L'Eau de Vie et de Mort - 4/6

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Lyoth regarda Tarrek s'endormir. Il n'avait pas pu, les fois précédentes, car les nuits étaient trop sombre et, surtout, parce qu'il était déjà occupé à contempler Hélios.

Des centaines de pensées tourbillonnaient dans son esprit, des images, des éclats de voix. Tarrek avait tenu tête au dragon, avec un tel courage et un tel aplomb ! Et lui qui se prétendait doué, il avait rude concurrence...

Un bruit le fit sursauter. Depuis combien de temps était-il plongé dans sa rêverie, les yeux posés sur le visage endormi de Tarrek ? Il leva les yeux au ciel. Une heure, au moins...

Le gémissement reprit. C'était Hélios, qui émergeait lentement. Lyoth, comme d'habitude, fut subjugué par la beauté solaire du beau prince aux cheveux blonds, qui cligna des yeux et lui jeta, en le reconnaissant, un sourire amical. Il se redressa à moitié et chercha son frère des yeux. Lorsqu'il l'eut trouvé, ses épaules s'affaissèrent légèrement, comme libérées d'un poids.

-Vous avez l'air d'aller mieux, dit Lyoth, assez bas pour ne pas réveiller le dormeur.

-Je me sens mieux, en tout cas, acquiesça le prince en se redressant définitivement pour s'adosser à une souche. Je n'ai pas retrouvé ma vigueur habituelle, mais, au moins, je n'ai plus l'impression que battre des paupières me fera tomber dans les pommes.

Il sembla à cet instant s'apercevoir qu'ils se trouvaient à l'intérieur de la forêt, et fronça les sourcils.

-Il n'y avait pas une histoire de dragon à passer ?

-Oh, Tarrek, s'en est occupé, lâcha nonchalamment Lyoth, s'attendant à une exclamation incrédule qui lui donnerait l'opportunité de raconter toute l'histoire.

Mais Hélios ne sembla pas plus surpris que ça. Il sourit affectueusement en direction de son frère endormi.

-J'ai toujours su que c'était lui, le plus fort de nous deux, dit-il finalement. Tout est simple, pour moi, les gens m'aiment et me respecte au premier contact. Mais avec lui, tous le monde à toujours été méfiant, méchant, parfois cruel, surtout à la cour, où les nobles attachés à mon père ne prisent rien de plus que l'apparence. Chaque chose que l'on m'a donné, il a dû, lui, se battre pour l'avoir.

Le cœur du voleur se serra en songeant à tout ce qu'avait dû faire un simple enfant pour se faire reconnaître. Certes, il avait, lui aussi, connu des batailles, petit. Mais aucune n'était aussi insidieuse et cruelle que celle-ci.

-Vous avez l'air de vous aimer beaucoup, commenta-t-il, presque malgré lui.

-Il fallait bien que nous nous soutenions, répondit Hélios d'un ton amer. Lorsque que nous avons compris que père essayait de nous tuer, alors que j'avais huit ans, Tarrek a pris les choses en main. Il en avait sept. Il était déjà redoutablement intelligent. Il a fait en sorte que je devienne si populaire que tout le monde savait où j'étais et avec qui en permanence, et que les gardes jurent sur leur vie de me protéger, de telle sorte qu'il ne puisse payer aucun mercenaire pour s'introduire près de moi et m'occire. Nous nous sommes jurés d'être toujours là l'un pour l'autre. Tarrek faisait mes devoirs de mathématiques et de langue, tandis que j'usai son épée pour faire croire à notre maître d'arme qu'il s'entrainait. Nous formons une équipe.

-Beaucoup de gens sont au courant de ça ?

-Non, nous ne l'avons dit à personne... Mais nos plus proches s'en doutent certainement. Nombreux sont ceux qui se sont détournés de mon père, au fils du temps, comprenant plus ou moins vaguement qu'il s'enfonçait dans la folie. Ned, mon meilleur ami, a depuis longtemps compris que j'adorais mon petit frère et qu'il n'était pas maléfique pour deux sous, même s'il ne se laissait pas facilement approcher. Je crois qu'ils s'entendent bien, tous les deux, à leur manière.

-Vous ne voudriez pas me raconter quelques anecdotes embarrassantes sur Tarrek ? Supplia le voleur en faisant des yeux de cocker.

Hélios éclata de rire.

