L'Eau de Vie et de Mort - 6/6

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-Père ! s'exclama le prince.

-Le roi ! reconnu aussitôt Lyoth.

-Eh bien, mon fils, ricana le souverain, on peut dire que tu m'as donné du mal. Et moi qui me demandais pourquoi mon sortilège n'agissait pas sur cet abruti de blondinet... Mais lorsque vous avez brusquement disparus tous les deux, j'ai compris que j'avais réussis, et que vous étiez partis en quête d'un quelconque remède. Je me suis permis de fouiller dans vos appartements. Vraiment, Tarrek, je ne pensais pas découvrir un aussi beau laboratoire. J'y ai trouvé des notes plutôt intéressantes. L'Eau de Vie et de Mort. La possibilité d'une jeunesse éternelle. Un pouvoir inestimable... Et l'occasion de me débarrasser discrètement de mes deux ingrats d'héritiers, qui persistent à vouloir régner à ma place.

-Vous avez fait votre temps, lâcha Tarrek, les yeux lançant des éclairs. Et vous l'avez mal fait, d'ailleurs. Hélios et moi régnons avec justice, supportés par l'amour du peuple. Ils vous destitueront, en comprenant ce que vous avez fait.

-Pauvre petit, soupira le vieillard d'une voix qui donna à Lyoth des envies folles d'étranglement. D'abord, ce n'est pas toi, que les gens aiment, c'est ton imbécile de frère. Ensuite, les gens n'apprendront jamais rien, puisque tu as trouvé le suspect idéal pour porter le chapeau... Lyoth, c'est ça ?

-Laissez-le en dehors de...

-TARREK !

Le carreau d'arbalète était partit, plus rapide que l'œil. Il fit un bruit mat en s'enfonçant dans la poitrine de Tarrek, qui ouvrit de grands yeux surpris.

-Tarrek... balbutia Lyoth en le regardant tomber à genoux et s'effondrer en arrière, contre la poitrine de son frère.

-Lyoth...

Les mots et les images se bousculaient dans l'esprit de Lyoth. Le sang. Le sang rouge, rouge profond, presque noir, le sang qui maculait la poitrine de Tarrek, le sang qui suintait entre ses doigts, ses doigts recroquevillés autour du carreau de bois, un carreau de bois qui jaillissait de là où il n'aurait jamais dû être... Le sang... Et puis la peur, sur son visage si brave, et la douleur, et puis... et puis plus rien ? Les paupières qui se ferment. L'immobilité.

Un grand froid s'était répandu dans la poitrine du voleur, glissant de son cœur au reste de son être, immobilisant, pétrifiant, anesthésiant toute douleur.

Pourtant, son regard, lorsqu'il le tourna vers le roi, brûlait d'une rage folle.

-Vous l'avez tué, dit-il lentement, détachant chaque syllabe de chaque mot. Vous les avez tous les deux tués.

-Lyoth, c'est ça ? Ne faites pas cette tête, mon petit. On va s'arranger. Que dirais-tu de...

Mais Lyoth n'écoutait pas. Il se jeta sur lui en hurlant de rage, consumé de colère, brulant du désir de se battre, de se venger, de frapper, de faire mal, de casser, de déchirer, de réduire en charpie, tout, tout ce qui pourrait éloigner le moment où il devrait s'arrêter, où il devrait réaliser ce qui s'était passé, le moment où il devrait se pencher sur le corps, et... et...

Le roi, prit au dépourvu – il pensait qu'un voleur se laisserait facilement acheter – peina à recharger l'arbalète. Trop tard. Le poing de Lyoth s'écrasa sur son nez, qui se brisa net. Le voleur hurla en même temps que lui, sous l'effet de la douleur et de la haine. Ils roulèrent à terre, et Lyoth frappa encore, et encore, il frappa, frappa, frappa, l'image de Tarrek couvert de sang flashant à chaque coup devant ses yeux hagards, qui ne voyaient rien d'autre, ne comprenaient rien d'autre, que cette douleur absurde et cette fêlure en lui, ce froid immense que rien ne semblait pouvoir effacer.

Et puis, soudain, il réalisa que le corps sur lequel il était assit ne bougeait plus.

Qu'ai-je fait ? Ses poings étaient maculés de sang. Qu'ai-je fait ?

Hagard, il se tourna vers la fontaine, vers la forme ensanglantée de Tarrek, allongé sur son frère, tout aussi immobile. Un sanglot le secoua tout entier, libérant une larme, qui traça sur sa poitrine un sillon amer de douleur et de culpabilité.

Il se traina jusqu'à la fontaine, jusqu'au deux princes inanimés, et se pencha sur Tarrek. Un ruisseau de sang s'échappait du coin de ses lèvres pour couler jusqu'à son menton. Ses cheveux désordonnés, d'habitude soigneusement coiffés, retombaient sur ses paupières closes. D'une caresse tremblante, Lyoth glissa son doigt sur le front du prince pour les remettre en place.

-Lyoth... murmura Tarrek en entrouvrant les paupières, ses yeux à peine visibles derrière la barrière de ses cils.

