Le Roi Menteur 2/4

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Une exclamation de surprise le réveilla. Les paupières lourdes, il mit un instant avant de comprendre où il se trouvait.

Anxieux, il tourna son visage sur le côté. Rhosen se tenait debout devant le rosier, une expression surprise sur le visage. Un sourire étira les lèvres du prince.

-Bonsoir, dit-il en se redressant.

-Bonsoir, répondit celui qui n'était pas vraiment un jardinier de sa voix grave et douce. Je n'espérai plus te revoir, Saydan.

-J'ai été assez occupé, ces derniers jours, répondit le prince. Je fais ce que je peux.

Rhosen sourit.

-Qui es-tu ? Demanda Saydan en se levant. J'ai parlé aux jardiniers. Ils disent que le rosier est maudit, que personne ne s'en occupe jamais. Que tu es un fantôme.

-Les bougres n'ont pas tout à fait tort, s'amusa l'autre. Ça te dérange, si je m'occupe un peu du rosier, pendant que nous parlons ? Je n'ai qu'une heure, après minuit, pour le faire.

-Je t'en prie, répondit le prince. Une heure ?

-Je devrais peut-être commencer par le début, concéda Rhosen en se retournant pour inspecter les roses. Je suis un roi. Tu peux me faire une révérence, si tu veux.

Saydan lui adressa une moue peu convaincue. Rhosen soupira.

-D'accord, d'accord, étant donné que je n'ai plus de trône depuis quelque chose comme mille ans, on peut considérer que, techniquement, je ne suis plus tout à fait roi.

-Roi de quel pays ? s'amusa Saydan en s'asseyant sur son banc, le menton dans la main, le regard posé sur son interlocuteur.

-Roi d'ici, bien sûr, répondit l'autre. Il y a longtemps, bien longtemps. Mais je n'étais pas un très bon roi. Et encore, c'est faire preuve d'un bel euphémisme...

Il soupira. Son regard se perdit au loin, dans un autre temps.

-J'étais vaniteux, superficiel, et surtout, surtout, le pire menteur ayant jamais existé. J'étais prêt à dire n'importe quoi pour arriver à mes fins : promettre le mariage à une belle pour coucher avec elle, promettre un traité à un voisin pour lui extirper ses richesses, promettre un titre à un courtisant pour qu'il me lèche les bottes, et rejeter mes fautes sur les autres le cas échéant.

Le visage de Saydan exprima malgré lui une expression dédaigneuse.

-On dirait mes frères, lâcha-t-il.

-Ah, désolé, répondit Rhosen en dissimulant la tristesse qu'avait fait naitre la déception évidente de Saydan.

-Que s'est-il passé ?

-Oh, un grand classique, reprit l'autre en haussant les épaules. J'ai dit à une fée que je l'aimai pour la mettre dans mon lit. Ce n'est pas facile de berner une fée, crois-moi ! Mais j'aimais bien les défis. Et je n'y suis pas allé de main morte.

Saydan arbora malgré lui une autre moue réprobatrice. Il ne pouvait pas s'en empêcher : son visage exprimait la moindre de ses émotions. Rhosen, gêné, regarda ailleurs. Pourquoi cela le dérangeait-il tant que ce prince qu'il connaissait à peine ait une mauvaise opinion de lui ?

-Mon indifférence me rendait aussi cruel, continua-t-il en faisant semblant de se pencher sur ses roses pour dissimuler son trouble. Une fois obtenu mon prix, je lui ai tout dit. Ce qui était bien peu stratégique, tu en conviendras. Elle n'a pas vraiment apprécié.

-La pauvre...

-Elle m'a maudit, continua Rhosen. À l'endroit où nous avions consumé notre union, ici même. Folle de rage, blessée, le cœur brisé, elle m'a enfermé dans ce rosier pour toute l'éternité, ou jusqu'à ce qu'il vienne à faner. Je n'ai droit d'en sortir qu'à minuit, pour m'en occuper, une heure durant.

Il ne se retourna pas, et ne vit pas l'expression triste et compatissante de Saydan.

-Ça fait un moment, maintenant, continua Rhosen. J'entends ce qui se passe, autour de moi, durant la journée. Les promeneurs, les amoureux, les complots politiques, les promesses... J'entends tout sans pouvoir rien dire. Et la nuit, je m'évade, pour une heure seulement, je taille mon rosier. Je ne peux pas me résoudre à le laisser mourir, et mourir avec... Mais il y a quelques années, ce jardin est devenu privé, et plus personne d'autres que quelques jardiniers ne se sont approchés de moi.

