9 : La famille

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SAMUEL 


« Dans le coin pour la journée. Et si on allait déjeuner ensemble ? »

Samuel fixa l'écran de son téléphone, dubitatif. Il n'avait vraiment pas envie de s'infliger un tel supplice. Prêt à écrire un message de refus, il se mordit la joue : s'il n'acceptait pas, on allait le lui reprocher. En même temps, s'il disait oui, il signait pour encore plus de reproches, distribuées gratuitement. Avait-il la force d'endurer ça ? Samuel tapa alors un premier message où il déclinait cordialement l'invitation, mais au moment de l'envoyer, il se déroba, et effaça tout. Dans un long soupir, il réécrivit tout.

« OK. Dispo pour 12h30, tu choisis le restau. »

Samuel envoya, et se détesta de ne pas avoir pu résister. Il essaya de se persuader que c'était pour son bien, un investissement pour le futur. Il ne pouvait décemment pas l'ignorer toute sa vie. Samuel posa son téléphone, et regarda à travers la fenêtre. Il pleuvait. Le temps était de plus en plus pourri, il détestait ça, comme si cette journée n'était pas déjà assez insupportable. Se décidant à sortir de sa chambre pour aller prendre un petit déjeuner, il croisa Émile dans le couloir, qui était étonnement matinal pour un samedi matin.

─ Avant que tu demandes, le devança Émile, c'est parce que je me suis pas couché.

Samuel secoua la tête, désabusé.

─ Je comprends pas comment tu fais pour supporter ton hygiène de vie.

Lui se couchait presque toujours à la même heure, faisait a minima deux heures de sport par jour, et essayait de limiter au maximum l'alcool, la malbouffe et autres trucs qu'il était persuadé être remplis de merdes. Il ne savait même pas comment il s'était retrouvé avec ces deux-là comme colocs : Émile se nourrissait uniquement de chips et de céréales, et passait ses nuits sur l'ordinateur, et César avait une addiction non-avouée au café et à la cigarette. Enfin... si on pouvait encore considérer César comme un coloc. Mais c'était une autre histoire.

─ Ah tu sais, lui répondit Émile. Moi, je m'en fous d'avoir des abdos.

─ C'est pas uniquement pour les abdos, c'est...

─ La, la, claironna Émile en se bouchant les oreilles, je t'entends pas ! C'est moi qui paie pour tes bananes, de toute manière, tu devrais même pas la ramener.

Samuel sourit en secouant la tête, et continua sa route pendant qu'Émile se dirigea dans la salle de bain. C'était étrange de n'être plus que deux dans un si grand appartement. César ne lui parlait plus du tout, et Samuel commençait à douter de sa propre réaction. Devait-il faire le premier pas ? Qu'est-ce que cela lui coûterait ? Il ne se sentait pas prêt à abandonner six ans d'amitié pour une broutille. D'un autre côté, César s'était vraiment comporté comme un beau connard avec lui. Il l'avait insulté quand Sam avait gardé son calme, ce n'était pas à lui de s'excuser d'abord. Oui, il pourrait reconnaître ses erreurs et demander pardon, mais pas en premier. Même s'il était peut-être en tort dès le début... Ce n'était pas une question de fierté, juste de bon sens. César avait plus merdé que lui, César devait revenir d'abord.

Samuel prépara son petit-déjeuner en musique, et une dizaine de minutes plus tard, Émile sortit de la salle de bain, fraîchement rasé et changé, les cheveux encore mouillés, qu'il essorait avec une serviette.

─ J'ai la pêche, moi ! C'est dingue. Eh, tacos ce midi ?

Samuel fronça le nez.

─ Mon père est là, il veut manger avec moi.

Aussitôt, le visage d'Émile se mua en une mine inquiète, et Samuel le rassura immédiatement.

─ Ça va aller. T'inquiète.

─ OK, dit Émile. Je voulais te demander un truc aussi, mais... attends, c'est quoi déjà ? Ah, si. Est-ce que tu nous as drogué samedi dernier ?

Samuel arrêta ce qu'il était en train de faire, décontenancé par la gravité du propos caché derrière une intonation aussi légère. Il se tourna doucement vers Émile, qui, appuyé sur le plan de travail en face de lui, le regardait avec un sourire insolent et contrit. Samuel sentit son cœur lui tomber dans l'estomac en voyant son ami aussi sérieux.

─ Hein ? s'étrangla-t-il.

─ Ouais, tu sais... Comme plus personne se souvient de rien, mais que toi tu te souviens de tout, on s'est dit quand même que c'était bizarre.

─ On ? demanda Samuel qui comprenait de moins en moins.

─ OK, pour la faire courte, hier soir, on a découvert que les médicaments de César pouvaient être utilisé comme drogue du viol, du coup... tu vois. On s'est demandé si t'avais pas... j'en sais rien... mis des cachets dans nos verres, samedi soir.

─ Quels médocs ? Putain, Émile, je comprends rien.

─ Mais si, tu sais, les médocs qu'il prend quand il est en période d'exams, parce qu'il a de l'anxiété. Tu dois bien savoir quand même, c'est, genre, ton meilleur pote.

