8 : La peur

Màu nền
Font chữ
Font size
Chiều cao dòng


AMINA


Amina commença à perdre espoir quand elle vit Sélène entrer dans le bar. Normalement, elle était toujours en retard, si bien que, quand on la prévenait, il fallait avancer l'heure du rendez-vous d'une bonne demie-heure pour s'assurer qu'elle vienne à temps. Cette fois-là, malgré toutes les précautions qu'avait prises Amina, elle trouvait le moyen d'être là vingt minutes en retard. Ce n'était pas le plus inquiétant, pour autant. Ce qui préoccupait le plus Amina, c'était qu'Élise non plus, n'était toujours pas arrivée.

Elles n'avaient peut-être pas arrêté de se parler depuis qu'Élise lui avait donné une seconde chance, mais elles ne s'étaient toujours pas vues. Ce soir-là allait sceller le sort de leur relation : si Élise ne se présentait pas, alors cela signifiait qu'elle ne voulait plus d'Amina. La jeune femme regarda son téléphone pour la énième fois, et souffla quand elle ne trouva pas la notification tant espérée. Elle n'avait toujours pas répondu à son message.

Sélène vint à sa table, et regarda autour d'elle, un peu intriguée.

─ Tu es toute seule ?

─ Bonjour, aussi, lui lança Amina.

Cela faisait quatre jours qu'elle ne l'avait pas vu, que Sélène était terrée chez elle et ne sortait que pour aller en cours. Amina ne lui en voulait pas, elle savait que parfois, sa meilleure amie avait besoin de mettre les autres à distance pour se ressourcer, mais tout de même, quatre jours en ne donnant que des nouvelles très clairsemées ! Sélène soupira, un petit sourire en coin, et recommença son entrée.

─ Bonjour, Amina, tu as passé une bonne journée ? Que fais-tu toute seule ici ?

─ Ah, mais excellente ! répliqua Amina en rentrant dans son jeu. Émile est là depuis longtemps, il est parti commander, vu qu'on désespérait de te voir arriver.

Sélène haussa les épaules, l'air de dire que ce n'était pas de sa faute. Un silence s'installa entre les deux amies, et Amina finit par cracher ce qu'elle mourrait d'envie de demander depuis le début.

─ César va bien ?

Il n'était toujours pas rentré à la colocation, et Émile avait dû lui amener quelques affaires. Amina ne savait pas bien s'il dormait toujours chez Sélène, qui n'avait qu'un petit studio, ou s'il avait trouvé un autre ami chez qui squatter le canapé. Aucun d'entre eux ne disait vraiment ce qu'il se passait, et dès que l'on posait des questions à Émile, qui était le seul à faire les navettes entre les deux appartements, il balayait la conversation à coups de « Ça ne regarde personne ». Sauf que, si... Amina considérait qu'à partir du moment où ils étaient tous amis, les problèmes des uns importaient aux autres. Elle ne s'était jamais sentie aussi impuissante, elle voyait le groupe éclater, et ne pouvait rien y faire ; même si elle était proche du noyau des tensions, elle restait extérieure à toute l'histoire.

Ça lui semblait étrange, tout de même, que César et Samuel se déchirent pour une petite histoire de rien du tout. Il devait y avoir quelque chose de plus, quelque chose de sous-jacent. Ça ne pouvait pas se réduire à des mots de travers et des gestes maladroits. Pendant un moment, elle s'était dit que... et si c'était eux ? Si c'était eux, et qu'ils en avaient honte ? Toute cette histoire de fille – qui lui semblait super tirée par les cheveux, par ailleurs – n'était qu'une invention, pour cacher le fait que César et Samuel avait couché ensemble. César voulait assumer, mais pas Samuel, et voilà pourquoi ils étaient si énervés l'un contre l'autre. Il y avait néanmoins un énorme obstacle : aucune chance que Sam soit intéressé par un garçon. Oui, elle connaissait la chanson, on pouvait toujours faire des découvertes, mais il n'y avait pas moyen... Quoique...

Sélène vint casser le monologue intérieur d'Amina, en répondant à la question que la jeune femme avait presque oublié avoir posé :

─ Ça va, il est chiant à vivre avec, mais... ça va.

─ Et toi ? l'interrogea Amina. Je veux dire... tu lui as pardonné le... la fille ?

