5 : La frappe

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CÉSAR 


Aussitôt que le doigt d'Émile le pointa, le cœur de César explosa dans sa poitrine. Une décharge électrique lui parcourut le corps, et le tétanisa. Incapable de bouger, de parler, de donner la moindre réaction, il se retrouva spectateur de la situation. Émile explosa de rire à la tête de son ami, et César se sentit d'autant plus mal à l'aise que les autres semblaient attendre une explication de sa part. Comme étranger à son propre corps, il se vit secouer la tête et prononcer dans un murmure à peine audible :

─ Non, mais, c'est pas moi...

L'ambiance autour de lui ne devint qu'un bruit sourd. La télévision n'existait plus, les voix de ses amis ne lui parvenaient pas, César parut seul avec sa respiration, qui se faisait de plus en plus haletante. Il devinait un peu Émile, qui, tout enjoué, lui assurait que si, il se souvenait bien. Dans un moment de retour à la réalité, il comprit une phrase ou deux :

─ Si, si, tu m'as demandé, tu voulais...

Et il termina sa phrase en mimant deux personnes qui s'embrassaient avec ses deux indexs, les bruitages en prime. César continua de secouer la tête, et le monde commença à tourner en même temps qu'il manquait d'air. Cette fois-ci, il y eut seulement un sifflement dans ses oreilles, et la voix de Sélène lui vint de très loin, alors qu'elle était juste à côté. Elle posa sa main sur son épaule, mais il s'en dégagea pour se lever. César tituba, dut se rattraper au rebord du canapé mais tint bon. Les yeux fixés sur le sol, il n'avait pas conscience de ce qu'il se passait autour de lui.

─ Mec, l'appela Samuel, ça va ? C'est pas grave, tu sais...

─ C'est pas moi ! hurla César.

Sa poitrine lui paraissait beaucoup trop petite pour l'air dont il avait besoin. Au moins, le sifflement avait cessé, mais César avait toujours l'impression que sa tête allait imploser. Ce n'était pas possible. Il mentait. Émile mentait forcément. Il était soûl, alors pourquoi le croire ? Il était évident qu'il n'avait aucune idée de ce qui était arrivé ce soir-là et qu'il disait juste ce que son esprit embrumé lui dictait. Les doigts de César s'enfoncèrent dans le moelleux du canapé, il ne pouvait plus le lâcher. Samuel s'approcha, et voulut le prendre par les épaules, mais César ne pouvait supporter le contact, alors il le frappa dans le torse pour le repousser. Impulsif, Samuel cria à son tour :

─ Putain, mais tu vas te calmer mec, je t'ai rien fait !

─ Mais t'énerves pas sur lui, haussa le ton Amina. Tu vois bien qu'il va pas bien !

─ Et alors ? C'est pas une raison pour me frapper ! C'est pas ma faute s'il est dans cette histoire.

César inspira, même si c'était difficile, et réussit enfin à lâcher le canapé. Le monde avait cessé de tourner, mais il avait encore affreusement chaud. Il devait sortir prendre l'air à tout prix. Se frayant un chemin entre ses amis, il se rua vers l'entrée et revêtit son manteau, avant de claquer la porte. Tremblant, et trempé de sueur, il dévala les escaliers en chaussettes pour rejoindre la rue. La nuit était tombée, et la porte de l'immeuble était éclairé d'un lampadaire clignotant. César souffla, s'assit sur la marche du perron, et se prit la tête entre les mains.

Dès qu'il ferma les yeux, ce qu'il redoutait arriva. Les flashs défilèrent. Très rapidement, sans aucune cohérence, et le flot continu d'informations finit par le rendre complètement fou. César se frappa le front, par réflexe, comme pour faire tout sortir, et ouvrit les yeux, mais les images venaient toujours, et il se détestait de les laisser faire.

─ Ta gueule ! hurla-t-il, à lui-même.

Soudain, tout cessa, et César se retrouva essoufflé. Ses doigts tremblotaient, ses jambes lui semblaient lourdes et sans vie, et ses yeux se remplissaient de larmes. Que venait-il de se passer ? Il n'avait rien pu y faire, c'était comme si on avait pris le contrôle de son corps, et qu'il venait de subir les dernières minutes. La gorge nouée, il se concentra sur sa respiration pour faire redescendre l'anxiété. Peu à peu, il commença à recouvrer quelques sensations, et réalisa à quel point il faisait froid. Encore tout retourné, il porta les mains à ses poches, et trouva son paquet de cigarettes et un briquet. Il en alluma une, quand il en tira une bouffée, une salve relaxante le traversa. Il allait mieux. Les images avaient stoppé, et s'il n'y repensait pas, elles n'allaient pas revenir.

