L'Eau de Vie et de Mort - 2/6

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Les premières lueurs de l'aube virent trois cavaliers s'éloigner du château. Le premier, droit comme un piquet, montait à la perfection. Le deuxième semblait fatigué, mais se maintenant sur sa monture avec l'habilité donnée par l'expérience. Le troisième était cramponné à son cheval, son teint pâle, terrifié, visible sous la capuche qui couvrait la moitié de son visage. Lyoth n'était jamais monté sur un canasson de toute son existence, et l'expérience n'était pas vraiment pour lui plaire.

Ils ne parlèrent pas de toute la matinée. Empruntant un chemin désert, ils chevauchèrent sans s'arrêter, jusqu'à ce que le soleil, haut dans le ciel, conjugué aux grondements de leur estomac, ne les poussent à faire une halte. Tarrek sauta à terre et tendit une main pour aider son frère à descendre, qui la refusa en grommelant.

-Je ne suis pas encore un invalide, ronchonna-t-il en atterrissant proprement sur ses deux pieds.

La partie fut bien plus périlleuse pour Lyoth. En plus d'avoir mal au fessier à en damner tous les princes de la terre, il n'avait aucune idée de la manière dont il devait s'y prendre pour descendre de ce monstre sans se rompre le cou. Tarrek lui jeta un regard intrigué, se demandant visiblement ce qu'il faisait encore sur son cheval. Sentant la remarque venir, le voleur rassembla les restes de son courage et de sa dignité et tenta une descente.

La seconde d'après, il était allongé sur le dos en gémissant, des étoiles devant les yeux.

-Splendide démonstration, commenta Tarrek, impassible.

Lyoth allait dire quelque chose lorsque le visage angélique, légèrement inquiet, d'Hélios apparut dans son champ de vision. Avec une gratitude immense, et une très légère accélération du cœur, il accepta la main tendue par le somptueux prince, qui le releva gentiment.

-Tu as la grâce d'un balai plongé dans le ciment, voleur, commenta négligemment Tarrek en ouvrant une sacoche pour en sortir de la nourriture.

-Moi je trouve qu'il s'en est bien sortis, pour une première fois, le contredit gentiment Hélios.

Lyoth exécuta pour le remercier d'une révérence extravagante qui le fit rire.

-Ne nous arrêtons pas longtemps, intervint Tarrek. Nous pouvons encore faire quelques kilomètres avant la nuit.

-Ils ne vont pas s'apercevoir que vous avez disparus, au château ? s'inquiéta Lyoth. Ça va être la pagaille !

-Avec un peu de chance, commenta Tarrek, ils penseront que tu nous as kidnappé, et ils te poursuivront pour crime de lèse-majesté.

-Quoi ?! s'étrangla le voleur. Mais...

-Il plaisante, le rassura Hélios en mettant une main sur son épaule. Tarrek ne ferait jamais condamner un innocent !

-Ce n'est pas ce qui se raconte, bougonna Lyoth, vexé de s'être fait avoir.

-Ah, ça, ça fait partie de la combine... répliqua Hélios en adressant à son frère un clin d'œil qu'il lui valut un sourire en coin, presque imperceptible.

-La combine ? s'interrogea Lyoth en acceptant sa part de nourriture. Quelle combine ?

-Mange, voleur, le coupa Tarrek. Nous repartons dans dix minutes !

-Si quelqu'un vous dit un jour que vous êtes trop bavard, rétorqua Lyoth en acceptant le pain et le fromage, surtout, ne le croyez pas.

Tarrek lui répondit d'un regard assez noir pour assombrir un jour d'été.

~

Ils galopèrent tout le reste de la journée et s'arrêtèrent à la nuit tombée, près d'un point d'eau où les chevaux purent se désaltérer. La nuit étant glaciale, Hélios et Lyoth insistèrent jusqu'à ce que Tarrek convienne que faire du feu était le seul moyen de ne pas terminer gelé jusqu'aux os, malgré le manque de discrétion.

