4 : La bouteille

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SAMUEL


─ T'as compris, mec, tu dis rien aux filles !

Émile fit un geste de la main, l'air de dire que Samuel le faisait chier. Ce dernier soupira, Émile ne semblait pas prendre conscience de la proportion d'une bombe comme celle-ci sur Amina. Il la connaissait bien, lui, il savait à quel point elle pouvait tout remettre en cause, y compris sa propre personne. Si elle venait à apprendre qu'elle avait couché par inadvertance avec un garçon, elle pourrait ne pas s'en remettre.

─ Je suis super sérieux, le prévint Samuel.

─ Oui, c'est bon, s'agaça Émile. Mais c'est pas cool, c'est mon corps, après tout. Je dois en disposer comme je veux, et ça inclut prévenir mes partenaires.

─ Regarde-le, ricana César, il est féministe, maintenant.

─ J'ai toujours été féministe ! se défendit Émile. Et imagine qu'on me découvre une IST, ah ! Il faudra bien que je lui dise.

Samuel ferma les yeux dans un long soupir.

─ Mais pourquoi t'aurais une IST ? souffla-t-il. T'es célibataire depuis dix ans. Non, mais réponds pas, je veux rien savoir. Émile, je te le demande gentiment : ne dis rien de cette vidéo à Amina.

Le jeune homme finit par concéder en hochant la tête, non sans murmurer :

─ Franchement, ça soûle cette histoire. C'est nul d'être obligés de se mentir entre nous.

─ Oui, bah, t'avais qu'à tenir ta bite ! s'énerva Sam.

Émile se laissa tomber dans le canapé, et le geste vint clore la discussion. Samuel, penché sur sa marmite, n'avait pas l'esprit tranquille pour autant. Il ne faisait pas d'idée, Émile avait la capacité de résistance d'un vieux bourgeois sous le régime de Vichy, il allait forcément tout raconter au cours de la soirée. Samuel devait alors se préparer à soutenir son amie, qui allait sûrement tomber de haut.

Il y avait de ces paires-là, dans le groupe. Tout le monde était très amis, certes, mais certains duos se détachaient par des liens plus forts. Sélène et Émile, César et Sélène, Samuel et César, Amina et Samuel... Des combinaisons fonctionnaient mieux que d'autres, et parfois, les amitiés pouvaient être très fusionnelles. D'aussi longtemps qu'il connaissait Amina, Samuel avait toujours eu l'impression qu'il devait la protéger. Il agissait envers elle comme un grand frère parfois un peu trop autoritaire. Il ne pouvait pas vraiment l'expliquer, il s'était attachée à elle dans un claquement de doigts, et en l'espace de quelques mois, elle était devenue la personne qu'il ne voulait jamais voir souffrir. Or, il savait que ce genre de nouvelles pouvait très précisément la chambouler. Elle lui en voudrait peut-être d'avoir chercher à lui cacher une telle information, mais au fond de lui, Samuel savait que c'était le mieux à faire.

Les filles arrivèrent un peu après 18 heures, le temps de sortir de la fac et de rejoindre leur appartement. Le chili mijotait déjà, et les garçons regardaient les Princes de l'amour affalés dans le canapés. César faisait semblant de travailler, il avait même mis ses lunettes pour se donner un air sérieux, et se plaignait de la débilité du programme, quand en réalité, il zyeutait l'écran toutes les trente secondes.

Amina et Sélène entrèrent sans frapper, elles avaient un double des clés, de toute manière.

─ Oh, c'est les Princes ! s'exclama Amina, en laissant son sac et ses chaussures dans l'entrée pour se mettre dans le canapé. Qu'est-ce que j'ai loupé ?

Pendant qu'Émile faisait le résumé, Sélène s'assit à son tour, entre Amina et César, et dit à ce dernier :

─ Et tu tolères ce genre d'émission, toi ?

─ Bien obligé, ils ont menacé de me virer de la coloc', sinon.

─ Mytho ! déclara Émile. Tu kiffes autant que nous.

─ N'importe quoi, c'est parfaitement pourri, et totalement débile, en plus de ça.

─ Tu sais que ce que tu fais là, c'est du mépris de classe, lui indiqua Amina sans quitter l'écran des yeux.