Alors il se concentra sur autre chose, rien que pour être sûr qu'elles restent bien enfouies au creux de sa mémoire. Il récita son cours, celui qui révisait plus tôt. Il fixa son attention sur sa main, et, lista le nom de les os qui la composait, partant du bout des doigts jusqu'au poignet. Il en était aux métacarpes quand la porte derrière lui s'ouvrit dans un grincement. César se retourna pour découvrir Sélène. La jeune femme ne dit rien, et s'assit à côté de lui. Elle non plus, n'avait pas mis de chaussures. Ils restèrent un moment en silence, avant qu'elle ose lui demander.

─ Ça va ?

César aspira une nouvelle bouffée, acquiesçant, sans un mot.

─ Y a un truc qui s'est passé samedi soir ?

─ Nope, dit César.

─ T'es sûr ?

─ Ouep.

Sélène chuchota doucement un « OK » avant de reporter son regard devant elle, sur le trottoir sale. César laissa traîner le silence, continuant de passer les os dans sa tête. À chaque nom qu'il trouvait, les images coulaient un peu plus profond dans son esprit. Sélène, elle, n'avait pas l'air d'aimer ce blanc, puisqu'elle parla à nouveau :

─ Sam a pété un câble, il a dit que tu réagissais comme un gamin. Ça l'a mis grave en rogne que tu le frappes.

─ Sam est un gros connard depuis samedi, c'est lui le gamin. Il fait comme si cette histoire était la fin du monde. T'as vu comment il s'énerve à chaque fois qu'on trouve quelque chose ?

Sélène haussa les épaules. César termina sa cigarette et l'écrasa sur le béton de la marche.

─ Je pense que c'est lui, reprit César.

─ Sam ?

─ Ouais. Personne ne peut être véner comme ça pour un truc aussi futile. C'est forcément lui, et il en a honte.

Sélène le dévisagea, les sourcils froncés.

─ Tu viens de... tu sais quoi, laisse tomber. C'était une mauvaise idée de soûler Émile. Déjà qu'on le supporte pas sobre. Il a sûrement dit de la merde, de toute manière.

César acquiesça, s'accordant avec elle sur ce point. Ils restèrent encore trente bonnes secondes, sans rien dire, dans le froid. Le jeune homme commençait à ne plus sentir ses orteils, mais au moins, il se sentait mieux. Il pouvait fermer les yeux et... rien. Le noir complet. Tout ce qu'il souhaitait. Sélène soupira, puis se leva pour rentrer, sûrement frigorifiée elle aussi.

─ C'est pas moi, lui rappela César avant qu'elle ne disparaisse dans le bâtiment.

─ Ouais, t'inquiète. Je te crois. Eh, tu penseras à ramasser ton mégot en remontant.

César sourit, et promit. Il attendit encore quelques minutes, plus parce qu'il n'avait pas envie de remonter que parce qu'il voulait être seul. Le froid finit par avoir raison de lui, et il rentra. Dans le salon, Amina et Samuel avaient disparu, Sélène était sur le canapé avec Émile, qui riait devant Scènes de ménage. César s'avança à pas de loup, récupéra ses cours et fit demi-tour. Il allait rentrer dans sa chambre quand Sélène lui demanda s'il voulait venir avec eux.

─ Non, c'est bon, faut que je révise encore un peu.

César ne sortit pas de sa chambre de la soirée, et d'après les échos qu'il entendit du salon, Samuel non plus.


Le lendemain, il se réveilla à six heures et demie, en même temps qu'Amina et Émile, qui débutaient aussi leur journée à huit heures. Il faisait encore noir dehors, et César prit son café en regardant le ciel à travers la grande fenêtre qui donnait sur la rue. Émile sortit de sa chambre, des cernes foncés lui barrant le visage. Visiblement, il n'avait que peu dormi. Il était encore en caleçon, et se dirigea comme un zombie vers le placard du petit-déjeuner.

─ Vous savez, grommela-t-il en prenant un bol, si j'avais un peu plus de jugeote, je dirais que vous êtes vraiment des amis de merde de m'avoir fait boire hier soir.

─ Ah, heureusement que t'en as pas, du coup, rit César.

À son tour, Amina sortit de la chambre de Sam, où elle avait sa place privilégiée quand elle dormait à l'appartement. Ça lui faisait d'ailleurs penser qu'il n'avait pas vu Sélène dans le canapé, hors, soit elle le squattait, soit, quand elle avait trop froid, elle le rejoignait pendant la nuit. Ce matin-là, César était persuadé de s'être réveillé seul.

