7 : La fuite

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ÉMILE


Le jeune homme finit par rentrer, après que Sélène lui ait fait la promesse qu'elle irait bien, qu'elle mangerait un bout, et qu'elle lui enverrait un message quand elle se coucherait – elle avait l'air terriblement fatiguée, et s'il ramenait un zombie à sa mère, Émile allait se faire tirer les oreilles (littéralement). Quand il passa la porte de l'appartement, Amina travaillait sur la grande table. Elle leva les yeux de son bouquin, une lueur inquiète dans le regard.

─ Alors ?

─ Ça va, la rassura Émile. Elle... ça va.

─ Elle a dit pourquoi elle s'était renfermée d'un coup ?

Émile acquiesça, sans répliquer pour autant. Amina le fixa, attendant son explication. Comme elle ne venait pas, elle insista :

─ Et ?

Le jeune homme baissa les yeux. Devait-il le dire ? Ce n'était pas vraiment son rôle, il aurait préféré que les personnes directement concernées parlent, et prennent un peu leur responsabilité. Il n'y avait rien de pire que d'apprendre des faits blessants de la part d'un tiers. Émile en savait quelque chose, c'était la voisine qui lui avait révélé que ses parents allaient se séparer quand il avait six ans, et sciemment, qui plus est, parce qu'ils lui avaient demandé de le faire. À quel moment pouvait-on s'imaginer qu'il était préférable d'impliquer les autres pour laver son linge sale ?

S'il n'avait pas envie d'être celui qui expliquerait tout à Amina, c'était aussi car il en avait un peu marre d'être celui sur qui tout retombait depuis le début. Là, bien sûr, ça n'avait plus rien à voir avec sa personne, mais tout pouvait arriver. On pourrait s'énerver contre lui, lui reprocher de ne pas avoir appelé, ou envoyé un message, de ne pas être rester avec Sélène, d'être toujours ami avec César, n'importe quoi ! C'était un peu puéril, comme réaction, mais Émile en avait ras-le-bol d'être celui sur qui on se défoulait, simplement car il était plus indifférent que les autres.

Il haussa alors les épaules, refusant de dire ce que Sélène lui avait révélé. Amina émit un rire nerveux, pensant peut-être qu'il blaguait, qu'il faisait exprès de garder le suspens, avant de réaliser qu'il était sérieux.

─ Attends, pour de vrai ? Tu vas rien me dire ? Émile, Sélène, c'est ma meilleure amie, j'ai le droit de savoir ce qu'elle a.

─ Ouais, eh bah, appelle-la. Ou demande à Sam, parce que c'est lui qui lui a tout expliqué en premier. Ou tiens, demande à César, il saura mieux que quiconque. Mais pas à moi. Émile, il en a ras-le-casquette d'être dans toutes vos histoires.

Dans un grognement, il enleva son manteau. Une bonne douche, voilà tout ce qu'il voulait à cet instant. Une douche, un bol de pâtes, et une partie de Fortnite. Il avait l'impression que depuis cinq jours, sa vie s'était suspendue. La routine avait cédé sa place à un chaos indéchiffrable, il n'avait jamais trouvé les relations humaines particulièrement compréhensibles, mais là, c'était d'un tout autre niveau. Même son cours de code lui paraissait plus clair.

─ C'est par rapport à samedi ? Il s'est passé quoi ? Tu sais qui c'est ? C'est César et Sélène ?

Émile secoua la tête, décidé à ne rien dire. Amina laissa étonnement couler, et n'insista pas plus longtemps, devinant peut-être qu'il n'était pas d'humeur. Cette affaire commençait à peser sur les épaules de tout le monde, c'était à croire qu'ils n'étaient même plus curieux : ils voulaient juste que tout s'arrête.

Le garçon allait pousser la porte de la salle de bain quand le battant de celle d'à côté vola, manquant de lui revenir dans la figure. César sortait brutalement de sa chambre son téléphone à la main, et il n'avait pas l'air content.

─ Je vais le tuer, je vais lui niquer sa race et manger ses morts.

Il passa en furie devant ses deux amis pour traverser l'appartement et rejoindre le couloir où se trouvaient les chambres de ses colocs. Émile échangea un regard effrayé avec Amina, et la jeune femme se leva de sa chaise, aussi peu sereine que lui. Ce n'était pas inhabituel de voir César en colère, il râlait toujours pour rien, et était plus susceptible qu'un enfant de quatre ans, mais il y avait cette fois-là dans son comportement quelque chose d'extrême qu'Émile n'avait jamais vu. Il paraissait enragé. En furie, pour de vrai. Émile ne réfléchit pas, et s'élança dans les pas de son pote en courant. César frappa du plat de la main contre la porte de la chambre de Samuel.

─ Espèce d'enculé, t'es vraiment un pu...

