6 : La révélation

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SÉLÈNE


Sélène se réveilla une seconde fois vers dix heures du matin. Le lit d'Émile avait beau être un garde-manger à lui tout seule, il restait très confortable, et elle était étonnement épuisée. Elle se leva, remit ses habits de la veille, et rejoignit le séjour, où Samuel, seul, travaillait sur son ordinateur, un casque sur les oreilles. Quand il la vit sortir, il enleva ses écouteurs.

─ Salut.

─ Salut, répondit Sélène. Je croyais que j'allais être toute seule.

─ Non, je suis au bureau aujourd'hui, plaisanta-t-il.

Elle se contenta de sourire. Sam était le seul qui ne faisait plus d'études. Il avait essayé de faire une année de STAPS après le bac, mais avait abandonné, décidant qu'il n'était pas fait pour l'école. Depuis, il s'était inscrit comme auto-entrepreneur en tant que coach sportif. Ça commençait à germer, mais il avait encore du mal à payer tout ses loyers à l'heure. Sélène fit réchauffer une tasse de café et s'installa en face de lui sur la grande table ronde qui meublait le coin de la pièce. Contrairement à la veille, un grand soleil irradiait l'appartement.

À la lumière du printemps qui débutait, la pièce avait un peu plus de charme que d'habitude, et Sélène s'y sentait bien. Seule l'absence de bruit total de bruit la dérangeait. On entendait bien la voisine du dessous qui regardait la télévision le volume au maximum – Petits secrets entre voisins, devina Sélène –, mais mis à part ça, rien. Elle baissa les yeux sur sa tasse, avant de lever le regard sur Samuel, concentré sur son écran d'ordinateur. Il vit bien qu'elle le fixait, puisqu'il finit par pencher la tête d'un air agacé.

─ Qu'est-ce que tu veux ?

Sélène détourna les yeux. Elle n'était pas sûre de devoir formuler ce qu'elle avait en tête, mais elle en avait déjà trop montré. Samuel soupira bruyamment, pour signifier un peu plus qu'il n'avait pas que ça à faire. Comme si son attitude générale ne montrait déjà pas assez à quel point elle l'emmerdait. Sélène se risqua à dire ce qu'elle pensait.

─ J'ai été parlé à César, hier soir.

─ OK, et ? demanda Samuel.

Sélène se mordit la lèvre inférieure. Son cœur battait plutôt vite, étrangement. Elle appréhendait un peu. Il fallait avouer que ces derniers temps, Sam n'avait pas été un modèle de sagesse et de retenue. Il allait sûrement encore perdre son sang-froid. Tant pis, il ne lui avait jamais fait peur depuis qu'elle le connaissait, ça n'allait pas commencer, même si, depuis le lycée, il avait bien pris une cinq bons centimètres de tour de bras.

─ Il pense que t'es dans l'histoire de la capote. Genre, ça expliquerait pourquoi t'es super sensible sur le sujet.

Samuel plissa les yeux, et à la plus grande surprise de Sélène, resta de marbre. Ça, c'était presque plus flippant que s'il avait haussé le ton. La jeune femme soutint son regard, réprimant un sourire, trouvant la situation assez amusante. Elle se serrait cru dans un mauvais western.

─ Tu le crois ?

─ Je sais pas, haussa-t-elle les épaules. Je pense pas forcément que c'est toi qui a utilisé cette capote, mais je me dis que tu sais quelque chose.

Samuel ne répondit pas, et détourna le regard, pour éviter les yeux de son amie. Ce geste, et son silence, beaucoup trop inhabituel pour Samuel, le trahit aussitôt, si bien que Sélène se demanda si ce n'était pas une forme d'aveu. Les yeux de la jeune femme s'écarquillèrent, et bouche bée, n'en revenant pas, elle le pointa du doigt.

─ Tu sais qui c'est ! Mais bien sûr que tu sais qui c'est, tu l'as dit ! Tu as dit que tu te souvenais de la soirée.

─ J'ai dit que je me souvenais qu'on avait fait un gâteau, la reprit-il d'un air innocent.

─ Arrête, Sam. Tu me feras pas croire que quelqu'un a baisé dans ton lit et que tu sais rien de ce qui est arrivé. C'est pas possible.

