L'Apprenti du Magicien - 1/4

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J'ai voulu faire concis. Je n'ai pas fait concis. Ma vie en deux phrases...
Je ne sais pas si on peut proprement décrire l'histoire qui suit comme un conte, mais j'espère de tout cœur qu'elle vous plaira! :3
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Il était une fois, dans un pays lointain, un garçon qui rêvait d'être magicien.

Voilà une déclaration qui amena bien des gens à se moquer de lui. Après tout, les Magiciens étaient, avec les Chevaliers, les figures les plus renommées du royaume, et Liam, avec sa petite taille, son exubérante chevelure rousse, sa figure ronde couverte de taches de rousseurs et sa silhouette malingre, ne correspondait pas vraiment à l'idée qu'on se faisait d'un héros. Il ne possédait ni force, ni charme, ni beauté, ni fière allure. Timide à l'extrême, constamment perdu au milieu de ses semblables, on imaginait mal sa petite voix prononcer des sorts assez puissants pour terrasser un dragon.

Mais il ne faut jamais écouter ceux qui se moquent, ce sont les plus aveugles. Car ceux-là n'avaient pas vu deux choses fondamentales, chez Liam, deux lueurs qui se disputaient ses yeux émeraudes aux éclats changeants.

La première lueur était celle de l'intelligence. Une intelligence vive, maîtrisée, ordonnée, qui lui permettait d'appréhender instinctivement les concepts les plus complexes et former dès le plus jeune âge des théories qui auraient rendu fou la plupart des savants.

La deuxième lueur était celle de la foi. Liam croyait en ses rêves. Non pas de la façon qu'ont de trop nombreuses personnes, de soupirer « ah, si seulement... » avant de s'endormir, le soir, dans un lit dont ils ne voulaient pas. Non, Liam croyait en ses rêves avec toute la force et la conviction de son âme encore enfant.

Il y croyait assez pour y consacrer chaque seconde de son temps et chaque parcelle de son être. À cinq ans à peine, au lieu de jouer à la marelle ou la balle, il explorait le petit bois attenant à son nom moins petit village pour percer le secret du langage des arbres. Lorsque ses frères et sœurs aidaient ses parents aux champs, il s'esquivait pour grimper au clocher, cherchant à percer le Nom du vent. Lorsque toute la maisonnée était endormie, il montait sur le toit et réfléchissait à l'influence des étoiles sur les choses vivantes.

Liam grandit heureux dans sa solitude, exclut du monde des hommes, incompris de ses semblables, mais jamais malheureux, car il entendait mieux que quiconque ce que chuchotaient les rivières, ce que chantaient les fées à la pleine lune et ce que disaient les animaux lorsqu'ils se croyaient seuls.

Le jour de ses quinze ans, Liam prit une grande décision.

Celle de partir.

Son cœur peinait à quitter la terre qu'il avait toujours connue, la maison qui l'avait vu grandir, le bois et ses vieux amis les arbres, la rivière où s'ébattaient les fées et le toit du clocher. C'était laisser derrière lui son enfance. Qui s'y résoudrait sans tristesse ?

Mais il devait partir, il le sentait au plus profond de ses entrailles. Il n'y avait plus rien pour lui ici, rien qu'une vie qu'il ne désirait pas : celle d'un homme de terre, le dos courbé sur ses labours. S'il ne trouvait pas un Magicien qui veuille le prendre en apprentissage maintenant, il n'en trouverait jamais. C'était un espoir complètement fou, il est vrai, mais c'était le seul qu'il avait.

Alors il partit. Il quitta son village à l'aube, comme un voleur, en ne laissant sur le bord de la cheminée qu'un petit mot d'adieu. Jamais ses parents ne l'auraient laissé aller seul, lui qui était si frêle et si timide, dans ce monde si vaste et si dangereux.

De chez lui, Liam n'emporta pas grand-chose : un sac de cuir, une miche de pain, un morceau de fromage, et le seul livre de magie qu'il avait jamais possédé. Il l'avait trouvé dans un grenier lorsqu'il était tout petit, puis appris par cœur, depuis.