Émile resta planté au milieu du couloir, le cœur battant, et des gouttes de sueur perlant sur son front. Il voulut intervenir immédiatement, mais il ne pouvait pas agir tant qu'il ne comprenait pas, c'était peut-être juste une blague. Ah, si seulement c'était une blague ! Samuel ouvrit, et à la minute où il abaissa la poignée, ce fut comme s'il avait donné la permission à César de se jeter sur lui. Ce dernier ne se priva donc pas de le faire, et le poussa violemment en arrière. Samuel faisait deux fois sa masse musculaire, mais César était un teigneux, il n'avait pas peur.

─ T'as cru tu pouvais raconter des conneries sur moi ? T'as cru que j'allais accepter de me faire prendre pour un con ?

Émile ferma les yeux dans un micro-soupir. Il était obligé de s'en mêler, maintenant, il n'allait tout de même pas rester sans rien faire et prendre les paris. Il aurait pu, si ça n'avait pas été ses meilleurs amis. Samuel rétorqua, et poussa César à son tour – car c'était ainsi que les vrais bonhommes se battaient, ils se poussaient ! – et ne supportant pas l'idée de se faire bousculer en retour, César sauta presque à la gorge de Samuel. Là, Émile arrêta d'hésiter sur s'il devait s'impliquer ou non, et accourut pour séparer César de sa victime. Il le chopa par le tee-shirt et fit camisole avec ses bras.

─ T'as rien à dire en plus ? hurla César en se débattant. T'es qu'un gros hypocrite, Sam, et un mytho en plus de ça ! Y avait pas de fille à cette soirée, j'ai jamais ramené de meuf.

─ Putain, mais assume ! dit Samuel, qui malgré la violence de son ami, restait en place et se contentait de serrer les poings.

─ Que j'assume quoi ? De la merde ? T'inventes tout, tu te fais grave des films. Lâche-moi, toi !

─ Tu vas le frapper, marmonna Émile pour justifier son emprise, mais César n'eut pas l'air de l'entendre, et continua de se débattre comme un forcené.

─ Alors pourquoi y'avait cette fille dans l'appart' ? l'interpella Samuel.

─ Mais y'avait pas de meuf, y'a jamais eu de meuf ! Tu cherches juste à mettre la merde parce que t'es qu'un pauvre type qui a peur qu'on l'aime pas.

Émile, qui tenait toujours son ami fermement, lança un regard en direction d'Amina. La jeune femme suivait la conversation comme un match de tennis, cherchant visiblement à assembler les pièces du puzzle. Samuel toisa César, qui voulut encore une fois se détacher d'Émile, et comme le garçon fatiguait, il céda. Son ami ne se jeta pas de nouveau sur Samuel, il se contenta de lui adresser le regard le plus assassin jamais lancé.

─ Y a pas de meuf ? T'es sûr de ça ? Faut que je vous rappelle que je suis le seul à se souvenir de la soirée ou non ? Pourquoi je mentirais ? Pourquoi c'est moi qui mentirais alors que t'as toujours le plus gros mytho de la bande ? Mais tu sais quoi, tu me crois pas ? Pas grave, je vais te le prouver. Mina, t'as la vidéo ?

─ La v... la vidéo ? bredouilla Amina, perturbée d'être sollicitée.

─ Celle où on fait un gâteau.

Fronçant les sourcils, elle sortit son téléphone et chercha le fichier, avant de tendre son téléphone à Samuel. Il lança la vidéo, et montra l'écran à César, et Émile derrière lui. On n'y voyait pas grand-chose, car Amina n'arrêtait pas de faire tanguer la caméra. On distinguait Sélène et Samuel en train de fouetter une pâte, et quelques secondes plus tard, la grosse tête d'Émile qui, avec son nez, vint cacher tout l'objectif. Amina râlait, et arrêtait de filmer. C'était tout. Ça ne prouvait rien du tout, mis à part qu'Émile avait quelques points noirs.

─ Écoutez, dit Samuel.

Il relança le fichier, tout le monde tendit l'oreille, mais Émile n'entendit rien de particulier. Samuel la fit passer une troisième fois, cette fois-ci, en commentant.

─ Juste quand Émile passe. Dans le fond, on entend César dire « À la prochaine », et quelqu'un lui répond « Bye », et la porte claque.

Émile s'approcha pour mieux entendre, et effectivement, maintenant qu'on le lui avait remarqué, on percevait des voix en fond, et très distinctement le bruit de leur porte d'entrée qui claquait. On ne voyait rien, donc ce n'était pas une preuve parfaitement irréfutable, mais elle était troublante. Et puis, comme Émile l'avait déjà dit, il se souvenait vaguement d'une autre personne. Malgré tout ça, César secoua la tête.

