Chapitre 27

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Lyssandra n'arrivait pas à y croire. Alors comme ça, Julian avait vraiment demandé à Hilda de l'attendre au croisement ? Il lui fallut quelques secondes pour se rappeler que le jeune homme n'était pas un simple Neutre au service de la louve. S'il était bel et bien le fils du Grand Alpha, Hilda faisait donc partie de sa famille, aussi invraisemblable que cela semblait être.

— Par la Lune, que s'est-il passé pour que tu sois dans cet état ? questionna Hilda alors que la Neutre peinait toujours à calmer sa respiration.

La vieille femme approcha sa lanterne du cou de la jeune fille et marmonna un juron en découvrant les affreuses traînées de sang séché. Grâce aux Fortifiants, les plaies causées par les canines de Dame Miranda n'étaient plus que deux infimes cicatrices qui auraient complètement disparu d'ici quelques heures. Mais tout ce sang donnait l'impression que Lyssandra avait été égorgée puis ressuscitée... ce qui n'était pas loin de la vérité.

Du mieux qu'elle le put, la Neutre raconta ce qui lui était arrivé, sans toutefois entrer dans les détails. Elle ignorait quelle heure il était, mais elle ne voulait pas perdre de temps à s'appesantir sur ses malheurs, d'autant plus que chaque nouvelle parole plongeait un peu plus Hilda dans l'effroi.

— Même la Terre des Vampires serait un endroit trop doux pour cette vipère ! s'exclama la louve une fois que Lyssandra eut terminé son récit pourtant édulcoré. Je n'ai pas l'habitude de parler ainsi, mais je pense vraiment qu'un pieu dans le coeur lui ferait le plus grand bien !

La jeune fille n'allait certainement pas la contredire.

— Ne pensez-vous pas qu'il soit trop tard pour aller au château ? demanda-t-elle avec inquiétude.

En levant les yeux vers le ciel, elle remarqua la pleine lune à travers les hautes branches des arbres. L'astre formait un parfait disque argenté et brillait déjà haut dans la nuit étoilée. Ayant perdu toute notion du temps depuis que Dame Miranda lui avait assené sa première gifle, elle ignorait combien il lui en restait avant minuit.

— Bien sûr que non ! s'exclama Hilda en partant d'un petit rire. Tant que tu ne vois pas mon nez se transformer en un joli museau, tu n'as pas à t'inquiéter. Jack et Gustus vont nous conduire à toute vitesse jusqu'au village !

La louve se tourna vers les deux cochers qui hochèrent la tête avec respect, puis aidèrent Hilda à remonter dans le véhicule. L'un tendit ensuite une main à Lyssandra qui hésita un instant avant de la saisir et de se hisser dans le carrosse. Elle s'installa sur une banquette confortable en face de la vieille femme, tandis qu'un cocher refermait la portière. L'habitacle était assez vaste et éclairé par des petites lanternes suspendues au-dessus des deux minuscules fenêtres latérales. Ces dernières pouvaient être recouvertes par de jolis petits rideaux noirs. La Neutre se sentit étrangement bien dans ce carrosse, d'autant plus que des coussins moelleux étaient éparpillés sur les banquettes, soulageant ainsi son corps toujours endolori.

— Je voyage souvent et crois-moi, il est nécessaire de disposer de tout le confort possible lorsque tu restes enfermée ici pendant des heures, déclara Hilda comme si elle lisait dans les pensées de la jeune fille. Je te raconterai bien la fois où j'ai traversé la Terre de l'Ambre en pleine chaleur estivale, mais nous verrons cela une autre fois.

Les chevaux se mirent en marche, et les claquements de leurs sabots ainsi que les grincements des roues du carrosse résonnèrent aux oreilles de Lyssandra.

— Je ne pourrai pas entrer au palais du Grand Alpha comme ça, murmura-t-elle en baissant les yeux vers sa robe qui semblait avoir servi à nettoyer une scène de crime.

C'était sans compter ses bras nus tuméfiés et couverts de traces rouges.

— Oh ne t'inquiète pas pour ça, répondit Hilda avec un sourire complice. J'ai ce qu'il te faut.

