Chapitre 8

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À l'approche du croisement où elle avait rencontré Julian, Lyssandra hésita. Elle s'était mise en route un peu plus tôt que d'habitude et n'avait pas pris Galbot, de peur que le canasson ne l'encombre.

Elle voulait bien croire au hasard, mais une partie d'elle trouvait étrange qu'elle soit tombée sur Julian exactement au même endroit, chaque fois qu'elle se rendait au village. Il faut dire que la seule présence du garçon marquait une différence dans la vie de la jeune fille. Elle était certaine de pouvoir compter sur ses doigts le nombre de personnes qui lui avaient adressé la parole sur ce même chemin.

Si elle trouvait encore Julian à ce croisement, elle se poserait sérieusement des questions. Une fois, c'est un hasard. Deux fois, c'est une curieuse coïncidence. Trois fois, c'est un complot. Lyssandra doutait que quelqu'un d'aussi insignifiant qu'elle puisse vraiment subir un "complot", mais qui savait ? Peut-être que le jeune homme était un espion chargé de lui soutirer des informations sur Dame Miranda. Après tout, puisque cette dernière prétendait avoir de l'importance...

La Neutre finit par avancer, mais se cacha tout de même derrière un arbre au tronc extrêmement large. Elle pencha discrètement la tête pour voir s'il y avait quelqu'un dans le sentier perpendiculaire au sien, mais elle ne vit que de la poussière balayée par le vent. Se trouvant affreusement sotte, elle sortit de sa piètre cachette et prit le chemin menant au village.

Elle parcourut les quelques kilomètres seulement accompagnée des bruits de la nature. Le vent sifflait assez fort, mettant en pagaille ses cheveux blonds, ce qui lui donna rapidement mal à la tête. Elle avait beau serrer le plus possible sa cape autour d'elle, l'air froid lui glaçait les membres. Au moins, le ciel était dégagé, elle serait épargnée par la pluie.

Elle finit par croiser une âme à l'approche du village, une vieille loup-garou coiffée d'un chapeau de paille ridicule, qui ne lui adressa même pas un regard. Lorsqu'elle vit enfin les tours carrées du château du Grand Alpha à l'horizon, la population se fit plus dense. L'allée principale était complètement bondée. Il n'y avait pas d'agitateur politique ce jour-là, et les gens s'intéressaient gaiement aux étales du marché.

Lyssandra décida d'aller à la demeure du secrétaire particulier du Grand Alpha. Avec un peu de chance, il serait assez tôt pour qu'il soit encore chez lui. Si elle pouvait se débarrasser de cette mission maintenant, ce serait parfait.

Pour gagner le quartier très prisé où se trouvait l'adresse indiquée sur l'enveloppe, elle dut remonter toute l'allée principale, ce qui ne fut pas une mince affaire. La route fourmillait de badauds ayant visiblement toute la journée devant eux. Certains s'arrêtaient en plein milieu pour discuter avec quelque connaissance, sans tenir compte du bouchon se formant derrière eux. La Neutre prit son mal en patience. Après tout, elle aussi avait la journée devant elle. Pour une fois que Dame Miranda l'autorisait à rentrer en retard, elle n'allait certainement pas se presser. Mais avec ta malchance, il est bien possible qu'il se mette à pleuvoir à la nuit tombée, alors même que tu dois traverser toute la forêt, pensa-t-elle en retenant un juron contre un abruti qui venait de lui envoyer un coup d'épaule.

L'allée principale prenait fin à l'entrée de ce que l'on appelait "l'Ancien Quartier". Cette zone avait été bâtie en même temps que le château qu'elle encerclait. Évidemment, les habitations avaient subi des rénovations au fil du temps, jusqu'à ce qu'elles deviennent les plus élégantes et les plus modernes de tout le village. Les façades des hauts immeubles étaient soit d'un blanc immaculé, soit d'une magnifique couleur sable. Les ruelles extrêmement étroites et sinueuses — pouvant uniquement laisser passer un seul carrosse — étaient parfaitement pavées sur un même modèle alternant deux pierres grises et deux pierres ocre. Comme ce quartier était exclusivement résidentiel, Lyssandra trouva les petites rues quasiment désertes.

