Le Prince qui ne savait aimer 4/4

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-Nous y sommes presque, déclara Darren en s'arrêtant pour permettre au pauvre Alek de faire une pause.

-Déjà ? s'étonna le prince en s'appuyant contre un tronc.

-Eh oui, s'amusa le berger. Couper par la forêt fait gagner énormément de temps. Mais la nuit s'apprête à tomber, et même moi, je préfère ne pas voyager dans le noir. Arrêtons-nous ici, nous repartirons demain.

Le lieu était en effet bien choisi : un petit tapis de mousse pour dormir, une source claire, à quelques mètres, pour leur fournir de l'eau, et une épaisse frondaison pour éviter la pluie.

-Mais Sageplume... Il faut se dépêcher...

-Oui, mais pas se précipiter, répondit Darren sans commenter le fait que le prince avait laissé tomber toute prétention à laisser mourir sa ministre. Si nous nous perdons, nous ne l'aiderons pas plus.

-Soit, soupira Alek en se laissant tomber au sol. De toute façon, tu as toujours raison. C'est énervant.

-J'essayerais d'avoir tort de temps en temps, plaisanta le berger, si ça peut vous faire plaisir...

-Tais-toi. Et donne-moi une couverture. J'ai froid.

-À vos ordres, votre Altesse, répliqua le berger, qui n'avait pas apprécié le ton utilisé.

Le prince se renferma aussitôt, les bras entourant ses genoux pressés contre son torse.

-Pardon, murmura-t-il, au bord des larmes, sans comprendre pourquoi. Ne m'appelle pas comme ça. S'il te plait. Pas toi.

Je ne veux pas que tu me considères de la même façon que les autres, se retint-il d'ajouter.

Darren se laissa tomber à genoux, en face de lui, et posa une main sur sa joue pour relever son visage.

-Pardon, souffla-t-il. Je ne voulais pas te blesser.

-Non, c'est moi qui suis ridicule, soupira Alek sans soustraire sa joue à la chaleur de sa paume. Je pleure tout le temps, depuis que je t'ai rencontré.

-Il n'y a pas de mal à pleurer, répondit Darren avec une infinie douceur. Lorsque le cœur déborde, il vaut mieux que l'amertume s'échappe par les larmes, plutôt que de te contaminer l'âme. Les gens qui ne pleurent jamais sont les plus tristes.

-Et toi, tu pleures ?

-Non... Presque jamais. Tu vois, qu'est-ce que je te disais...

-Je croyais que tu étais heureux ?

-Ça peut paraître étrange, répondit le berger avec un pauvre sourire, mais l'un et l'autre ne s'exclue pas toujours, pas sous tous les rapports. Je vis la vie que je voulais mener.

-Mais tu es seul, finit Alek. Je l'ai compris le premier soir, lorsque tu m'as parlé d'amour.

Il y eut un blanc.

-Enfin, bégaya le prince, je ne voulais pas dire que tu m'avais parlé d'amour à moi... Enfin, si, mais pas dans le sens de...Pas pour moi... Tu comprends !

-Pourtant, répondit le berger avec une infinie douceur, il me semble bien que je t'ai parlé d'amour, à toi... Rien qu'à toi... Rien que pour toi.

Le cœur d'Alek rata un battement, avant de déclarer forfait. Il brûlait du désir de lui dire quelque chose, là, maintenant, de lui demander... de lui demander... Mais les mots qu'il voulait prononcer, soudain, pesaient mille tonnes, alourdis qu'ils étaient par tous les sentiments qui s'y étaient glissés.

Heureusement, Darren était très doué pour comprendre ce qui n'était pas dit.

Alors il se pencha.

Et l'embrassa.

Ce fut un baiser long, et doux. Un baiser chaste, leurs lèvres simplement pressées l'une contre l'autre.

Alek cru qu'il allait s'envoler, là, maintenant, et ne plus jamais atterrir. Darren eut l'impression que tout l'intérieur de son être fondait.

Et, lorsqu'ils se séparèrent, le berger s'aperçut qu'il pleurait.

Voir ce visage d'ordinaire si calme arborer cette expression- finit de faire chavirer totalement le cœur d'Alek. Il comprit du même coup que les âmes tendres et discrètes ne faisaient rien à moitié. Ni la sagesse... Ni la passion.

Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose – en fait, quémander un autre baiser – mais un hurlement déchira le silence, coupant net son élan romantique.

Les deux hommes sautèrent sur leurs pieds.

-Vite ! s'exclama le berger en saisissant le poignet d'Alek pour l'entraîner dans sa course.