-Je suis désolé, Rhosen, murmura Saydan. C'est ma faute.

-Tu ne savais pas, répondit simplement Rhosen en se retournant enfin, prêt à faire face au rejet et au mépris.

Mais il n'y avait que de la compassion, sur le gentil visage de Saydan. De la compassion pour lui. Cela lui était-il déjà arrivé ? Il ne connaissait pas cette sensation, en tout cas, cette drôle de chaleur au creux de sa poitrine. Il sourit.

-Alors comme ça, petit prince...

-Je ne suis pas petit !

-Tu as mille ans de moins que moi.

-C'est de la concurrence déloyale !

-C'est ça, c'est ça, s'amusa le roi maudit. Alors comme ça, reprit-il, tu as des frères qui me ressemblent un peu ? Tout aussi beaux ?

Le visage de Saydan s'assombrit légèrement. Rhosen regretta aussitôt sa question. Il préférait le voir rire. Il avait été la source de tellement de larmes et de noirceur, au cours de son existence... Faire rire et sourire quelqu'un était une expérience nouvelle, pour lui, et profondément exaltante.

-Oui, ils sont beaux, répondit Saydan, ils te ressemblent bien plus qu'ils ne me ressemblent moi. Ils ont la taille fine, le teint parfait, la démarche gracile... Ils savent chanter, danser, et courtiser qui ils veulent...

-S'ils me ressemblent, l'interrompit Rhosen, alors ils ne sont pas beaux.

-Non, tu as raison, ils ne te ressemblent pas, eux ne sont beaux qu'en apparence, confirma Saydan.

-Raconte-moi, reprit Rhosen en ignorant le plaisir que lui procurait le compliment. Cela fait bien longtemps que je n'ai pas de nouvelles du monde.

Et Saydan lui raconta. Il lui raconta sa vie au château, ses mères qui l'avaient abandonné sous la pression de ses aînés, tous les coups bas qu'il avait essuyés, la pression que cela représentait de gérer un royaume, et cent autres choses encore que Rhosen écouta avec attention, assit à côté de lui, en tentant parfois une remarque qui faisait rire ou sourire le prince.

Une musique interrompit leur conversation. Rhosen soupira. Les fleurs s'étaient mises à luire.

-Qu'est-ce qui se passe ? s'inquiéta Saydan.

-Il est presque temps pour moi de retourner dans ma prison, répondit le jardinier maudit.

-Oh, soupira le prince.

Rhosen se mordit la lèvre. Une question lui brûlait les lèvres, mais il n'osait pas la poser. Il n'avait jamais demandé quoi que ce soit à quiconque au cours de sa vie, et était absolument terrifié à l'idée de paraître vulnérable. Est-ce que tu reviendras ? J'ai peur d'être seul. Et j'aimerai tant de connaître plus... Mais les mots ne voulaient pas sortir. Ils étaient coincés au fond de sa gorge de menteur, plus surement qu'aucune malédiction.

-Cela t'ennuierait, si je revenais ? Demanda doucement Saydan.

Rhosen aurait pu en pleurer de joie et de soulagement. Mais il ne put s'empêcher de faire semblant de soupeser la question, mettant son interlocuteur au supplice.

-D'accord, finit-il par dire.

Sa silhouette se troubla légèrement. Effrayé, Saydan tendit une main dans sa direction. Ses doigts effleurèrent une surface douce puis s'enfoncèrent dans le vide. Rhosen tourna la tête vers lui et lui sourit, plus sincèrement qu'il n'avait jamais sourit à personne.

L'instant d'après, il avait disparu. La chanson s'était tue. Les roses avaient cessé de luire. Saydan était seul sur son petit banc de pierre.

-À demain, lança-t-il aux roses en se relevant.

À demain, aurait bien voulut répondre Rhosen. Mais seul le vent dans ses pétales franchit l'espace entre lui et le prince qui s'éloignait, le cœur rêveur.