─ Sélène est rentrée chez elle ? s'inquiéta-t-il.

Il espérait ne pas l'avoir trop froissé la veille. Il n'aurait manqué plus que ça, que Sélène soit fâchée contre lui.

─ Non, dit Émile en s'affalant dans le canapé. Elle a dormi avec moi.

─ Avec toi ?

Sélène ne dormait jamais dans le lit d'Émile, il y avait toujours des miettes de chips et des chaussettes sales roulées en boule au bout du matelas. Sa chambre sentait le fauve même aérée et il avait plein de posters de catch sur ses murs. César s'inquiéta : elle était peut-être vraiment vexée contre lui. Il ne voyait pas trop ce qu'il avait fait de mal, mais s'imaginait que son comportement de la veille avait dû agacer la jeune femme. Émile haussa les épaules.

─ J'ai vomi, hier soir, alors elle voulait s'assurer que ça allait. Et puis, elle voulait te laisser ton espace, un truc comme ça.

─ T'as vomi ? s'étonna César. Mais t'as presque rien bu... Comparé à ce que tu bois d'habitude quand tu vomis.

─ Je suis un vieil homme maintenant. J'ai presque vingt-deux ans, je suis plus aussi frais.

César leva les yeux au ciel.

─ Eh ! s'exclama Émile. Si ça trouve, j'ai couché avec Sélène, hier soir.

Ni Amina, ni César ne rirent, et quand le jeune homme vit le visage tendu de ses amis, il comprit que sa blague n'était pas du tout drôle dans le contexte actuel des choses. Émile haussa les sourcils, avant de reporter son attention sur son bol de céréales.

─ C'est bon, c'était une connerie. Soyez pas si susceptibles.

─ Cette histoire est en train de nous rendre dingue, les gars, dit Amina en se prenant le visage entre les mains. Est-ce qu'on peut pas passer à autre chose ?

César ne répliqua pas. C'était une bien belle proposition, mais elle était totalement irréaliste. Depuis dimanche, ils essayaient de tout mettre sous le tapis, mais l'affaire finissait toujours par remonter à la surface. Aucun d'entre eux n'était prêt à laisser couler, car chacun était obsédé par le besoin de savoir. Même César, qui était certain de n'avoir rien à se reprocher, voulait absolument connaître l'identité des deux personnes impliquées. Peut-être car l'une d'entre elles pouvaient être Sélène, et...

Il chassa cette pensée, et s'assit à table pour manger un bout avant de partir. Amina, qui avait l'air d'abandonner l'idée d'avoir une réponse à sa question, s'installa en face de lui, et lui glissa :

─ Tu parleras à Sam, ce soir ?

César fronça les sourcils.

─ Pour quoi faire ?

─ Il s'est couché super énervé contre toi.

Le jeune homme ne retint pas un petit rire dédaigneux. Pour qui se prenait-il, celui-là ? César n'avait absolument rien à se reprocher, et n'avait certainement pas à s'excuser pour ce qui était arrivé la veille. Si Samuel n'était pas capable de voir que son geste n'avait rien eu de personnel, alors c'était lui qui avait un sérieux problème.

─ J'ai rien fait, se justifia César. J'avais juste besoin qu'on me laisse tranquille.

─ Je sais, admit Amina. Mais... c'est pas que ça. Il... il trouve que t'es super sur la défense depuis samedi, il dit que tu lui en mets plein la gueule sans raison.

─ Genre ! ricana César. C'est lui qui démarre au quart de tour.

D'abord, il avait mal pris une petite blague de rien du tout, juste parce que César avait laissé sous-entendre que la capote usagée aurait pu être le résultat d'un truc entre Samuel et Émile – alors que c'était clairement une plaisanterie ! Puis, il avait passé ses nerfs sur Émile quand ce dernier voulait dire la vérité sur la vidéo à Amina, et maintenant, il s'enfermait dans sa chambre car César l'avait un peu bousculé à un moment où il n'avait aucun contrôle sur lui-même ? Non... Non, non, non. César n'allait pas faire comme s'il était responsable de toutes les tensions. Samuel devait aussi apprendre à se remettre en question. Tout ceci, ses réactions totalement disproportionnés ne faisaient qu'appuyer l'hypothèse de départ de César : celle que Samuel savait quelque chose de samedi soir, mais se refusait à l'avouer.

Amina, voyant qu'elle parlait à un mur, laissa tomber l'idée. César engloutit son morceau de pain en silence, et observa Émile qui regardait les dessins animés en gloussant. Il se demanda comment faisait son ami pour être aussi détendu quand toute l'intégrité de leur groupe d'amis semblait s'effriter devant leurs yeux. OK, Émile avait toujours été un esprit tranquille, mais tout de même... Depuis le début, il était celui qui semblait tout se prendre dans la figure, pourtant, les disputes, les piques, tout lui coulait dessus. César aurait bien voulu avoir son secret.

