Chapitre 11

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Lyssandra se demandait franchement pourquoi Julian avait changé de chaussures. Celles qu'il avait laissées au pied de l'arbre auraient facilement pu tenir une à deux années de plus. Sa propriétaire était vraiment bienveillante pour l'autoriser à en acheter de nouvelles. Dame Miranda n'aurait jamais toléré un gâchis pareil...

Cela faisait environ cinq minutes que la Neutre attendait au croisement, adossée au gros tronc de l'arbre où avaient été déposées les chaussures. Julian avait prit garde à les garnir de lourdes pierres. Il avait bien fait car ce matin-là, le vent soufflait si fort que Lyssandra ne tentait même plus de dégager ses cheveux blonds de son visage. Les bras croisés sur sa poitrine, le froid la rongeait.

Elle était à deux doigts de partir seule vers le village lorsqu'enfin, le jeune homme lui apparut au loin. Il la repéra aussi et s'efforça de trottiner... sauf que son pied rencontra une énorme racine et il trébucha. Heureusement, il se rattrapa avec peine et Lyssandra ne put s'empêcher d'éclater de rire.

— Je déteste cette forêt, grommela-t-il en arrivant vers elle. De tout mon coeur et de toute mon âme.

— Rien que ça ! fit-elle sans pouvoir s'arrêter de ricaner. Je suis désolée, je ne veux vraiment pas me moquer de toi mais... c'était magnifique.

Il releva le bas de son pantalon puis se frotta la cheville en grognant. Il essaya de faire un pas, trébucha de nouveau, et la jeune fille coupa court à son hilarité.

— Tu t'es fait mal ? demanda-t-elle penaude, se sentant soudain encore plus bête qu'elle ne croyait l'être.

Julian releva la tête vers elle et son visage se fendit d'un grand sourire qui illumina ses yeux marron.

— Avoue que mon numéro de grand blessé est plutôt convaincant, se vanta-t-il en marchant sans aucun problème.

— Tu passes à côté d'une grande carrière de comédien, ironisa Lyssandra en levant les yeux au ciel. Tu as déjà postulé au théâtre du village ? Ils ne savent pas quel talent ils perdent...

Comme il s'était mis en route, elle accéléra le pas pour le rattraper. Une nouvelle rafale de vent glaçante siffla et la Neutre songea à retourner au manoir. Ses mains tremblaient et ses pieds étaient si gelés qu'elle ne sentait plus ses orteils. Elle remarqua que Julian non plus ne semblait pas au meilleur de sa forme.

— Pourquoi dois-tu aller au village ? l'interrogea-t-il en resserrant sa cape autour de lui.

— Je n'ai plus beaucoup de Fortifiants.

Il hocha la tête, sans ajouter quoi que ce soit. Ils restèrent silencieux pendant une bonne centaine de mètres, jusqu'à ce qu'il se retourne vers elle subitement.

— En fait, j'ai quelque chose pour toi, dit-il à toute vitesse.

Il fouilla nerveusement dans la poche de son manteau et sortit une enveloppe aux coins quelque peu cornés. Lyssandra la fixa sans comprendre, jusqu'à discerner le nom qui y était écrit. Dame Miranda.

— C'est pour ta propriétaire, bégaya-t-il alors que la jeune fille était incapable d'articuler le moindre mot. Hilda lui propose de te racheter... C'est une offre de contrat officiel.

La Neutre ne pouvait détacher son regard de l'enveloppe. Ses lèvres s'entrouvrirent mais elle ne put parler.

— Je sais exactement ce que tu vas me dire, continua Julian d'une voix toujours plus hésitante. Qu'on ne se connaît pas, que ce ne sont pas mes affaires, que Dame Miranda ne voudra jamais te laisser partir mais... Sache que le monde n'est pas rempli de gens qui ne veulent que ton malheur.

