L'Eau de Vie et de Mort - 5/6

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La nuit commençait à grignoter le bout du ciel lorsqu'ils retrouvèrent le chemin. Un même soupir de soulagement leur échappa : il craignait tous les deux, sans oser l'avouer à voix haute, de s'être perdu.

À cet instant, Hélios laissa échapper un grognement. Tarrek fut à ses côtés dans la seconde.

-Hélios ? Souffla-t-il à son aîné. Tu m'entends ?

-Je suis fatigué, Tarr', pas sourd, répondit la voix lasse de son frère. Où sommes-nous ?

-Nous avons passé le lion savant, grâce à Lyoth.

-Vous avez passé le lion ? Gémit Hélios. Mais je voulais le voir, moi aussi, le lion ! Pourquoi vous faites toujours les trucs les plus intéressants sans moi ?

-Parce que tu dors, mon cher frère, répliqua l'autre en posant une main affectueuse sur son épaule.

-J'ai assez dormit, râla Hélios en se redressant légèrement. J'ai faim...

-Sa Majesté a faim, plaisanta Tarrek en fouillant aussitôt dans leur sacoche de provisions. Que peut-on proposer à Sa Majesté ?

Lyoth tendit les bras pour aider Hélios à descendre. Le prince tenta de s'en passer, mais échoua lamentablement et s'effondra dans ses bras, réellement à bout de force. Un bref sanglot lui échappa, fruit de son impuissance. Lui qui aimait tant courir et chevaucher se trouvait incapable de tenir debout seul !

Lyoth, touché par sa détresse, le serra brièvement dans ses bras avant de l'aider à s'asseoir.

-Je compte sur toi pour me raconter cette histoire de lion, Lyoth, déclara l'héritier d'un air grave.

Lyoth s'exécuta aussitôt, bien sûr, à grand renfort de métaphores excessives et de tournures dramatiques au possible. Mais alors qu'il était au milieu du récit, il s'aperçut qu'Hélios ne l'écoutait plus. Il dormait de nouveau, son souffle faible chassant à intervalle régulier la mèche dorée qui tombait sur ses lèvres. Tarrek posa sur lui une couverture et l'allongea avec le plus de douceur possible, la tête calée sur sa cape roulée.

Les doigts de Tarrek étaient crispés sur ses cuisses, trahissant la détresse qu'il ne permettait pas à son visage d'exprimer.

-Je suis désolé, dit enfin Lyoth, le regard fixé sur Hélios.

-Pour quoi ? Répondit Tarrek de sa voix toujours égale. Tu n'as rien fait de mal. À part cambrioler la moitié de la capitale, bien sûr.

-Pour... Pour le bain dans le lac, s'expliqua Lyoth, toujours sans le regarder. C'est de ma faute si sa santé a chuté. Je... Je suis vraiment désolé.

Il y eut un silence, un long silence, avant que Tarrek ne réponde. Sa voix s'était légèrement altérée.

-Ce n'était pas ta faute, Lyoth. Tu ne pensais pas à mal, et l'on ne peut pas savoir si c'est le bain de minuit ou le sortilège qui est la cause de son affaiblissement soudain. Je pensais que ça prendrait plus de temps, mais de toute évidence, je me suis trompé. Et si... Et si... Et s'il ne devait pas... Si c'était la fin, si la quête ne réussissait pas... Je serais heureux qu'il ait rit, avant... Je serais heureux que parmi ses derniers souvenirs, il y ait un bain dans un lac, qu'il se soit amusé, qu'il... Il...

Lyoth tourna enfin son visage vers lui. Les mains de Tarrek tremblaient, et ses lèvres étaient si serrées qu'il n'en restait que deux lignes fines, pâles. Lyoth voulait tant faire quelque chose pour l'aider. Quelque chose, n'importe quoi, qui puisse soulager sa douleur. Tarrek ne méritait pas de souffrir. Il sacrifiait déjà tant, au quotidien, pour son frère et son royaume. Il méritait d'être heureux.