Son petit-déjeuner terminé, il lui restait près d'une demie-heure. En général, il se levait tôt pour potasser un peu des articles de recherche avant de partir, mais ce matin-là, il n'en avait vraiment pas envie. César voulait plutôt essayer de réparer les pots cassés. Samuel, il n'avait rien à lui dire, mais Sélène, c'était une autre histoire. Il poussa alors la porte de la chambre d'Émile, et une odeur de transpiration lui chatouilla les narines. Il faisait noir, seule la lumière verte du réveil-matin lui faisait un point de repère. Il tâtonna jusqu'au lit, et prit la place vide à côté d'une Sélène endormie.

C'était étrange. D'habitude, elle était toujours celle qui faisait le pas. Lui se contentait un peu de subir les tentatives de rapprochement. César avait beau être très attaché à elle, il ne parvenait pas à franchir le mur qui se posait dans leur relation, même si, parfois, il en mourait d'envie. Après tout, elle était drôle, intelligente, et il la trouvait vraiment adorable. Ceci, depuis le lycée. Mais il n'arrivait pas à se résoudre à laisser les choses aller plus loin. Néanmoins, il détestait que les choses soient froides entre eux, et dans les moments où il sentait qu'il avait merdé, là, il faisait des efforts.

Sélène gémit, et appela :

─ Émile ?

─ Non, chuchota le jeune homme pour ne pas la brusquer. C'est César.

─ Oh, coucou.

César sourit. Il ne pouvait pas la voir dans l'obscurité, mais il pouvait parfaitement se la figurer. Ses yeux fermés, son nez plissés, ses traits endormis, il savait parfaitement quelle expression elle pouvait avoir.

─ T'es pas en cours ? demanda Sélène d'une voix encore ensommeillée.

─ Bientôt, je voulais juste passer te dire bonjour avant.

─ C'est gentil, ça. Pourquoi ?

Il laissa quelques secondes passer, avant de répondre :

─ T'es fâchée ?

Sélène l'imita, et laissa un silence, comme si elle réfléchissait. Pendant ce laps de temps, le cœur de César se serra, appréhendant les mots qui allaient suivre. Mais à son plus grand soulagement, Sélène rétorqua :

─ Je pense pas. Pourquoi tout le monde croit que je suis fâchée envers eux ? Je devrais l'être ?

─ Je sais pas. J'ai été super froid hier, admit-il.

─ Ouais, c'est vrai, c'était grave bizarre. Mais on a tous nos problèmes, je t'en veux pas.

César souffla, soulagé. Il sentit alors la main de Sélène se glisser dans la sienne, alors que la respiration de la jeune femme ralentissait, comme si elle retombait dans un sommeil profond. César s'humecta les lèvres, et se concentra sur la chaleur et la douceur des doigts de son amie. Sans le réaliser, il s'était mis à caresser lentement le dos de sa main avec le pouce. Il n'allait rien dire, rester un peu pour ne pas la perturber et reprendre sa nuit tranquillement, mais Sélène murmura :

─ César, tu me le dirais s'il y a truc qui te préoccupe vraiment ?

Le jeune homme déglutit, mais le nœud qui venait de se former dans sa gorge ne passa pas. Il était juste heureux d'être dans l'obscurité pour qu'elle ne devine pas à ta tête que le sang lui montait aux tempes. Il fit de son mieux pour garder une respiration normale, et d'un murmure étranglé, la rassura.

─ Ouais, bien sûr.

Sélène se tut. Leurs doigts étaient toujours entrelacés. Dans le salon, des bruits de vaisselle leur parvenaient, venant briser un peu l'instant de calme dans lequel ils étaient plongés. Soudain, Sélène eut un rire étouffé.

─ Toi aussi tu sens les céréales qu'il y a sous le drap-housse ?

─ Putain, c'est ça ? rigola César. Ah, il est vraiment crade comme mec...

Sélène rit de plus belle, et l'éclat de sa voix fit sourire bêtement le garçon. Il jeta un coup d'œil à l'heure.

─ Je dois y aller, formula-t-il.

Son amie n'ajouta rien, mais il présuma qu'elle avait hoché la tête. Il dut alors laisser sa main et se lever. Dans un monde idéal, il aurait été courageux, et l'aurait embrassé sur la joue, ou sur le front avant de partir. Mais il vivait dans le monde de tous les jours, et dans cet univers-là, César n'était ni brave, ni prêt à un tel geste. 

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