Lyssandra était certaine d'être en plein rêve. La réalité allait forcément la rattraper et elle allait se réveiller dans son lit miteux, sans que la moindre "offre de contrat officiel" ne soit réelle. Or le vent froid qu'elle ressentait au plus profond de son être l'ancrait dans la réalité, et l'enveloppe à quelques centimètres d'elle ne se désintégrait pas en un millier de cendres. Sa liberté, ou du moins une vie meilleure, était juste à sa portée. Elle n'avait qu'à tendre la main pour la saisir...

— Hilda ne m'a jamais rencontrée, articula-t-elle après un temps. Pourquoi ferait-elle une telle chose ? Cela fait à peine quelques semaines qu'elle t'a acheté et elle est déjà prête à dépenser une importante somme d'argent rien que parce que tu lui as parlé de moi ?

— Je te l'ai dit, sourit Julian d'un air rassurant. Le monde entier n'est pas contre toi, Lyssandra.

C'est parfois difficile à croire, pensa la jeune fille.

— Certes, admit-elle en fronçant les sourcils, mais entre le diable incarné et les anges en personne, j'imagine qu'il y a autre chose... Tu ne vas pas me dire que soudain, par le plus grand des miracles, je suis tombée sur toi et ta si bienveillante maîtresse et que tous deux allez me délivrer des griffes de l'affreuse vampire qui régit mon existence depuis ma naissance ?

Comme il ne répondait rien, elle échappa un rire sans joie avant de conclure : 

— Désolée, mais je ne crois pas aux belles histoires que lit Alisée. Rien n'est jamais aussi simple, il y a toujours un prix à payer.

Il parut retenir un rire. Lyssandra lui lança un regard noir indiquant qu'il avait intérêt à dire ce qu'il trouvait de si drôle.

— Tu déprimerais même le plus joyeux des enfants, fit-il après avoir repris une mine sérieuse. Tu envisages les choses comme si le mal se cachait forcément dessous.

— Désolée, répéta-t-elle en croisant les bras, sur la défensive. Vieille habitude de réserve de sang ambulante.

Bien sûr qu'au fond d'elle, tout ce qu'elle voulait c'était prendre cette enveloppe, retourner au manoir, la balancer à la figure de Dame Miranda et s'en aller pour toujours, en crachant sur le paillasson au passage. Sauf qu'elle savait que quelle que soit la somme que Hilda proposait à la vieille vampire, cette dernière ne la laisserait jamais partir. Si elle osait ne serait-ce que glisser cette proposition au détour d'une conversation, la buveuse de sang saurait lui rappeler son châtiment pour... Pour quoi au juste ? Être venue au monde ?

— Et cette Alisée ? s'enquit soudain Julian, ses yeux s'illuminant comme s'il venait de trouver la solution pour sauver le monde. Elle ne pourrait pas t'aider, elle ? Parler à Dame Miranda, par exemple ?

— Alisée et Kristal lui sont fidèles. Elles étaient ses Neutres avant qu'elle ne les transforme en vampires. Cela fait des dizaines d'années qu'elles vivent ensemble. J'ignore pourquoi elles restent toutes les deux au manoir alors que théoriquement, elles sont libres...

Certes, elles étaient logées, nourries et n'avaient aucune dépense à supporter. Il n'empêchait que même si Dame Miranda transformait un jour Lyssandra et lui promettait tout ça, elle prendrait ses jambes à son cou. Plus elle pensait à la situation des deux filles, plus elle la trouvait étrange. Alisée aurait pu séduire n'importe quel riche vampire lui offrant les mêmes choses et en ce qui concernait Kristal, il devait bien exister d'autres créatures sanguinaires ayant été transformées précocement...

— Dame Miranda doit les retenir avec quelque chose, supposa Julian. Les menacer pour qu'elles restent.

— J'y ai déjà pensé. Sauf qu'à ma connaissance, elles n'ont aucune famille sur laquelle on pourrait faire pression, ne possèdent rien, n'ont aucune attache... Impossible de connaître l'origine de leur soumission.