À la fin de sa première journée de marche, le pauvre Liam, exténué, avait rejoint la Grande Route, une de ces voies centenaires qui partaient de la capitale pour s'étendre dans tout le royaume. Il se mêla avec appréhension à la foule qui avançait dans la même direction, mélange bariolé de chariots débordants de victuailles, cavaliers, caravanes de nomades, pèlerins, voyageurs, jeunes gens en quête d'un contrat d'apprentissage, et même deux ou trois troubadours, aisément reconnaissables à leur mise extravagante.

Liam ouvrit sur tout ce beau monde de grands yeux curieux, laissa trainer ses oreilles autant qu'il le pouvait, mais ne pipa mot à personne. Il n'avait jamais compris le besoin qu'avait la plupart de ses semblables de vouloir à tout prix discuter. Il était très bien, lui, en compagnie de ses propres pensées ; la seule idée d'ouvrir la bouche devant un inconnu lui donnait des sueurs froides. De toute façon, les règles régissant ce genre d'interactions lui étaient plus mystérieuse que la septième formule de Raënar, ce qui n'était pas peu dire.

Il fallut encore une semaine à Liam pour atteindre la capitale.

La capitale... Laissez-moi un instant, je vous prie, vous chanter les merveilles d'Edeny la Splendide, fiertée de la contrée. Cette noble dame étendaient ses flancs sur des kilomètres à la ronde, recouvrant l'horizon de bâtiments chamarrés. De mémoire de conteur, on ne vit jamais de ville plus grande qu'Edeny, ni plus riche et plus disparate.

En effet, sous l'égide du château royale qui la surplombait, Edeny regroupait en son sein le siège de toutes les Guildes du royaume. Prêt du port, bien entendu, flottait la bannière des Marchants, de la même couleur que celle des Navigateurs, qui leur étaient étroitement liés. Si vous vous perdiez un peu plus haut, vous trouveriez le quartier des plaisirs - accolée aux quais, comme il se doit - où siégeait la Guilde dit des Luxures. Mais pour nourrir votre esprit au lieu de votre chair, vous pouvez aussi vous diriger vers les quartiers savants, où flottait l'étendard des Physiciens, Astronomes, Médecins, Inventeurs, Chimistes... Ou peut-être préféreriez-vous le quartier des artistes, où trône le siège des Troubadours, des Poètes, des Conteurs, des Peintres, à la lisière de celui des artisans, où vous trouverez Orfèvres, Menuisiers, Ébénistes, Maçon ou Potier ? Certaines Guildes, bien sûr, ne se réservaient pas à un quartier. Les Boulangers en étaient le parfait exemple, puisqu'on les trouvait dans toute la cité - quoi qu'il faille s'en méfier, car ils avaient développé au cours des ans une véritable maffia.

À l'heure où se déroule ce récit, on comptait cent quatre-vingt-treize Guildes recensées, et peut-être le double d'officieuses. À chaque coin de rue se dressait une statue de la splendide déesse Edeny, personnifiant la ville, que ses habitants adoraient sans mesure.

Liam s'était immobilisé en haut de la pente, n'osant pas, pas encore, descendre le chemin qui menait aux portes de la ville. Lui qui n'avait connu que son petit village se trouvait complètement dépassé. Il n'aurait jamais pensé qu'il puisse exister tant de gens dans le monde, ni que ces gens puissent s'entasser ainsi au même endroit.

Son regard affolé parcourut les rues tortueuses, glissa sur la foule grouillante, se perdit au milieu des étendards bariolés et remonta enfin jusqu'au château de la Reine Léandre, véritable chef-d'œuvre d'architecture. Il déglutit, les jambes en compotes, persuadé qu'il n'oserait jamais mettre un pied dans une ville aussi vaste.

À droite du château, au-delà des jardins qui en faisaient le tour, se trouvait un bâtiment allongé, rond, percé de nombreuse cours intérieures. À son faîte trônait la bannière blanche des Chevaliers, rose rouge sur épée.

