Le Prince qui ne savait aimer 1/4

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Il était une fois un prince.

Peu importe le temps, peu importe le lieu. C'était un prince capricieux et vaniteux, comme on en trouve tant au commencement des histoires. Un prince à la beauté froide, qui ne jugeait que selon les apparences.

Cependant, il n'était pas particulièrement cruel, méchant, injuste ou dangereux pour le royaume. On avait vu bien, bien pire dirigeant que celui-ci, à commencer par ses propres parents. Alors on le laissait faire, on lui passait ses caprices, et ses ministres prenaient sans lui toutes les décisions. Sans en avoir conscience, il n'était qu'un symbole, une tête avec une couronne, une jolie marionnette à exhiber lors des banquets et des rencontres diplomatiques.

Et les choses auraient pu continuer ainsi longtemps, bien longtemps, si le prince n'avait pas brusquement décidé de se marier.

À vrai dire, l'idée lui était venu sur un coup de tête. Il avait reçu la visite des deux dirigeants d'un royaume voisin, qui retrouvait juste sa puissance après une longue et étrange malédiction (chose commune en ce monde troublé), et s'était découvert extrêmement jaloux de la déférence avec laquelle tout le monde s'adressait à eux, ainsi que de l'admiration que leur couple semblait spontanément susciter. Après tout, lui aussi pouvait bien se dégotter une belle créature auprès de laquelle parader, qui rehausserait efficacement sa beauté et son prestige.

Il s'était donc rendue directement dans le bureau de sa première ministre, Sacha Sageplume, et, comme d'habitude, était rentré sans frapper.

La jeune femme, grâce à un ingénieux système d'alarme fait de contrepoids reliés à une cloche, l'avait entendu arriver, et avait dissimulé en vitesse les papiers les plus importants (il ne manquerait plus que le prince fourre son nez dans les affaires du royaume !), avant de se demander en soupirant quelle catastrophe allait bien pouvoir lui tomber sur la tête.

Elle se souvenait encore de la fois où le prince avait demandé à recevoir à son bal, trois jours plus tard, le plus grand artiste peintre de son époque, Seraban Da Vanci, qui vivait cinq royaumes plus loin. Il avait fallu envoyer des hommes fouiller les environs à la hâte. Heureusement, ils avaient réussi in extremis à mettre la main sur un berger qui avait quelques notions de gribouillage, et qui s'était fait passé auprès du prince pour l'artiste en question. Toute l'histoire avait fini par se savoir, et le royaume entier s'était moqué du souverain et de la cour, tant et si bien que Sacha avait dû faire des pieds et des mains pour interdire tous les troubadours au château, afin que le prince n'entende aucune chanson satyrique.

Voilà pourquoi lorsque le prince en question fit irruption dans la pièce, avec l'air à la fois décidé et excité qu'il arborait toujours lorsqu'il était persuadé d'avoir une bonne idée, Sacha craignit le pire.

-Je vais me marier, déclara-t-il en se laissant tomber dans le siège qui faisait face à la ministre.

Le temps de lui laisser digérer l'information, il prit la carafe posée sur son bureau et se servit un verre de sherry.

-Votre Altesse... bafouilla Sacha, prise de cour. Puis-je vous demander avec qui ?

-Ça c'est votre travail, Sageplume ! Rétorqua le prince en finissant son verre avec délectation. Trouvez-moi un beau parti.

-Votre Majesté, vous vouliez certainement parler d'un bon parti ?

L'autre fit un geste exaspéré.

-J'ai dit ce que j'ai dit, Sageplume ! Bien sûr, il faut que ce soit un ou une riche héritier ou héritière, puisque c'est la loi, bla, bla, bla. De toute façon, je n'allais pas épouser un paysan. Ce que je veux, Sageplume, c'est de la beauté ! Vous ne trouverez certainement pas le même niveau que moi, mais, au moins, essayez !

-Certes, répondit finalement la ministre en retrouvant ses esprits. Il en sera fait selon votre désir, bien entendu. Vous avez des préférences ? En dehors de la beauté, j'entends.

-Voyons voyons...

Il n'y a sérieusement pas réfléchi avant ? Songea la ministre en se retenant de lever les yeux au ciel.

-Je n'exclus pas les femmes, mais je préférerais un homme.