Elle se pencha en avant et ouvrit un tiroir caché sous la banquette où était assise la Neutre. Elle en sortit une large boîte rectangulaire, faite d'un délicat carton blanc. La louve la tendit à Lyssandra qui resta un instant interdite, ne sachant qu'en faire.

— Eh bien, ouvre-la ! l'enjoignit la vieille femme en agitant une main ridée avec impatience. Qu'attends-tu ?

La jeune fille s'exécuta et ouvrit de grands yeux face à ce qu'elle découvrit.

D'abord, elle fut éblouie par le bleu chatoyant du tissu. Il lui semblait que c'était la plus belle couleur qu'il lui eut été donné de voir. On aurait dit que la plus étincelante des nuits avait été capturée et transformée en ce vêtement destiné à une princesse. Car il ne pouvait avoir été conçu pour un autre être sur cette terre qu'une personne d'un rang aussi élevé. Le bustier de la robe était constellé de petites pierres argentées qui étincelaient à la lumière des lanternes du carrosse. Avec des mains tremblantes, Lyssandra osa déplier le vêtement et la large jupe se révéla, si volumineuse que c'était à se demander comment elle avait logé dans la boîte.

— Bon, j'avoue m'y être un peu prise à la dernière minute, donc j'ai dû m'accommoder de ce qu'il restait, fit Hilda comme si elle lui présentait des guenilles rapiécées. Ça m'avait l'air d'être à ta taille et...

— Vous... Vous m'avez vraiment acheté cette robe ? l'interrompit la jeune fille sans que son regard ne puisse se détourner de la masse de tissu qu'elle tenait toujours entre ses mains. Hilda... Vous n'aviez pas à faire ça, je ne...

— Je savais que ton idée de reprendre la robe de cette chère petite vampire ne tiendrait pas la route. Sans vouloir insulter tes talents de couturière, je me doutais que tu ne serais pas à l'aise dans un vêtement trop étroit, à l'origine conçu pour le corps d'une fille de douze ans.

Une fois remise de sa surprise, la jeune fille bredouilla des remerciements que la louve balaya d'un geste de la main.

— Tu me remercieras une fois que tu l'auras enfilée dans ce bolide en mouvement sans t'être déboîtée une épaule...

Effectivement, rien que le fait de se déshabiller ne fut pas une mince affaire pour Lyssandra, qui se cogna contre les parois de l'habitacle un bon nombre de fois. Elle était légèrement gênée de se retrouver en sous-vêtements devant Hilda, mais lorsque vint le moment d'enfiler l'imposante robe, elle fut bien contente d'avoir une assistante. La jeune fille se tourna du mieux qu'elle le put afin que la vieille femme attache les lacets du corset. Elle prit garde à ne pas trop serrer, les côtes de Lyssandra ne s'étant pas tout à fait remises de leur choc contre les marches de l'escalier. La Neutre prit soin de ranger l'écrin contenant sa bague dans une des poches de la robe, sans oublier d'y glisser discrètement son petit poignard en bois.

Une fois habillée, il ne lui restait plus qu'à nettoyer le sang séché sur son cou et ses bras. Hilda sortit une gourde d'eau qu'elle avait prévue pour son usage personnel au cours de la soirée, mais assura à la Neutre qu'elle trouverait des boissons bien plus intéressantes au palais. Elle lui demanda ensuite l'autorisation de découper un morceau à peu près propre de l'ancienne robe de Kristal, puis imprégna le tissu d'eau avant de l'appliquer délicatement sur la peau de Lyssandra.

— Tu ne veux pas que je te refasse ta coiffure ? s'enquit Hilda en étudiant les quelques mèches blondes qui s'étaient échappées de son chignon. J'ai aussi apporté des épingles.

La jeune fille se retourna du mieux qu'elle le put, de façon à ce que la louve puisse épingler ses cheveux en une coiffure plus distinguée. Pendant que la vieille femme s'exécutait avec entrain, apparemment heureuse de jouer aux habilleuses et aux coiffeuses, Lyssandra songea qu'elle ne faisait que cacher la misère. La vêtir d'une magnifique robe ne suffirait pas à la transformer en une sublime créature telle qu'Alisée. Elle restait et resterait une misérable fille tandis que pour sa part, Julian était un...