─ Ça y est, Madame va avoir son diplôme de sociologie et elle devient une justicière sociale.

─ Je suis en géographie ! s'indigna Amina en attrapant un coussin pour le frapper, par-dessus Sélène. T'es tellement égocentrique comme mec que tu sais même pas ce que tes meilleurs potes font comme études.

─ Mais bien sûr que si, c'était une connerie ! T'es en géo, et Sélène fait de l'allemand même si personne sait pourquoi, et Émile... tu fais quoi, Émile déjà ?

─ Un truc dans l'informatique, non ? dit le garçon, toujours scotché devant la télévision.

─ Un truc dans l'informatique, acquiesça César.

Amina grimaça, avant de le laisser tranquille, peut-être encore un peu vexée. De la cuisine, Samuel avait suivi la scène avec amusement. Il avait craint que cette soirée soit un peu... étrange. Que tout le monde ait encore en tête les événements du week-end. Il avait sous-estimé la capacité de ses amis à oublier les tensions. Tout semblait revenu à la normale, et Émile n'allait peut-être même pas cafter. Samuel souffla. Il tenait à l'intégrité de ce groupe d'amis, c'était toute sa vie. Il n'avait jamais eu de famille chez qui rentrer pour se ressourcer, c'était eux, sa famille.

Alors qu'il épiçait le plat, Sélène intervint dans la petite dispute sans gravité.

─ Laisse-le tranquille, il fait semblant d'avoir oublié pour se sentir supérieur. Monsieur va être ostéopathe, après tout.

─ Mmh, rétorqua Amina, ah oui. C'est le truc pour les personnes pas assez résistantes pour faire médecine ?

César laissa tomber sa mâchoire, mais ne répondit rien. Samuel sourit seul dans son coin, il était soulagé. Ils allaient passer une bonne soirée.

─ Quelqu'un peut mettre le couvert ? lança-t-il.

Alors qu'il pensait que tout le monde allait faire comme s'ils n'avaient pas entendu, Émile se leva aussitôt pour endosser la corvée. C'était étrange, Émile n'aidait jamais avec les tâches ménagères. Il se débrouillait toujours pour ne pas faire les courses, ne pas toucher à la lessive, et passer son tour de vaisselle. La seule raison pour laquelle ils le gardaient dans la coloc, c'était car ses parents étaient les garants, et qu'ils payaient la plus grosse part du loyer. Puis, bon, c'était leur ami, aussi. Accessoirement. Alors si Émile se proposait, il y avait un problème. En effet, quand il tira le tiroir à côté de Samuel pour prendre les assiettes, il en profita pour lui glisser :

─ Je vais craquer, je suis à deux doigts de le dire à Amina.

─ Non, Émile ! chuchota Samuel d'un air menaçant. Tu fais pas ça !

─ Je peux pas, désolé. Faut qu'elle sache, c'est dégueulasse pour elle. Amina ! Faut que je te dise un truc.

Samuel ne put même pas le retenir. Émile posa les assiettes sur le plan de travail et lui fila entre les doigts pour s'asseoir sur le rebord du canapé. Samuel abandonna la cuisine pour être au cœur de l'action, et limiter les dégâts. Il pouvait peut-être encore récupérer le téléphone d'Émile pour qu'il ne montre pas la vidéo.

─ C'est nous deux, lâcha le jeune homme sans prendre aucune pincette. Samedi soir, c'était nous deux. On s'est embrassés.

Trop tard, Amina avait déjà le téléphone entre les mains, et bientôt, elle et tout le reste du groupe se verraient infliger le supplice de ce baiser affreusement long. Samuel, la première fois, n'avait même pas pu voir jusqu'à la fin. Il détourna les yeux, incapable de soutenir le spectacle plus longtemps, et se concentra sur la réaction d'Amina. Celle-ci était impassible, presque indifférente. Quand la vidéo se termina, elle rendit son portable à Émile.

─ Je le savais, avoua-t-elle.

─ Ah ouais ? s'étonna Samuel.

Elle eut un sourire contrit.

─ Ouais, enfin, je m'en doutais qu'il y avait un truc... OK, bon, vous vous énervez pas. Mais j'ai une copine.

─ Trop cool ! s'enthousiasma Émile. Attends, c'est quoi le rapport ?