La grande route, d'où venait le cri, n'était pas loin. Darren s'y dirigea d'instinct, la forêt, comprenant l'urgence, s'ouvrant entièrement sur son passage.

Sur la route, une bonne vingtaine d'hommes encerclaient deux silhouettes : une femme joliment potelée, qui serrait fermement un morceau de bois d'une façon suggérant que malgré son courage, elle ne savait absolument pas se battre ; et un homme qui tenait une épée avec, pour le coup, une maîtrise indubitable. Mais ce dernier possédait aussi deux flèches dans l'épaule droite, et sa cotte de maille était tâchée de sang. Ils devaient être tombés dans une embuscade. Mais que faisaient-ils tous les deux, au milieu de la nuit, dans la Forêt Sombre ?

-C'est Sageplume et le capitaine ! s'exclama tout bas Alek, à ses côtés. Mes dieux, ils vont se faire tuer ! Il faut faire quelque chose !

-Reste-là, et, surtout, n'intervient pas, répondit Darren.

-Quoi ? Tu ne vas pas... Tu vas te faire tuer !

-Mais non, répondit le berger. Aie confiance.

Il se pencha et lui vola un baiser, ce qui eut pour effet de le faire taire.

Puis il se jeta dans la bataille.

Les bandits n'eurent pas le temps de comprendre ce qui leur tombait dessus. Darren ne faisait qu'un avec le vent et les ombres de la nuit. Comme une tempête, il se coulait autour de ses victimes, inatteignable, insaisissable, et frappait avec violence, emportant tout sur son passage.

Le capitaine n'était pas en reste. Malgré sa blessure, il paraît et frappait avec aisance. Il était assez bon guerrier pour comprendre de façon instinctive la façon de combattre de son allié imprévu, et le compléter sans le gêner. Sacha lâcha soudain un juron, dans son dos. C'était si inhabituel qu'il se retourna aussitôt, paniqué, persuadé qu'elle était la proie d'une attaque qui l'avait blessé, ou...

Mais Sacha Sageplume était occupé à frapper sans pitié de son bâton un homme à terre, qui gémit avant de perdre connaissance.

Rassuré, il fit volte face pour retourner au combat... Et s'aperçut que, faute de combattant, il s'était déjà terminé.

Haletant, Darren s'appuyait sur son bâton de berger, au milieu de ses victimes inconscientes.

Le capitaine s'avança pour remercier son sauveur... Et, soudain, le reconnut.

-LE BERGEEEEER ! Hurla-t-il en se précipitant vers lui, l'épée au clair.

-NON ! s'exclama une voix familière, qui le fit stopper net.

Alek sortit de sous les arbres et se précipita vers le lieu de l'affrontement.

-Mon prince ! s'exclama le capitaine en laissant tomber son épée.

Euphorique, il voulut se saisir des épaules de son suzerain, mais ce dernier lui jeta un regard noir et esquiva l'étreinte. C'est alors que Gabriel s'aperçut que le prince était... Différent. Quelque chose en lui, quelque chose d'indéfinissable, avait changé.

-Je m'appelle Alek, lâcha-t-il froidement. Vous n'avez rien de grave, tous les deux ?

-Tout va bien, maintenant que je vous ai retrouvé, répondit le capitaine, aux anges, en oubliant complètement les flèches qui lui sortaient de l'épaule.

-Oui, enfin, tout ira bien lorsque nous aurons soigné cette blessure, rétorqua Sacha en lançant un regard critique au capitaine, qui arbora la mine boudeuse d'un enfant prit en faute.

-Que s'est-il passé, votre Altesse ? s'inquiéta le capitaine. Est-ce que ce berger...

-Darren m'a sauvé la vie, le coupa Alek, furieux. Et, à propos des « votre altesse », et va falloir qu'on ait une petite discussion, tous les trois.

-À propos de...

-Du mensonge de toute mon existence, par exemple, l'interrompit froidement de prince.

-Rentrons d'abord au château, proposa Sacha d'un ton conciliant. Nous nous occuperons du reste après.

-D'accord, acquiesça Alek. Mais avant...

Il prit la main de Derren et l'attira à l'écart.

Ils se firent face un long moment.

Mais ne se dirent rien.

Parce qu'il fallait se séparer.

Alek savait qu'il ne pouvait pas intégrer Darren à son existence. Il ne pouvait pas l'épouser, à cause de son titre. Mais il ne pouvait pas non plus en faire son courtisan. Il avait bien vu la façon dont Mallory et son amant vivaient. Darren ne pourrait jamais exister de cette façon-là, en seconde place. Et il ne pouvait pas non plus habiter un château. Il lui fallait la forêt, et les étendues d'herbe tendre. Il lui fallait la liberté. Il le suivrait peut-être, sur une demande. Mais jamais Alek ne pourrait se résoudre à tenir en cage un si bel oiseau.

