bout d'un moment, elle arrêta de répondre aussi rapidement, devant profiter du moment.

Émile soupira longuement, et se dit qu'il allait voir si César dormait – puisque malgré le fait qu'il ne quittait presque pas sa chambre, il faisait des horribles insomnies, se levant parfois en plein milieu de la nuit pour regarder des clips musicaux. Il poussa délicatement la porte de la chambre de son coloc, pour faire le moins de bruit possible. Chose parfaitement inutile, car juste après, il chuchota :

─ Tu dors ?

─ Non, répondit César d'une voix enrouée.

Émile acquiesça. Maintenant, il se trouvait comme un abruti.

─ OK, murmura-t-il. Bon, bah, je te laisse.

Il n'eut pas le temps de tourner les talons, car contre attente, la petite voix de César s'éleva :

─ Je veux bien un peu de compagnie.

Émile resta quelques secondes sur le pas de la porte, interdit par la demande. Il ne savait pas trop ce qu'il devait faire, puisque jusque là, son ami avait refusé que quiconque vienne auprès de lui. Il se risque à avancer un pied dans la chambre, puis un autre, et finalement, il s'avança près du lit de César, et s'y allongea à ses côtés.

La sensation était étrange, il faisait noir, silencieux, Émile ne distinguait que les ombres et les formes des meubles autour de lui, à peine éclairés par le rai de lumière qui émanait par la porte du séjour. César était couché sur son flanc droit, il lui faisait dos. Émile ne savait pas s'il devait parler ou non, et de quoi ? Peut-être César voulait-il simplement qu'il reste là, allongé près de lui. Émile déglutit, il était un peu mal à l'aise. Finalement, son colocataire parla en premier.

─ Faut que je retourne en cours, affirma-t-il d'une voix lasse.

─ Tu peux encore prendre ton temps. Demande un certificat à ta mère. Tu n'as qu'à dire que tu avais la rougeole.

─ Je vais pas dire que j'avais la rougeole, ça va lancer une alerte dans l'école. Et puis, j'ai été vacciné.

─ Justement, quand ils se rendront compte qu'il y a pas réellement de cas de rougeole, ils seront bien contents, dit Émile.

César soupira, et se retourna pour lui faire face. Il avait l'air plus vif que ces derniers jours : était-ce un signe que les choses allaient mieux ? Émile ne pouvait pas en être aussi sûr, on ne pouvait pas vraiment vérifier l'état de quelqu'un juste en mesurant sa forme.

─ Et puis, rétorqua César, un brin d'énervement dans la voix, pourquoi je devrais dire que j'ai la rougeole, ou un autre truc ? Hein ? Pourquoi je peux pas simplement dire que, mentalement, c'était trop compliqué, et que j'avais besoin de temps pour m'apaiser ?

La gorge d'Émile se noua, il n'avait pas de réponse. César continua.

─ C'est n'importe quoi, cette société. Pour ne pas travailler, ils préfèrent qu'on ait un cancer plutôt qu'on fasse une dépression, parce que c'est plus légitime, et sinon, on passe pour des fainéants.

Le jeune homme aura aimé compatir avec ce qu'il lui racontait là, mais il ne pouvait pas – et il avait bien conscience qu'il ne pouvait pas. Lui n'avait jamais connu de périodes de sa vie où il s'était senti au plus bas, et fort heureusement. Ça avait encore le temps d'arriver bien sûr, mais pour le moment, il avait toujours pris les moments tels qu'ils venaient. Il s'était avéré que tous ces moments étaient de bons moments. Alors il avait beau essayé d'être empathique, de comprendre ce que César pouvait ressentir, il n'y arrivait pas. Même si c'était un de ses meilleurs amis et qu'il le connaissait par cœur, même si sa mère avait toujours mis un point d'honneur à ce qu'il voit et identifie les émotions des autres autour de lui. Là, il n'y arrivait pas.

Émile abandonna d'ailleurs l'idée. Il y avait peut-être des instants dans une vie où nos proches ne pouvaient pas comprendre. Ça ne voulait pas signifier pour autant qu'on avait pas besoin d'eux.

Face au silence qui régnait dans la chambre, Émile chercha à meubler la conversation. Il posa une question qui lui trottait dans la tête depuis la dernière phrase de César.