Mais il n'était qu'un petit voleur, il n'avait pas le pouvoir de faire arriver ces choses-là. Alors il se retourna vers le spectacle d'Hélios endormi et remit en place la couverture qui avait glissé.

-Lyoth, souffla soudain Tarrek, et le voleur ne put s'empêcher de retenir son souffle, tant ce prénom était hésitant.

-Oui ?

-Tu aimes beaucoup Hélios, n'est-ce pas ? Je veux dire... il te plait.

-Que je... heu... moi ? s'embrouilla Lyoth. Ah... hum... à qui ne plait-il pas ? Finit-il par réussir à lâcher.

Tarrek sembla faire un effort pour garder ses mains immobiles. Il savait que le voleur les observait pour connaître son humeur – c'était son traître de frère qui avait vendu la mèche – et il ne voulait rien lui dire de ce qu'il ressentait à présent, de son cœur à l'agonie, de sa gorge serrée, des larmes qu'il refoulait et qui envahissait son âme d'amertume. Aurais-tu pu m'aimer ? Ne pouvait-il s'empêcher de penser. Mais ces questions étaient vaines. Y avait-il jamais eut de l'espoir, pour lui ? Jamais.

-Je m'en doutais un peu, dit-il d'un ton impersonnel. Tu n'es pas très discret.

Lyoth rougit furieusement. Tarrek ne put s'empêcher de le trouver encore plus adorable, et de se maudire en même temps. Il n'arrivait pas à savoir si ce qu'il s'apprêtait à dire était pour le bien de Lyoth ou pour le sien.

-Je voulais simplement te prévenir, continua-t-il, qu'Hélios, comment dire... Son cœur est déjà pris.

-Son cœur est pris ? Répéta Lyoth, stupéfait, car sur les dizaines de rumeurs qui courraient sur le bel héritier, aucune – en tout cas, aucune crédible – ne mentionnait une affaire sérieuse.

-Hélios est fou amoureux de son meilleur ami, Ned, le chevalier, confirma Tarrek avec un regard affectueux en direction de son frère. Mais cet imbécile, sous ses airs de bravades, et l'être le plus timide et le plus lâche du monde. Il ne s'est toujours pas confessé, alors que je suis certain que Ned n'attends que ça, et qu'il a ma parfaite bénédiction...

Lyoth sourit. Ça ressemblait au prince qu'il commençait à connaître. Avec un train de retard, et non sans surprise, il s'aperçut que savoir Hélios amoureux d'un autre ne lui provoquait pas la moindre douleur. N'était-il pas sensé être plus ou moins amoureux de lui ? Mais non. Il était juste content que son ami royal ait quelqu'un pour l'aimer.

Ne sachant comment interpréter son silence, Tarrek reprit, mal à l'aise :

-Je te le dis simplement pour t'éviter de souffrir en t'attachant trop à lui... C'est difficile d'aimer sans retour.

Lyoth tiqua. Tarrek aimait-il quelqu'un, lui aussi ? La question le troubla beaucoup, beaucoup plus qu'il ne l'aurait cru. Après tout, il ne savait rien de lui, puisque toutes les rumeurs qui courraient à son égard étaient fausses. Il pouvait très bien avoir une femme, ou un mari, un amoureux, ou une amoureuse l'attendant au château, se languissant de lui... Quelqu'un qui aurait le droit de voir par-delà son masque impassible, quelqu'un à qui il témoignerait son affection, de la tendresse... Quelqu'un qu'il embrasserait, quelqu'un avec lequel...

-Lyoth ? Ça va ?

Le voleur lui jeta un regard involontairement noir. Il était en colère contre cette personne invisible, cet hypothétique amant ou amante, il était fou de rage, même, il était... Jaloux. Que les fées me gardent, je suis jaloux. Pourquoi ? Qu'Hélios ait une relation m'indiffère, mais que Tarrek... Ce n'est pas comme si je voulais qu'il me considère, moi, comme un amant, ou qu'il m'embrasse...