-Vous savez que...

-Oui, oui, je devrais prendre une concubine pour faire un héritier, bla, bla, bla.

-Je m'en voudrais de vous délivrer des informations que vous possédez déjà, Votre Altesse. Vous avez certainement d'autres recommandations que le genre ?

-Eh bien...

-Un caractère affable ? Courageux ? Intelligent ? Opiniâtre ? Qui partage vos passions certainement, un artiste, un savant ?

-Vous m'ennuyez, Sageplume ! Trouvez-moi une vraie beauté, le reste coulera de source !

-Il en sera fait selon votre désir, Votre Altesse...

-Évidemment, rétorqua le prince en se levant pour quitter la pièce.

Enfin seule, Sacha lâcha un énorme soupir. Elle s'autorisa une petite seconde de répit. Puis elle se tourna vers le mur de droite, où pendaient plusieurs sonnettes, et tira la rouge, communément intitulé : « le prince veut quelque chose », ou, plus officiellement « non de nom, il ne peut pas nous laisser en paix celui-là ? ».

~

Quelques semaines plus tard arrivèrent au palais des dizaines et des dizaines de messagers, chacun apportant avec lui le portrait d'un ou d'une prétendant·e. Le prince avait fait dégager une salle où les accrocher, et s'amusait à déambuler entre ces visages et ses bustes, qui le dévoraient de convoitise, d'admiration, ou de fausse pudeur.

Beaucoup avaient joint une lettre de présentation avec le tableau, mais après en avoir lu une ou deux, le prince les avait simplement entassées dans un coin. Peu lui importait de savoir qu'un tel aimait la danse et une telle l'escrime : ce qui importait vraiment, c'était les courbes de son corps, la symétrie de son visage, la richesse de sa tenue, et, éventuellement, ses performances au lit, mais ce point-là n'était hélas jamais abordé dans les lettres diplomatiques.

Le caractère du prince étant bien connu, on pourrait s'étonner d'un tel foisonnement de propositions. Mais, après tout, ce noble n'était pas le seul à chercher beauté et richesse. Et, comme je l'ai déjà dit, il n'avait pas un caractère plus exécrable que la moyenne des souverains : main dans la main, c'était un excellent parti.

Après des jours et des jours de délibération devant son mur à portraits (durant lesquels Sageplume et ses ministres eurent enfin la paix), le prince arrêta son choix sur l'un d'entre eux. Il s'agissait de Vamerys des Plaines Basses, une demoiselle à la peau d'un noir si soyeux qu'y poser les yeux tournait à un aveu de luxure, aux lèvres ronde et pleines comme une fleur tout juste éclose, à la poitrine si bien dessinée et moulée de manière si charmante dans son corset rouge sang que c'en était délicieusement indécent, et au regard, enfin, plein de promesses licencieuses.

Tout fier de cette trouvaille, le prince fit atteler son carrosse le plus pimpant (celui qui était fait d'or et incrusté de pierres précieuses), y attela ses plus beaux étalons (sans écouter les conseils de ce demeuré de palefrenier qui répétait que ce n'était pas des chevaux fait pour tirer un carrosse, soi-disant qu'ils n'étaient pas dressés pour ça, bla, bla, bla), et convoqua sans appel l'intégralité de sa suite (sans Sageplume, parce qu'elle l'intimidait trop pour qu'il lui demande de l'accompagner auprès de sa future fiancée).

Bref, sur le son des trompettes et des chevaux couverts de bijoux clinquants, le prince quitta le château.

Il trouva le voyage absolument abominable. Il faisait beaucoup trop chaud dans son carrosse lorsque la vitre était baissée (eh oui, l'or, qui réverbère la lumière, n'est pas un matériau de premier choix pour un véhicule), et le vent entrait lorsqu'il ouvrait la fenêtre, ce qui risquait de le décoiffer. Franchement, qui pourrait endurer sans se plaindre des conditions aussi atroces ? Pas lui, en tout cas, comme purent vite le découvrir les membres de sa suite, qu'il faisait venir un à un dans son carrosse pour pouvoir se plaindre. Ce qui entraînait à chaque fois un arrêt complet de la procession, le temps que le prince sorte et choisisse quelqu'un parmi tous ceux qui évitaient désespérément son regard. Le souverain, pas du tout concerné par des broutilles telles que les horaires, la tombée de la nuit, le fait qu'on l'attendait ou l'inconfort de ses compagnons de route, en profitait parfois pour cueillir des pâquerettes.