─ C'était pas lui, Mina. C'est sûr que c'est pas lui. Je le crois.

Amina fronça les sourcils, perplexe.

─ Pourquoi tu le crois autant ? Qu'est-ce qu'il a dit ?

D'un coup, Sélène parut mal à l'aise. Elle ne rétorqua pas tout de suite, prit une longue inspiration, sembla chercher ses mots, avant de conclure d'un très simple et très sec :

─ Je le crois.

Émile revint du bar à cet instant, deux verres à la main. Amina n'avait toujours aucune nouvelle d'Élise, et après bientôt une demie-heure d'attente, elle n'avait plus trop d'espoir. Sa poitrine se resserra sur son cœur. Elle allait devoir accepter l'idée que c'était complètement terminé.

Le jeune homme posa une bière devant elle, tandis qu'il avait pris pour lui un verre rempli d'un liquide transparent avec quelques tranches de citron. Cette image interpella ses deux amies, et Sélène s'étonna :

─ Ça me paraît peu probable que ce soit de l'eau, mais en même temps, je trouve que c'est un peu tôt pour autant de vodka.

─ C'est de l'eau citronnée, expliqua Émile en insistant sur le dernier mot. J'ai décidé de faire une petite detox.

─ Tu sais que tu as déjà un truc pour détoxifier ton corps au quotidien. Ça s'appelle un foie.

─ Ah non, mais je détoxifie pas mon corps, je détoxifie mon porte-monnaie.

Amina rit.

─ Je croyais que t'avais tous les mois un virement magique sur ton compte en banque de ton papa qui culpabilise de pas te voir assez souvent, lui fit-elle remarquer.

─ Mmh, acquiesça Émile en prenant une gorgée de son verre. Ouais, et j'ai aussi des colocs qui sont magiquement à la dèche tous les cinq du mois et qui me doivent à ce jour un an de courses.

Les deux filles sourirent, et machinalement, Amina alluma son téléphone. Toujours rien. Elle ouvrit ses messages, pour voir si elle n'avait rien loupé, si Élise n'avait pas annulé à la dernière minute. Rien. Le dernier SMS venait d'elle, et prévenait de son arrivée au bar. Puis le silence total. Elle aurait pu l'appeler, mais Amina n'osait pas. Elle craignait d'avoir l'air impatiente et trop amoureuse, elle ne voulait pas se voir reprocher de l'étouffer. Elle prit une gorgée de son verre pour se calmer. Élise allait venir, il ne fallait pas qu'elle soit fataliste de la sorte.

─ Alors, elle ressemble à quoi cette fille ? demanda soudain Émile, qui la voyait sûrement regarder son téléphone obsessionnellement.

─ Super cool, admit Amina sans pouvoir cacher son sourire. Elle se prend vraiment pas la tête. Elle est méga intelligente et... bon, bah, elle est grave belle quoi.

Émile hocha la tête, l'air impressionnée.

─ Bah, j'espère qu'elle viendra, alors.

─ Moi aussi, souffla Amina.

Sélène revint avec un verre de vin blanc moelleux, car elle avait toujours été un peu stéréotypée comme fille, et s'installa à son tour autour de la table. Ils discutèrent pendant longtemps, et réussirent l'exploit de ne pas parler de l'affaire de la capote. Amina termina son verre, et paya une seconde tournée. Quand elle revint du comptoir, sans grande surprise, Élise n'était toujours pas arrivée. Il était presque 21 heures, alors qu'ils avaient rendez-vous à 19 heures 30. Elle ne se faisait plus trop d'illusion : Élise ne viendrait pas. Ce fut avec une grande lassitude qu'elle se rassit à la table. Émile et Sélène échangèrent un regard désolé, et cette dernière tenta de la réconforter.

─ Peut-être qu'elle a eu un problème.

─ Non, je pense qu'elle avait envie de rompre, mais qu'elle n'osait pas. Faut que je me rendre à l'évidence : je me suis faite ghoster.

─ C'était une connasse, de toute façon, affirma Émile.

─ Émile ! s'insurgea Sélène.

─ Quoi ? En tant qu'amis, c'est ce qu'on est censés dire.