Il n'était pas mort.

Il n'était pas mort !

Le plus délicatement possible, Lyoth le prit dans ses bras. Hélios gémit lorsque le poids de son frère disparut de son ventre. Il n'était pas mort non plus. Tout n'était pas perdu, non, tout n'était pas perdu !

-Tout peut encore s'arranger, murmura Lyoth en posant sa main sur la joue de Tarrek, chassant de son pouce le sang qui coagulait au coin de ses lèvres.

Le prince sourit tristement.

-Je suis désolé... de t'avoir entrainé dans... tout ça, souffla-t-il, très bas.

-Ne le sois pas, répondit Lyoth, la voix chargée de sanglots. Je ne regrette pas de t'avoir suivi.

-Alors... je... ne regrette pas... non plus... souffla le prince en ouvrant entièrement les yeux.

Le regard qu'il posa sur Lyoth le bouleversa. Il y avait de la tendresse, dans ce regard. Il y avait... il y avait de l'amour.

Il le reposa sur le sol, précautionneusement, et ramassa la fiole couverte de sang qui traînait à côté.

-Lyoth... souffla Tarrek en essayant de tendre la main vers lui, ce qui ne fit que lui arracher une grimace de douleur. Lyoth... elle a dit... une mort pour une vie... tu ne peux pas... tu ne peux pas condamner quelqu'un...

Lyoth plongea la fiole dans l'onde pure, contemplant fugitivement les volutes de sang que l'eau lavait de ses mains.

Puis il porta la fiole pleine aux lèvres froides d'Hélios et dit :

-Pour la vie du prince Hélios, j'échange mort de son père, le roi.

-Non... gémit la voix du vieillard, toujours allongé.

L'eau coula entre les lèvres du prince.

Il y eut un long, long silence.

Puis Hélios battit furieusement des paupières et prit une grande inspiration, comme un naufragé revenant à la surface. Son teint était redevenu halé, ses yeux brillants, sa mine alerte.

-Où suis-je ? Que s'est-il... TARREK ! Hurla-t-il en se précipitant au chevet de son frère.

-Hélios... murmura Tarrek. Il t'a sauvé, toi...

Lyoth inspira profondément et plongea de nouveau la fiole dans l'onde.

-Lyoth ? Paniqua Tarrek lorsqu'il le vit se pencher au-dessus de lui, la fiole à la main.

Hélios s'écarta pour le laisser soulever le mourant, qu'il cala au creux de son bras.

-Pour la vie du prince Tarrek, dit le voleur, j'offre la mienne.

-Non ! Souffla le prince en toussant, libérant un flot de sang. Non... non... non !

-Oh si, répondit Lyoth en posant ses lèvres sur les siennes.

Comme il aurait été doux, ce baiser, si leurs lèvres n'avaient pas le goût du sang et des larmes. Ça sera l'unique et le dernier, pourtant, songea Lyoth en étouffant un sanglot. Tarrek, bouleversé, brûlé par la chaleur de ses lèvres, lui adressait un regard d'espoir fou mêlé d'angoisse incontrôlable.

-Je t'aime, dit Lyoth en glissant entre les lèvres ensanglantées du prince la fiole d'eau enchantée.

Tarrek ne put s'empêcher d'en avaler la moitié et se mit aussitôt à pleurer, au creux des bras du voleur, pleurer, pleurer, pleurer encore, pour toute l'injustice de cet univers, pour toutes les souffrances endurées, et pour son amour qui mourrait par sa faute.

Lyoth posa Tarrek sur le sol.

La vue du prince, déjà troublé par les larmes, s'évanouit tout à fait. Un grand calme l'envahis. Une drôle de sensation parcourait sa poitrine. Lorsqu'il y porta sa main, il la trouva lisse, sans blessure, sans flèche proéminente. Il était guérit.

Il se redressa aussitôt.

-Lyoth ?!

Il était là. Il avait l'air surprit. Tarrek s'en moquait. Il enferma son visage entre ses mains et l'embrassa passionnément.

Ce baiser-là avait aussi un goût de sang, mais il avait avant tout un goût d'espoir, et rien ne peut lutter contre une si douce saveur. Lyoth glissa ses mains autour de la taille du prince pour le serrer contre lui, pour approfondir le baiser et se repaitre de sa chaleur, de la sensation de son corps, de sa présence, si près de la sienne. Pour s'assurer qu'il était en vie. Tarrek le serra en retour.

-Tu n'es pas mort, souffla-t-il. Tu n'es pas mort !

-Toi non plus ! Répondit Lyoth en souriant béatement.

-Lui non plus ! Intervint Hélios depuis l'autre bout de la cour, penché au-dessus du roi qui tentait visiblement de ramper vers la sortie. Mazette, Lyoth, c'est toi qui l'as mis dans cet état ?

-Il a tiré sur Tarrek !

-Tu as bien fait, apprécia le prince aîné d'un ton glacial.

Tarrek se releva et se précipita vers son frère, qui l'accueillit dans ses bras et le fit tourner en l'air en riant.