Vous vous en doutez bien (et si ce n'est pas le cas, vous ne tarderez pas à l'apprendre) : le prince n'atteignit pas le château de sa belle avant la tombée de la nuit.

Lui et sa suite trouvaient coincés au beau milieu de la Forêt Sombre, lieu où il ne faisait pas vraiment bon d'errer lorsque le soleil ne brillait plus. N'osant pas s'arrêter, par crainte des bêtes sauvages, le capitaine de la garde se résigna à passer la nuit sur son cheval, comme toute la petite caravane. Tous sauf le prince, bien évidemment, qui ronflait tranquillement sur la banquette de velours de son carrosse d'or.

Mais la nuit, le monde change de visage. Les chemins évidents se perdent dans les ombres. L'obscurité déforme les mouvements. Les bruits s'étirent et résonnent comme des menaces inconsistantes. Et la forêt semble soudain s'animer d'une volonté propre.

Peut-être était-ce le cas, d'ailleurs. Les forêts, dans les contes, sont toujours très anciennes. Assez pour remonter à un temps d'avant les hommes. Assez pour se souvenir d'une ère où l'univers entier s'abreuvait de magie. C'est peut-être pour cette raison que, comme le prince et sa suite ce soir-là, les héros s'y perdent toujours.

Le capitaine de la garde était pourtant persuadé d'avoir suivie la route principale, mais avait finit par s'apercevoir que la moitié du groupe ne suivaient plus. Ils devaient avoir pris un chemin secondaire. Ils firent donc demi-tour pour les rattraper, perdant par là une autre moitié. Tant et si bien qu'au moment où la nuit entrait dans ses heures les plus sombres, celles qui précèdent l'aube, il ne restait guère plus de cinq personnes autour du carrosse princier.

Ce fut évidemment le moment que son Altesse choisit pour s'éveiller, sortie en sursaut de ses rêves de princesse en adoration devant sa personne par un cahot du véhicule. Mécontent qu'on ose le traiter ainsi, lui qui avait déjà tant souffert à cause de la chaleur, il frappa plusieurs fois du pommeau de son épée sur la paroi où devait se trouver le cocher.

Hélas, les chevaux qui tiraient le carrosse royal était déjà extrêmement nerveux de devoir se déplacer la nuit en forêt. Ajoutez à cela le fait qu'il s'agissait d'étalon ayant l'habitude d'être monté, et non de servir de cheval de trait, que le cocher, qui sommeillait, sursauta si brusquement qu'il tomba au sol... Et vous obtiendrez tous les ingrédients d'une bonne catastrophe.

Les chevaux s'emballèrent, tirant chacun de leur côté, manquant de peu le pauvre cocher, que le capitaine se précipita pour aider. Ce faisant, il laissa le champ libre aux deux étalons, qui, avisant une route devant eux, complètement paniqués, se mirent au galop.

À l'intérieur du carrosse, le prince se retrouva brutalement jeté au sol, puis contre une paroi, puis contre l'autre.

-GARDES ! Hurla-t-il en tentant vainement de s'accrocher à quelque chose. CAPITAINE !

Mais les chevaux continuèrent leur course folle, faisant tressauter le carrosse sur chaque les racines saillantes.

Alors le prince oublia son orgueil et se mit à crier :

-AU SECOURS ! QUELQU'UN ! AU SECOURS !

Mais seuls le martellement des sabots sur le sol, le grincement des roues, et le son répété des chocs contre une pierre ou une racine, lui répondirent. Un nouveau cahot le plaqua violemment contre une paroi. Sa tête cogna le rebord de la fenêtre, et des points noirs dansèrent un instant devant sa vue avant de disparaître.

Le prince déglutit. Il avait déjà vu des chevaux affolé, il savait le danger qu'ils représentaient. Dans ces instants, les bêtes se mettaient à courir sans répondre à la moindre injonction, et pouvaient tout aussi bien foncer droit sur un fossé ou un étang. Mais que faisait le capitaine ?! Bande d'incapables...