— Tu veux goûter mes petits gâteaux à la citrouille ? proposa Hilda lorsqu'elle en eut terminé avec le chignon, mettant ainsi fin aux tristes pensées de Lyssandra. Chaque fois que je vais au palais, je prends des petites gourmandises avec moi. Si j'arrive là-bas le ventre plein, je ne suis pas tentée de dévorer toutes les délicieuses sucreries qui y sont servies. C'est un coup à prendre cinq kilos en une soirée...

Elle sortit une boîte métallique du tiroir caché sous la banquette, et tendit à la Neutre l'un des gâteaux orangés qui se trouvaient à l'intérieur. La jeune fille ne se fit pas prier, désireuse de chasser de sa bouche le persistant goût âcre des Fortifiants.

— Je dois avouer que ce n'est pas vraiment la saison des citrouilles dans notre région, fit Hilda après avoir mangé deux petits gâteaux d'affilée, mais j'ai réussi à en faire venir de la Terre du Saphir. À force, je finis par être écoeurée des tartes aux pommes.

Lyssandra se contenta de hocher la tête, sans répondre. Un rapide coup d'oeil à la fenêtre lui indiqua que le carrosse était toujours en train de traverser la forêt. Un silence s'étendit entre les deux passagères. L'esprit de la jeune fille profita de cet instant de calme pour lui rappeler un détail de ses récentes mésaventures, ou plutôt ce qui y avait mis un terme...

Je crois que James du Topaze était bien mon père, déclara-t-elle d'une voix mal assurée. Ou du moins, mon père s'appelait James.

— Je sais.

Stupéfaite, la Neutre leva aussitôt la tête vers Hilda. Cette dernière affichait un petit sourire triste et avait parlé avec la plus infinie douceur.

— Je vous demande pardon ? Comment... Comment pouvez-vous le savoir ? Lorsque je vous ai posé la question, vous m'avez dit que ce nom ne vous disait rien.

— Et je ne t'ai pas menti. Lors de notre première rencontre, quand je t'ai demandé de passer le bonjour à James, mon esprit quelque peu détraqué t'a... confondu avec ta mère. Tu lui ressembles tellement que quand je t'ai vue quitter ma maison, cela m'a ramenée vingt ans en arrière.

Lyssandra n'était pas certaine de tout comprendre et retint sa respiration tandis que la louve poursuivait :

— Quand tu es revenue chez moi les fois suivantes, j'avais la sensation que quelque chose chez toi m'était familier, mais j'étais incapable de me rappeler la personne que tu m'évoquais. Puis tout à l'heure, en te voyant courir au beau milieu de la forêt, cela m'a rappelé ma rencontre avec une certaine personne... Ma rencontre avec Rosaley. Alors, j'ai eu un nouveau déclic et j'ai compris.

Pour sa part, la jeune fille ne comprenait rien. C'était déjà la deuxième fois de la soirée qu'elle entendait ce prénom. Rosaley. Elle croyait se souvenir de ce que Dame Miranda avait dit à son sujet, juste avant de lui sauter à la gorge. Le fantôme de Rosaley nous a assez hantées.

— Vous êtes en train de me dire que ma mère s'appelait Rosaley et que vous la... connaissiez ? hésita-t-elle sans parvenir à intégrer complètement cette idée. De même que mon père ?

— C'est une longue histoire, je ne suis pas certaine que ce soit le bon moment pour te la raconter...

— Si, la coupa Lyssandra d'un ton ferme qu'elle ne put contenir. J'en ai assez que l'on me dissimule la vérité et de me contenter de sous-entendus.

Hilda affichait un faible sourire, mais ses yeux d'un bleu si clair semblaient chargés de tristesse. Elle se mit à faire onduler sa tresse de cheveux gris entre ses doigts, sans vraiment en avoir conscience.