À gauche du château, comme un miroir inversé, se dressait une tour sombre. L'affolement de Liam changea de nature. Comment aurait-il pu ne pas reconnaître le blason qui flottait fièrement sur les flancs de la tour ? Un fanion noir supportant un arbre blanc prisonnier d'un cercle, dont les racines s'étendaient comme branches. Au milieu du cercle, sur le tronc de l'arbre, une étoile luisait faiblement. Liam savait que seul ceux qui avaient le Don pouvait l'apercevoir.

La Guilde des Magiciens.

Son rêve était là, à portée de regard. Son cœur accéléra encore, faisant battre dans ses oreilles son sang soudain bouillonnant. Ce fanion signifiait tant pour lui ! Mais s'il échouait ? S'il ne trouvait aucun Maître, si nul ne voulait le prendre comme apprenti ? Il s'était interdit d'y songer jusqu'ici, mais si près de la fin du voyage, il ne pouvait faire autrement. S'il ne devenait pas l'apprenti d'un Magicien, s'il lui fallait se résoudre à abandonner le rêve qui l'avait forgé... Que lui resterait-il ? Pour l'instant, il pouvait encore espérer, oui, tant qu'il n'était pas allé jusque-là, tout était encore possible. Mais après... Une fois qu'il saurait...

Pour se donner du courage, Liam fixa son regard sur l'arbre blanc qui décorait la tour noire. Sa respiration se calma légèrement. Il s'appliqua à fixer l'étoile, au centre du blason. Voilà. Doucement...

Mais alors qu'il fixait cette étoile pâle, quelque chose changea. Sans détacher son regard du motif, il vit, tout autour du cercle, se former des lettres, puis des mots, puis des phrases tracées dans l'Ancienne Langue ; celle de la magie.

-Nous sommes de la terre et du ciel, lut Liam à voix basse. Nous sommes ce qui lie la pensée au réel. Nous sommes ce qui lie le rêve à l'existant.

Magiciens, termina le jeune homme dans son esprit, son regard toujours concentré sur cette tour lointaine et ses rêves brûlants.

Il entendit un cri, à côté de lui et eut vaguement conscience qu'on l'appelait. Il n'y prit pas garde. Quelque chose était en train de se produire, il le sentait, quelque chose qui faisait vibrer toutes les fibres de son être. Il ne put empêcher son esprit de s'y abandonner, corps et âme.

Son image disparu lentement. Il fut pris d'une sensation de chute, d'étirement, puis de la vague - mais terrifiante - impression d'être à deux endroits à la fois, avant que sa vision ne se stabilise de nouveau.

Il n'était plus sur la colline qui surplombait la ville. Il était debout sur une table ronde, dans une pièce immense. Autour de lui, une cinquantaine de Magiciens et de Magiciennes de touts âges et de toutes apparences ouvraient de grands yeux ronds, stupéfaits.

Il y eu un instant de silence.

Un long instant de silence.

Puis une voix résonna dans la salle.

-Par les Saintes Culottes de la Déesse, qui es-tu ?

Liam se tourna lentement vers la vieille dame qui venait de parler, la gorge obstruée par la peur, la timidité et l'incompréhension. S'il avait pu troquer son âme contre la possibilité de disparaître, là, maintenant, il n'aurait pas hésité une seconde.

-Je... bafouilla-t-il. Je... Bonjour, je suis, je veux dire, je m'appelle Liam, et... heu... Je ne sais pas... Je ne voulais pas... J'ai simplement lu ce qui se trouvait sur le blason... Je veux dire... Oh, par la Déesse... Je suis affreusement désolé.

La vieille dame sourit. L'assemblée sembla se détendre. Liam entendit même quelques rires, ponctués de chuchotements excités. Il se concentra pour ne pas s'évanouir.

-Ne crains rien, surprenant Liam, déclara gentiment la vieille dame qui était à l'évidence, vu l'aura que le jeune homme lisait autour d'elle, une Magicienne de très haut niveau. Cela faisait simplement très, très longtemps qu'un novice n'avait pas lu la formule de déplacement par erreur. Et si tu descendais de cette table, à présent ?