Samuel pinça les lèvres, mais n'avoua pas. Sélène en était maintenant persuadée : il détenait toutes les clés. Pourquoi refusait-il de les livrer ? Soit il avait honte, et cela voulait dire qu'il était un des personnages de l'histoire, soit il protégeait quelqu'un.

─ Allez, dis-moi... Qui c'était ? Sam !

─ Franchement ? répondit-il en secouant la tête. Ça servirait vraiment à rien. T'as vu comment c'est en train de devenir la merde entre nous ? Ça empirerait les choses...

Sélène eut un mouvement de recul : et s'il était en train de la protéger, elle ? Si elle avait fait quelque chose de regrettable, que Samuel savait, mais qu'il lui cachait tout pour qu'elle ait la conscience tranquille. Un sentiment de culpabilité soudain saisit la jeune femme. La technique de son ami ne fonctionnait pas du tout, désormais, elle craignait d'être dans l'histoire plus que jamais. Elle devait savoir à tout prix.

─ Dis-moi au moins si c'est moi. C'est moi et Émile ? Sam !

─ C'est pas toi et Émile, lui assura-t-il.

Sélène sembla un peu soulagée, avant de réaliser que ça ne l'avançait pas du tout, et qu'il n'avait pas le droit de tenir le secret. Ils étaient un groupe, ils partageaient tout ! Les meilleurs amis ne cachaient rien entre eux, c'était tout le principe de la chose. Samuel était toujours immobile sur sa chaise, et Sélène vit dans ses yeux la bataille mentale dont il était le sujet. Plutôt que de lui crier dessus pour qu'il crache le morceau, elle opta pour une méthode plus douce. Elle se pencha sur la table.

─ Faut que tu le dises. Je le vois bien que ça te bouffe de l'intérieur. Ça te fera du bien de parler.

─ Ça marchera pas, affirma Samuel. Je ne dirais rien.

─ Sam !

─ Quoi ? dit-il, avec autant d'indignation que son amie. Sélène, stop ! Crois-moi, ça fera du mal.

Si jusque là, elle était restée détendue, prenant même la situation un peu à la rigolade, là, il lui tapait sérieusement sur le système. Sélène souffla, avant d'argumenter.

─ Mais ça fait déjà du mal ! Tu viens de le dire, ça devient complètement la merde. Tu sais pourquoi ? Parce qu'on sait pas ! Et tout le monde soupçonne tout le monde, et se soupçonne soi-même, c'est horrible, c'est en train de nous rendre dingue. Sam, dis-le, pour qu'on puisse passer à autre chose. Putain, mais c'est rien, c'est une baise dans une soirée dont personne se souvient. Dans deux mois, on en rigolera. « Eh, vous vous rappelez quand machin et machin ont couché ensemble ! Ça c'est de l'amitié next level. Squad goals ! »

Sélène le fixa, longuement, pour le mettre mal à l'aise et le faire céder. Au début, Samuel l'évita, mais bientôt, face à l'ambiance pesante, il ne put pas l'ignorer d'avantage. Sélène essayait de faire la dure, mais ses doigts autour de sa tasse tremblaient. Elle se sentait proche de la vérité, et si tout son être mourait d'envie de la toucher enfin, une part d'elle était terrifiée. Samuel remua sur sa chaise, du regard, il chercha une issue autour de lui, mais comme il n'y avait rien pour le sauver, il dut se résoudre à tout confier à Sélène. Samuel prit une inspiration, peut-être pour se donner du courage, et l'interrogea :

─ Tu te souviens de la meuf ?

Sélène fronça les sourcils.

─ Quelle meuf ? On n'était tous les cinq, non ?

─ Vers, genre, deux heures du mat', une fille a toqué. Une pote de la classe de César. Elle est sur lui, apparemment, et elle venait de sortir d'un bar, donc complètement bourrée, et elle l'avait appelé. César lui a dit qu'au pire, elle n'avait qu'à passer.

La gorge de Sélène se noua, pendant que son cœur s'émiettait à chaque nouveau mot que prononçait Samuel. Le garçon, voyant que son visage se décomposait, se redressa, alerte.

─ Eh, Sé...

─ Et après ? l'encouragea-t-elle sèchement à continuer.

Samuel se racla la gorge.

─ Après, bah... Écoute, ils étaient torchés, et tout le monde était dans la chambre de César en train de faire des coloriages de mandalas, ou un truc comme ça, alors je lui ai dit d'aller dans ma chambre. Et quand Émile est allé chercher les crayons dans ma chambre, César a dû lui demander les capotes, et Émile m'a envoyé le message. Et... bah voilà.