Julian resta songeur quelques instants puis ils se remirent doucement en marche. Le vent commençait à se calmer et le froid se faisait moins tranchant. Il n'empêche que l'on se serait cru en plein hiver alors que le printemps avait débuté depuis quelques semaines. La Neutre allait faire un commentaire sur le temps lorsque le jeune homme reprit la parole :

— Essaye au moins d'en parler à la moins pire des deux. Si tu vois qu'elle est aussi réceptive qu'une huître, alors n'insistes pas mais s'il te plaît, ne laisse pas ta chance passer...

Comment Lyssandra était-elle censée refuser alors qu'il se montrait si bienveillant ? Il avait sûrement dû faire beaucoup d'efforts pour convaincre Hilda de remplir ce contrat. L'occasion ne se représenterait peut-être jamais. Elle ne pouvait pas passer le reste de sa vie à regretter de ne pas en avoir parler à Alisée.

— D'accord, accepta-t-elle. Si je vois qu'elle n'est pas de mauvaise humeur et que son personnage préféré n'est pas mort dans le livre qu'elle lit, alors je lui ferais part de la proposition d'Hilda.

— Tu vois que tout n'est pas si désespéré que tu le penses ! s'exclama-t-il avec enthousiasme, comme si c'était lui qui allait quitter Dame Miranda.

Elle aurait sincèrement voulu affirmer la même chose, mais elle sentait que quelque chose tiquait. Tout était parfait, tout allait trop vite. Les gens étaient soudain aussi gentils que des agneaux. Le monde ne semblait plus lui crier qu'elle n'aurait jamais dû exister. Pourtant, elle n'avait pas l'impression que ses étoiles étaient parfaitement alignées pour autant.

Son esprit ne cessait de fonctionner à pleines machines pour trouver toutes les possibilités pouvant expliquer la gentillesse de Julian. Si ça se trouve, Hilda est une Dame Miranda numéro deux et son seul moyen de lui échapper est de se trouver un remplaçant. Peut-être n'est-elle pas une louve mais une vampire. Dans ce cas, elle aurait pu promettre à Julian de le transformer s'il lui ramenait une Neutre soumise et obéissante. Chassant rapidement ces pensées, elle se concentra sur la beauté des arbres qui l'entouraient. Cependant, l'image de Julian avec le menton dégoulinant de son sang était ancrée dans son esprit...

Si bien qu'elle sursauta quand il lui demanda à quel endroit du village elle trouvait des Fortifiants.

— Euh... Tu es sûre que ça va ? l'interrogea-t-il avec un regard inquiet. 

— Tu crois que Hilda accepterait de me rencontrer ? demanda-t-elle en guettant sa réaction.

S'il répondait par la négative ou de manière évasive, alors elle laisserait ses soupçons grandir.

— Bien sûr, affirma-t-il sans la moindre hésitation. Elle n'habite pas loin du croisement où l'on se retrouve. Si nous rentrons trop tard du village aujourd'hui, alors nous verrons demain.

— Parfait.

Comme ça, si Lyssandra prenait le risque de parler de son cas à Alisée, elle saurait pour quoi elle se battait. Si Hilda lui proposait vraiment de quitter l'enfer pour un semblant de paradis, alors elle tenterait ce qui était en son pouvoir pour y parvenir.

— C'est tout à fait normal que tu ne me fasses pas confiance, déclara Julian comme s'il lisait dans ses pensées. Après tout, je débarque de nulle part dans ta vie avec mon chariot têtu et mon irrécupérable maladresse... Même moi je me méfierais de moi.

Le sourire si irrésistiblement innocent qui l'animait rendit la jeune fille honteuse. Il avait raison : elle voyait le mal partout.

— Je te fais confiance, balbutia-t-elle sans conviction. C'est seulement...

— Une vieille habitude de réserve de sang ambulante, compléta-t-il. Je comprends.

Elle hocha doucement la tête. Ils marchèrent en silence jusqu'au village, mais ce calme n'était pas pesant. Lyssandra était occupée à imaginer tous les scénarios possibles concernant sa rencontre avec Hilda. De son côté, Julian ne cessait de se frotter les bras comme s'il faisait aussi froid que lors d'une tempête de neige. Il devait vraiment regretter sa si chaleureuse Terre des Loups du Rubis.