─ Tu penses que t'as... que tu fais une dépression ?

─ J'en sais rien, Émile, j'ai pas été diagnostiqué, j'ai pas vu de médecin.

─ T'as absolument besoin d'avoir un diagnostic ?

─ Ouais, c'est mieux.

Émile acquiesça, il n'était pas sûr que César allait le voir.

─ Et tu comptes voir un médecin ? questionna Émile.

─ Il va bien falloir, répliqua César. J'ai une semaine d'absence à justifier. Mais pas ma mère. J'ai pas envie que ma mère pose le diagnostic, s'il y en a un.

Ça, il pouvait le comprendre. C'était déjà une petite avancée.

─ Moi, je vais jamais chez le médecin, réfléchit Émile à voix haute. Quand j'ai un coup de mou, j'appelle ma mère et elle me donne une liste de tisanes et d'huiles essentielles à acheter.

─ C'est les gens comme toi qui tuent la profession, Émile, dit César, et sa voix laissait deviner un trait d'humour dans sa phrase.

─ Oh, mais t'inquiète pas, je vais quand même chez l'ostéo, de temps en temps. T'as encore de beaux jours devant toi !

César n'ajouta rien, mais Émile crut entendre un rire très léger et très discret. Un sourire monta aux lèvres du jeune homme : s'il avait réussi à enjouer un peu son colocataire, c'était qu'il n'avait pas perdu sa soirée. Il avait d'ailleurs totalement oublié que les autres étaient partis et s'amusaient sans lui, il en avait même oublié Sélène, qui avait dû répondre à son dernier message, depuis le temps.

Sélène ! Est-ce qu'il devait le dire à César ? Maintenant n'était peut-être pas le moment idéal, mais il venait aussi d'apprendre que Sam avait été mis au courant. Si César apprenait la nouvelle de leur relation bien après tout le monde, il pourrait très mal le prendre. Émile était partagé : il voyait bien que son ami n'était pas bien, et il ne voulait pas lui faire plus de peine, mais... après tout, peut-être n'allait-il même pas le prendre mal. Il avait été très clair avec Sélène – de ce qu'elle lui avait raconté – il ne voulait pas s'engager avec elle. Mais il l'aimait. Ça aussi, il lui avait dit, et Sélène l'avait dit à Émile. Maintenant, ils étaient coincés, comme dans ces mauvais romans avec des triangles amoureux. Sauf qu'il n'y avait pas vraiment de triangle : il y avait un couple, et un laissé de côté.

Émile prit une longue inspiration, puis poussa un soupir aussi fort. Avait-il encore vraiment le choix ?

─ Quoi ? interrogea César.

─ Quoi quoi ?

─ Pourquoi tu soupires comme ça ?

Désormais, il était vraiment coincé. Enfin, peut-être pas, mais Émile préférait penser qu'il l'était pour avoir l'occasion de sortir le secret de son esprit.

─ Faut que je t'avoue un truc.

─ Toi aussi ? s'étonna César. Sélène voulait me dire quelque chose l'autre jour.

─ Je... commença Émile. Je crois bien que c'est la même chose.

César ne dit rien, et avec le peu de lumière qui filtrait, Émile devina qu'il fronçait les sourcils. Il se lança, le cœur battant et les mains moites. Pourquoi avait-il si peur de sa réaction ? Pourquoi avait-il le sentiment qu'il le trahissait un peu ? Alors qu'il ne s'était jamais rien passé ! Jamais rien ! Ça n'y faisait rien, Émile restait implacablement coupable.

─ Sélène et moi, on est ensemble.

Silence. César ne répondit pas, peut-être le temps de prendre bien conscience de toutes les implications d'une telle révélation. Émile se dit que si ça se trouve, il n'allait même pas être surpris, comme Samuel, qui apparemment, les avait grillés depuis plus d'une semaine. Ou peut-être même pas énervé, ou...

─ Tu déconnes ? réagit enfin César.

Son ton n'avait pas été aussi sec que ça, il manifestait plutôt un choc immense. Émile s'était trompé sur toute la ligne, César ne s'était jamais douté de rien.