Arrivée devant ce qu'elle croyait être le bon bâtiment, elle tourna furtivement la tête de gauche à droite. Deux femmes discutaient quelques mètres plus loin. Elles semblaient bien plus intéressées par leur échange que par la Neutre. Personne ne doit te voir entrer dans cette demeure, lui avait ordonné Dame Miranda, on pourrait te relier à moi. Lyssandra n'aurait pas été gênée de lui désobéir, mais elle préférait éviter d'éventuelles complications. Elle allait poursuivre son chemin lorsque les deux femmes se séparèrent. L'une vint dans sa direction et la dépassa en jetant un regard mauvais à son bracelet blanc.

La jeune fille ne releva pas et attendit d'être seule dans la ruelle avant de se tourner vers l'hôtel particulier qui l'intéressait. Certaines personnes pouvaient très bien l'observer depuis les fenêtres des immeubles voisins, mais elle doutait que les loups-garous aient pour seule occupation de guetter derrière leurs rideaux. Elle frappa à l'imposante porte de bois et attendit. Le secrétaire particulier du Grand Alpha devait bien avoir un valet posté dans son vestibule, non ? Effectivement, le battant s'entrouvrit quelques secondes plus tard sur un homme vêtu d'une livrée noire.

— Qui êtes-vous ? fit-il en baissant immédiatement les yeux vers son poignet.

S'apercevant qu'il s'adressait à une Neutre, il fronça les sourcils et referma imperceptiblement la porte de quelques centimètres.

— Ma propriétaire m'envoie remettre une lettre au secrétaire particulier du Grand Alpha, lui indiqua Lyssandra de son ton le plus poli.

Son interlocuteur était lui-même un Neutre mais cela ne l'empêchait pas de la toiser avec mépris.

— Et qui est votre propriétaire ? s'enquit-il avec hauteur.

— Dame Miranda, une vampire.

— Et à quel clan appartient cette Dame Miranda ?

Lyssandra retint un soupir d'exaspération. Lorsqu'ils vivaient sur la Terre des Vampires, les intéressés étaient répartis en plusieurs clans dirigés par un chef. Tous restaient néanmoins sous les ordres du roi.

— Aucun, répondit-elle en faisant des efforts pour garder patience. Elle vit sur la Terre des Loups, plus précisément sur la Terre des Loups du Diamants, depuis très longtemps.

Elle s'attendit à une nouvelle question, mais au lieu de cela, le domestique pinça ses lèvres minces. 

— Monsieur le secrétaire particulier du Grand Alpha s'est absenté pour remplir ses fonctions auprès de notre très dévoué Grand Alpha. Vous pouvez tout de même me remettre cette lettre. Soyez assurée qu'elle lui parviendra sans faute.

Dame Miranda avait bien insisté sur le fait que sa si précieuse lettre devait être remise au secrétaire particulier du Grand Alpha, et uniquement à lui. Ce valet avait l'air parfaitement soumis à son maître, mais Lyssandra voulait éviter tout problème. La vampire lui mettrait tout sur le dos si elle lui causait le moindre tord.

— Veuillez m'excuser mais je dois la lui remettre en personne, expliqua-t-elle tandis que le domestique haussait les sourcils. Quand le secrétaire sera-t-il de retour ?

Monsieur le secrétaire particulier du Grand Alpha, répliqua froidement le valet en appuyant bien sur les mots, revient habituellement aux alentours de dix-neuf heures. Vous pouvez vous présenter à cette heure-ci, mais je ne peux vous garantir qu'il vous fera l'honneur de vous recevoir.

— Très bien, je reviendrais, merci à...