─ T'es une putain de raclure, franchement. Tu veux me faire croire que ça, ça, c'est la preuve que je me suis tapé une fille samedi soir ? Ouah, je sais pas ce que tu veux, je sais pas pourquoi tu t'es donné la peine de visionner mille fois cette vidéo pour lui faire dire ce que tu voulais, mais j'espère pour toi que ça vaut vraiment le coup.

Il fit demi-tour pour sortir de la chambre, et Émile ne savait plus quoi penser, ou qui disait la vérité. La version de Samuel tenait, mais César avait l'air de croire au plus profond que son être que ce n'était pas lui. Dans un même temps, César était réputé pour leur mentir, ou tout du moins, leur cacher des informations, mais Samuel, ces derniers jours, était tout aussi bizarre. Son humeur variait sans cesse, il était complètement imprévisible, et constamment sur les nerfs. Alors qui croire ? A qui faire confiance ? Émile était perdu. Tout était bien plus simple quand ils pensaient qu'il s'était juste masturbé.

D'un regard accordé, Amina et Émile se séparèrent, et pendant qu'elle restait avec Sam, Émile suivit son autre ami. César s'était terré dans sa chambre, et quand il le rejoignit, Émile le découvrit en train de fourrer des vêtements dans son sac de cours.

─ Oh là, qu'est-ce que tu fais ?

─ Je... commença César avant de soupirer et de reprendre. Je vais aller voir Sélène, et peut-être voir si je peux rester chez elle. C'est trop toxique, ici, ça pue le déo Axe de beauf, et ça, je le supporte plus.

Émile, malgré lui, rit jaune, avant de rétorquer.

─ Non.

─ Quoi non ? s'étonna César alors qu'il tassait le maximum de vêtements dans un minimum de place. Bah, si, ça sent dès que tu vas dans la salle de bain.

─ Non, tu vas pas voir Sélène. Elle a pas envie de te voir.

César leva les yeux sur lui, fronça les sourcils dans un grimace, et secoua la tête pour bien signifier qu'il n'en avait rien à faire de son avis, Émile insista :

─ Je suis sérieux. Tu vas pas chez Sélène. Si tu y vas, franchement, on n'est plus potes.

─ T'as quel âge, Émile ? Quatre ans ? On est dans la cour de la maternelle, c'est ça ?

Le jeune homme accusa la pique, et César parut comprendre que sa méchanceté avait été purement gratuite, car il se relâcha, et d'un ton plus calme et clément, reprit :

─ C'est pas vrai, OK ? Ce que Samuel dit, c'est pas vrai. Il n'y avait personne d'autre que nous, samedi soir. Personne. Je vais pas la laisser croire ce qu'il lui a dit.

─ Bah, appelle-la, alors, proposa Émile. Genre, comme tout le monde. Tu l'appelles, tu lui dis « Sam a mytho », voilà. Pas besoin d'aller sonner chez elle et faire comme si t'étais dans une série.

─ Qu'est-ce que tu veux, toi ? Qu'est-ce que ça peut te faire si j'y vais ou non ?

Émile sentit la rage bouillonner au creux de son estomac. Il ne voulait pas exploser, il venait de voir que cela ne servait à rien, mis à part avoir l'air ridicule. Mais César lui tapait vraiment vraiment sur le système. Il se comportait comme un petit garçon qui faisait un caprice, et il n'avait pas l'air de comprendre qu'il jouait avec les sentiments de vraies personnes.

─ Si t'y vas, tu vas encore lui servir tes discours à deux balles, et vous allez passer la soirée à faire les gosses, et regarder des séries en vous faisant des mamours, tout ça. Et rien de plus. Et moi, j'en ai marre de ce « rien de plus ». Ça fait six ans ! Ça fait six ans que tu la laisses espérer.

─ N'importe quoi, réfuta César.

Émile n'en tenait plus et se mordit la lèvre inférieure pour contenir ses mots, mais ils finirent par déferler tout de même : il les avait retenus trop longtemps.

─ Putain, mais arrête. T'as pas l'air de te rendre compte d'à quel point tu la fais tourner en rond, alors qu'elle attend qu'une chose depuis qu'on est en seconde ! C'est quoi ton problème au juste, hein ? Pourquoi tu la repousses ? Pourquoi tu fais le mec inatteignable alors que derrière on sait tous que tu tapes plein de meufs ?

─ Qui a dit ça ? répondit César du tac-au-tac. Moi ? Tu m'as déjà entendu dire que j'avais couché avec quelqu'un ? T'es sûr ?

─ OK, non... Mais... On sait.

─ Bah non, Émile, tu sais pas. Tu sais rien.