─ Elle venait de me larguer, samedi. C'est pour ça que j'ai autant bu, et c'est pour ça que j'ai embrassé Émile.

Un silence parcourut le groupe. Samuel était complètement perdu. D'abord, il ne comprenait pas pourquoi, si Amina avait une petite amie, elle ne lui avait rien dit. Il croyait qu'elle lui faisait confiance... D'accord, il pouvait lui passer sur ça : il pouvait être un peu con sur les bords, avec les copains et copines de ses potes, il avait tendance à les scruter et leur fait passer des interrogatoires pour s'assurer qu'ils avaient de bonnes intentions. Mais même sans ça, ça n'expliquait pas pourquoi Amina s'était réfugiée dans les bras d'Émile, surtout au point de coucher avec lui. Enfin ! Personne ne voudrait partager le même lit qu'Émile, même avec un cœur brisé !

Ce dernier semblait le plus perturbé de tous. Jouant avec son téléphone dans les mains, il prit une longue inspiration, avant de dire, d'une voix blanche :

─ Mina, franchement, je suis grave désolé. J'espère que tu te sens pas trop mal, si t'as l'impression que j'ai profité de toi, faut que tu me le dises, je ferais tout pour me racheter, hein... Tu peux porter plainte contre moi, même.

Samuel lui adressa un regard intrigué. Émile vivait sur une autre planète, parfois. Pourtant, son excuse sembla attendrir Amina, qui lui sourit sincèrement.

─ Oh... C'est super mature, ça, Émile... Mais... en fait, je pensais que c'était allé plus loin que ce baiser. Mais non. Je... Attendez, suspendit-elle sa phrase pour sortir son téléphone. Regardez. J'avais pas pensé à regarder mes appels, mais... Samedi soir, à 2 heures 25, j'ai appelé Élise.

─ Élise ? questionna César.

─ Sa copine, précisa Sélène.

Sélène savait ? Sélène savait et pas lui ? Qu'avait-il fait de mal ? Samuel ravala sa fierté pour les quelques minutes qui suivaient – mais il n'allait pas la laisser s'en tirer aussi facilement – et écouta la suite de l'histoire. Amina passa ensuite sur ses messages, pour leur montrer ses derniers SMS avec une personne simplement nommée d'un cœur jaune. Cette Élise, il présuma.

─ Je lui ai donc demandé si on s'était parlées, elle m'a répondu que non, parce qu'elle dormait. Par contre, elle m'a dit que je lui avais laissé un message vocal de quarante-cinq minutes pour lui demander de me reprendre.

─ C'est pas un peu canard, ça ? rit César.

─ Ouais, eh bah tout le monde n'est pas un fuckboy, César. Dans tous les cas, elle a écouté le message, et c'est sûr que c'est quarante-cinq minutes où je fais que pleurer. Rien d'autre. Ça veut dire qu'au moment où Émile a demandé les capotes à Sam, j'étais pas là.

Personne ne répliqua. Samuel ne savait plus quoi penser. C'était une bonne nouvelle, en soit. Ça voulait dire qu'Amina n'avait rien eu à voir avec Émile – mis à part ce baiser dégoûtant qu'il valait mieux que tout le monde oublie très vite. Sauf que, désormais, un autre problème se présentait, et Sélène le clarifia à la perfection :

─ Bon, bah, retour à la case départ. Qui a couché avec Émile ?

─ Ça me soûle, cette histoire ! s'énerva César. Personne ne se souvient de rien, personne n'a de traces sur son téléphone, alors on va employer la manière forte.

Les quatre amis le dévisagèrent, n'ayant aucune idée de ce dont il parlait. César posa ses cours sur le côté, ce qui laissait supposer que les choses allaient devenir très sérieuses. Il se racla la gorge, avant de s'expliquer :

─ Émile sait ce qu'il s'est passé, il s'en souvient juste plus. Il s'en souvient plus là, parce qu'il est sobre, et ce qui est arrivé, est arrivé quand il était bourré. On peut pas demander à Émile sobre ce qu'Émile bourré a fait. Il faut demander à Émile bourré.

─ Comprends pas, lâcha Émile.

─ On va te bourrer la gueule.