Samuel fronça les sourcils, paralysé sur place, incapable de bouger. Il finit par laisser échapper un rire perplexe, avant de secouer vivement la tête, le cœur battant.

─ Non ! Pourquoi tu penses ça ? l'interrogea Samuel d'une voix blanche.

─ J'en sais rien. C'était juste une question qu'on s'est posé, parce que ça nous paraissait super bizarre. Mais, OK, si tu le dis, je te crois. Non, mais en vrai, je suis d'accord, c'est grave débile de t'imaginer nous faire ça.

─ Bah ouais ! rétorqua Samuel.

Émile acquiesça longuement, et se releva de son appui dans un souffle.

─ Et puis, ce serait prendre grave des risques, non ? Parce que, tu sais bien que je suis pas aussi con que je le laisse penser. Si j'avais été drogué, j'aurais bien fini par le découvrir.

─ Ouais, ouais, je sais.

Son ami ne répondit pas sur le coup, et Samuel reporta alors son attention sur son petit-déjeuner, tournant le dos, et cherchant à éviter les yeux d'Émile. Il n'entendait rien d'autre que le son de la télévision qui devenait de plus en plus pesant. Une petite trentaine de secondes de silence plus tard, il voulut jeter un coup d'œil pour voir s'il était parti. Loupé, Émile était toujours là, sur son téléphone, et dès que Samuel croisa ses yeux, Émile lui lança un regard assassin.

─ Franchement, Sam, je sais pas ce que t'as branlé samedi soir. Et je sais pas pourquoi t'essaies absolument de tout mettre sur César, mais c'est pas cool.

Après cette phrase, Émile partit enfin pour retourner dans sa chambre. Alors qu'il traversait le salon, il pointa son ami du doigt, et répéta.

─ Vraiment pas cool.


**


Samuel s'assura d'être pile à l'heure au lieu de rendez-vous, un restaurant bistronomique du centre-ville. C'était dur, surtout qu'il avait passé la pire matinée de son existence, et que ses pensées étaient sans cesse bombardées de pensées et émotions contradictoires. Petit à petit, il avait le sentiment de crouler sous le poids de sa propre personne. Il se traîna jusqu'à midi, s'efforçant de travailler, mais étant incroyablement contre-productif. Il était incapable de se concentrer, restait bloqué vingt minutes sur la même chose, et était sans cesse parasité par la petite voix dans sa tête. En fait, le déjeuner avec son père se présentait presque comme une aubaine, et un moyen d'échapper à l'ambiance lourde de l'appartement.

Il s'était bien rasé, parfumé et avait mis le seul costume de toute sa garde-robe. Son père était déjà présent dans le restaurant. C'était toujours comme ça. Avec lui, vous ne pouviez pas être en avance, il l'était forcément plus que vous. Samuel arriva à la table, et son père se leva pour l'enlacer.

─ Ah, comment tu vas garçon ?

─ Bien, mentit-il. Et toi ?

─ Bien, bien ! Dis donc, tu présentes bien aujourd'hui.

─ Je présente toujours bien, affirma Samuel non sans une pointe d'insolence. C'est mon métier, hein. Les gens me paient parce qu'ils veulent me ressembler.

Il avait consciemment insisté sur le mot « métier », pour bien faire comprendre à son père qu'il ne passait pas ses journées à ne rien faire, que c'était une réelle activité, ce que lui n'avait toujours pas l'air de comprendre. Son père eut un tic du visage appuyé, mais ne fit aucun commentaire. Ils s'installèrent et ouvrirent le menu qui affichait des plats hors de prix. Son père le rassura immédiatement.

─ Je t'invite, bien sûr.

─ Bien sûr, chuchota Sam avec ironie.

C'était institué, son père était le roi du passif-agressif. Il lui avait coupé les vivres pour lui montrer que son ambition de carrière était vouée à l'échec, et il savait très bien qu'il ne s'en sortait pas aussi bien financièrement qu'il l'aurait voulu. Samuel en était persuadé, il avait choisi un restaurant cher et donc hors de ses moyens, simplement pour l'inviter et l'humilier. Ça tournait dans la famille, cette méthode. Son grand frère était un peu du même style. Tout ceci expliquait pourquoi, même si Samuel galérait, il ne voulait plus rien à voir avec eux. Il détestait la mentalité qui régnait dans le foyer.

Ils commandèrent, et dès que le serveur disparut, son père laça la conversation.

─ Alors, comment va la vie ? César et Émile vont bien ?

Évidemment, ses amis étaient plus intéressants que lui. Surtout César, son père adorait César. Il allait devenir ostéopathe, imaginez un peu. C'était presque comme médecin. C'était bien mieux que coach sportif.

─ Ça va, assura Samuel. La routine. César est parti de la coloc depuis quelques jours, mais il va revenir.

─ Ah oui ? Pourquoi ?

─ Une petite dispute, expliqua-t-il, puis marqua une pause. Des bêtises.