Alors il fallait se séparer. Et cette simple pensée lui déchirait le cœur.

Oui, l'idée de le quitter lui faisait physiquement mal, autant à cause de ce qu'ils avaient vécu que de ce qu'ils ne vivraient jamais. Deux baisers, seraient-ce tout ce à quoi ils avaient droit ? Deux baisers, alors qu'ils auraient pu avoir le monde !

-On peut toujours en ajouter un troisième, murmura finalement Darren, les yeux brillant de larmes.

Et ce dernier baiser fut si plein d'amertume qui leur brûla les lèvres, assez fort pour que la cicatrice ne s'éteigne jamais.

~

Deux semaines plus tard, Alek contemplait le lever du soleil sur la Forêt Sombre, du haut des remparts de son château. La perfidie de la ministre Celie avait vite été mise à jour, et elle pourrissait actuellement au fond d'un cachot.

Le prince n'avait pas dormi, cette nuit-là. Trop d'images et de sensations dansaient dans sa mémoire, brûlant ses lèvres d'un baiser fantôme.

-Prince, souffla une voix familière, non loin de lui.

C'était Sacha. Depuis qu'il avait dit ses quatre vérités à sa première ministre et à son capitaine, le soir de leur retour, il les avait soigneusement évités, ainsi que le reste de la cour. Mais il savait qu'il ne pourrait pas les esquiver pour toujours.

-Je ne vous ais jamais vu debout si tôt, reprit la ministre.

-Alors que vous, ironisa Alek, je suppose que vous vous levez tous les matins avant le soleil pour faire une promenade de santé sur les remparts ?

-Eh bien... Oui, en fait.

Alek soupira.

-Vous ne pouvez pas vous cacher éternellement, vous savez, déclara Sageplume en s'accoudant au créneau, à côté de lui.

-Je sais. Je retarde simplement le moment fatidique.

-Il n'a pas à être fatidique ! Il est vrai que... Il est vrai que nous avons eus tort, toutes ces années, de vous considérer comme un enfant, de vous tenir à l'écart de tout, et de vous mentir. C'est comme ça que procédaient vos parents, et, après leur disparation, il était si facile de continuer plutôt que de réellement vous expliquer les choses... Mais je peux encore vous apprendre, mon prince. Il n'est pas trop tard pour devenir le souverain extraordinaire que je sais que vous pouvez être.

Alek laissa un instant passer.

Et souris.

-Sageplume, depuis combien de temps diriges-tu ce royaume ?

-Je dirais... une quinzaine d'année, répondit la ministre, prise de cours. Depuis le décès de vos parents.

-Et tu fais, à l'évidence, un travail formidable. J'ai consulté les comptes, ces dernières semaines, j'ai interrogé les gens, par-ci par-là. De mémoire d'humain, jamais le royaume n'avait été aussi prospère.

-Je... Heu... Merci, mon prince.

-Sacha, tu es la souveraine légitime de ce royaume. Tu es ce qui peut lui arriver de mieux. Pourquoi prendrais-je ta place ?

-Mais... Vous êtes le prince !

-Et ?

-C'est votre devoir !

-Mon devoir est de me consacrer à mon peuple. Il me semble que je leur rends un grand service en te laissant le pouvoir.

-Mais... reprit la ministre, estomaqué, vous le voulez pas, le pouvoir ?

Alek tourna son regard vers la forêt.

-Pas le moins du monde. Sacha, je vais partir en mission diplomatique.

-Une mission ?! Votre altesse, qu'est-ce que...

-Une mission trèèèèèès longue, mais absolument cruciale pour l'avenir du pays, qui ne me permettra de revenir que très rarement au château.

-Qu'est-ce que... Mon prince, il n'y a aucune mission qui... Oh, je vois.

Elle sourit.

-Si vous abdiquiez ou disparaissiez définitivement, un autre monterait sur le trône, et risquerait de me destituer. Mais si l'on invente une bonne histoire, non seulement vous deviendrait le héros de la nation en sacrifiant votre personne pour convaincre les ennemis... Mais vous pourriez aussi vivre la vie que vous souhaitez... Avec les personnes que vous souhaitez.

Elle jeta un regard éloquent vers la forêt sombre.

-Quand comptez-vous partir ?

-Maintenant.