Mais il venait de lui claquer la porte au nez. Lyssandra n'en tint pas rigueur et repartit vers l'allée principale. Elle essuya encore plusieurs regards dédaigneux avant de quitter l'Ancien Quartier. Ces loups-garous snobs ne valent pas mieux que les vampires, pensa-t-elle en tâchant de garder la tête haute.

Elle sortit de sa poche le carton que Kristal lui avait donné la veille. Cette fois, l'adresse était dans un quartier assez reculé, qui formait presque une autre communauté. On y trouvait surtout des loups-garous originaires des autres meutes. Lyssandra aimait bien y aller, toujours émerveillée par les façades très colorées des petites maisonnettes aux toits pointus. Souvent, la couleur correspondait à la meute dont était originaire son occupant.

Celle que Kristal lui avait indiquée était d'un bleu très clair. Ce devait être un Loup du Topaze. Un sourire niais étira les lèvres de la jeune fille, comme chaque fois qu'elle avait à s'adresser à un loup de cette meute. Il connaissait peut-être ton père, lui sifflait toujours une infime partie d'elle. C'était ridicule, sachant qu'il devait y avoir des milliers de Loups du Topaze, mais quel mal y avait-il à nourrir cette stupide idée ?

C'est avec entrain qu'elle pénétra dans la petite boutique, dont l'enseigne annonçait "Les Trésors du Topaze". Elle avait rarement vu un lieu aussi chaleureux, aussi coloré, aussi douillet. La pièce était minuscule, si bien que trois personnes suffisaient à la remplir. Les murs étaient bleu clair et surmontés de guirlandes de perles, de petits coquillages... Deux meubles vitrés présentaient des bijoux sublimes, évoquant la plage, l'océan. La lumière de l'extérieur faisait étinceler les perles nacrées qui fascinaient Lyssandra.

— Puis-je vous aider ? demanda une voix féminine.

Subjuguée par ce qui l'entourait, elle n'avait pas fait attention à la femme souriante qui se tenait derrière un petit comptoir niché dans un coin. Âgée d'une trentaine d'années, elle avait de longs cheveux roux presque de la même teinte que ceux de Kristal. La rousseur était un trait typique des personnes originaires de la Terre des Loups du Topaze. Lyssandra avait toujours été déçue de ne pas être rousse, mais peut-être que son père n'avait pas cette couleur de cheveux non plus...

— La fille de ma propriétaire aimerait savoir combien coûterait une vingtaine de perles en provenance de la Terre du Topaze, s'enquit-elle.

La femme hocha la tête et ouvrit un tiroir sous son comptoir. Elle en sortit de délicats petits sachets de velours noirs.

— Nous avons des perles de plusieurs tailles, expliqua-t-elle en sortant deux ou trois de chaque sachet. Pour les plus petites, il faudra compter quatre-vingts pièces d'argent, pour les moyennes, une pièce d'or et cinquante pièces d'argent...

— Il ne faudrait pas que cela dépasse une pièce d'or, la coupa Lyssandra avant qu'elle ne lui détaille tous les calibres. Ma maîtresse ne peut pas dépasser ce budget.

Elle doutait que Kristal se contente de minuscules perles. Peut-être oublierait-elle cette idée et déciderait finalement de se remettre au jardinage... 

La Neutre remercia la vendeuse et lui promit de revenir si la vampire rousse décidait de quand même prendre les petites perles. Elle sortit ensuite de la boutique et revint vers l'allée principale où le marché battait toujours son plein. Il n'était pas encore midi. Qu'allait-elle faire jusqu'au soir ? Elle avait quelques pièces de bronze dans sa poche, sans doute pouvait-elle se trouver quelque chose à manger.