D'un coup de pied bien ajusté, le prince ouvrit la porte. Les gonds lâchèrent un grincement mécontent et cédèrent brusquement, laissant le battant s'envoler dans le fossé. Car oui, s'il faut encore le répéter, l'or n'est pas un matériau fiable pour construire un véhicule.

Le prince agrippa l'embrasure de la porte et jeta un coup d'œil dehors. Il était sorti de la forêt. Devant ses yeux défilaient désormais à toute allure la masse sombre, indistincte, d'une plaine herbeuse, traversée d'éclairs pâles lorsque le carrosse piétinait un carré de pâquerettes.

J'ai dit plus haut que ce prince était vaniteux et capricieux, ce qui est, à ce stade-là de l'histoire, une pure vérité. Mais jamais je n'aurais osé dire qu'il manquait de courage.

Il prit une grande aspiration. Ferma les yeux. Et sauta.

Il atterrit brutalement dans l'herbe haute. Les mains sur la nuque, les genoux remontés sur le torse, il dégringola à toute allure la pente, le souffle coupé, en s'éraflant allégrement la peau sur l'herbe rêche, les racines affleurantes, et les cailloux qui déchiraient en même temps ses vêtements.

Puis il heurta de plein fouet une motte de terre.

Le choc lui coupa de nouveau le souffle. Sonné, le visage à moitié recouvert de terre meuble, il mit un long, long instant avant reprendre ses esprits.

Lorsque les battements de son cœur se furent calmé, et que sa respiration haletante eut cessé d'occuper tout son espace sonore, le prince se retrouva soudain plongé dans le silence.

Ce n'était pas le même silence qu'au château. Ce n'était pas la même nuit, non plus.

Ce silence-là était habité du murmure lointain du vent dans les arbres et les herbes hautes, ponctué ici et là du cri d'un animal. Cette nuit-là n'était pas accueillante et familière, synonyme de repos ou de plaisir charnel. Cette nuit-là était sauvage, indomptable, et inhospitalière. Et pourtant, songea le prince en se remettant lentement debout, et pourtant...

Il tourna sur lui-même pour observer les alentours. Il se trouvait dans le creux vallée coiffée d'herbe hautes que le vent faisait doucement ondoyer, jouant en même temps avec les bouquets de fleurs sauvages qui teintait l'air de parfums éphémères, intangibles, juste à la lisière des sens. En haut de la pente qu'il venait de dégringoler, la forêt présentait un mur d'obscurité menaçant, impénétrable. De l'autre côté, une même pente donnait sur une muraille semblable. Et tout dans le creux de la petite vallée, à quelques pas de lui à peine, gazouillait un ruisseau, dont il avait de prime abord confondu la musique avec celle du vent.

Oui, il y avait quelque chose d'étrangement apaisant, dans cette nuit-là. Et la certitude d'être seul, qui aurait dû le terrifier, lui qui était toujours entouré de tant de gens, sembla soudain soustraire à son âme un poids formidable, qu'il ne savait pas porter.

Mais je ne peux pas rester planté là toute la nuit, à faire des colliers de pâquerettes, se reprit-il. Et je ne peux pas non plus suivre le chemin que j'ai pris à l'aller, je ne tiens pas à retourner dans cette forêt...

Sa seule option était de suivre le ruisseau. Mais dans quel sens ? Complètement au hasard, il choisit d'imiter le courant, et se mit en marche.

Heureusement pour lui, sous tant de rapports différents, le coin était habité. En effet, il ne tarda pas à apercevoir une faible lumière jaune, différente de l'œil argenté de la lune ou de la lueur zigzagante des lucioles de passage.

C'était une maison. Une cabane de paysan, précisa-t-il intérieurement. L'abri n'était certes pas reluisant, pour un prince aux goûts de luxe. C'était un petit chalet de rondins partiellement recouvert de mousse, qui devait faire à peu près, en superficie, les deux tiers de sa chambre. À peine. Malgré la pénombre, on distinguait des deux côtés des massifs de fleurs que le vent faisait bruisser. La lumière qui l'avait attiré venait de l'unique fenêtre. C'était la lueur d'une bougie, qui perçait par endroit un volet de bois.