— J'ai rencontré Rosaley il y a bien longtemps, commença-t-elle d'une voix légèrement cassée. À l'époque, je revenais d'un voyage sur la Terre des Loups du Saphir et j'étais contente de retrouver ma Terre du Diamant natale. J'étais assez en forme pour pouvoir me rendre à pied jusqu'au village, afin d'installer mon stand de portraits les jours de marché. Une fois, j'avançais tranquillement dans ces mêmes bois lorsqu'une jeune affolée m'a dépassée à toute vitesse, s'excusant au passage de m'avoir un peu bousculée. Elle courait si vite que je me suis retournée, de peur que les arbres derrière moi aient pris feu et qu'il me faille moi aussi prendre mes jambes à mon cou.

Le regard de la vieille femme semblait perdu dans le vide, pareil à si elle revivait la scène à l'instant même. Lyssandra l'écoutait attentivement, l'estomac noué, incapable d'avaler un nouveau gâteau à la citrouille.

— La jeune femme ne m'avait pas devancée de dix mètres que ses pieds ont rencontré une racine et qu'elle s'est étalée au sol de tout son long.

Cette expérience était également familière à la Neutre...

— Je me suis précipitée à ses côtés et l'ai aidée à se relever. Je lui ai demandé ce qu'il lui prenait à courir ainsi, comme si le roi des vampires était à ses trousses. Elle paraissait prête à fondre en larmes, et m'a répondu qu'elle serait tuée si elle ne ramenait pas des bobines de fil à l'une de ses maîtresses avant midi.

Apparemment, Kristal se prenait déjà pour une virtuose de la couture en ces temps-là.

— Je lui ai proposé de l'embaucher pour m'aider à installer mon matériel au marché, reprit Hilda. Comme ça, elle avait une bonne raison d'être en retard. En échange, j'ai rédigé un petit contrat improvisé à l'adresse de ses propriétaires et j'ai joint quelques pièces d'argent pour les dédommager. Rosaley a mis du temps avant d'accepter, mais elle a fini par céder et m'a remerciée. Quelques jours plus tard, je l'ai recroisée dans la forêt et d'après ce qu'elle m'a dit, notre petit stratagème avait fonctionné. Ses maîtresses l'encourageaient même à me reproposer ses services, du moment qu'elle leur remettait la somme qu'elle gagnait.

Cela ne ressemblait guère à Dame Miranda. Avec Lyssandra, elle n'aurait passé l'éponge sur aucun retard, surtout si la Neutre avait consacré son temps à assister une louve qui n'avait aucun droit sur elle.

— Rosaley a donc pris l'habitude de m'aider les jours de marché. Nous faisions le trajet ensemble et j'étais contente de l'avoir pour compagnie. Malgré son statut de Neutre au service de trois vampires, c'était la personne la plus rayonnante que je connaissais. Elle ne se plaignait jamais. Au bout de quelques mois, j'ai remarqué qu'elle commençait à changer. Elle ne semblait plus simplement heureuse, mais euphorique. Ses éclats de rire nous accompagnaient jusqu'au village et elle ne cessait de parler d'un certain James.

Si le visage d'Hilda s'était éclairé à l'évocation de la personnalité de Rosaley, il s'était aussitôt renfermé dès le dernier mot de sa phrase prononcé.

— Je n'ai jamais su comment ils s'étaient rencontrés. Rosaley ne cessait de me chanter les louanges de ce loup-garou, sans me donner le moindre détail important à son sujet, excepté qu'il venait de la Terre du Topaze. Je ne savais pas où elle le voyait, étant donné qu'elle n'allait pas au village pour le retrouver. Elle a fini par me le présenter après de longs mois, et m'a demandé de peindre un portrait d'eux. James me semblait plus âgé qu'elle, mais il me fit une bonne impression. Il faut dire qu'après tout le bien que j'avais entendu sur lui, j'aurais eu toutes les raisons de trouver mes attentes en dessous de la réalité, or il n'en fut rien.

— Ce... Ce portrait que vous a demandé Rosaley, l'interrompit Lyssandra d'une voix enrouée, vous avez accepté de le faire ?