Elle flâna dans l'allée mais toutes les odeurs de nourriture mélangées lui donnaient plus envie de vomir qu'autre chose. Elle allait se résoudre à prendre un simple pain fourré au fromage quand elle entendit quelqu'un crier son nom par-dessus le vacarme de la foule. Elle se retourna vivement et chercha l'origine de cet appel jusqu'à apercevoir Julian qui essayait de se frayer un chemin parmi les passants.

— Tu te crois seul au monde ? vociféra un homme costaud lorsque le garçon lui marcha accidentellement sur le pied.

Pour la peine, l'homme envoya un énorme coup de coude dans les côtes de Julian qui tituba avant de retrouver l'équilibre tant bien que mal.

— Les gens d'ici sont vraiment prêts à tout pour être sûrs d'avoir le meilleur morceau de saucisson ! s'exclama-t-il en grimaçant lorsqu'il arriva enfin près de Lyssandra. Je regrette les petits villages tranquilles de la Terre du Rubis...

La sueur perlant sur son front malgré le froid indiquait qu'il n'en était pas à sa première déconvenue de la matinée.

— C'est l'heure de pointe, fit Lyssandra en haussant les épaules. Mieux vaut se trouver quelque chose de rapide à manger et partir.

— Je crois que je retiendrai volontiers cette leçon, répondit-il en se tenant toujours les côtes mais en esquissant néanmoins un petit sourire hésitant. Hilda m'a laissé ma journée de libre mais je suis quand même venu jusqu'ici. Je n'ai pas pensé que c'était le jour du marché.

— Tu t'y habitueras vite, le rassura la Neutre. Les loups-garous ne plaisantent pas avec leur repas et tu as intérêt à ne pas être sur leur chemin lorsqu'ils ont faim.

— À ce propos, tu as déjà mangé ? demanda-t-il en arrangeant ses cheveux bruns qui partaient en épis de tous les côtés. Tu ne connaîtrais pas des endroits où manger dans le calme ? 

Le cerveau de Lyssandra marqua une pause. Est-ce qu'il veut vraiment...

— Euh... Je ne vais pratiquement jamais dans les tavernes... En plus, je n'ai pas de quoi payer et...

— Ce n'est pas un problème, répondit-il en sortant précipitamment une petite bourse de la poche de son pantalon. Hilda m'a largement donné plus que nécessaire.

Il commençait à accumuler trop de qualités pour être réel. Il avait déjà parlé d'elle à sa propriétaire et voilà que maintenant, il voulait carrément lui payer un repas. Il y a forcément quelque chose là-dessous, susurra la voix intérieure de la jeune fille.

— Hors de question que tu payes pour moi, déclara-t-elle assez fermement. Je te rappelle qu'on ne se connaît même pas.

— C'est déjà la troisième fois que nous nous croisons et je crois que cette phrase que tu adores répéter est de moins en moins vraie, s'amusa-t-il en croisant les bras. Si nous allons manger ensemble, tu pourras encore moins dire que nous ne nous connaissons pas.

Elle ne put retenir un sourire.

— Très bien, céda-t-elle en levant les yeux au ciel. Mais je t'interdis de me donner une seule pièce, même une minuscule pièce de cuivre. Je prendrais ce que je pourrais avec ce que j'ai.

S'il y avait bien une chose qu'elle détestait, c'était faire pitié, même si elle savait qu'elle pouvait difficilement inspirer autre chose. Or toute la gentillesse dont faisait preuve Julian à son égard semblait être le fruit de cette affreuse pitié. Comment des personnes telles que lui pouvaient exister dans le même monde de monstres tels que Dame Miranda ?

— Comme tu voudras, accepta-t-il sans se départir de son sourire.

Lyssandra le guida vers la taverne la plus proche, histoire qu'ils n'aient pas à affronter la cohue une fois de plus. Elle n'y avait jamais mis les pieds mais avait entendu dire que ce qui était préparé était assez bon et peu onéreux. Et surtout, ils toléraient les Neutres... même si ceux-ci devaient obligatoirement occuper un espace prévu à part.