-Tu ne perds pas le nord, toi !

L'éclat de rire réveilla Tarrek, qui grogna et cligna des yeux.

-Kelheurilé ? Marmonna-t-il en se relevant, sa chemise froissée, ouverte, tombant de son épaule.

Pour une inexplicable raison, Lyoth déglutit, les joues légèrement rouges.

-L'heure de te secouer les fesses, paresseux, lui lâcha Hélios, aussi charitable que le sont les frères en général.

-Dit celui qu'il faut trainer sur son cheval pour faire avancer, rétorqua Tarrek en remettant ses habits en place.

Une demi-heure plus tard, après un bref petit déjeuner, ils se remirent en route. Hélios avait décidé de marcher, son poids reposant à moitié sur le cheval. Lyoth et Tarrek ouvraient la route.

Le sentier était vieux, encombré d'arbre mort, de racines aussi grosses que des bras, d'herbes folles et de branche brisée, qu'il fallait, à chaque fois, aider le cheval à passer. À mi-journée, Hélios, épuisé, remonta sur le destrier, qui, heureusement, avançait sans se faire prier. Ils avancèrent deux jours le long de ce chemin sinueux, sans incidents marquant, sinon les piques que Lyoth et Tarrek s'envoyaient avec ferveur.

Puis, à la fin de la deuxième journée, ils s'arrêtèrent brusquement, manquant de se renverser.

La forêt s'était dégagée d'un coup. Devant eux s'étendait un lac à la surface si lisse que le ciel s'y coulait, emportant avec lui les nuages, les oiseaux, et les arbres qui caressaient les rives, comme des gardiens ancestraux. Le soleil se couchait à peine par-dessus les cimes, teignant la scène de rouges et d'orangées, comme si la lumière elle-même était en train de se consumer.

-Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige, déclama tout doucement Tarrek. Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir. Le ciel est triste et beau, comme un grand reposoir... Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.*

Surprit, Lyoth tourna son regard vers lui. Son souffle se coupa. Tarrek avait l'air... différent. Plus triste, plus doux, plus vulnérable. Son regard rêveur était plongé loin, loin d'ici, et la lumière mourante du soleil en profitait pour caresser sa peau, la parant de reflets d'or. Il était magnifique. Il était plus beau encore qu'Hélios, plus beau que tous ceux qu'il avait pu rencontrer, d'une beauté secrète et profonde, vibrante, touchante, qui s'élevait au sublime.

-Je ne savais pas que tu aimais la poésie, dit-il enfin, le tutoyant sans y penser.

-J'ai toujours aimé les mots, répondit le prince en se troublant, comme la lumière à la surface du lac. Ils sont à la fois des boucliers et des fenêtres, ils disent tout, et ils ne disent rien.

Comme toi, songea Lyoth.

L'instant d'après, la nuit était là, offrant au monde sa parure de diamants. Il faisait étrangement bon, pour la saison. En riant, Lyoth proposa qu'ils prennent un bain de minuit.

-Ce ne serait pas très raisonnable, objecta Tarrek, qui avait retrouvé tout son sérieux. On ne sait pas ce qu'il y a dans ce lac.

-Oh, allez ! Insista le voleur. Ne me dites pas que vous n'avez pas envie de vous baigner dans le ciel, monsieur le prince poète !

-Le ciel est trop froid pour moi, rétorqua l'intéressé en croquant dans une pomme.

-Moi, je suis partant ! Intervint Hélios.

-Il n'en est pas question ! Glapit Tarrek. Ne laisse pas cet idiot te trainer dans ses bêtises !

-Je n'ai jamais eu besoin de personne pour ça, répliqua l'aîné en retirant sa chemise, faisant rougir le pauvre Lyoth qui, décidément, n'en pouvait plus.

Pour se changer les idées, il se déshabilla aussi – en entier, il n'avait pas envie de dormir dans un caleçon trempé. Tarrek, les dents coincées dans sa pomme, sentit sa température corporelle monter en flèche. Il tenta désespérément de ne pas laisser ses yeux traîner sur la silhouette souple et musclé du voleur, sur la courbe de ses épaules, de ses reins, et de... de... de...