— Pourquoi aurais-je refusé ? fit Hilda en haussant les épaules. C'est l'une de mes plus grandes réussites. Ce n'est pas tous les jours que l'on peut travailler avec des gens dont les traits sont si agréables à dessiner.

— Et savez-vous où l'on peut voir ce tableau ? s'enquit la Neutre avec espoir, en pensant aux innombrables toiles qui se trouvaient chez la louve.

— Je suis désolée, je n'en ai aucune idée. Je l'ai remis à Rosaley, mais je ne sais pas ce qu'il est devenu.

Le coeur de la jeune fille se serra. Pendant un instant, elle avait caressé l'espoir de connaître le visage de ses parents. Elle se sentit stupide d'avoir cru une telle chose possible. Mais après tout, tu es bien devenue amie avec le fils du Grand Alpha. Si cela n'était pas quelque chose d'inconcevable...

— Après ma rencontre avec James, j'ai revu Rosaley quelques fois, mais elle ne m'accompagnait plus aussi régulièrement au marché. Puis je l'ai perdue de vue pendant des mois. Je me suis imaginé qu'elle était partie sur la Terre du Topaze avec son beau loup-garou. Sauf que j'ai fini par la revoir dans la forêt... avec un énorme ventre rond. Ce jour-là, elle avait l'air extrêmement étrange. Elle m'a dit que James allait racheter son titre de propriété et qu'ils allaient partir d'ici. Elle semblait être la femme la plus heureuse du monde, mais elle était très inquiète. James allait devoir s'absenter quelques jours et elle avait peur que le bébé naisse avant son retour. Elle ne me l'a pas déclaré explicitement, mais j'ai compris qu'elle craignait de rester seule avec ses propriétaires.

Lyssandra avait presque envie de demander à Hilda d'interrompre son récit. Elle n'arrivait pas à intégrer que cette histoire était la sienne, ou plutôt, elle se forçait à rester hermétique face aux émotions qui menaçaient de la faire flancher. Trop de choses étaient en jeu ce soir-là pour qu'elle se permette d'être faible.

— J'ai proposé à Rosaley de venir chez moi le temps de l'absence de James, poursuivit Hilda d'une voix toujours plus éraillée. Sauf que sa propriétaire avait accepté de céder son titre de propriété uniquement si elle restait vivre chez elle jusqu'à la naissance de l'enfant. Rosaley m'a donc fait ses adieux, me disant qu'elle serait sûrement trop fatiguée dans les prochains jours pour s'aventurer dans la forêt. Elle a refusé que je lui rende visite chez sa propriétaire, et m'a assuré que tout allait bien se passer. Elle...

La voix de la louve s'éteignit alors que ses yeux se brouillaient de larmes. Sans s'en rendre compte, Lyssandra serrait le tissu bleu de sa jupe entre ses doigts, si fort qu'il serait sans doute froissé pour le reste de la soirée. Mais il lui fallait se raccrocher à quelque chose. Tu pleureras plus tard, se répétait-elle avec acharnement. Attends d'être devenue une louve et à ce moment-là, tu auras le droit de relâcher la pression.

Vous ne l'avez jamais revue, c'est ça ? demanda-t-elle après avoir pris une inspiration. Vous n'avez jamais cherché à savoir si elle et James étaient bien partis sur la Terre du Topaze ?

Malgré elle, la Neutre en voulait à Hilda. Comment avait-elle pu laisser Rosaley dans son état, seule avec des vampires ? James était encore pire. Pourquoi s'était-il absenté alors qu'il savait très bien que celle qu'il prétendait aimer allait se retrouver à la merci de Dame Miranda ?

— Justement, si, j'ai voulu savoir, déclara la vieille femme en gardant les yeux baissés. Je pensais sans arrêt à Rosaley et j'ai fini par me renseigner sur Dame Miranda, sa propriétaire. J'ai retrouvé son adresse et une nuit, je me suis rendue jusqu'à son manoir. C'est une petite rousse qui m'a ouvert. On ne peut pas dire qu'elle m'ait réservé un accueil très chaleureux... Je lui ai demandé des nouvelles de Rosaley et tout ce qu'elle m'a répondu, c'est qu'elle était morte en donnant naissance à son enfant et que je ferais mieux de déguerpir avant que Dame Miranda ne me voit. J'ai entendu les pleurs d'un bébé, j'ai demandé des explications, mais la petite m'a claqué la porte au nez.

