3 : La fille

Màu nền
Font chữ
Font size
Chiều cao dòng


AMINA


Le lundi matin qui suivit la soirée, Amina devait affronter quatre heures de géopolitique, dans un amphi clairsemé, avec un professeur barbant qui essayait de faire rentrer tout son cours dans un diaporama de cinq pages. Le résultat était illisible, et si bien qu'on était dans le fond, on ne distinguait même pas les titres. Amina venait simplement pour faire acte de présence, et ne pas se sentir trop coupable, même si elle aurait tout donné pour faire la grasse matinée à la place. D'autant plus que, ce matin-là, elle n'avait pas du tout à la tête à réfléchir sur les relations entre le Yémen et les États-Unis. Calée dans un siège au bout d'une rangée – au cas où elle voudrait partir en plein milieu du cours –, cachée derrière son écran d'ordinateur, elle était fixée sur son fil d'actualité Twitter. Elle ne lisait pas vraiment, se contentait d'accrocher son regard aux photos qui défilaient. Tout pour se distraire de la réalité.

Son téléphone vibra dans sa poche et elle ouvrit le message de Sélène.

« On va manger en ville ce midi ? »

Amina fronça le nez, avant de taper.

« Pas de thunes... »

« Je t'invite. »

Comme elle n'allait pas refuser un restau à l'œil, Amina envoya un « OK. » et ferma la conversation. Avant même qu'elle ne puisse détourner les yeux, la discussion précédente capta son attention. Le nom de la personne n'apparaissait pas, remplacé par un cœur jaune, la couleur préférée de la jeune femme. Bien qu'elle sache pertinemment que rien de bon ne ressortirait de son geste, Amina appuya dessus pour relire les derniers messages envoyés. Il y en avait près d'une dizaine, venant uniquement d'elle. Il fallait remonter deux jours plus tôt pour voir une bulle blanche parmi toutes les bleues. « Je crois qu'on a plus rien à se dire ». Une boule se forma dans la gorge d'Amina alors que ses yeux filaient sur tous les messages qu'elle avait envoyés en réponse. « Arrête... », « On peut parler d'abord », « Je vais faire des efforts » et le dernier, le plus déchirant « S'il te plaît, laisse moi une autre chance... »

Depuis, plus rien. Elle avait écrit ces mots le samedi, à 14 heures, et n'avait jamais rien reçu. Amina posa son téléphone, le cœur lourd. Elle avait vraiment tout foutu en l'air. Pourquoi s'était-elle comporté comme une abrutie finie ? Ce n'était pas étonnant qu'elle l'ait jeté aussi sèchement, Amina aurait probablement fait la même, si ça lui était arrivé.

Elles avaient pourtant eu une jolie histoire. Elle avait rencontré Élise à une réunion du collectif féministe de la fac. Le coup de foudre complet, comme elle n'en avait jamais vécu, avec les papillons dans le ventre et la chair-de-poule. Elles avaient fait la fête, étaient parties en week-end, avait fait l'amour sur du Nina Simone, bref, elles avaient eu la relation dont Amina rêvait depuis son adolescence. Seulement voilà, à côté, il y avait tous les petits problèmes qui, à force de s'accumuler, en formaient un gros. D'abord, Amina refusait de parler d'elle à sa famille parce que... eh bien, elle n'avait pas encore fait son coming-out. Ça, Élise l'avait laissé passer. Elle comprenait, même si ses parents à elle étaient cool et ouverts. De toute manière, Amina ne voyait presque jamais sa famille. Tout s'était réellement corsé quand Élise avait demandé à rencontrer ses amis. Amina avait refusé. Elle ne leur avait même pas parlé de cette rencontre. Aux yeux de ses amis, elle était, et avait toujours été célibataire.

Elle connaissait la bande, elle savait à quel point tout le monde était méfiant quand l'un d'entre eux se mettait en couple : on craignait que la personne cherche à changer leur ami(e), on ne voulait pas briser les moments de complicité en introduisant quelqu'un qui ne comprendrait pas leurs délires. L'ancienne copine de Samuel les avait traumatisés, ils s'étaient promis de ne plus laisser une pièce rapportée les diviser. Et puis...