Les joues brûlantes, certain que le feu du dragon ne l'aurait pas atteint si fort, le pauvre prince remonta sur le visage de Lyoth, sur son sourire immense, ses cheveux bruns en bataille, ses quelques taches de rousseurs qui lui donnaient l'air malicieux... Pas étonnant que tous les cœurs à prendre tombent dans ses bras – ou dans son lit, si l'on en croyait le récit de ses nombreuses conquêtes. Lyoth, comme son frère, respirait l'énergie et la joie de vivre. Mais là où Hélios était une force tranquille, un soleil sur lequel on pouvait compter, Lyoth était une étincelle turbulente, indomptable, à jamais libre et insaisissable. Tarrek lui enviait cette liberté, cette aisance, ainsi que ses sourires spontanés et cette façon qu'il avait de se faire apprécier. Il n'avait jamais rencontré quelqu'un qui lui réponde aussi facilement. Il n'avait jamais rencontré quelqu'un capable d'autant d'autodérision et de courage à la fois, de fierté et d'humilité, d'ouverture d'esprit et de rapidité de pensée.

Hélios et Lyoth, enfin nus, entrèrent dans l'eau en riant et en se chahutant, s'éclaboussant mutuellement. Sur la berge, Tarrek enfouit son visage dans ses mains, dépité. Autant se l'avouer. Il ressentait beaucoup, beaucoup d'attirance pour Lyoth. Beaucoup trop.

Ses doigts se crispèrent sur ses cuisses, et il sentit sa gorge se serrer. Il savait, d'une certitude absolue, que Lyoth ne l'aimerait pas en retour – car c'était bien d'amour, dont il était question, à quoi bon se leurrer ? Il n'était tout simplement pas de ceux qu'on aime. Il n'était pas beau, pas gentils, pas affable, pas ouvert, et sans charme. Il n'était pas le prince des contes. Hélios l'était. Et il voyait bien le regard que le voleur portait sur son frère, et la dévotion qu'il lui avait témoigné, depuis le début. Tarrek, torturé de jalousie, aurait pu haïr son ainé, à cet instant, et fut bien près de le faire. Mais sa colère injuste retomba, et il fit ce qu'il faisait toujours : il montra au monde un visage impassible, et tenta désespérément d'y ressembler.

Lorsque Hélios et Lyoth ressortirent de l'eau, Tarrek avait sortit un carnet noir de sa sacoche et alignait des chiffres. Il ne s'arrêta que pour rabrouer son frère, qui avait l'air d'être sur le point de s'évanouir, et le reprocha sèchement au voleur, qui arbora un air peiné et ne répondit pas. Tarrek en ressentit une profonde mélancolie.

~

Le lendemain, l'état d'Hélios avait empiré. Incapable de tenir debout sans vaciller, le prince, mortellement pâle – et l'adjectif faisait frémir Tarrek – semblait à moitié coincé dans le sommeil. Ses deux compagnons de routes le portèrent sur son cheval et l'attachèrent à la selle, en priant pour qu'il ne tombe pas.

Ils se remirent en route dans un silence de mort. Tarrek, en tête, guidait le destrier sur le chemin de plus en plus difficile, tandis que Lyoth, sur le côté, s'assurait qu'Hélios ne tombait pas et n'avait besoin de rien.

Le voleur, la gorge serrée, ne pouvait s'empêcher de fixer le dos de Tarrek. Le prince ne laissait rien voir de l'état de ses pensées – il ne le faisait jamais – mais Lyoth savait qu'il devait être très inquiet, et, surtout, qu'il devait le détester. Il ne lui avait fait aucun reproche depuis hier soir, mais c'était de sa faute, de son entière faute, si Hélios était allé se baigner dans le lac, et si son état avait empiré. Il songea à la confiance que le prince sombre lui avait témoigné, depuis leur départ du château. Il en avait été indigne. Il l'avait trahi. Pour une bêtise, une simple baignade, il avait perdu son estime et commis une faute irréparable.

Jamais il ne s'était senti aussi coupable, jamais il ne s'était détesté à ce point. Il voulait s'excuser, dire quelque chose... Mais il savait que c'était inutile, et qu'il ne recevrait en retour qu'un commentaire sarcastique, sec, ou dépréciateur. Alors il se tut, supportant en silence le poids de la culpabilité qui pesait comme un boulet au creux de son ventre, s'alourdissant un peu plus à chaque fois que ses yeux se posaient sur la force endormit d'Hélios, ou sur le dos impassible de Tarrek.