Il s'approcha et tendit la main pour ouvrir la porte, sans considération pour d'éventuelles formules de politesse. Après tout, il avait appris depuis tout petit que ces convenances ne s'appliquaient absolument pas à sa royale personne. La poignée tourna. Qui que soit l'individu qui vivait ici, il n'était guère prudent...

Sans plus de considération, le prince entra dans la pièce.

-Il y a quelq...

Il n'eut pas le temps d'en dire plus. Un objet long, dur et rugueux s'était placé sous son menton et appuyait sur sa glotte. Il déglutit.

-Qui es-tu ? Demanda une voix calme, sans haine et sans aménité. Qu'est-ce qui t'amène ici ?

-Je suis le prince, rétorqua l'intéressé comme s'il s'agissait d'une évidence. Ma garde m'a perdu. J'ai besoin d'un abri pour la nuit. Tu dois connaître la région. Tu pourras donc me guider jusqu'au château des Plaines Basses, demain.

-Le prince ? s'étonna la voix.

Le bâton qui le tenait en joue disparu. Il y eut des bruits de pas, des mouvements dans la pénombre, et, enfin, une autre lumière jaillit, plus forte que la flamme tremblotante de la bougie. Une lampe à huile.

-C'est bien vous, s'étonna l'inconnu en montant la lampe à hauteur de son visage.

-Évidemment, répliqua le prince en dévisageant son hôte involontaire.

Il s'agissait d'un homme assez grand, aux épaules larges et à la forte carrure. C'était difficile à dire dans l'obscurité, mais ses cheveux longs, retenus par un lacet de cuir sur le devant de son épaule, devaient être entre le brun et le roux franc. Son visage à la mâchoire carrée, recouverte d'une barbe légère, formait un curieux mélange de joie et de sérénité, comme s'il irradiait d'envie de vivre, mais toujours avec calme et tranquillité. C'était certainement la faute de ses yeux extraordinairement bleus, qui le scrutaient sans ciller. Il se dégageait de lui une étrange impression, comme s'il se trouvait hors du temps. Il pouvait aussi bien avoir vingt que trente ou quarante ans.

-Évidemment, répéta l'inconnu avec une légère pointe d'ironie.

Il posa la lampe sur la petite table rustique qui constituait, avec deux chaises et un lit sommaire, le seul ameublement de la pièce.

-Votre Altesse, déclara l'homme en tirant une chaise sur un ton d'invitation.

Le prince l'aurait bien reprit sur le respect dû à un noble, mais la vue du fauteuil fit fléchir ses jambes fatiguées, et il s'y laissa tomber avec un soupir de satisfaction.

-Je m'appelle Darren, lui apprit l'autre en s'asseyant en face de lui. Je suis berger. Vous avez faim ?

Le prince lui jeta un regard signifiant que, petit un : son nom lui importait peu, et que, petit deux : bien sûr qu'il avait faim, imbécile.

-Tenez, déclara Darren sans s'offenser en lui tendant la moitié d'une miche de pain. Et voilà un peu d'eau, ajouta-t-il en lui offrant une gourde.

Le souverain se jeta sur l'eau et la nourriture, et, malgré la médiocrité de ce repas, n'en fit qu'une bouchée.

-Qu'est-ce qui vous amène dans le coin ? s'enquit Darren avec un sourire amical. Vous êtes bien loin de votre château.

Le prince était tenté de lui répondre d'aller s'occuper de ses moutons, mais se rendit compte, soudain, qu'il avait envie de parler. Étais-ce parce que l'autre le lui avait proposé ? Ou est-ce que ce Darren avait sentit son envie et lui avait simplement proposé une oreille attentive ? À moins qu'il ne s'agisse que de curiosité, et qu'il s'invente des histoires.

-Je suis en route pour le château de ma future Reine, déclara-t-il en se rengorgeant comme un paon.

-La princesse Vamerys ? Demanda Darren en levant un sourcil surprit. Je ne savais pas qu'elle allait se marier.

-Elle ne le sait pas encore, répondit le pédant prince, avant de froncer les sourcils. Comment se fait-il que tu sois au courant de ces choses, alors que tu n'es que paysan ?

Le berger sourit, amusé par le ton suspicieux du souverain.

-Je suis berger, pas paysan.

-Quelle différence ?