Tous les minuits, un mois durant, Saydan se rendit sur son petit banc de pierre, où l'attendait Rhosen. La plupart du temps, ils parlaient. Ils évoquaient leurs vies, leurs goûts, leurs rêves, leurs expériences, et s'amusaient à comparer leurs deux époques. Saydan profitait de cette oreille attentive pour se soulager de ses problèmes et demander conseil. De temps en temps, Rhosen chantait et traduisait les paroles de ses chansons à Saydan, qui les écoutait les yeux fermés, avec cette expression d'abandon qui touchait tant le roi maudit. Parfois, ils ne disaient rien. Saydan, fatigué, s'allongeait sur son banc, et Rhosen prenait soin de ses fleurs, parlaient tout seul, chantonnait, ou ne disait rien non plus. Ils profitaient simplement de la présence l'un de l'autre, sans qu'il soit nécessaire de la meubler de paroles inutiles.

Pour la première fois de sa très longue existence, Rhosen n'éprouvait pas le besoin de mentir à son interlocuteur. Il se sentait bien en présence de Saydan. Il savait que le prince l'avait accepté tel qu'il était, il n'avait pas besoin de chercher à paraître. La sensation était exaltante. S'il avait pu faire en sorte qu'il soit minuit pour toute l'éternité, il ne se serait pas gêné.

Les rumeurs allaient bon train, au château, sur celui que le prince allait rencontrer toutes les nuits au fond du jardin. Mais il n'en avait cure, et nul ne lui en porta rigueur, si ce n'est les jeunes gens de la cours et les quelques serviteurs qui l'aimaient en secret.

Petit à petit, l'été s'approchait. Il restait moins d'un mois, avant le bal où serait nommé l'héritier. Les six frères aînés redoublaient de roublardise auprès de leurs mères, les emmenant en ballade, payant des acteurs pour déclamer leur louange ou pour jouer des scènes les mettant en valeur... Et dépréciant tant et si bien leur benjamin que les Reines ne voulurent même plus le voir.

À demi-mot, la chambellante avait proposé au prince de prendre le trône de force, arguant que le royaume entier, et les trois quarts de la cour, le suivrait. Mais Saydan s'y était opposé : il ne ferait pas couler le sang, et ne déchirerait pas le royaume en provoquant une guerre civile qui se terminerait les Fées savent quand. Ses frères étaient tout à fait capables de s'allier avec des royaumes étrangers ou de recruter des mercenaires pour massacrer leurs propres gens.

Cependant, alors le mécontentement grondait chez le peuple, et que la date fatidique approchait, les six frères aînés étaient de plus en plus inquiets. Il leur était inconcevable que Saydan ne tente pas de monter une armée contre eux s'il le pouvait – après tout, c'était qu'ils feraient, et chacun a tendance à voir chez les autres ce qui se trouve chez lui.

Attendre le bal d'été était trop dangereux. Ils décidèrent de se débarrasser de lui.

~

-Rhosen ? Murmura Saydan en s'approchant du banc de pierre, les sens aux aguets.

-Tu es en retard, l'accueillit un Rhosen maussade. Il ne me reste plus qu'une demi-heure.

-Parle moins fort, s'il te plait, l'enjoignit le prince, l'air inquiet. Il ne faut pas qu'on nous entende. Rhosen, je ne peux pas rester au château. Je suis venu te dire que je partais.

-Que tu... quoi ? Souffla Rhosen, le cœur soudain serré.

-Le bal d'été est dans une semaine, répondit Saydan, les mains serrées sur sa chemise, le regard plongé vers le sol. Mes frères viennent de tenter de me tuer.

-QUOI ?! Rugit le roi maudit en levant sa cisaille. Tu es blessé ?

-Non, je n'ai rien, le tranquillisa Saydan. Je n'ai pas bu le poison. J'ai passé assez de temps dans les jardins pour reconnaître l'odeur du datura. Mais je me suis enfin décidé à écouter ma chambellante, qui me presse depuis des semaines pour que je quitte le château, au moins jusqu'au bal.

-Mais après, souffla Rhosen, tu ne pourras plus revenir, lorsque l'un d'entre eux sera roi. Nous ne nous reverrons plus... finit-il, si bas que le prince l'entendit à peine.

Les yeux de Saydan s'emplirent de larmes. Il leva sa main pour effleurer la joue de Rhosen, qui frémit sous la caresse, bouleversé par la vague de sentiments qui mettaient son âme sens dessus-dessous.