Balbutiant quelques phrases sans queues ni têtes, au bord de la crise de panique, Liam chercha un espace vide vers lequel il pourrait se diriger pour descendre.

Toutes les places étaient occupées.

Devinant son désespoir, la vielle Magicienne s'écarta avec le sourire. Il se précipita dans le vide créé, faillit tomber, se stabilisa de justesse en s'accrochant à la cape de la Magicienne et sentit son visage chauffer atrocement. Que la Déesse me sorte de là, par pitié !

-Quel âge as-tu, Liam ? Lui demanda-t-elle.

-Je... Quinze. Quinze ans.

-Si jeune ! s'exclama la Magicienne. Parfais ! Mon cher petit, tu as à l'évidence un Don extrêmement puissant. Certains Magiciens, à cent ans passés, ont encore du mal à prononcer correctement la formule qui t'as permis de te transporter ici ! Ah, comme j'aurais aimé te prendre comme apprenti...

Le cœur de Liam manqua un battement. Le monde, qui était passé un peu trop vite de lisible à incohérent, était maintenant en train de s'écrouler.

-Vous... Vous ne voulez pas de moi ? Souffla-t-il d'une toute petite voix.

-Oh, mon cher enfant, sourit la Magicienne, ce n'est pas que je ne veux pas de toi, c'est que j'ai déjà une apprentie. Mais je ne doute pas que pour quelqu'un d'aussi doué que toi, il y ait...

-Je serais son Maître, lâcha une voix grave, vibrante.

Derrière la dame qui l'avait si gentiment accueillit se dressa une large silhouette. Le souffle de Liam se bloqua dans sa gorge. Il connaissait ce visage, cette barbe blanche, ces yeux bleus gris, ce regard perçant, c'était...

-Mordros, souffla-t-il. Le Magicien de la Reine.

-Du moins, si tu veux de moi, ajouta le personnage que Liam, qui nageait actuellement en plein délire, vénérait comme un héros.

-Oui, s'entendit-il répondre. Oh, oui !

Mordros tendit la main. Liam s'empêcha de la prendre.

Il ne vit pas la couleur sombre qu'avait pris le regard de la vieille Magicienne. Il n'entendit pas le silence qui s'était abattu sur l'assemblée. Il ne s'aperçut pas que tous les sourires venaient de disparaître, à l'exception de celui de Mordros, qui grandissait au fur et à mesure que sa poigne s'affermissait sur celle du jeune homme.

Liam sentit une brûlure fugace au creux de sa paume. Il retira sa main avec un petit cri.

Une marque venait de s'y dessiner, comme tracée au fer rouge. Une terreur glacée figea le sang de Liam. C'était son Nom. Son Nom Véritable.

-Tu m'es désormais lié, déclara Mordros, récitant avec une délectation évidente les paroles rituelles. Je suis ton Maître et tu seras mon élève, jusqu'à ce que je t'estime prêt. Allez, viens, mon garçon, je suis impatient de commencer...

Il posa sur l'épaule de Liam une main ferme et le poussa en avant, vers une porte que le jeune homme n'avait pas remarqué. Au moment de sortir, il jeta un coup d'œil en arrière.

L'assemblée des Magiciens le fixaient en silence. Un silence grave et triste, comme un requiem.

La vielle Magicienne qui l'avait accueillit détourna le regard.

~

-Il y a trois règles, déclara Mordros en le fixant d'un air sévère, que tu devras toujours respecter.

Liam hocha la tête avec ferveur. Son tout nouveau Maître l'avait transporté chez lui en quelques mots alambiqués que le jeune homme avait, par réflexe, gravé dans sa mémoire. L'impression de malaise qu'il avait ressentit en quittant l'assemblée des Magiciens s'était vite dissipée, remplacée par une excitation sans bornes. C'est arrivé ! Par la Déesse ! Je suis l'apprenti d'un magicien ! Je suis l'apprenti de Mordros !