─ Euh... bafouilla Émile, non. En gros, ça s'est passé pendant les vacances, et... on a mis du temps avant d'accepter l'idée qu'il y avait un truc nouveau entre nous, tu vois, plus seulement de l'amitié. C'est pour ça qu'on se parlait plus trop, un moment. Mais, finalement... bah... tu vois.

Il n'avait vraiment pas envie de revenir sur tous les détails, car il sentait que plus il en révélait, plus la situation s'empirerait. César est resté à nouveau silencieux, et rabattit la couverture sur ses épaules. Émile avait peur de l'avoir vraiment blessé, alors il chercha au maximum à se justifier et à le rassurer.

─ Non, mais tu sais, ça...

César le coupa rapidement.

─ C'est trop bizarre...

Il ne semblait ni vexé, ni profondément en colère – peut-être n'avait-il pas non plus l'énergie pour l'être – mais plus abasourdi qu'autre chose. Exactement comme Émile, quand il avait commencé à envisager la possibilité que Sélène et lui ne seraient plus de simples amis d'enfance. Le changement était si radical qu'on ne pouvait être que sous le choc.

─ Je sais, lui confia Émile dans un murmure.

─ Je... tu me fais une blague ?

─ Je te fais pas un blague, je te jure.

─ C'est trop chelou... répéta César. Mais... vous êtes bien ensemble ? Je veux dire... Non, c'est une question débile, sinon vous auriez même imaginé vous mettre tous les deux. Mais...

─ Ça te dérange ? se risqua Émile en l'entendant aussi torturé.

Il s'attendait à ce qu'il lui réponde « non », pour ne pas le froisser, mais César fut très honnête.

─ Bah, ouais... Un peu quand même. J'aime bien Sélène, commença-t-il, avant de marquer une pause, puis de se reprendre. J'aime Sélène. Et ça m'aurait fait déjà super bizarre si elle avait trouver un autre gars, mais si en plus ce gars c'est toi, bah... Je sais pas. Honnêtement, il va me falloir un temps pour m'y faire.

Une boule se forma dans la gorge d'Émile. Il ne voulait pas que César soit constamment mal à l'aise en leur présence. Mais avant tout, il ne voulait pas que cette nouvelle situation change quoi que ce soit à leur relation. Il préféra d'ailleurs de s'assurer de ce point.

─ On reste toujours potes quand même ?

─ Mais oui, affirma fermement César. Par contre, je risque d'être super strict avec toi, genre si tu fais un truc de mal avec elle, je te tomberai dessus.

─ Je pense pas que ça arrivera, répliqua Émile avec un petit sourire.

─ Ouais, je sais. C'est ce qui rend le truc encore pire.

La discussion trouva naturellement sa fin ici, et même si Émile était soulagé de savoir que plus personne ne vivait dans le secret, il était tout de même triste de la tournure qu'avaient pris les événements. Il aurait bien sûr préféré que César soit moins dérangé, qu'il l'accepte plus facilement, mais c'était impossible de lui demander une telle chose quand il s'était attaché émotionnellement à une fille pendant six ans. Sélène avait peut-être réussi à tourner la page, mais lui, il avait visiblement besoin d'encore un peu de temps.

Émile se promit d'être patient, et de ne pas lui rendre la vie trop difficile en étant trop démonstratif quand ils étaient tous ensemble. Ils s'étaient toujours promis qu'aucun ou aucune petite amie ne se mettrait en travers de leur amitié. Pour le moment, ils n'avaient jamais vraiment envisagé comment se passeraient les choses si ça arrivait à l'intérieur même du groupe. Ils étaient en freestyle total.

Les deux garçons restèrent calmes dans le lit de César. Émile ne savait pas quelle heure il était, ou ce que les autres faisaient à cet instant. Ils dansaient et s'amusaient sûrement. Cette idée lui mit un peu de baume au cœur. Malgré tous les problèmes des derniers temps, ils avaient des moments de répit. Émile allait s'endormir, alors qu'à côté, la respiration de César se faisait de plus en plus lente. Mais d'un coup, une information jaillit dans son cerveau, et le sortit de sa somnolence.

─ Eh, dit-il à voix haute. Je crois pas que je suis vacciné contre la rougeole, moi ! 

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