Ils déjeunèrent en silence, l'air emplie de tension autant due à l'animosité entre le voleur et le prince sombre qu'à la fatigue. Hélios, surtout, avait l'air épuisé. Il s'était adossé à une souche et se forçait à manger, son teint pâle faisant concurrence à la lune blafarde.

Finalement, le silence se fit trop pesant pour Lyoth. Il avait l'habitude des veillées passées à rire, danser, et se raconter en embellissant toujours plus les mêmes exploits imaginaires. Il avait l'habitude de la ville jamais au repos, de la rue, des passants, des ivrognes, des marchants et des mendiants. Le silence, autant que l'espace désert qui l'entourait, l'angoissait. Il savait que Tarrek ne lui parlerait pas – de toute façon, il n'en avait pas particulièrement envie – alors il se tourna vers Hélios et lui sortit son sourire le plus charmeur. Même fatigué, la beauté du prince irradiait assez pour le faire rougir.

-Que vouliez-vous dire, tout à l'heure, en parlant de combine ? Demanda-t-il d'une voix innocente.

-Oh, commença Hélios avant de porter son regard sur Tarrek, qui haussa les épaules. Disons que c'est notre mode de fonctionnement à tous les deux... Un royaume, vois-tu, a besoin d'être géré par une main de fer dans un gant de velours. Je suis le gant de velours. Tarr' est la main de fer.

-Mais quel beau gant, commenta Lyoth avec une admiration exagérée qui fit sourire un prince et soupirer l'autre – vous devinez lesquels.

-Je ne saurais pas faire des comptes, gérer nos réserves et garder l'intendance du royaume si ma vie en dépendait, reprit Hélios. Mais je suis très bon avec les gens. Tarrek, lui, fait peur à tous le monde, mais il est doué comme personne avec les chiffres et les lois. Nous avons donc convenu, dès notre plus jeune âge, qu'il resterait dans mon ombre. Je suis le visage du royaume, il est l'exécutant. Il s'est forgé une réputation impitoyable, afin d'effrayer et de dissuader...

-Pas qu'une réputation, intervint Lyoth, les sourcils froncés. Il est impitoyable.

-Ne vois-tu pas plus loin que le bout de ton nez, voleur ? Rétorqua Tarrek, le regard plongé dans les flammes.

-Non, il ne l'est pas, reprit Hélios d'un ton qui n'admettait aucune contradiction. Lorsque quelqu'un a besoin d'une remise de peine, par rapport à ce que la loi indique strictement, il fait appel à moi et j'interviens publiquement, ce qui renforce ma réputation de générosité et la sienne d'implacabilité. Ainsi, nous avons une justice équitable, et un pouvoir à la fois aimé et craint. C'est un savant équilibre.

Lyoth resta un instant pensif, contemplant sans y paraître le visage appuyé par les flammes de celui qu'il avait toujours considéré comme « le sombre ». Il avait l'air aussi dur et impassible qu'à leur première rencontre.

-C'est ce qu'il y a de mieux pour le royaume, lâcha finalement Tarrek, conscient d'être observé.

La conversation mourut d'elle-même. Lyoth ne la relança pas. Il était occupé à examiner en esprit tout ce qu'il savait de Tarrek, chaque acte cruel qu'on lui attribuait. Se pouvait-il qu'il se soit trompé à ce point ?

On a pas idée d'avoir l'air si maléfique, aussi, soupira-t-il en s'allongeant sur le sol, non loin d'Hélios, qui dormait déjà, un air serein sur son visage magnifique.

Tarrek, impassible, ne détourna pas son regard des flammes.

~

-Les orphelins, lâcha soudain Lyoth.

Ils avaient repris la route depuis deux heures, déjà, à moitié gelés par leur nuit à la belle étoile.

-Pardon ? Répondit Tarrek, qui menait la marche, en le regardant par-dessus son épaule. Aurais-tu finalement perdu l'esprit, voleur ?

-Vous dites que vous n'êtes pas maléfique, reprit Lyoth, borné, mais à cause de vous, lorsque que quelqu'un en prison n'a aucun parent pour se porter garant et pas assez d'argent pour en sortir, il est vendu comme esclave pour racheter sa dette ! Si ce n'est pas injuste, ça ! Triompha-t-il.