-Tu as réussi, petit frère, tu m'as sauvé !

Puis il le reposa, attrapa Lyoth, et le serra en retour contre sa poitrine, juste assez pour l'étouffer.

-Et toi aussi, Lyoth ! Tu as été formidable !

-Je ne comprends pas, dit le voleur en souriant, contaminé par la joie du prince. Que s'est-il passé ?

-La chimère ! s'exclama Tarrek. Tu te souviens, Lyoth, je t'ai dit que la fontaine avait trois gardiens, trois épreuves à passer : le dragon, le lion, et la chimère !

-Mais tu ne savais pas ce que c'était...

À cet instant, la statue de pierre se mit à luire d'une lumière pâle et une silhouette évanescente s'en détacha, semblable à la femme pétrifiée, si ce n'était ses joues sèches de larmes.

-Je suis la dernière épreuve de la fontaine, déclara l'apparition. La fée m'a chargé de mesurer les motivations de ceux qui viendraient en quête de l'Eau de Vie et de Mort. Quelqu'un qui déclarerait, en réponse à mes conditions, que prendre la vie d'un autre lui était égal, ou qu'il en profiterait pour occire un ennemi, serait punis aussitôt.

-Mais, objecta Lyoth, l'équilibre de la vie et de la mort...

-Ne vous inquiétez pas pour la vie et la mort, répondit la chimère avec un mince sourire. Elles se débrouillent très bien sans vous. Vous trois pouvez partir, car Lyoth a montré un cœur pur, en n'utilisant pas l'Eau pour lui, mais pour sauver son prince, puis son amant, au prix de sa propre vie.

-Mais, pour avoir sacrifié la vie du roi... protesta faiblement Lyoth.

-Je considère que les circonstances le justifiaient. Mais vous devrez le laisser ici, car, ainsi que je l'ai dit, quiconque exprime des motivations impures doit en payer le prix.

-Qu'allez-vous lui faire ?

-Le dragon et le lion se font vieux, répondit l'être éthéré. J'ai besoin d'un autre gardien. Désormais, la fontaine sera aussi protégée par un ours gris. Allez, vous trois. Quelque part, quelqu'un vous attend désespérément.

-Quelqu'un nous attends ? s'étonna le voleur.

Elle fit un geste.

Un battement de cil plus tard, ils étaient de retour au château, dans une chambre que Lyoth trouva similaire à celle d'Hélios. Un homme était assit sur le lit, les genoux contre la poitrine, le visage enfouit dans ses bras.

-Ned ? Reconnut Hélios, soudain timide et maladroit.

Ned, car c'était bien lui, sursauta et se retourna, sa main cherchant déjà une arme. Ses yeux s'écarquillèrent en tombant sur les nouveaux venus.

-Hélios ! s'exclama-t-il en sautant du lit pour rejoindre son ami. Où étais-tu ? Que s'est-il passé ? J'étais tellement...

Hélios ne le laissa pas finir. Il se pencha et l'embrassa, très doucement, avant de s'écarter, rouge pivoine.

-Enfin, apprécia Tarrek.

-Je t'avais dit qu'il se déciderait à faire le premier pas, lui répondit Ned, le sourire béat et les joues roses.

-Pardon ?! Glapit Hélios.

Lyoth remarqua que les doigts de Tarrek était croisé, trahissant son amusement, tandis que son visage avait rendossé son masque habituel, indéchiffrable.

-Tarrek, souffla-t-il en lui prenant la main pour en décroiser tendrement les doigts. Tu as le droit de rire. Tu as le droit d'être heureux et de le montrer. Tu as le droit. S'il te plait, rie pour moi...

Tarrek sembla hésiter un instant. Puis Lyoth le vit sourire, son masque se craquela, Tarrek rejeta la tête en arrière et explosa de rire. Son frère sourit et rit à son tour, ravit, tandis que Ned l'enlaçait pour se faire pardonner ses manigances.

Tarrek ne s'arrêta de rire que pour embrasser son voleur, qui s'y abandonna avec bonheur.

~

On annonça quelques jours plus tard que le roi était mort des suites d'une maladie foudroyante et, même si quelques-uns accusèrent Tarrek, tous furent très heureux de couronner Hélios, bientôt rejoint sur son trône par Ned, que les gens aimaient tout autant.

Tarrek continua d'agir dans l'ombre quelque temps, jusqu'à ce que des rumeurs, de plus en plus persistantes, ne finissent pas décrédibiliser totalement son visage maléfique. Il n'est pas dit que son mari n'y soit pas pour quelque chose...

Hélios et Ned adoptèrent deux enfants, que la fille unique de Tarrek et Lyoth se fit un plaisir d'embarquer dans les bêtises les plus élaborées qui soient, qui se changèrent d'ailleurs en véritables aventures, au fur et à mesure qu'ils grandissaient – mais cette histoire-là est pour une autre fois.

Et ils vécurent heureux, bien sûr, heureux et aimés, jusqu'à la fin de leur vie.

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