Ils ne firent qu'une très brève pause pour déjeuner, lorsque le soleil fut à son zénith, avant de repartir. Hélios était trop fatigué pour ripailler, Tarrek n'avait jamais vraiment faim, et l'estomac de Lyoth était trop serrée pour accepter quoi que ce soit.

La forêt était réellement sauvage, à présent. Le tracé du chemin se voyait à peine, zone vaguement plus claire au milieu des broussailles, des branches mortes, et des fleurs aux couleurs fragiles. Faire avancer le cheval devenait de plus en plus dur. Ils hésitèrent plusieurs fois à l'abandonner, mais cela aurait signifié devoir porter Hélios et laisser derrière leurs lourdes sacoches de vivres, ce qui était plus une perte qu'un gain.

Vers la fin de l'après-midi, alors que le vent, depuis des heures, s'était mis à chuchoter dans les branches, les glaçant jusqu'à l'os, le chemin déboucha sur une clairière.

Il s'agissait d'une clairière ronde, assez modeste, recouverte de fleurs violettes que le vent faisait ondoyer en vagues paresseuses. Au milieu, sur un rocher plat, était couché un lion. Mais pas n'importe quel lion, non, il s'agissait d'un lion d'une blancheur de neige, à la crinière aussi sombre que la nuit. Il devait mesurer deux ou trois fois la taille des lions communs, autant en hauteur qu'en largeur. Il dormait, son souffle régulier soulevant par intermittence les longs poils d'ébène de sa crinière.

Sous sa grosse patte, celle qui soutenait son visage, luisait un objet doré. Le bout d'une clef.

-Le lion savant, murmura Tarrek, très bas. Lorsqu'il se réveillera, il nous posera une question, à laquelle nous devons absolument répondre.

-On est obligé d'attendre ? s'inquiéta Lyoth. Qui sait lorsqu'il ouvrira l'œil...

-Tu préfères le réveiller ? Ironisa Tarrek, tout bas.

-Je me disais simplement que la bestiole à l'air d'avoir le sommeil lourd, on pourrait peut-être se passer de son autorisation...

-Bonne idée, apprécia Tarrek en se tournant vers lui. Tu peux tout à fait voler la clef.

-Pardon ?! s'étrangla Lyoth. Vous voulez que je m'approche de ce truc, qui peut me décapiter d'une pichenette, pour lui prendre son oreiller ?

-Ce n'est pas ce que tu proposais ?

-Je voulais dire que nous pouvions passer sans lui demander la permission, pas lui voler son jouet !

-Il m'est avis, le contredit Tarrek, que la clef pourrait s'avérer nécessaire. Nous devons l'avoir. Mais s'il se réveille et nous pose sa question, il y a des chances que nous ne sachions y répondre...

Il tourna furtivement la tête en direction de son frère.

-Nous ne pouvons pas prendre ce risque. Il faut que tu voles la clef, Lyoth.

-Mais j'en suis incapable ! C'est complètement impossible !

Tarrek lui adressa un regard dans lequel il crut lire de la surprise.

-Bien sûr que tu en es capable, murmura Tarrek en se rapprochant de lui. Tu es celui qui a cambriolé quinze des manoirs les plus gardés de la capitale en un mois.

-Avant de me faire prendre...

-Parce que j'avais déduit ta prochaine cible, et prévenu la maîtresse de maison, qui t'attendait. Le lion, lui, ne t'attends pas.

Le voleur n'eut pas l'air convaincu.

-Lyoth, soupira Tarrek, l'année dernière, tu as réussi à voler un diamant qui se trouvait littéralement sous le nez de la cheffe de ma garde privée.

-Oh, vous saviez que c'était moi ?

-Je m'en doutais, même si je ne savais pas où te trouvait. Je te traque depuis assez longtemps.

-C'est plutôt flatteur, finalement... Mais je ne pourrais pas vous le rendre, désolé. Je l'ai vendu.

-Je l'ai racheté.

-Ah.

-Mais passons.

-Oui, passons.

Il y eut un silence.

-S'il te plait, Lyoth, nous avons tous les deux besoins de toi... souffla Tarrek en détournant le regard.

Le voleur sentit un drôle de frisson lui parcourir la peau.

-Je... mais... vous croyez vraiment que j'en suis capable ? Murmura-t-il d'une toute petite voix.

-Je ne le crois pas, non. Je le sais.