-Il est confié à un orphelinat spécialisé, isolé dans la montagne, répondit Tarrek sur le ton de la conversation, où il apprend à lire, à écrire et à compter, pour pouvoir se construire un avenir. On lui raconte que le prince Hélios est intervenu en sa faveur durant son transfert. S'il n'avait ni parent ni argent, c'est ce qui pouvait lui arriver de mieux, et le royaume gagne en retour un fonctionnaire compétent. Les histoires d'esclavages ne sont que des rumeurs.

Lyoth se renfrogna.

-L'incendie du manoir Froissard, l'année dernière, juste après que Sir Froissard vous ait publiquement manqué de respect ! relança-t-il, triomphant. On a vu des individus tout en noir s'enfuir dans la nuit et torturer des gens ! C'était votre milice secrète !

-Sir Froissard était un proxénète, répliqua Tarrek, toujours d'un ton égal. Mais il avait trop de contacts à l'étranger pour être destitué publiquement sans créer d'incident diplomatique menant à la guerre. J'ai envoyé mon équipe s'introduire dans sa maison pour dérober ses livres de comptes et libérer les victimes enfermées dans sa cave. Il s'est avéré qu'il fabriquait aussi des bombes et, dans la panique, il a provoqué un accident. Mon équipe a réussi à limiter les pertes humaines à une, c'est-à-dire lui, qui refusait de quitter le manoir sans son trésor.

-Raah ! Fulmina Lyoth. Et la fermeture arbitraire du marché aux poissons, il y a deux mois ? Des dizaines de personnes en vivent !

-Et elles ont trouvé comme par miracle un acheteur très riche le mois suivant, ce qui les a dédommagés de leur peine. Quelqu'un avait empoisonné la fontaine du marché.

-Je prouverai que vous êtes maléfique ! s'exclama Lyoth en levant dramatiquement le doigt en l'air – ce qu'il regretta, vu son équilibre précaire.

Son regard tomba sur son poignet.

-Mon bracelet ! Le bracelet de douleur dont vous m'avez infligé ! Si ce n'est pas un coup de sorcier machiavélique, ça !

-Un bracelet de douleur ? Répondit tranquillement Tarrek en laissant le cheval de Lyoth rattraper le sien. Oh, tu veux parler du bracelet de chauffage...

-Du quoi ?

-Je suis herboriste, pas sorcier, Lyoth, lâcha-t-il en se saisissant de son poignet (et Lyoth le maudit pour la facilité avec laquelle il exécutait ce geste, sans compromettre son assise sur le cheval). J'ai acheté ce bracelet à un marchant ambulant. Il est très pratique pour se réchauffer, les soirs d'hivers, mais il ne peut pas aller au-delà de ce que je t'ai déjà fait ressentir. Et il se retire très facilement.

Ce disant, il pinça la fermeture du bracelet, qui s'ouvrit avec un cliquetis.

-Je te l'offre, conclut tranquillement Tarrek en reprenant la tête de la troupe.

Choqué, Lyoth regarda le bracelet métallique qui reposait au creux de sa paume.

-Cet homme est peut-être juste, mais c'est un démon, geignit-il en regardant le prince sombre reprendre les devant, impassible.

Il entendit Hélios se porter à sa hauteur, et se remit aussi droit que possible sur sa selle.

-Je vais te confier un secret, souffla Hélios en désignant son frère du menton. Lorsqu'il croise les doigts, comme ça, c'est qu'il est intérieurement mort de rire.

Lyoth reporta son attention sur Tarrek. Effectivement, les doigts du prince, posés sur sa cuisse, était croisés.

-Il a aussi de petites rides au coin des yeux, dans ces cas-là, lui confia de nouveau Hélios. Ne te laisse pas prendre par son air impassible. Il est en permanence en train de se moquer de son entourage. Il me faisait tourner en bourrique, petit.

Lyoth ne put s'empêcher de sourire, et se mordit les lèvres pour ne pas rire. Ainsi, Sa Sombre Majesté était un plaisantin ? Ça tombait bien, il était tombé face à rude concurrence...