Son père acquiesça, puis ramena le sujet de la discussion à lui-même, car en réalité, il n'en avait que faire de son fils. Il lui parla de sa nouvelle affaire, et de son client, ce qui l'amenait en ville. Une grosse histoire d'inceste, un truc horrible que seul un avocat costaud pouvait défendre. Dis comme ça, ça paraissait super. Mais... celui dont il était l'avocat, c'était précisément l'accusé. Samuel avait cette théorie comme quoi, si son père était capable de prendre en charge les pires dossiers, c'était qu'il était un être complètement apathique lui-même. Sam avait grandi en devant expliquer que son père était la personne qui devait se débrouiller pour empêcher des connards d'être trop punis. Alors, oui, il en fallait, et le monde avait besoin de justice et d'une certaine tolérance, mais... Samuel avait du mal. Il ne concevait pas qu'on puisse vouloir en faire son métier. Visiblement, son père et lui avaient des visions totalement différentes de la manière dont on pouvait être utile à la société.

Ils mangèrent de manière très cordiale, puis son père lui proposa qu'il l'emmène visiter le centre de la ville. Chose très rapide, puisque ce n'était pas bien grand. Ils passèrent devant le tribunal où siégerait dans quelques mois, peut-être quelques années, le procès qu'il était en train de préparer. Son père avait une vision très morbide du tourisme, qui consistait à visiter tous les palais de justice et assister aux audiences en cours. Cette fois-ci, Samuel échappa à la torture de rentrer dans le bâtiment, et ils se promenèrent dans un parc presque vide et boueux à cause de la pluie. Alors qu'ils marchaient, ils tombèrent alors sur une silhouette familière, et la jeune femme s'arrêta pour le saluer.

─ Tiens, Sam ! Ça va ? Bonjour, adressa-t-elle cette fois-ci au père de Samuel.

─ Euh, ouais, ouais, super, et toi ? répondit-il, décontenancé qu'elle vienne le voir alors qu'elle aurait pu facilement passer son chemin.

─ Super aussi.

─ Cool, euh... Dis-moi, est-ce que... ça te dit qu'on se voit un soir dans la semaine ? Faudrait que je te demande quelques trucs.

La fille fronça les sourcils dans un sourire, mais finit par hocher la tête.

─ Oui, d'accord.

─ Super, bah, on se tient au courant ? proposa Samuel.

Elle acquiesça, et leurs chemins se séparèrent. Samuel souffla quand elle disparut, gêné de la croiser alors qu'il était avec son père. Ce dernier ne manqua pas de le mettre un peu plus mal à l'aise, lorsqu'il lui demanda :

─ C'était qui ?

─ Oh, dit Samuel, personne. Une amie.

─ Une amie ? insista son père.

─ Une amie d'une amie. Amina, tu te souviens d'Amina ? Bah, c'est une amie à elle.

Il ne lui posa pas davantage de questions, et bientôt, leur balade improvisée s'acheva, libérant Samuel du fardeau familial pour quelques mois. Ils se dirent au revoir de manière toujours aussi poli, et Samuel décida de rentrer un peu à l'appartement pour souffler avant d'aller à la salle de sport où un client avait prévu une séance. Pour tout dire, il aurait préféré de loin passer la journée terré dans son lit à regarder une série plutôt que continuer à subir la journée éprouvante qu'il était en train de vivre.

Il monta l'escalier la boule au ventre. Il ne se sentait même plus bien à l'idée de rentrer chez lui, il ne savait pas ce qui l'y attendait. Il avait l'impression que derrière ces murs qui en temps normal, renfermaient un refuge, un cocon, ne se trouvait plus que de la haine et de la colère. Tout le monde avait foutu le camp, sauf Émile, qui l'avait tout de même pris en grippe. Amina avait qu'elle passerait peut-être, mais si désormais, elle croyait qu'il l'avait droguée, elle ne voudrait même plus lui adresser la parole. Elle était beaucoup trop droite dans son éthique pour ça.

Samuel repensa à cette histoire, et peu à peu, elle commença à faire de plus en plus de sens. Il comprenait pourquoi tout l'accusait, et pourquoi les autres étaient si perturbés à l'idée que lui se souviennent, et eux non. Il poussa la porte de l'appartement, et trouva Émile en train de jouer sur l'écran de la télévision. Il n'était peut-être pas sorti de la journée pour le moment, mais au moins, il avait changé de place. Samuel retira aussitôt ses chaussures de clown et sa veste qui lui donnait un air faussement sérieux et se laissa tomber dans le canapé à côté de son pote.

Pendant plusieurs minutes, ils restèrent en silence, Samuel regardant l'écran de son ami, et Émile se débattant comme il le pouvait pour vaincre un ennemi particulièrement coriace. Quand son personnage mourut, Émile râla, et alors que l'écran de chargement s'affichait, Samuel pensa que c'était le bon moment pour préciser :

─ J'ai drogué personne.

Émile haussa les sourcils, comme s'il n'y croyait pas. Alors Samuel rajouta.

─ Mais je crois que je sais qui l'a fait.

Cette fois-ci, Émile posa sa manette à côté de lui, et le regarda droit dans les yeux.

─ OK, maintenant tu vas tout me dire.  

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