En l'espace de quelques secondes, le monde de Sélène s'écroula. Ses épaules s'affaissèrent, ses doigts relâchèrent la grippe tendue qu'elle avait sur la tasse, et ses yeux se perdirent dans le vide. Elle se sentait... totalement creuse, comme si toute pensée, toute émotion l'avait quittée. Puis d'un coup, tout lui retomba dessus, comme une immense vague qui la submergerait. Il y eut la colère, le déni, la tristesse, tout ceci se mélangeant en une énorme et insoutenable gêne. Ce qu'elle détestait le plus, dans le récit de Samuel, c'était qu'il tenait. Elle se rappelait des coloriages, et elle n'avait qu'à ressortir les cahiers pour dévoiler leurs dessins bariolés et les petits mots sans aucun sens qu'ils y avaient laissé. Elle se rappelait aussi du moment où elle avait nettoyé la table basse, et qu'elle avait ramassé six verres. Elle avait simplement cru qu'au cours de la soirée, quelqu'un avait perdu le sien et en avait pris un autre. Et si c'était, en réalité, car il y avait six personnes dans cet appartement ?

Comme elle ne disait rien depuis un moment, Samuel chercha à la sortir de ses pensées.

─ Tu comprends pourquoi je suis véner contre César, maintenant ? Il te fait ça, et après il fait le choqué quand on le met face à ses responsabilités.

La dernière remarque brisa un peu plus Sélène. Elle essaya tout de même de nier, pour la forme, et parce que cela faisait des années qu'elle essayait de faire croire à tout le monde qu'elle ne ressentait rien pour lui.

─ Je m'en fous, articula-t-elle avec peine, d'une voix blanche.

─ C'est bon, tu peux le dire, on sait...

Sélène retroussa ses lèvres pour réprimer les sanglots qui montaient. Elle ne comprenait pas. En fait, si... maintenant, tout avait plus de sens. La réaction de César la veille, et surtout, son attention, le matin-même. Elle avait trouvé ça bizarre qu'il vienne la réveiller, et soit aussi tendre. Ce n'était pas lui. César jouait toujours au mec détaché, et là, étrangement, il avait agi comme s'il avait quelque chose à se faire pardonner. Mais qu'est-ce qu'elle avait pu être conne ! Comme une gourdasse, elle s'était dit que les choses changeaient, qu'ils en avaient peut-être fini avec les non-dits et les gestes d'affection qui ne débouchaient sur rien. Ah, eh bah il était bien, le garçon de ses rêves ! Il invitait une fille, et couchait avec elle à quelques mètres de là où elle se trouvait.

Elle ne réussit pas à retenir ses larmes plus longtemps, et parvint au moins à ne pas éclater en pleurs. Elle laissa juste couler sur ses joues. Samuel lui demanda si elle voulait quelque chose, mais elle secoua la tête, elle voulait juste être seule.

─ J'suis vraiment désolé ! l'interpella Samuel alors qu'elle se levait pour rassembler ses affaires.

Elle ignora son excuse, il n'y pouvait rien lui. Seul César était responsable des décisions qu'il prenait. Sélène prit son sac de cours, mit son manteau, et claqua la porte de l'appartement. Sam n'avait pas bougé de sa chaise, probablement démuni face à la situation. Sélène s'essuya les joues alors qu'elle descendait les étages à toute vitesse. À quoi cela servait de pleurer ? Il s'en fichait de toute manière. Et puis, ils ne sortaient pas ensemble, ils ne s'étaient jamais rien passé entre eux. César faisait ce qu'il voulait, il pouvait voir toutes les filles qu'il lui plaisait. Elle n'en avait rien à faire. Il n'était même pas intéressant comme garçon. Il était snob, narcissique, et passait son temps à se donner des airs faussement mystérieux ! Leur relation était basée sur du vent, rien que du vent.

Sélène rentra chez elle pour les quelques heures qu'il lui restait avant ses cours de l'après-midi, et tenta de se convaincre que ça ne l'atteignait pas.