Lorsqu'elle poussa la lourde porte de bois, une clochette tinta au-dessus de sa tête. Elle fit quelques pas pour laisser entrer Julian et constata l'ancienneté des lieux. Les murs étaient d'un beige écaillé, les tables et les chaises paraissaient avoir connu bon nombre de clients et de larges poutres peu rassurantes soutenaient le plafond. Lyssandra avait l'horrible impression que le toit pouvait leur tomber dessus à tout moment... Cependant, une vingtaine de personnes étaient attablées et quelques musiciens jouaient avec entrain.

Tout au fond de la salle, dans un coin sombre, un grand écriteau indiquait "NEUTRES". Lyssandra et Julian s'y dirigèrent et s'installèrent à une minuscule table encore plus bancale que celles des loups-garous. Une serveuse vint quelques minutes plus tard leur apporter les menus.

— Vous avez seulement droit aux plats soulignés, leur lança-t-elle. Même si pour toi, je peux faire une exception, ajouta-t-elle en faisant un clin d'oeil à Julian.

Ce dernier se contenta d'un sourire poli avant de grimacer dès qu'elle se retourna. Lyssandra songea que sa vie aurait été plus simple si elle avait été un garçon pas désagréable à regarder... Ou pas désagréable à regarder tout court.

Pour la modique somme qu'elle possédait, elle se rendit compte qu'elle pouvait uniquement se payer quelques haricots verts et une petite part de viande. Cela lui suffirait amplement. Julian lui renouvela son offre mais elle refusa obstinément. Quand elle eut fini son assiette, elle n'avait presque plus faim. En plus, le tout avait été assez bon pour les pauvres pièces de bronze qu'elle avait déboursées.

— Je propose que l'on fasse quelque chose pour être certains de pouvoir faire le chemin ensemble lorsque nous venons au village, commença Julian une fois qu'ils eurent tous les deux terminé. La maison d'Hilda n'est qu'à dix minutes du croisement où nous nous sommes rencontrés. Elle me préviendra le soir si elle compte m'envoyer au village le lendemain, puis j'irais déposer mes anciennes chaussures abîmées au pied de l'arbre au très gros tronc qui se trouve au croisement. Personne ne voudra les voler, elles sont bien trop affreuses... Si tu vois les chaussures en partant vers le village, c'est que j'irais aussi et tu pourras m'attendre. Tu vois ce que je veux dire ?

Lyssandra croyait voir ce qu'il voulait dire, même s'il avait parlé vite et que ses propos étaient assez confus. En revanche, ce qu'elle ne voyait pas, c'était pourquoi il voulait faire ça. Pour qu'ils puissent faire le chemin ensemble, certes, mais pourquoi ?

— Euh... Et toi comment sauras-tu que je vais au village si jamais tu arrives au croisement avant moi ? l'interrogea-t-elle en fronçant les sourcils.

— J'attendrai un peu, répondit-il en haussant les épaules. Ça ne m'embête pas.

Son perpétuel air gentil et innocent empêchait la Neutre de laisser grandir ses soupçons à son sujet. Néanmoins, une part d'elle cherchait vainement à comprendre pourquoi il faisait tout ça. 

— J'ai... l'habitude d'être seule, hésita-t-elle en cherchant ses mots. Ce n'est pas la peine que tu fasses tout ça pour moi... Je n'ai pas besoin de te le répéter mais tu ne sais absolument rien de ma vie et...

Elle ne parvint pas à terminer sa phrase. Ses pensées étaient bien trop emmêlées pour qu'elle puisse mettre des mots dessus.

— Je viens juste d'arriver sur la Terre du Diamant et jusque-là, les seules personnes qui m'ont adressé la parole l'ont fait soit pour m'ordonner de dégager de leur chemin, soit pour me dire combien de pièces je leur devais, expliqua-t-il en baissant les yeux vers son assiette vide. Tu n'as donc pas pitié d'un pauvre petit Neutre de la Terre du Rubis complètement esseulé et en quête d'une amie ?