La pensée de Tarrek se penchant sur lui pour l'embrasser lui procura une sensation de panique mêlée de liesse qui fit courir son cœur à une vitesse folle. Puis son esprit extrapola, dérivant seul sur ces chemins délicieux. Et s'il prolongeait le baiser, s'il s'allongeait contre lui, s'il le surplombait, s'il glissait sa main sous ses vêtements et que...

Il s'arrêta là, rouge jusqu'à la pointe des oreilles, incapable d'aligner deux pensées cohérentes.

-Ça... va... bégaya-t-il en ne regardant surtout pas Tarrek, pour ne pas revoir les images qu'il désirait pourtant éperdument.

Je suis amoureux, s'avoua-t-il enfin. Non, pire. Ses yeux se posèrent sur les mains du prince, qu'il avait malgré lui crispé sur sa cuisse, à s'en blanchir les jointures. Je l'aime.

-Dors, conclut Tarrek. Je prends la première garde.

-Non, répondit le voleur, toujours troublé, toi, dors...

Ce n'est pas comme s'il allait fermer l'œil, de toute façon, pas dans l'état dans lequel il se trouvait.

Tarrek obtempéra sans un mot, heureux de se soustraire, enfin, à cette abominable conversation. Lyoth avait eut l'air si perdu, lorsqu'il lui avait apprit l'existence de Ned... Et s'il aimait vraiment Hélios ? Il allait être malheureux, en plus, à cause de lui... Car c'était lui qui l'avait attiré dans toute cette histoire. C'était de sa faute.

Le sommeil les fuis tous les deux, cette nuit-là. Et, distraits, ils n'entendirent pas, au petit matin, le grondement sourd d'une gorge animal, au loin, ni le raclement des griffes contre la pierre, ni la voix d'un homme dialoguant avec un lion.

~

L'aube était à peine levée qu'ils étaient déjà prêts à partir. Tarrek se pencha sur son frère pour le réveiller.

-Hélios ? C'est l'heure. Il faut y aller.

Le prince héritier ne réagit pas.

-Hélios ? Répéta Tarrek en lui secouant l'épaule.

Silence.

-Hélios ? Hélios ! Hélios ! Hurla-t-il presque en le secouant. Hélios ! Espèce de vieille marmotte ! Idiot ! Réveille-toi ! Réveille-toi ! Allez ! Hélios ! Hélios !

La main de Lyoth se saisit de la sienne.

-Tarrek, souffla-t-il, arrête.

-Hélios ! Appela de nouveau le prince, sans l'écouter.

Lyoth, qui était de loin le plus fort des deux, l'arracha à son frère en le tint fermement par les épaules, en face de lui. Des larmes brûlantes emplissait le regard de Tarrek. L'une d'elle s'échappa et roula sur sa joue. En temps ordinaire, il aurait été effaré d'avoir manqué à son commandement d'impassibilité. Mais à présent, la panique effaçait tout.

-Calme-toi, Tarrek, asséna gentiment le voleur. Calme-toi.

-Hélios...

-Attends. Ne bouge pas.

Le lâchant, il se pencha sur le prince et posa une main sur ses lèvres.

-Il respire, mais faiblement, dit-il, soulagé.

Tarrek laissa échapper un sanglot.

-Il ne peut pas mourir... Il ne peut pas me laisser seul...

Lyoth, parce qu'il lui était si douloureux de le voir pleurer, le prit dans ses bras. Après un sursaut de surprise, Tarrek se serra contre lui, fort, le plus fort possible, la tête enfouie dans le creux de son épaule. Lyoth ferma ses bras autour de lui, l'entourant de sa chaleur. C'est drôle, il n'avait jamais remarqué, jusqu'à maintenant, qu'il était légèrement plus grand que le prince. Tarrek était si imposant, d'habitude, qu'il faisait figure de géant. Mais un géant si triste et si fragile... Sa main se glissa d'elle-même dans ses cheveux, qu'il caressa doucement.