Et puis, si elle présentait Élise à ses amis, elle rendait toute leur relation officielle ! Elle n'était pas tellement prête à ça. Elle aimait le secret de leur couple, les jeux d'actrices qu'il fallait déployer pour ne pas avoir l'air en couple dans les soirées... Entretenir le flirt, c'était ce qu'elle recherchait, et elle avait peur qu'en officialisant la chose, elles allaient rentrer dans une routine insupportable. Bien sûr, Élise voyait ça autrement, et sa réaction, après cinq mois de secret, fut tout un ras-le-bol complet. « Si tu n'es pas capable de m'assumer, alors j'ai rien à faire avec toi ! » avait été sa menace. Amina n'avait pas su la retenir. Élise avait coupé tous les ponts, du jour au lendemain, depuis samedi.

Ceci expliquait son taux d'alcoolisation élevé lors de la fête, alors que bien souvent, elle ne buvait pas plus de deux bières. Cela avait aussi une importance certaine dans cette histoire de préservatif. Naturellement, tout le monde avait écarté Amina de l'histoire, car il paraissait invraisemblable pour eux qu'elle soit impliquée... Amina, elle, n'en était pas aussi certaine. Elle ne se rappelait de rien, enfin, presque. Elle se souvenait avoir pleuré dans les bras d'un Émile aussi arraché qu'elle, et lui avoir dit qu'elle s'était faite larguer, qu'elle détestait les filles, et que les garçons étaient sûrement mieux. Puis, c'est tout. Au début, elle n'avait eu aucun doute sur son innocence, mais quand Samuel avait lu les messages d'Émile, Amina avait commencé à s'inquiéter : et si c'était elle ?

Jusque là, elle avait tout gardé pour elle, mais à un moment, elle devrait bien en parler. Elle essaierait d'aborder le sujet avec Sélène, sa meilleure amie la comprenait toujours.


Ce fut difficile et éprouvant, mais Amina resta jusqu'à la fin du cours. Elle n'en avait connaissait pas plus que lorsqu'elle était arrivée, mais les quelques notes qu'elles avaient prises au mot près lui resserviraient forcément. Enfin, peut-être. Bienvenue à la fac, où personne ne savait ce qu'il fichait là, mais où tout le monde allait quand même !

Elle retrouva Sélène à cinq minutes de la fac, dans un petit restaurant thai. Comme César et Émile détestaient la nourriture asiatique, et que Samuel était en prise de masse, et mangeait du poulet pour huit, les filles préféraient venir ici juste à deux, et prendre ce temps pour elles. Elles s'installèrent, commandèrent, et en attendant leurs plats, un silence s'installa. Sélène leur servit de l'eau, et vit rapidement, au regard fuyant d'Amina, que quelque chose n'allait pas. Celle-ci regardait continuellement son téléphone, espérant recevoir à tout moment un message d'Élise.

─ Ça va ? l'interrogea Sélène.

─ Ouais, réagit aussitôt Amina en posant son téléphone sur sa chaise. Super, et toi ?

Sélène fronça les sourcils, l'air peu convaincue par l'entrain soudain de son amie.

─ En fait... commença la jeune femme. Je... Non, laisse tomber.

─ T'es toujours sur cette histoire de capote, devina Amina.

─ J'y crois pas, que ce soit juste Émile. Je veux dire, ça n'a pas de sens. Je pense vraiment que c'était deux personnes. Meuf, je crois que c'est moi.

─ Avec Émile, dit Amina avant de pouffer de rire. Non, mais tu t'entends ? C'est genre ton meilleur ami depuis la maternelle. Je sais qu'on fait des trucs complètement cons quand on a de l'alcool dans le sang, mais pas à ce point.

Sélène but une longue gorgée d'eau, visiblement perdue dans ses réflexions. Le cœur d'Amina se serra. Devait-elle tout lui raconter ? C'était sa meilleure amie après tout, elle méritait de savoir la vérité, surtout si elle comptait se prendre la tête de la sorte. Amina craignait qu'elle s'énerve de lui avoir caché l'existence d'Élise depuis tout ce temps. Peu importe ! Il fallait que ça sorte.

─ C'est pas toi, Sélène, j'te jure, affirma Amina.

─ Ah ouais, pourquoi ça ?

─ Je crois que c'est moi. Non, en fait, je sais que c'est moi.