-Je ne travaille pas la terre. Je suis une sorte de... berger itinérant. Tous les ans, lorsque le temps devient propice, j'emmène mon troupeau paître dans les pâturages, aux abords de la Forêt Sombre. C'est là que l'herbe est la meilleure, et les animaux qui en ont broutés longtemps sont inexplicablement plus sains et robuste. Mais tout le monde craint la forêt, et je suis le seul à accepter la tâche. Alors je fais le tour des châteaux, je récupère à chaque fois les meilleurs bêtes de chaque troupeau, dument marquées pour être reconnues par leur propriétaire, et je les emmène avec moi. Lorsque le moment est venu, comme maintenant, je fais le chemin inverse, et je ramène les bêtes chez elles pour qu'elles soient tondues. J'ai des abris comme celui-ci un peu partout dans le royaume.

Le prince bailla, pas le moins du monde intéressée par la vie de son hôte.

-Dites-moi, votre Altesse, reprit Darren, il y a une chose que je ne comprends guère...

-Parlez, mon brave, répondit le prince en se félicitant de cet accès de générosité qui le poussait à instruire les masses.

-Comment un mariage peut-il être une surprise ? Il me semblait pourtant qu'il s'agissait d'une décision commune...

-Lorsque j'ai décidé de me marier, lui apprit gracieusement son interlocuteur, j'ai demandé qu'on m'envoie des portraits des plus riches héritiers et héritières du royaume. J'ai choisi la plus belle, et je me rends désormais chez elle pour l'informer de mon choix.

Le berger le regarda avec des yeux ronds. Puis explosa de rire.

-Vous allez vous marier sur la foi d'un portrait ?

-Bien sûr que non, répliqua le prince, vexé. Je vais vérifier si elle correspond à l'image d'abord !

-Pauvre prince, reprit Darren, la voix soudain teintée de compassion. N'avez-vous jamais entendu parler du concept d'amour ?

-Évidemment, rétorqua l'autre, cette fois définitivement vexé. Je l'aime déjà, la princesse Vamarys.

-Vamerys.

-C'est ça.

Le berger secoua doucement la tête, un mince sourire aux lèvres.

-L'amour ne réside pas dans la beauté, reprit-il. En tout cas, pas dans la beauté tel que vous l'entendez. L'amour s'attache à l'être, et non à l'apparence.

-Je suis au regret de t'apprendre que ce que tu dis n'a absolument aucun sens.

-L'amour... Je suis certainement mal placé pour en parler, mais l'amour, c'est chérir quelqu'un. Un être, pas un visage. Avoir besoin de son sourire, de ses mots, de sa présence. C'est une tendresse incommensurable, c'est un mouvement du cœur, jusqu'à la douleur parfois, qui tends toute votre personne vers une autre. C'est incroyable, l'amour. Ça ne s'exprime pas vraiment par des mots. Rien ne s'exprime jamais véritablement par des mots... Je crois que nous sommes tous à la recherche de l'amour en ce bas-monde, mon prince, qu'on le sache et qu'on le veuille ou non. Et nous sommes si peu à le trouver... Lorsque vous verrez votre princesse, demandez-vous quelle importance elle a pour vous, et quelle importance vous avez pour elle. Et si elle mourait, seriez-vous triste ? Et si vous mouriez, pleurerait-elle votre perte, plus qu'une opportunité d'accéder au trône ?

Il y eut un silence. Les mots du berger touchaient le prince, sans qu'il puisse s'expliquer exactement pourquoi. Peut-être réveillaient-ils en lui une envie profonde, un désir refoulé, une solitude qu'il essayait désespérément d'ignorer.

-Vous ne voudriez pas être important pour quelqu'un, prince ? finit doucement Darren.

L'intéressé ne répondit pas tout de suite. Finalement, il releva la tête et déclara d'une voix basse :

-Tu parles bien étrangement, pour quelqu'un qui vit seul, berger. Je crois qu'il est temps pour moi d'aller dormir. Demain, tu me mèneras au château.

Darren ne dit rien. Il se leva, sortit une couverture d'un sac qui trainait par terre, et la posa sur le lit. Il fit un geste d'invitation, et le prince alla s'allonger. Il se roula en boule, tourna sa tête vers le mur, et s'endormit comme une masse.

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