Comme Hilda ne continuait pas, Lyssandra en déduisit qu'elle n'avait rien d'autre à dire. Elle avait appris la mort de Rosaley et avec le temps, elle avait oublié cette histoire, ce qui était compréhensible. Il était déjà étrange que pour une vieille louve à l'esprit "détraqué", elle se souvienne de tout cela avec autant de précision...

— Nous sommes presque arrivées, déclara la jeune fille d'une voix faussement calme en s'apercevant que le carrosse avait quitté la forêt et que les lumières du village se rapprochaient.

Elle n'avait guère envie de penser à l'histoire qu'elle venait d'entendre, pas plus que de songer à ce qui l'attendait au palais du Grand Alpha. Elle s'apprêtait à compter les pierres argentées qui ornaient le bustier de sa robe, lorsque la louve reprit la parole :

— Il y a autre chose que j'aurais à te dire, mais... Je ne sais pas si c'est une bonne chose pour toi que je te raconte cela, je ne suis même pas sûre de ce que j'ai vu et...

Elle laissa sa phrase en suspens en Lyssandra retint une nouvelle fois son souffle. Désireuse de mettre fin à cette attente lui mettant les nerfs à vif, elle pressa Hilda du regard. Cette dernière finit par pousser un soupir résigné.

— D'abord, promets-moi que tu ne te laisseras pas tourmenter par mes propos, déclara la louve en plongeant son regard dans celui de la Neutre avec inquiétude. Il faisait nuit et... Plus j'y pense, plus je me dis que c'était peut-être quelqu'un d'autre et...

— Je vous le jure, la coupa la jeune fille d'une voix tremblotante. Sans vouloir vous manquer de respect après tout ce que vous avez fait pour moi, j'aimerais que vous en veniez au fait... Vous commencez à me faire un peu peur.

Et c'était un bel euphémisme. Lyssandra ignorait pourquoi Hilda prenait autant de pincettes, mais cela n'était certainement pas de bon augure.

— Juste avant de quitter le manoir et de retourner dans la forêt, murmura finalement la vieille femme tandis que le carrosse arrivait dans l'allée principale du village, mon regard a été attiré par une lumière. La lumière d'une bougie qui brûlait derrière un minuscule hublot, au niveau du toit du manoir. Je te rappelle que je n'étais déjà pas très jeune et que de toute façon, je n'ai jamais eu une excellente vue, mais... J'ai eu l'impression de voir un visage derrière ce hublot.

Cette fois, Lyssandra eut la sensation que sa tête lui tournait. Elle était persuadée qu'elle n'aurait pas tenue sur ses jambes si elle n'avait pas été confortablement assise sur cette banquette.

— Cela n'a duré que quelques secondes, car quand j'ai cligné les yeux et que je les ai rouverts, aucune bougie n'éclairait le hublot et personne ne se trouvait derrière. J'ai cru avoir halluciné, pourtant dès que j'y repense, je revois encore ce visage pâle... Si pâle que sur le coup — et je me moque encore de moi pour cela — j'ai pensé qu'il ne pouvait s'agir que d'un...

— D'un fantôme, compléta la jeune fille d'une voix qui n'était guère plus élevée qu'un murmure.

Hilda acquiesça silencieusement et se détourna vers l'une des fenêtres du carrosse. Lyssandra resta aussi pétrifiée qu'une morte encore quelques instants, avant de perdre à son tour son regard vers l'extérieur.

Le carrosse roulait à faible allure, suivant un cortège d'autres véhicules qui suivaient une seule et même route serpentant à travers le village. C'était le large chemin qui permettait d'accéder au palais du Grand Alpha en contournant les ruelles sinueuses de l'Ancien Quartier. La Neutre ne l'avait jamais emprunté, ce passage étant interdit aux piétons et uniquement réservé aux véhicules des invités du château. De jolis immeubles éclairés par des dizaines de lanternes défilaient derrière la vitre, tout comme les bannières de couleur bleu ciel qui étaient accrochées un peu partout. Des loups-garous saluaient le défilé de carrosses depuis leurs fenêtres ou leurs balcons, riant aux éclats même s'ils n'avaient pas été invités à participer aux festivités.