Sur le coup, ça ressemblait en tout point à une très mauvaise idée. Pourtant, personne ne contredit César. Les Princes de l'amour en arrière-plan sonore, les cinq amis échangèrent plusieurs regards, pesant mentalement le pour et le contre. Samuel trouvait la proposition absurde, Émile avait cours le lendemain, et rien n'assurait que le soûler ferait revenir miraculeusement sa mémoire. Mais un autre facteur jouait énormément, et prenait le pas sur la rationalité de l'idée : le besoin de savoir. Ils ne pouvaient tenter de se voiler la face, Samuel en tête de file. Il devait connaître la vérité, cette histoire le hantait. Et s'il était compris dans l'affaire ? Et même s'il ne l'était pas ? Qui l'était ? Il y a deux personnes, dans cette bande d'amis soudés, qui avaient complètement dérapé. Il fallait savoir qui.

─ Bah, allez, déclara Émile dans un souffle. Bourrez-moi la gueule.


Il leur restait une bouteille de mauvaise vodka premier prix dans le fond d'un placard. On la sortit, et pendant qu'ils dégustaient le chili autour de la table basse – sauf Émile, qui devait être à jeun pour que tout se termine plus vite – on servit verre sur verre au jeune homme. Pur, pour que ça agisse rapidement. Au premier shot, Émile grimaça, au second, ses traits se firent moins plissés, il avala le troisième sans broncher, et le groupe décida d'attendre un peu que l'alcool monte avant de trancher sur s'il en fallait d'autres ou non.

Heureusement pour eux, Émile était un organisme léger. Très grand, tout fin, prenant tout son poids dans ses cheveux qui poussaient à une vitesse hallucinante. Il ne fut question que d'un quart d'heure avant qu'il commence à vouloir danser sur le générique du JT de 20 heures.

─ Il est chaud, là, remarqua Amina.

─ T'as raison, affirma César. Eh, Émile, t'en prends un autre.

Émile poussa un cri de contentement et saisit le shot que lui servait son ami. Samuel croisa le regard de Sélène, et ils échangèrent un rire. C'était bien quelque chose qu'il n'avait fait : bourrer un des leurs, pendant que les quatre autres restaient sobres. Émile était le seul debout, ses amis l'observaient faire son spectacle bien installés dans le canapé. Soudain, il tituba, et tomba sur les genoux de Samuel. Il s'accrocha aussitôt à son cou, et passa sa main sur son crâne rasé.

─ T'as pris, toi ? demanda Émile en touchant le biceps de Sam. Ça marche à la salle ? T'as dragué des minettes ou pas ? Eh, ça doit être trop bien d'être coach comme toi. Avoue. Avoue, tu vois plein de culs. Genre à longueur de journée.

Samuel fit la moue, et chercha à se défaire de son étreinte, mais rien à faire, Émile le collait, et il était impossible de s'en débarrasser.

─ Je crois qu'il est prêt, affirma César. On peut lui poser des questions, là. Sam ?

─ Quoi ? Maintenant ? Euh... réfléchit-il. Émile ?

─ Mmh...

─ Tu te souviens de samedi soir ?

Les autres se redressèrent pour écouter la réponse. Samuel n'y croyait pas trop, et César avait beau être l'un des plus intelligents de la bande, ses plans étaient toujours un peu foireux. A son plus grand étonnement, Émile acquiesça, avant de se tourner vers Amina et de la pointer du doigt de manière théâtrale.

─ Je t'ai embrassée, révéla-t-il. Mais genre... grosse pelle, dirty bitch, tout ça.

Émile rejoua alors la scène, mais sans Amina. Il embrassa le vide, sa langue sortant de sa bouche et tournant en l'air. Samuel fronça le nez de dégoût, César cacha les yeux de Sélène.

─ Ça marche ! s'exclama Amina que le vision d'horreur ne semblait pas choquer. Les gars, ça marche, il se souvient. OK, Émile, est-ce que tu sais avec qui t'as couché ?

─ Non mais tu m'as vu ? Moi, j'ai couché avec personne. Elle est folle, elle.

─ Il se souvient de rien du tout, soupira Sélène. On lui a bourré la gueule pour rien.

─ Par contre ! Par contre, lui, lui là. Il m'a demandé une capote. Il a pécho ! Champion !

Les yeux de Samuel suivirent l'index d'Émile. Au bout de celui-ci, il y avait César. 

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