-Premièrement, lâcha Mordros d'une voix dure, tu ne dois jamais désobéir à l'un de mes ordres. Si je te dis de sauter par la fenêtre, c'est que j'ai une raison. Alors tu ne réfléchis pas, et tu sautes. Compris ?

Liam fit automatiquement oui de la tête. S'il bouillait intérieurement de joie, il savait que son visage n'en trahissait rien. Il était bien trop habitué à ressentir en secret.

-Deuxièmement, continua la voix grave de Mordros, tu ne dois jamais me mentir. Les conséquences en seraient terribles.

Nouveau hochement de tête. De toute façon, pourquoi lui mentirait-il ? C'était Mordros, après tout, le champion de la Reine, celui qui avait défait en duel la furieuse Guerrière Blanche, résolu l'énigme du Vase Percé, et découvert la cinquième équation de Tel-Sarkan !

-Troisièmement, le plus important, termina le Magicien d'une voix grondante de menace, tu ne dois jamais, tu m'entends, jamais, sous aucun prétexte, franchir la porte de mon laboratoire.

Il désigna d'un doigt la lourde porte qui se trouvait en face de l'entrée, dans le hall de la luxurieuse demeure. Pourquoi ? Songea aussitôt le jeune homme en sondant du regard les deux énormes battants de bois, suivant mentalement la courbe des motifs dorés qui y dansaient. Qu'y a-t-il, là-bas ?

Mais la porte garda ses secrets.

-Tu as compris ? Insista Mordros, la voix devenue plus froide que la glace.

Liam voulut de nouveau hocher la tête, mais le regard de Mordros se fit soudain dur. Les ombres qui marquaient ses yeux semblèrent s'obscurcir à mesure que son visage se pliait de colère.

-PARLE ! Hurla-t-il.

-Je... J'ai compris, balbutia Liam, la tête rentrée dans les épaules. J'ai compris... Toujours vous obéir, ne jamais vous mentir, ne jamais entrer dans votre laboratoire.

-Bien, répondit son Maître en s'adoucissant aussitôt.

Sur son visage naquit le plus affectueux des sourires, adoucissant tant ses traits que Liam, s'il n'en avait pas été témoins, n'aurait jamais cru qu'il venait de crier.

-Brave garçon, ajouta gentiment le magicien. Et si nous commencions les leçons maintenant ? J'ai hâte de sonder toute l'étendue de tes capacités ! À moins que tu préfères que je te montre d'abord tes quartiers ? Oui, faisons cela : tu dois être exténué ! Et tout est allé si vite ! Nous avons largement le temps d'apprendre à nous connaître, tous les deux !

Il est sévère, songea Liam en le suivant à l'étage. Mais pas méchant.

La chambre du jeune homme était plus luxueuse que tout ce qu'il lui avait été donné de voir. Sous l'œil aussi amusé que bienveillant de son Maître, il testa, incrédule, le moelleux du lit à baldaquin, constata qu'on pourrait certainement faire entrer le salon de son ancienne maison dans la salle de bain qui lui était réservé, fouilla dans l'armoire déjà pleine de vêtements à sa taille - « elle s'adapte au propriétaire de la chambre » - et frôla sans trop oser y croire les motifs elfiques des tapisseries.

Mordros se retira en lui enjoignant de se reposer. Aussitôt, Liam se rendit compte qu'il avait la tête lourde et les paupières engluées de sommeil. Il eut à peine le temps de se déshabiller et de s'allonger sur le lit avant de sombrer dans un sommeil inhabituellement profond, qu'aucun songe ne vint colorer.

~

La première journée d'apprentissage de Liam fut absolument parfaite.

Mordros entrepris de sonder ses capacités en lui posant des questions diverses et en lui soumettant de petits problèmes qu'il résolvait sans peine. Le vieux Magicien se montra gentils, attentionné et extrêmement intéressé par ses dons, choses si nouvelles pour le jeune Liam qu'il ne put empêcher son cœur de se réchauffer, ses épaules de se redresser de fierté et ses joues de rosir de plaisir.