Il prit ensuite une petite mine de chiot battu qui fit éclater de rire Lyssandra. Alors comme ça, c'était elle qui devait avoir pitié de lui ? Elle accepta finalement son idée mais lui fit remarquer que s'il comptait déposer des chaussures au pied de l'arbre, il avait intérêt à mettre de lourdes pierres au fond s'il ne voulait pas qu'elles s'envolent au premier coup de vent.

Lorsqu'ils quittèrent la taverne, un vieux loup-garou leur proposa de l'aider à transporter des cagots de pommes du marché en échange de quelques pièces de bronze. Il était assez courant que des lycanthropes proposent de petits travaux à des Neutres, même si ces derniers avaient déjà un maître. Comme ils n'avaient rien d'autre à faire, Julian et Lyssandra acceptèrent. Le jeune homme manqua plusieurs fois de renverser ses cagots. La Neutre avait rarement connu quelqu'un d'aussi maladroit. Heureusement qu'il a une louve comme propriétaire, sinon les vampires se vengeraient en le vidant de son sang, pensa-t-elle en exagérant à peine.

À la fin de l'après-midi, Lyssandra informa Julian qu'elle devait remettre une lettre à quelqu'un de la part de Dame Miranda et il la suivit. Quand ils arrivèrent à l'entrée de l'Ancien Quartier, il s'arrêta brutalement.

— C'est ici que tu dois apporter la lettre ? l'interrogea-t-il d'une voix rauque.

— Euh... Cela te pose un problème ? s'étonna la jeune fille comme il blêmissait. Je sais que les loups-garous de ce quartier sont encore plus arrogants que les autres mais il ne faut pas en tenir compte.

— Ce n'est pas ça, répondit-il lentement en levant les yeux vers les fenêtres des hauts bâtiments luxueux. Ne cherche pas à comprendre mais... Je préfère éviter cet endroit. Je t'attends devant la taverne si tu veux. 

— Je risque d'en avoir pour un moment si la personne que je cherche n'est toujours pas rentrée. Le soleil est en train de se coucher, tu ferais mieux de rentrer rapidement.

— Et toi ? Tu vas vraiment faire le trajet toute seule, en pleine nuit ? s'inquiéta-t-il.

— Les vampires ne traînent pas tellement dehors par les temps qui courent. Et puis... je sais me défendre, répliqua Lyssandra en envoyant un petit coup de poing dans l'air. 

Tu ne saurais même pas te battre contre une souris, la contredit sa petite voix. Julian non plus n'eut pas l'air convaincu, mais il finit par s'éloigner. Il semblait vouloir fuir l'Ancien Quartier au plus vite.

— Surveille les chaussures ! lui cria-t-il tout de même avec un grand sourire.

Lyssandra sourit à son tour puis partit vers la demeure du secrétaire particulier. Lorsqu'elle frappa à la porte, le même valet vint lui ouvrir.

— Monsieur le secrétaire particulier du Grand Alpha est-il rentré ? demanda Lyssandra, sans préambule.

Pour toute réponse, l'homme lui fit signe d'entrer. Le vestibule était assez petit, mais chacun de ses éléments transpirait le luxe. D'immenses tableaux aux cadres dorés habillaient les murs vert pistache, des petits bibelots affreux étaient éparpillés partout où il était possible de poser quelque chose... On voyait que le propriétaire des lieux voulait que ses invités soient impressionnés par sa richesse au premier coup d'oeil. Lyssandra trouvait plutôt que tout cela était une démonstration de son terrible manque de goût en matière de décoration.

Le valet la guida jusqu'à un étroit couloir sombre. Une chaise en paille était posée près d'une porte en bois sculptée. La simplicité de cette chaise détonnait avec le reste des lieux. Lyssandra n'eut pas à s'y assoir puisque le valet frappa délicatement à la porte avant de déclarer :

— Une Neutre tient à vous remettre une lettre de la part de sa maîtresse, Monsieur.