-Et si je vous racontais, lança-t-il, la fois où j'ai voulut dérober le collier de la Chevalière Adeline, mais que je me suis retrouvé avec le soutien-gorge de sa femme ?

Et, sans attendre d'encouragement, il commença à raconter, enjolivant son récit d'effets de voix et de jeux de mots qui firent rire Hélios jusqu'à la tombée de la nuit.

~

Lorsque l'heure de s'arrêter fut venu, Hélios, à la grande joie du voleur, l'aida spontanément à descendre de son cheval.

-Je vais chercher du bois, mon prince, dit-il lorsque ses pieds touchèrent terre et que les bras dudit prince, hélas, se soient éloignés de lui. Vous devriez vous reposer.

-Je vais bien, rétorqua Hélios.

-Pour une fois que ce voleur à deux sous dit quelque chose de sensé, intervint Tarrek en lui attrapant l'épaule pour le trainer sous un arbre, fait ce qu'on te dit et repose-toi !

-Mais, Tarr'... protesta faiblement l'aînée, trop faible, toutefois, pour résister.

Lyoth sourit et partit accomplir sa mission.

Lorsqu'il revint, une demi-heure plus tard, les bras chargés de bois mort, il entendit des voix, et ne put s'empêcher d'écouter un peu, avant de se dévoiler. Il était voleur, après tout, il adorait surprendre les secrets.

-Je t'ai préparé quelque chose, disait Tarrek d'une voix douce, plus douce qu'il ne lui avait jamais entendu.

-Ça ne me guérira pas, Tarr'...

-Mais ça t'aideras à tenir. Tu vas tenir, n'est-ce pas ? Promets-moi que tu vas tenir...

-Père serait trop content, si je ne revenais pas, ironisa amèrement Hélios.

-On s'en fiche, de père, rétorqua Tarrek, la voix légèrement étranglée. On s'occupera de lui après. Le plus important, c'est de te guérir.

-Ton voleur, reprit Hélios, tu lui fais confiance ?

-Oui, répondit Tarrek après une courte hésitation. Il est insupportable, mais c'est quelqu'un de bien. Il a risqué sa vie parce qu'il croyait sauver la tienne. Je ne lui en demande pas plus.

Quelque chose se serra, dans la poitrine de Lyoth. Tarrek lui faisait confiance ? À lui ? Il avait l'impression d'être le dépositaire d'un bien inestimable qu'il n'avait pas du tout mérité. Même ses amis les plus proches ne lui faisaient pas confiance. Il volait pour vivre, après tout. Alors pourquoi ce prince qu'il connaissait à peine, avec lequel il n'avait eut que des disputes, ce prince qui ne semblait croire en personne, croyait en lui ? C'était complètement insensé.

-Oh, allez Tarr', ne fait pas cette tête d'enterrement ! Protesta la voix d'Hélios. Qu'aurait dit Dame Gertrude ?

-Pour l'amour des fées, Hélios, es-tu obligé de me ressortir Dame Gertrude à chaque fois ?

-« Un bon prince est un prince souriant », répondit Hélios d'un ton sentencieux assez exagéré pour être ridicule.

-En général, rétorqua Tarrek, c'était à ce moment-là que je sortais un crapaud de ma poche...

Lyoth s'approcha, assez pour pouvoir contempler la scène. La voix de Tarrek n'était que légèrement amusée, mais il pouvait voir ses doigts croisés, sur ses cuisses, trahissant un rire secret. Et puis, Hélios avait raison : lorsqu'il était amusé, il avait des petites rides au coin des yeux.

À cet instant, Tarrek leva la tête et l'aperçut. Les rides disparurent. Dommage, songea Lyoth en pénétrant dans la clairière. Je me demande si je peux les faire revenir.

Il passa la soirée à conter des histoires en vogue chez les voleurs et les prostitués, provoquant plusieurs fou-rires chez Hélios, qui entendaient pour la première fois les mésaventures de quelques chevaliers et nobles qu'ils connaissaient. Tarrek l'écouta sans rien dire, mais les rides de son sourire invisible ne réapparurent pas, à la grande déception du voleur.

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