Les frissons réapparurent, plus fort. Lyoth déglutit. Ce n'était pas le moment de... de quoi, exactement ? De se découvrir des sentiments envers un prince impassible ? Était-ce qui était en train de se passer ? Je ferais mieux d'aller voler cette stupide clef, au lieu de me poser des questions existentielles.

Et, sans un mot de plus, il fit un pas dans la clairière.

-Sois prudent ! Souffla quelqu'un, dans son dos.

Était-ce vraiment Tarrek ? Ou n'était-ce qu'une illusion du vent ? La première possibilité fit battre son cœur un peu plus vite. Et si Tarrek s'inquiétait pour lui ? Tarrek si dur, si insensible...

Il se concentra sur le présent, tentant de calmer les battements désordonnés qui pulsaient dans sa poitrine. Encore une fois, ce n'était pas le moment. Il fit un pas de plus.

Avancer sans bruit est un art bien plus ardue qu'on ne le pense. Trois choses sont absolument nécessaires : avoir la parfaite connaissance de son corps, son parfait contrôle, et une compréhension approfondie de l'environnement. Les deux premières étaient acquises depuis longtemps. Par contre, Lyoth était bien plus habitué à la ville, aux lattes de parquets, aux tapis et aux marches de bois, qu'à la terre et à la mousse de la forêt. Cependant, il était passé par assez de jardin pour en connaître les rudiments, et savoir instinctivement, avant de reposer pour de bon son pied, s'il trouverait un terrain moelleux où s'enfoncer, ou une branche morte qui se briserait.

Il fit encore un, deux, trois, quatre pas, léger comme un danseur, tout entier concentré sur sa proie, sur cet éclat de lumière sur la clef dorée. Il tentait de ne pas s'attarder sur la bête qui emplissait petit à petit son champ de vision, sur sa tête énorme, son poil dru, ses crocs monumentaux, qui apparaissaient à chaque inspiration, et les griffes pointues qui avaient tracé des sillons dans le roc.

Tarrek, accroupit dans son buisson, le souffle coupé, entièrement crispé, le vit atteindre la patte du lion. Par les fées, Lyoth, fait attention... Fais attention...

Il regrettait déjà de l'avoir envoyé là-bas. Après tout, ils auraient pu attendre le réveil du monstre, comme prévu, ou passer directement, comme Lyoth l'avait suggéré. Qui savait s'ils auraient besoin de cette stupide clef, après tout ?

Le cœur battant si fort qu'il menaçait de se rompre, il vit la silhouette fragile de son voleur se pencher au-dessus de l'énorme patte. Ne te réveille pas... pria-t-il, ne te réveille pas...

Lyoth enfonça la main dans sa poche et en sortit un minuscule canif au manche gravé. Il y tenait beaucoup, mais il n'avait pas vraiment le choix : il avait besoin d'un objet métallique de la même taille que la clef, afin d'opérer la substitution.

Tarrek ferma les yeux.

Une pression, sur son épaule, les lui les fit rouvrir. Lyoth était accroupi en face de lui, un air triomphant sur le visage, une grosse clef dorée dans la main qu'il ne gardait pas posé sur l'épaule du prince.

-Incroyable, souffla Tarrek.

Et, durant un instant, une fraction de seconde, il oublia son mantra d'impassibilité, il oublia qu'il s'était promis de ne jamais rien montrer de ce qu'il était. Lyoth vit de l'admiration, sur son visage, mêlé d'autre chose, quelque chose de trouble qui le fit de nouveau frémir, et rougir malgré lui.

-Tu es formidable, souffla Tarrek, son regard piégé dans les yeux noisettes du voleur, dont le rougissement, qui allait en s'accroissant, faisait ressortir les taches de rousseur.

-Moi ? Balbutia-t-il, tout bas. Je ne... que... moi ?

Tarrek cligna des yeux, rompant le charme. Je le mets mal à l'aise, songea-t-il en se relevant. Qu'est-ce qui me prends ?

-Il nous faut toujours passer le lion, dit-il au voleur toujours accroupi, occupé à digérer la précédente information. Faisons un détour.

-Un détour... répéta Lyoth avant de revenir au présent. Oh, oui, vous avez raison. Un détour.

Tarrek, de nouveau impassible, prit la bride du cheval, revint légèrement en arrière sur le chemin, et s'enfonça dans les bois, Lyoth sur ses pas, afin de contourner la clairière du lion.

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