Depuis sa plus tendre enfance, il avait pris l'habitude, avant de dormir, de se répéter en pensées les cents principes fondamentaux de la magie, pelotonné dans son lit, pour calmer son cœur et parfois ses larmes. Il se répétait ensuite qu'il valait quelque chose. Que les moqueries de sa propre famille n'étaient que de l'incompréhension. Qu'il avait le droit d'exister, qu'il n'était pas un simple rebut, un surplus de la société dont les talents et les préoccupations n'avaient ni sens ni intérêt.

C'est dur, de se convaincre soi-même de ces choses-là, surtout pour un enfant. Alors entendre quelqu'un d'autre lui dire ce qu'il s'était toujours chuchoté pour se donner du courage, entendre une voix d'adulte lui assurer, non seulement qu'il valait quelque chose, mais qu'il était exceptionnel, promit à un grand avenir, doué de capacités merveilleuse et utiles... Lui dire qu'il n'avait pas seulement le droit d'exister, mais une place dans cette existence, une place importante...

Il avait l'impression qu'un baume était appliqué sur les plus anciennes fêlures de son cœur, les plus profondes et les plus douloureuses.

Lorsqu'il s'assit sur son lit, ce soir-là, un sourire heureux dansait sur son visage. Ils n'avaient accompli que des choses extrêmement basiques, aujourd'hui. Mordros lui avait promis qu'ils passeraient demain au niveau supérieur. Liam se sentait capable de plus, bien plus, mais il avait pris tant de plaisir à lire la surprise émerveillée sur le visage de son Maître qu'il avait préféré ne pas le détromper, et le laisser découvrir petit à petit toute l'étendue de ses capacités.

Une pensée désagréable s'invita dans son esprit. Suis-je en train de lui mentir ?

Non, pas vraiment... Après tout, il ne lui avait rien dit de faux. Il ne lui dissimulait même pas des informations, il se contentait de répondre à ses questions, sans aller plus loin. Ce n'était pas vraiment un mensonge...

Son regard tomba au creux de sa paume ouverte, posé sur son genou. La marque de son apprentissage s'y étalait en lettres rouges, comme des cicatrices. Il passa doucement la pulpe de ses doigts dessus, traçant avec lenteur la courbe des lettres qui, dans l'Ancienne Langue, formait son Nom Véritable.

Liam savait, comme tout Magicien qui se respecte, que la magie des Noms était la plus puissante qui soit. Tout ce qui existe possède dans les langues communes une désignation arbitraire. Mais chaque chose, chaque être, chaque entité, possède aussi un Nom dans l'Ancienne Langue, celle des Magiciens. Ce nom est l'expression pure de leur essence, l'incarnation de leur âme. Lorsque vous connaissez le Nom Véritable d'un être, il est définitivement en votre pouvoir.

Discerner le Nom Véritable des choses est une discipline incroyablement ardue. Certains Noms, comme celui du vent, sont en constante mutations. D'autres, comme celui du Temps ou de la Déesse, sont trop vastes et trop complexes pour être appréhendé par des mortels. En ce qui concerne les êtres humains, les choses pouvaient varier. Soit vous étiez un Magicien extrêmement puissant et vous pouviez, en sondant l'âme d'un humain vulnérable, en découvrir le Nom ; soit vous vivez auprès de cette personne depuis si longtemps, et vous la connaissez si bien, si intimement, que son âme est comme la vôtre, et que son Nom Véritable n'est pour vous qu'une évidence. Mais ce dernier cas est bien rare.

Liam n'aimait pas l'idée que son Maître ait fouillé son âme dès leur première rencontre, profitant de son dépaysement pour passer ses défenses et percer l'essence de son être. La marque dans sa paume était le rappel cuisant, constant, que Mordros était plus puissant que lui et que quoi qu'il fasse, quoi qu'il désire, il se trouvait en son pouvoir.

J'ai certainement tort de m'en faire, songea l'apprenti en se glissant sous les couvertures. Après tout, c'est certainement un rituel de convention, entre le Maître et son apprenti. Il est si bienveillant envers moi ! Il n'utilisera jamais mon Nom Véritable à mauvais escient ! Il faut que je lui fasse confiance. Mais c'était bien plus facile à dire qu'à faire, pour quelqu'un qui n'avait jamais ouvert son cœur à personne.