Malgré elle, Lyssandra fut saisie d'une vague de ressentiment à l'égard de ces joyeux lycanthropes. Pour eux, la Nuit des Bagues était sans enjeux. C'était simplement un prétexte pour festoyer, alors même qu'ils se moquaient bien du sort des Neutres. Qu'est-ce que cela peut bien leur faire qu'une des misérables créatures auxquelles ils ne prêtent jamais attention devienne un loup ? Au fond, ils étaient simplement contents de décorer leur village et de parler de l'arrivée de la princesse des vampires. Savoir quel Neutre allait changer de statut leur importait peu.

Bientôt, le carrosse d'Hilda franchit un immense portail grand ouvert et les immeubles disparurent. Il n'y avait plus que des murs de pierre, percés de voûtes où des hommes immobiles se tenaient. Lyssandra mit du temps à comprendre qu'il s'agissait de soldats, ce qui signifiait qu'elle venait d'entrer dans l'enceinte du palais.

Chaque respiration lui devenait plus difficile à mesure que le carrosse s'arrêtait et repartait, obligé d'attendre que les occupants des autres véhicules mettent pied à terre. Plus la file d'attente se réduisait, plus l'instant où la jeune fille reverrait Julian se rapprochait. C'est sûrement la dernière fois qu'il acceptera de te revoir, songeait Lyssandra dès qu'elle ne pensait plus à Rosaley. Tu faisais simplement partie d'un plan. Depuis le début. Depuis que tu es tombée dans la forêt et qu'il t'a prise en pitié. 

— Je suis désolée de t'avoir raconté cette histoire, déclara Hilda, brisant le silence qui s'était installé dans le carrosse. Même si j'ai l'esprit plus clair à l'approche de la pleine lune, je n'ai pas réalisé que ce n'était pas le moment. J'imagine que tu as déjà assez de préoccupations comme ça.

— Justement si, je crois que c'était le moment. Au moins, vous écouter m'a permis de ne pas penser à Julian et au fait que... Tout n'était qu'un mensonge.

Les yeux de la vieille femme s'écarquillèrent, retrouvant leur gaieté et leur amusement.

— Un mensonge ? répéta-t-elle avant de partir d'un court rire. Enfin, Julian ne t'a peut-être pas dit qu'il était le fils de Clark, mais il ne t'a menti sur aucune autre chose.

Lyssandra s'apprêta à répliquer, mais Hilda prit sa main dans la sienne.

— Crois-moi, fit-elle d'une voix douce, il vient de passer près d'un mois à vivre chez moi, et je peux te dire qu'il est le garçon le plus charmant que tu trouveras sur la Terre des Loups. Parole d'une vieille louve qui a parcouru les contrées des six meutes.

Elle ponctua cette dernière phrase d'un clin d'oeil et la Neutre esquissa un petit sourire. Pile à cet instant, le carrosse s'arrêta et l'un des cochers vint ouvrir la portière. Il tendit d'abord la main à Hilda, mais Lyssandra retint la louve quelques secondes.

— Une dernière chose, murmura-t-elle avec le plus grand sérieux, ce visage que vous avez cru voir derrière le hublot, c'était celui de ma mère, n'est-ce pas ?

La louve hocha lentement la tête. Elles restèrent un instant à se regarder sans rien dire, et sous l'insistance du cocher, la vieille femme finit par saisir la main de ce dernier.

Tandis qu'elle descendait, Lyssandra songea au fait que ce qu'elle venait d'entendre remettait absolument toute sa vie en perspective. Si ce que disait Hilda était vrai, Rosaley, sa mère, n'était pas morte quelques heures après sa naissance.

Seulement, un unique détail anéantissait cette possibilité.

Il n'y avait aucun hublot sur le toit du manoir.

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