César remonta la fermeture de son sac à dos et passa une bretelle sur son épaule, ayant visiblement décidé que la conversation était terminée. Il passa devant Émile, qui le suivit des yeux, les bras ballants, encore perplexe face à sa dernière réplique. César disparut de la chambre, puis de l'appartement, et Émile ne bougea pas.

─ Il vient de me Jon Snowiser, chuchota-t-il à lui-même après quelques secondes de silence.


Émile en avait tellement ras-le-bol de toutes ces histoires qu'il fit le choix de laisser tout le monde se démerder. Si Samuel et César voulaient ne plus jamais se parler, tant pis pour eux, si Sélène tombait dans le panneau une énième fois, pareil. Ce n'était pas son problème. Il avait d'autres soucis bien plus importants... En fait, pas vraiment, mais il voulait se persuader qu'il en avait pour ne pas avoir à s'occuper de ceux-là. Il prit enfin la douche dont il rêvait depuis un moment, dans une salle de bain qui empestait le déodorant Axe, se glissa dans un jogging confortable, et se prépara un bol de nouilles instantanées.

Amina et Samuel étaient toujours enfermés dans la chambre – trop bizarre, ces deux-là, si ça se trouvaient, ils étaient les coupables ! – mais Émile n'avait pas du tout envie d'aller leur parler. Il se cala derrière l'écran de son ordinateur, ajusta son casque, et lança une partie en même temps qu'il prévenait Greg de sa présence sur le jeu. Rapidement, il put évacuer toute sa colère sur des gamins d'onze ans qui s'en sortaient comme des pieds, et si ce n'était pas très éthique, ça faisait un bien fou. Ses nouilles refroidirent, il quitta deux fois la partie en voyant qu'il allait perdre : tout allait bien, à cet instant.

Une petite heure plus tard, on frappa à sa porte, il répondit machinalement d'entrer, les soucis de la soirée déjà bien loin dans sa tête. Amina passa sa tête, et quand il la vit, il lui demanda d'attendre qu'il termine. Elle s'installa sur son lit, et comme Émile perdait déjà, il se tua pour pouvoir lui parler.

─ César est parti ? Demanda-t-elle.

─ Ouais, chez Sélène. En mode chevalier servant. Prépare-toi à te taper les crises de larmes d'ici deux jours, quand elle se sera rendue compte qu'il n'a pas changé.

─ J'ai parlé avec Sam, affirma Amina.

Émile attendit qu'elle développe, il s'en doutait. Elle venait de passer deux heures avec lui dans sa chambre, il s'imaginait bien qu'elle lui avait parlé ! À moins qu'en vérité, elle n'était pas lesbienne, et qu'ils étaient ensemble depuis tout ce temps et le cachaient à tout le monde. Cette hypothèse, qui revenait de plus en plus, commençait à intriguer Émile. Elle expliquerait énormément.

─ Il dit qu'il y avait une fille. Moi, je le crois.

─ OK. Et alors ? Qu'est-ce qu'on s'en fout, au pire ? Tu crois que ça vaut le coup que tout le monde s'engueule ? Moi, j'arrête. J'arrête de poser des questions, j'arrête de me demander ce qu'il s'est passé, j'en ai plus rien à faire.

─ T'en as pas plus rien à faire, c'est pas possible, dit Amina.

─ J'te jure.

Et c'était vrai. Il avait eu le temps de réfléchir, pendant les quelques chargements. Leur amitié valait plus qu'une dispute collective autour d'une capote usagée. Ils avaient donné trop de pouvoir à ce vieux truc, et désormais, les tensions étaient en train de se dérouler bien plus qu'à l'espace d'une simple soirée. Les rancœurs et vieux griefs remontaient, des chichis qu'ils pensaient avoir outrepassés et des affaires qu'ils n'avaient jamais osées mettre sur la table. Pour un préservatif retrouvé dans un lit, ils se retrouvaient avec de véritables règlements de compte. Émile était un partisan de l'oubli : si on en parlait pas, alors ça finirait par tomber dans les tréfonds de la mémoire de soi-même. Ils n'avaient qu'à ne plus se prendre la tête, et tout irait bien, c'était ce qu'il avait toujours fait.

Il ne sut pas si Amina était d'accord avec lui, elle ne continua jamais cette discussion-là. En revanche, elle lui demanda :

─ Je peux te demander un truc ? Je venais pour ça, à la base.

Émile l'encouragea d'un regard.

─ Ça te dirait de rencontrer ma copine, vendredi ? Enfin, ex-copine mais bientôt à nouveau copine. J'espère. Ça serait rien de fou. On ira dans un bar, juste Sélène, toi, elle et moi. Pas les deux autres gars, je... ils me font peur, pour le moment.

─ Une soirée entre filles, quoi, rit Émile. Ouais, pas de soucis.

Amina sourit, un peu de douceur dans ce monde de brutes. 

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