─ Non, parce qu'entre femmes, on se soutient. Ce n'est pas une connasse, c'est juste que ce n'est pas la bonne personne pour Amina à ce moment précis de sa vie.

Amina esquissa un sourire, appréciant l'effort. Elle n'était pas au meilleur de son humeur, et pourtant, elle n'était pas dévastée. Une partie d'elle savait déjà depuis un petit moment que le scénario qui se déroulait était inéluctable depuis un certain temps. Ce qui passait ne venait que confirmer ce dont elle se doutait depuis plus d'une semaine. Elle n'avait plus qu'à garder les bons souvenirs de ce qu'elle avait vécu avec Élise : les fou-rires, les randonnées en forêt, et les moments d'amour.

─ Je crois... commença Amina. Je crois que je lui en veux pas.

La bière commençait un peu à monter – elle n'avait jamais réussi à garder ses idées claires après un verre, elle était misérablement nulle pour tenir l'alcool – et lui donnait cet état d'esprit un peu mélancolique qui ne lui était pas habituel. Face aux visages intrigués de ses amis, elle s'expliqua :

─ Enfin, je sais pas... J'ai l'impression d'être plus mature dans la manière dont j'envisage mes relations. J'ai le sentiment que quand on est au lycée, c'est soit tout noir, soit tout blanc. Soit on aime la personne de toute notre âme, soit on la déteste parce qu'elle nous fait du mal. Et maintenant, avec le recul, je me dis que ça peut pas être aussi binaire. Et je commence aussi à me dire que l'amour qui dure toute une vie, ça n'existe pas, c'est un fantasme. Le sentiment amoureux, c'est comme toutes les émotions, c'est temporaire. Plutôt que d'être triste que ce soit fini, il faudrait se satisfaire du fait que ça a existé. Enfin, vous voyez ? Il faut pas que je lui en veuille parce qu'elle ne m'aime plus, il faut que je me dise qu'elle m'a aimé, et que ça veut bien dire quelque chose sur moi.

Elle pensait avoir été particulièrement pertinente et philosophe, et s'attendait à ce que ses amis réagissent avec autant d'intérêt qu'elle sur la question, mais Amina ne récolta en retour qu'un long silence. Elle chercha leur yeux pour avoir une réponse.

─ Non, vous pensez pas ? demanda-t-elle en se tournant vers Émile.

─ Ah, mais, me demande pas ! dit le garçon. Moi, je suis informaticien et célibataire, donc les réflexions sur l'amour entre humains, ça me passe au-dessus.

Amina tenta alors du côté de Sélène, et son amie eut un sourire un peu contrit.

─ Je sais pas, ça... commença-t-elle sa phrase, visiblement sceptique. Enfin, je comprends d'où ça vient, mais... d'un point de vue personnel, je peux pas accepter l'idée que le grand amour n'existe pas. Ça me détruirait tout mon espoir de bonheur.

─ Ah ouais ? s'étonna Émile. T'envisages pas de pouvoir être heureuse sans être amoureuse ?

─ Pas toi ?

─ Bah, carrément pas ! T'imagines si tout ton bonheur personnel dépend entièrement d'une autre personne. Ça, c'est super déprimant. Je préfère largement être seul que me lever tous les matins en me demandant si machin m'aime toujours et que, si c'est pas le cas, si la vie vaut quand même la peine d'être vécue.

Le débat continua, mais l'attention d'Amina se détacha complètement des discours de ses amis, car à la table d'à côté, un couple de son âge discutaient, et si elle ne pouvait pas entendre ce qu'ils se disaient, leurs attitudes respectives l'interpellaient. La jeune femme semblait parfaitement désintéressée de l'homme, les bras croisés, et les sourcils constamment froncés, pendant que lui monopolisait la parole. D'un coup, elle se leva, comme pour s'échapper un instant, et se dirigea dans les toilettes. L'homme la suivit grossièrement des yeux, et après s'être assuré qu'elle était hors de son champ de vision, vérifia que personne ne l'observait – raté, Amina voyait tout. Il glissa la main dans sa poche, et discrètement, en sortit quelque chose qu'il laissa tomber dans le verre de la fille. Amina bondit sur son siège.

─ Il a mis un truc dans son verre, formula-t-elle à voix haute.

─ Quoi ? s'étonna Sélène.