— Faites-la entrer, cria une voix grave.

Le valet ouvrit la porte et la Neutre s'avança dans la pièce. Il s'agissait d'un petit bureau à la décoration tout aussi riche que celle du vestibule. Derrière un bureau en bois massif, un homme d'une soixantaine d'années était assis sur un fauteuil à large dossier. Il avait les cheveux gris coupés court, de petits yeux brillants et une fine moustache. Son visage bouffi et son teint blême montraient qu'il avait plus envie d'aller dormir que de recevoir Lyssandra.

— Que puis-je faire pour vous ? s'enquit-il pourtant d'un air très doux.

— Ma propriétaire, la vampire Dame Miranda, souhaitait que je vous remette cette lettre en mains propres.

Elle sortit l'enveloppe en question de la poche de sa robe et la tendit au secrétaire particulier. Sans dire un mot, il la décacheta puis sortit la lettre écrite sur un délicat papier que Dame Miranda réservait pour les grandes occasions. Ses épais sourcils gris se fronçaient de plus en plus au fur et à mesure qu'il avançait dans sa lecture.

— Votre maîtresse est-elle parfaitement certaine de ce qu'elle avance ? demanda-t-il sans quitter la feuille des yeux.

— Euh... Je n'ai aucune idée du sujet de cette lettre, mais Dame Miranda n'est pas du genre à prendre les choses à la légère, fit Lyssandra sans grande conviction.

Elle aurait payé cher pour savoir ce que la vampire avait bien pu lui raconter... Le secrétaire particulier sortit une feuille vierge de son bureau puis trempa une plume dans un encrier avant de griffonner quelques mots. Pendant qu'il écrivait, la jeune fille se tourna vers le valet qui était resté près de la porte, obstinément impassible.

— Donnez ceci à votre maîtresse, lui indiqua le secrétaire particulier une fois qu'il eut fini d'écrire. Ajoutez que le Grand Alpha et sa famille lui seront sans doute reconnaissants pour ces précieuses informations.

Le Grand Alpha et sa famille ? s'étonna la Neutre. Elle propose Alisée en mariage au fils du Grand Alpha ou quoi ? Sans poser la moindre question, elle suivit le valet qui la raccompagnait vers la sortie. Avant de quitter le bureau, elle vit le secrétaire se masser les tempes en soupirant.

Cette rencontre n'avait pas duré longtemps mais lorsqu'elle regagna la ruelle, il faisait nuit. Le calme était seulement troublé par le bruit de ses pas contre les pavés. Emmitouflée dans son manteau pour faire face au froid nocturne, elle avançait avec rapidité. Les lanternes accrochées aux portes de presque chaque bâtiment éclairaient faiblement les rues. Soudain, Lyssandra fut envahie d'une impression étrange. Comme si on la suivait...

Elle accéléra encore plus le pas et tourna furtivement la tête derrière elle, mais ne vit rien. Arrête un peu de te faire des idées. Les vampires sont censés faire profil bas, en ce moment. Pourtant, cela n'empêcha pas une main de lui agripper le bras avec force et de la tirer en arrière.

Son cri déchira le silence puis s'éteignit lorsque des canines pointues s'enfoncèrent dans son cou.

Note de l'auteure :

Je m'excuse que ce chapitre soit un peu (beaucoup) plus long que d'habitude, mais j'avais des choses à dire XD ! J'ai hésité à le diviser en deux mais je ne voyais pas vraiment où couper et j'avais peur que ça casse trop le rythme, mais n'hésitez pas à me le dire si ça aurait été mieux... ^^

Je voulais vous faire davantage découvrir le village... et puis finir par un peu de suspens et d'action ! 😜

Merci à vous tous d'être là, à très vite ! 😘❤️

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