-Maintenant ?! s'affola la ministre. Mais il faut tirer Gabri... Clairépée du lit, qu'il vous prépare une escorte ! Qu'il trouve un guide ! Vous ne pouvez pas vous aventurer seul dans la forêt comme ça, sans...

-Ne vous inquiétez pas, Sacha, l'interrompit le prince. La forêt me guidera. Si elle accepte de garder des moutons, de temps en temps, elle peut bien nous rendre ce petit service.

-Des moutons ? Mais...

-Il est temps de me faire confiance, non ?

La ministre détourna le regard, pour qu'il ne voie pas ses yeux brillant de larmes.

-Vous allez beaucoup manquer au capitaine, dit-elle enfin.

Et sous ses mots se cachait un autre aveu : vous allez beaucoup me manquer aussi.

-Je suis certaine que vous l'embrasserez de ma part, répondit le prince en souriant.

-Comptez sur moi, s'amusa la ministre.

Le prince ramassa le sac qui trainait à ses pieds et se retourna pour partir... Puis, au dernier moment, fit volte face et la serra dans ses bras.

-Au revoir, souffla-t-elle en caressant ses cheveux. Sois heureux, mon garçon. Sois heureux... Et pense à nous de temps en temps.

-Promis.

~

Darren posa son pinceau et observa sa toile achevée. Son cœur se serra douloureusement.

Il avait peint un portrait, pour la première fois de son existence. C'était celui d'un prince. Un prince qui portait un masque, définitivement brisé. Et de sous ce masque s'échappait une lumière aveuglante, presque insoutenable. Et si belle...

Le berger se retint de caresser la toile, pour ne pas troubler les couleurs encore humides.

Mais il savait qu'il pourrait faire toutes les peinture qu'il voudrait, aucune ne combleraient jamais le trou qui lui mangeait le cœur.

-Pas mal, commenta soudain une voix. Je pourrais l'accrocher dans ma chambre ?

Darren se figea. Puis se retourna. Très lentement.

-Ne fais pas cette tête, plaisanta le prince.

Le prince. Son prince.

-Puisque tu ne pouvais pas venir dans ma vie, continua l'apparition, je me suis dit que je pouvais toujours faire partie de la tienne. Enfin, si tu veux de moi, bien sûr...

Darren sauta sur ses pieds, envoyant d'un même mouvement valser le tableau dans l'herbe, et sauta sur Alek, assez fort pour le faire basculer.

Il le retint au dernier moment, pour lui éviter de se faire mal, et l'allongea sur le sol pour l'embrasser. Mais cette fois, point de chasteté. Le désir qui leur brûlait la peau leur fit ouvrir les lèvres, pour mêler l'un à l'autre leur souffle haletant.

-Je ne sais pas ce que tu fais là, souffla Darren en s'écartant, les mains plongées dans les cheveux d'Alek, mais je ne te laisserais plus jamais me quitter.

-Diantre ! Et moi qui croyais que tu étais un sage qui respectais toujours l'avis des g...

Un nouveau baiser le fit taire, encore plus avide que le précédent.

-Assez de sagesse, murmura le berger en caressant sa joue, comme il avait voulu caresser son portrait, quelques instants plus tôt.

Alek passa ses bras autour de ses épaules, et le serra contre lui.

-Je t'aime, dit-il, enfin.

-Ça tombe bien, s'amusa le berger en le serrant plus fort. Moi aussi. Je t'aime.

~

Quant à ce qui arriva par la suite, mes chers lecteurs, nul besoin de vous le décrire.

Il vous suffit de savoir qu'Alek rentrait à peu près tous les ans au château, à la même période, pour attester qu'il était vivant, et que personne ne contesta jamais le pouvoir de Sacha, qui continua de faire fructifier le royaume. D'un autre côté, Darren avait surprit si souvent un Gabriel soupçonneux dissimulé dans un buisson autour de sa maison, qu'il avait finit par l'inviter à venir quand il le voulait, ce dont le capitaine ne se priva pas. Il arrivait même qu'il vint avec sa femme, la première ministre du royaume, dont le ventre commençait à s'arrondir. Et si Alek et Darren n'eurent pas d'enfant eux-mêmes, les triplés Sageplume faisaient si souvent le chemin qui menait du château à la cabane du berger qu'on murmurait que la forêt les laissait passer.

Ou peut-être qu'il me suffit de vous dire qu'il y avait à peine assez de bonheur sur terre pour fournir à ces deux-là leur dose quotidienne, et que, de mémoire de conteur, jamais prince ne fut plus heureux de ne pas avoir de trône.

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