**


Elle n'avait donné aucune nouvelle depuis deux jours. Elle ne répondait ni aux appels, ni aux messages, et dans le groupe, ils étaient coriaces. Amina lui avait même envoyé un e-mail. Le pire, c'était que chacun lui demandait pourquoi elle faisait la morte, ce qui signifiait que, visiblement, Samuel n'avait rien avoué. C'était peut-être mieux ainsi, il avait raison, après tout : personne ne retirerait rien de positif de cette histoire.

Sélène n'était pas stupide, elle savait bien qu'elle ne pourrait pas se cacher indéfiniment de ses meilleurs amis, surtout quand ceux-ci savaient où elle habitait. C'était pour cela qu'elle ne fut en rien surprise quand sa sonnette retentit alors qu'elle était terrée dans son lit, à regarder le nouveau documentaire d'Arte. Elle était même étonnée de n'avoir eu personne jusque là, ou aucun appel paniquée de sa mère lui demandant si quelque chose était arrivée. Amina était l'experte pour appeler leurs parents quand elle était inquiète pour eux. En ouvrant la porte, elle s'était attendue à la voir. Ou César, qui serait venu s'expliquer. Elle espérait que ce soit César, en vérité.

Elle se trompa sur toute la ligne, c'était Émile. Elle fronça les sourcils en le voyant, et le jeune homme entra dans son studio sans attendre la permission.

─ Comment t'es entré ? T'as le code ?

─ Un chat m'a ouvert, expliqua-t-il.

Sélène allait poser une question, mais abandonna l'idée. Elle ne cherchait plus à comprendre Émile. Celui-ci retira ses chaussures et tira l'une des deux seules chaises qu'elle possédait pour s'installer dessus. Il agissait comme si de rien n'était, comme si elle l'avait invité à prendre un café et qu'il attendait qu'elle le lui serve.

─ Alors ? demanda-t-il. Ça va ? Cool ? T'as trouvé des nouveaux amis ou t'en as juste marre de nous ?

Elle le fixa, et esquissa un sourire à son air désinvolte. Même quand il était fâché ou un peu en colère, il avait l'art et la manière de ne pas le montrer explicitement, de le laisser juste légèrement paraître. Émile ne le montrait pas, mais toute cette histoire l'impactait. Sélène avait grandi avec lui, elle pouvait le voir. La jeune femme se laissa tomber sur son lit, le cœur à nouveau lourd. Elle avait réussi à tout refouler pendant deux jours, et là, la simple idée d'y repenser lui nouait l'estomac.

─ Sam n'a rien dit ?

─ Sam dit beaucoup de choses, et je t'avoue, j'écoute pas toujours. C'est quoi, le truc qu'il aurait dû dire, mais qu'il n'a visiblement pas dit ?

─ Ce qui est arrivé samedi soir.

Émile secoua simplement la tête, un air parfaitement enfantin sur le visage. Sélène n'était pas sûre de pouvoir raconter l'histoire dans les détails, alors elle alla au plus bref possible.

─ C'était bien César. Mais avec une autre fille. Apparemment, elle est venue vers deux heures.

Émile perdit son regard dans le vide, comme en proie à une réalisation soudaine.

─ Je me souviens d'une autre fille, maintenant que tu me le dis.

Sélène soupira. Super ! Maintenant, elle n'avait même plus le bénéfice du doute, la version concordait complètement. Elle soupira, et Émile se leva pour s'asseoir à côté d'elle et l'enlacer. Il n'était pas doué pour grand-chose, mais il faisait de très bons câlins. Sélène attrapa le bras qui l'entourait et se laissa bercer par l'étreinte. Comment pouvait-elle continuer à faire semblant que ça ne la touchait pas ?

─ Eh, t'inquiète, ça va aller. De toute façon, c'est bientôt les vacances, on va rentrer, et on va faire le vide. Ma mère arrête pas de me demander quand est-ce qu'elle te voit ?

Sélène rit.

─ Ouais, mon père aussi demande quand tu rentres.

─ Ah bah génial, donc je prendrai ta chambre, et toi la mienne. Tu feras juste gaffe, je crois que personne n'y est entré depuis Noël.

Elle sourit, le cœur un peu plus léger. Pourquoi tout ne pouvait pas être comme avec Émile ? Simple, sans prise de tête. C'était décidé, désormais, elle traiterait César comme Émile. Il ne servait à rien qu'elle continue à espérer, qu'elle se fasse de nouveaux espoirs, quand tous les deux pouvaient se contenter d'être de bons amis.

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