La boutique où Lyssandra trouvait ses Fortifiants était située en bas de l'allée principale. Cela leur évita de traverser la masse de gens qui s'était à nouveau formée autour de Walter, le loup-garou aux idées révolutionnaires. Cette fois, il était perché sur une estrade encore plus haute et tenait à la main une corne de brume dans laquelle il soufflait régulièrement pour attirer l'attention.

— Ce fou va tous nous rendre sourds, s'agaça Julian en se couvrant les oreilles. Bientôt il prendra carrément les trompettes royales...

Pressés d'échapper au vacarme, Lyssandra et lui entrèrent en vitesse dans la petite boutique de Fortifiants. L'espace était presque aussi minuscule que la chambre de la Neutre. Les murs étaient recouverts de tentures rouge foncé et la seule source de lumière provenait de la fenêtre aux carreaux sales qui donnait sur l'allée principale. Une odeur de fumée étrange planait toujours sur les lieux. La jeune fille y était habituée mais ce n'était pas le cas de Julian qui toussa comme s'il s'étouffait.

Deux autres Neutres étaient devant eux, attendant leur tour. Au fond de la boutique se trouvait un comptoir en bois rustique, qui semblait avoir été volé à une taverne. La propriétaire des lieux se tenait derrière, occupée à encaisser un client.

— Qu'est-ce que c'est que cet endroit ? murmura Julian en remontant le col de son manteau devant son nez. On dirait que personne n'a fait aérer cette pièce depuis un siècle...

— Un siècle ? chuchota le Neutre qui patientait devant eux. Un millénaire plutôt...

— La famille d'Abigaïl maîtrise tout le commerce des Fortifiants sur la Terre du Diamant depuis des générations, expliqua Lyssandra à voix basse. C'est même l'un de ses ancêtres qui les a inventés. Ce sont sans aucun doute les Neutres les plus riches du monde. Ils bénéficient de la protection du Grand Alpha et même de celle du roi des vampires...

— S'ils sont si riches que ça, ils feraient mieux de se payer des cours de propreté...

Le Neutre devant eux gloussa mais s'empressa de reprendre son sérieux lorsque son tour arriva. Les deux autres patientèrent en silence. Le jeune homme semblait sur le point de tomber dans les pommes. Lyssandra le força malgré tout à découvrir son nez quand ils furent appelés.

— Combien ? demanda avec lassitude la femme aux longs cheveux gris derrière le comptoir.

Abigaïl ne prenait jamais la peine de feindre de s'intéresser à ses clients. Elle fumait perpétuellement un cigare dont la fameuse odeur entêtante avait imprégné les lieux.

— Trois boîtes, qualité supérieure, indiqua machinalement Lyssandra.

— Et le petit nouveau ? fit la vendeuse de sa voix rauque en jetant un coup d'oeil à Julian.

Elle connaissait tous les Neutres des environs alors forcément, elle savait lorsqu'un nouvel arrivant débarquait.

— Euh... Pas besoin, répondit-il en secouant la tête.

Abigaïl se tourna vers les étagères remplies de boîtes en tous genres derrière elle. Lyssandra vit que Julian se retenait de tousser. S'il continuait comme ça, il allait vraiment s'étouffer... Elle s'empressa de payer ses Fortifiants et c'est presque en courant qu'il sortit de la boutique. Une fois dehors, il avala de grandes goulées d'air, pareil à s'il avait été en apnée pendant de longues minutes. Au même moment, Walter souffla un grand coup dans sa corne et assourdit les alentours.

— Ma parole, ce village est l'enfer sur terre ! s'écria Julian avant d'éternuer. Entre le froid, ces rugissements insupportables et ces odeurs à tomber, je me demande comment tu as fait pour survivre ici si longtemps.

Un rire nerveux échappa à Lyssandra. Si seulement elle n'avait enduré que ça...

Restait désormais à espérer qu'elle survivrait à sa rencontre avec Hilda.

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