-Tu n'es pas seul, souffla Lyoth, si bas que les mots faillirent ne pas franchir ses lèvres.

Tarrek ne lui demanda pas ce qu'il voulait dire par là. Il préférait laisser son imagination colmater les brèches de son âme, et lui offrir une version du conte où Lyoth restait prêt de lui, pour l'aider et le supporter, pour toujours.

À regret, il s'arracha à la chaleur de ses bras.

-Il faut nous dépêcher, dit-il.

Lyoth acquiesça. Ils n'avaient pas de temps à perdre.

Le cheval étant trop lent, ils lui rendirent sa liberté. Tant pis pour les provisions. Lyoth prit Hélios sur son dos, ployant légèrement sous le poids de sa forte carrure. Et ils se mirent à marcher, vite, le plus vite possible, suivant le chemin presque effacé, concentrés à la fois sur la forêt et sur la respiration du prince héritier, terrifiés à l'idée qu'elle puisse cesser, que chaque inspiration puisse être la dernière, et qu'ils ne transportent plus qu'une enveloppe de chair.

Deux heures. Trois. Quatre...

Et le miracle se produisit.

Ils étaient arrivés. Devant eux se dressait une muraille de pierre grignotée par le lierre, assez haute pour dépasser la cime des arbres. Un portail était percé, au milieu. À travers la grille ouvragée, il pouvait discerner une cour ronde, devant un manoir en ruine que sa splendeur passé teintait de nostalgie. Au milieu de la cour se trouvait la statue d'une femme sublime vêtue d'un lourd drapé. Sous chacune de ses paupières naissait un filet d'eau, qui caressait ses joues et allait s'échouer dans un bassin, à ses pieds. Il n'y avait aucun autre bruit que le bruissement du vent dans les feuilles et celui de l'eau, étrangement semblables.

-La clef, balbutia Lyoth, dont les muscles commençaient à faiblir sous le poids de son fardeau.

Tarrek avait déjà sortit l'objet de sa poche. Il l'inséra dans la serrure du portail, la tourna, et tira de toutes ses forces. D'abord, le battant résista, scellé à son semblable par le lierre et la rouille. Mais Tarrek tira encore, et encore, jusqu'à ce que la rouille s'effrite et le lierre se déchire. La porte, avec un long, long, long grincement métallique, s'ouvrit.

Ils se précipitèrent à l'intérieur. Lyoth déposa Hélios contre la margelle de la fontaine, dont l'eau était si claire qu'on l'aurait presque cru vide. Mais alors que Tarrek se saisissait de la fiole qu'il avait apportée, une voix de femme se fit entendre, profonde, envoutante, comme un écho, à la fois proche et lointain.

-Voici la Fontaine de Vie et de Mort, dit-elle.

Lyoth et Tarrek relevèrent les yeux. C'était la statue qui parlait, ses lèvres se mouvant en même temps que ses mots, tandis que son regard mouillé de larmes plongeait sur eux.

-Pour chaque Vie que vous prenez par cette eau, vous devait choisir une Mort. Pour chaque Mort que vous donnez par cette eau, vous devez choisir une Vie. Ainsi, et ainsi seulement, l'équilibre sera maintenu. Si aucun choix n'est fait, alors le hasard agira.

-Une mort pour chaque vie, balbutia Tarrek, la main contenant la fiole suspendue au-dessus de l'onde.

-L'Eau de Vie peut tout guérir, continua la statue. L'Eau de Mort peut tout tuer. Qui boit de l'Eau de Vie restera à jamais en bonne santé. Qui boit l'Eau de Mort ne pourra jamais être ramené.

-Qui chaparde assez d'Eau de Vie possède une jeunesse éternelle, finit une autre voix.

Tarrek et Lyoth firent volte-face. Un vieil homme se tenait dans la cour, deux pas après le portail ouvert. Dans ses mains se trouvaient une arbalète chargée, pointée sur Tarrek.

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