Ses pensées se délitèrent et il s'endormit doucement, roulé en boule dans son lit trop grand.

Il rêva.

Il se trouvait dans cette même chambre, assis sur le même lit. Mais il faisait jour dehors, une lumière éclatante, immaculée, qui avait mangé jusqu'à la dernière ombre. Il n'y avait pas un bruit, pas un son. Rien d'autre que les battements lourds de son cœur et sa respiration, qui résonnaient dans la pièce comme des coups de canon.

Liam promena son regard autour de lui, vaguement conscient d'avoir quitté sa réalité.

Ses maigres possessions avaient disparu. À la place se trouvaient des cartes, des flacons, des livres en quantité, des carnets, des croquis épars, des plumes tachées d'encres, des habits entassés, des cages vides ou couvertes d'un morceau de tissus...

C'était sa chambre, mais c'était, en même temps, celle d'un autre.

Son regard heurta une forme, au pied de son lit, qui ne s'y trouvait pas quelques instants plus tôt. Il retint de justesse le cri qui voulait sortir de sa gorge.

Un homme se tenait là. Un jeune homme magnifique, dont les yeux gris bleutés le fixaient avec une tristesse si profonde que Liam sentit sa gorge se serrer. Les cheveux noirs de l'inconnu, incroyablement longs, cascadaient sur ses épaules, dessinant sur sa tunique blanche d'étranges motifs.

Liam n'avait pas peur. Il aurait dû, mais il n'arrivait pas à craindre cet inconnu aux yeux si tristes.

L'apparition ouvrit la bouche pour dire quelque chose, un bras tendu en avant.

À cet instant le rêve se brouilla, comme vu à travers un rideau de larmes.

Liam ouvrit brusquement les yeux. Il faisait nuit. La chambre était vide, si ce n'était son sac et ses habits de la veille, qui gisaient en tapon sur le sol.

Le souffle court, il clôt ses paupières et enfonça sa tête dans son oreiller, prit du désir brûlant de se rendormir pour replonger dans le rêve, ce rêve. Deux questions dansaient dans son esprit, deux questions absurdes, peut-être, mais qui ne lui laissait pas de paix.

Qui était le jeune homme ? Pourquoi avait-il l'air si triste ?

Mais le reste de la nuit ne lui apporta qu'un sommeil léger, entrecoupée de visions étranges et de murmures incompréhensibles, juste à la lisière de sa conscience.

*

La journée du lendemain se déroula exactement comme la veille. Mordros s'émerveilla des capacités de son élève tandis que Liam jubilait.

Mais deux questions dansaient toujours au fond de son esprit, deux questions lancinantes qui en formèrent une troisième, au fur et à mesure que le jour déclinait.

Le reverrais-je ?

Le soir venu, aussitôt qu'il le put, Liam se débarrassa de ses habits et sauta dans son lit. Mais il était si fébrile que le sommeil n'osa même pas s'approcher. Alors le jeune apprenti ferma les yeux et plongea dans les méandres de ses pensées. Il calma sa respiration, petit à petit, et commença à réciter du ton le plus monotone possible les cent principes fondamentaux de la magie, encore, et encore, jusqu'à ce qu'enfin, le sommeil l'emporte.

Il était de nouveau dans la chambre de cet autre, toute illuminée de lumière.

La silhouette du jeune homme si beau se tenait au pied de son lit, le regard brillant du même désespoir.

-Qui es-tu ? Demanda Liam.

Sa voix se démultiplia à l'infini, comme prisonnière d'un écho.

-Qui es-tu ? Demanda-t-il encore.

Le jeune homme inclina la tête, faisant danser au fond de ses yeux bleutés mille lueurs étranges.

-Qui es-tu ? Demanda une nouvelle fois Liam, sa voix teintée d'un incompréhensible désespoir.

Le rêve se brouilla.

Il était de retour dans le noir. Dans sa chambre.

Mais pourquoi pleurait-il ?

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