D'abord, Sélène reste la bouche entrouverte, fixant son amie comme un poisson rouge. Puis, les traits de son visage se muèrent en une expression profondément perplexe. Elle voulait articuler un « Quoi ? » ou un « Hein », mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Amina profita de son silence choqué pour tout lui dire. Élise, les  mois de secret, la rupture, et à quel point elle était triste. Assez triste pour faire une bêtise. Les plats arrivèrent juste à la fin du récit, mais aucune d'entre elles ne toucha son assiette pendant de longues minutes. Sélène ne disait rien, et ceci inquiétait de plus en plus Amina.

─ T'es pas fâchée ? Que je vous ai rien dit ?

Sélène secoua la tête.

─ Non, non. Franchement, je m'en fous, on n'a plus quinze ans, ça serait débile de t'en vouloir parce que t'as une vie en-dehors de nous. T'inquiète. Mais... Meuf ! T'imagines, t'as couché avec Émile !

─ Tu peux le dire un peu plus fort pour voir ? Et c'est pas certain, hein ! Je me souviens juste avoir pleuré dans ses bras, ça veut rien dire. Mais dans la suite des choses, c'est juste possible.

Sélène haussa les sourcils avec exagération, avant de prendre ses baguettes pour entamer son plat. Dans un soupir, Amina l'imita, mais se rabattant sur la fourchette. Elle avait peur d'éborgner quelqu'un, autrement.

─ On devrait lui dire, tu penses ? demanda Sélène.

─ Non, s'teu plaît, la supplia Amina. Rien. On lui laisse croire qu'il s'est branlé. Je vois pas l'intérêt, ça va rendre tout super chelou.

─ Mais tu crois pas que ça va être chelou pour toi, du coup ?

Amina pinça les lèvres, avant de secouer la tête. Elle ne se souvenait de rien, de toute manière, donc c'était presque comme si rien n'était arrivé. Le destin lui avait donné une seconde chance en effaçant ce moment gênant de sa mémoire, elle n'allait donc pas forcer les choses. Il fallait laisser couler l'histoire.

Elles mangèrent, et pendant quelques minutes, ne discutèrent plus. Amina, les yeux sur son assiette, se mit alors à réfléchir. Pire chose à faire. Désormais qu'elle avait parlé à Sélène, c'était presque comme si tout était acté. Elle était celle qui avait couché avec Émile. C'était lourd de significations... non seulement, ça la mettait mal à l'aise, car il était un de ses meilleurs amis, mais en plus... c'était un homme. Le regard d'Amina se perdit dans le vide, sa cuillère pleine immobile dans sa main.

─ Je suis toujours lesbienne ? questionna Amina.

─ Hein ? Bah, oui, j'imagine. Pourquoi tu le serais plus ?

─ Je sais pas... Quand un végétarien mange de la viande, on peut plus dire qu'il est végétarien, non ? C'est un peu pareil. Si je me suis tapé un gars, je suis plus lesbienne aux yeux des autres...

─ Non mais arrête, c'est pas comme qu'il faut réfléchir. Tiens, prends un intolérant au gluten. Bah, s'il mange du gluten par accident, il reste intolérant au gluten. Il sera juste malade et se dira « Merde, j'ai bouffé du gluten, faut que j'arrête de faire n'importe quoi. » Toi, c'est un peu pareil.

─ Mais, quand on est bourrés, on est pas censés faire ce que, consciemment, on n'oserait pas faire ? Ça se trouve, dans mon inconscient, je veux me taper des mecs.

─ Alors déjà, chercha à la calmer Sélène, tu sais ce que je pense de Freud. Ensuite... Non ! Moi, quand je suis bourrée, j'ai envie de regarder Peppa Pig ou de danser sur les comptoirs, rien à voir avec des désirs que j'aurais quand je suis sobre. Et puis, attends, Mina, il y a une limite entre le désinhibé et le complètement éclaté. Et si tu te souviens pas de la soirée, crois-moi, ça veut dire qu'il n'y a aucune partie de toi qui a pris raisonnablement les décisions que tu as prises.

Amina était presque convaincue, de tout son discours, mais une partie d'elle doutait toujours. Si ça se trouvait, c'était même pour ça qu'Élise était partie : elle n'avait pas totalement confiance en elle, elle avait cramé quelque chose dont Amina n'avait pas du tout conscience. Des frissons parcoururent les bras de la jeune femme, le sentiment qui lui oppressait la poitrine était terrifiant. Elle n'avait jamais remis en cause sa sexualité jusqu'alors. Depuis la troisième, elle avait su qu'elle préférait les filles, alors pourquoi tout ceci la perturbait autant ?