─ Le gars derrière toi, il a mis un truc dans le verre de la fille avec qui il parlait.

Sélène et Émile se tournèrent comme un seul homme vers la table en question, et puisqu'ils étaient trois à le fixer, le garçon les remarqua tout de suite, et une étincelle de panique traversa son regard. Il soutint quelques secondes leurs yeux, et sur son visage, le trio vit passer toutes les étapes du deuil. Quand il céda, et baissa son regard au sol, il dut comprendre qu'il avait été grillé, car il ramassa ses affaires, et chercha à quitter le bar.

Amina ne savait pas quoi faire, mais Émile et Sélène décidèrent à sa place, et se levèrent à leur tour pour le rattraper. La jeune femme resta alors toute seule à sa table, et quand la fille revint des toilettes, elle découvrit à sa grande surprise qu'il n'y avait plus personne. Elle se tourna alors vers Amina, intriguée, et cette dernière lui expliqua :

─ Il voulait te droguer. Il a mis un truc dans ton verre, on l'a capté alors il a eu peur. Mes potes doivent essayer de le rattraper.

─ Il... bégaya la fille, confuse. Putain, c'est vraiment le pire date Tinder de tous les temps.

Dans un autre contexte, peut-être que cette remarque aurait fait rire Amina, mais sur le coup, elle la trouva affreusement triste. Voilà à quoi les femmes en étaient réduites aujourd'hui : se dire qu'être droguée par un parfait inconnu n'était rien d'autre qu'un mauvais premier rendez-vous. C'était affligeant de réaliser que les violences contre les femmes étaient tellement banalisées que la perspective de droguer quelqu'un n'était plus aussi choquant. Bordel, mais qu'est-ce qui n'allait pas dans cette société ?

La fille sembla tout de même prendre conscience de la gravité de ce qui aurait pu lui arriver, car d'un ton très solennel, elle dit à Amina :

─ Merci, sincèrement. Je... Merci.

─ De rien, c'est normal.

La fille récupéra ses affaires, et prit son verre pour aller prévenir le barman de ce qu'il venait de se passer. Sélène et Émile, eux, réapparurent juste après, et ils se rassirent. Amina les interrogea du regard.

─ On l'a choppé, expliqua Sélène, et on lui a demandé de tout nous donner pour qu'on le détruise, s'il voulait pas qu'on appelle les flics.

Amina n'était pas certaine qu'il s'agisse de la meilleure des idées, mais c'était déjà une victoire qu'un tel sociopathe ne soit pas en possession d'un potentiel danger pour les femmes qu'ils rencontraient. Elle vit sur le visage de Sélène qu'il y avait un autre problème.

─ Qu'est-ce qu'il y a ?

La jeune femme se mordit la lèvre.

─ C'était pas vraiment de la drogue. C'était...

Elle fit un signe à Émile, qui sortit la boîte qu'il avait dû récupérer. Il s'agissait d'un carré blanc, rempli de plaquettes de médicaments verts. Amina regarda le paquet, un peu effrayée à l'idée de se dire que si cela fonctionnait vraiment, si cela droguait les gens, alors c'était légal, et en vente. Elle leva les yeux sur Sélène.

─ Ce sont des médicaments contre l'anxiété, expliqua son amie. Et... j'en ai déjà vu. Sur la table de nuit de César.

Amina, la boîte entre les doigts, fronça les sourcils. Elle ne comprenait pas bien où Sélène voulait en venir. Ou peut-être que si, mais elle ne voulait pas comprendre. Amina laissa échapper un rire gêné, avant de questionner :

─ À quoi vous pensez au juste ?

Sélène et Émile se dévisagèrent.

─ C'est pas un peu bizarre que personne se souvienne de la soirée ? C'est quoi les probabilités pour que tous, on fasse un black-out, alors qu'on a pas tous bu la même chose, ou la même quantité ?

Amina baissa les yeux sur les médicaments, et déglutit, difficilement.

─ Tu penses qu'on a été drogués ?

Ils étaient sûrement paranos, car toute cette histoire prenait une tournure invraisemblable, mais... comment pouvaient-ils vraiment être certains qu'ils ne l'avaient pas été ? Le cœur d'Amina s'emballa. Les choses commençaient sérieusement à la faire flipper. 

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen2U.Pro