Sélène sembla voir le dilemme qui se jouait dans sa tête, et vint la sauver de ses pensées en posant sa main sur la mienne pour attirer son attention.

─ Eh, l'interpella-t-elle d'une voix douce. Même si c'est vrai, même si... t'as fait consciemment le choix de coucher avec un gars... Ça invalide rien du tout. T'es toujours une fille, qui aime les filles plus que les garçons, qui est amoureuse d'une fille, et qui a fait les choix qu'elle a fait parce que cette fille lui a brisé le cœur.

Elle parvint à arracher un sourire à Amina, qui finit par se dire qu'elle avait sûrement raison. Une erreur qu'elle avait commise alors qu'elle était dans un état second ne pouvait remettre en cause toute la personne qu'elle était et avait construite. Sélène avait mis le doigt sur un autre point très juste : ceci ne changeait rien à ses sentiments pour Élise, et maintenant, Amina en était certaine, elle devait la récupérer, et faire tous les efforts que cet acte lui demanderait. Un peu reboostée, la jeune femme put apprécier la fin de son repas. Le téléphone de Sélène vibra quelques minutes plus tard.

─ C'est César, dit-elle en lisant son message. Sam fait du chili ce soir, il demanda si ça nous va ?

Amina acquiesça, avant d'ajouter.

─ Demande-lui si je peux dormir chez eux, j'ai cours à huit heures demain.

L'appartement des garçons était à quelques minutes de sa fac, et se transformait souvent en dortoir géant. Il arrivait que, certaines semaines, elle ne rentre qu'une ou deux fois dans son propre logement.

─ C'est bon, lui confirma Sélène. Je resterai peut-être aussi dormir, j'ai rien demain matin.

Elle reposa son téléphone pour avaler les dernières bouchées qui lui restaient. Amina la fixa, et cette fois-ci, ce fut elle qui remarqua qu'un truc clochait chez son amie. Elles se connaissaient depuis un bon bout de temps maintenant, verbaliser ne servait plus à grand-chose. Elles étaient pratiquement télépathes ! Effectivement, Sélène finit par souffler, en riant d'abord, puis assez sérieusement.

─ C'est con, hein, mais... pendant un moment, j'ai un peu espéré que ce soit César et moi...

Le cœur d'Amina se brisa en morceaux, et elle ne réussit qu'à accorder à son amie un sourire triste. Contrairement à Sélène, elle était nulle pour réconforter les autres, elle lui servit donc un discours bateau :

─ Le jour où tu te marieras, il s'en mordra les doigts.

À la tête de Sélène, Amina comprit que la formule magique n'avait pas fonctionné. La jeune femme en face d'elle balaya l'air d'un revers de la main, pour signifier qu'elle n'en avait rien à faire. Elles terminèrent le repas sans s'éterniser sur le sujet. Sélène alla régler, et quand elles sortirent du restaurant, il faisait un grand soleil. Dire qu'elles allaient s'enfermer dans des salles de classes jusqu'à 18 heures... Amina en était déjà déprimée. Sur le chemin du retour, leurs routes se séparèrent à l'entrée de l'université, chacune se dirigeant vers son bâtiment respectif.

Amina fit un détour aux toilettes, et pendant qu'elles reboutonnait son pantalon, son téléphone, qu'elle avait posé par terre, vibra. De haut, elle regarda le message qui s'affichait. Il provenait d'un cœur jaune, et il disait :

« Ok. Vendredi soir si ça te va, mais on va dans un bar, on reste pas toutes seules. »

─ Oui ! cria Amina avant de porter sa main à sa bouche en réalisant que tout le monde autour devait avoir entendu. Elle attrapa le téléphone, et répondit dans la seconde qui suivit, tant pis si elle paraissait désespérée – de toutes façons, elle l'était !

« Je peux amener mes potes ? »

Élise réagit tout aussi immédiatement. Trois petits points, et un emoji avec un sourire. Amina souffla, avant de piétiner sur place. Elle était sur la bonne voie. 

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen2U.Pro