-Rhosen, dit doucement le prince, je sais que je ne suis pas très beau, comme toi, comme mes frères, et certainement comme toutes les conquêtes que tu as faites... Je sais que je ne suis pas très doué pour chanter, ou pour parler aussi bien que toi, mais... Je voulais te dire... Si l'on ne devait plus jamais se revoir, Rhosen, je voulais te dire que tu représentes pour moi ce que personne n'a jamais représenté. Lorsque je suis avec toi... Je me sens si bien ! Je me sens à ma place, comme si l'univers entier était enfin rentré dans l'ordre. Mais lorsque tu me regardes, par les Fées, mon cœur s'emballe et je ne sais plus très bien penser. Je rêve de t'embrasser toutes les nuits, depuis que je t'ai rencontré. Rhosen... Je t'aime.

Rhosen recula comme si on l'avait frappé. Saydan l'aimait. Saydan. Le doux, le gentil, le tendre Saydan, celui qui émerveillait ses nuits, celui qui lui avait appris qu'il pouvait faire rire et sourire, celui qui avait redonné à son existence une raison d'être. Saydan l'aimait. Pour de vrai.

Il commença à paniquer. L'amour, ça n'était pas son domaine. Lui il connaissait la séduction, la conquête, les plaisirs charnels, mais pas l'amour. L'amour, c'était être démunis, être vulnérable, être sincère. Il ne savait pas faire ça. Saydan ne pouvait pas l'aimer. En plus, il était maudit. Saydan allait être malheureux. Il ne pouvait pas l'aimer. Il ne fallait pas qu'il l'aime. Ce n'était pas possible. Ce n'était pas bien.

-Tu... bafouilla-t-il, paniqué.

En désespoir de cause, il se raccrocha à ce qu'il savait faire le mieux.

-Tu n'es pas beau, c'est vrai, lâcha-t-il tranquillement, comme si ce n'était pas le plus gros mensonge de l'univers. Pas très séduisant.

Saydan tituba, sous le choc, soudain livide.

-D'ailleurs, continua Rhosen, incapable de s'arrêter, perdu dans le flot de ses sentiments contradictoires, je ne sais pas si je t'aurais adressé la parole, si tu n'étais pas la seule personne à qui je pouvais parler.

Saydan recula encore un peu, son visage tordu de chagrin. Rhosen sentit son cœur se fêler. Il se tut, incapable d'en dire plus, mais incapable de revenir sur ses mots.

Qu'est-ce qui ne va pas, chez moi ? Songea-t-il.

-Alors c'est peut-être une bonne chose que je parte pour toujours, murmura Saydan sans essuyer les grosses larmes qui perlaient sur ses joues.

Il fit volte-face et s'enfuie.

Rhosen se laissa tomber à genoux et explosa en sanglot, la fêlure de son cœur gagnant petit à petit toute son âme. Un menteur. C'était ce qu'il était, ce qu'il avait toujours été. Il n'avait pas le droit d'être quelqu'un d'autre. Il n'avait pas le droit d'être aimé.

Pour la première fois depuis le début de sa malédiction, il souhaita retourner dans sa prison et ne plus jamais en ressortir, plus jamais.

~

Les six frères étaient bien embêtés. Saydan avait disparu. C'était forcément pour lever une armée contre eux ! Six jours qu'on ne l'avait plus vu, ni au château, ni dans les environs. Au fur et à mesure que le bal approchait, ils étaient de plus en plus nerveux. Il ne leur vint pas à l'esprit que Saydan puisse ne rien tenter pour leur arracher le trône.

En désespoir de cause, la veille du bal, ils se regroupèrent pour tenir un conseil de guerre.

-Il faut trouver où il se cache ! Déclara l'aîné, qui était aussi le chef de la fratrie.

-J'ai envoyé des serviteurs dans toutes les auberges et les tavernes de la capitale, répondit le deuxième frère. Je n'ai trouvé que des prostituées et des ivrognes.

-J'ai envoyé des hommes fouiller les fermes et les villages, répondit le troisième. Je n'ai trouvé que des paysans et des animaux.

-J'ai envoyé des mercenaires dans la forêt du nord, répondit le quatrième. Je n'ai trouvé que des brigands.

-J'ai envoyé des milices dans la forêt du sud, répondit le cinquième. Je n'ai trouvé que des marchants.

-J'ai envoyé des espions partout chez les domestiques, répondit enfin le sixième. J'ai entendu bien des rumeurs...

Les cinq autres se tournèrent vers lui.

-Apparemment, déclara-t-il, notre cher petit frère n'était pas la dryade qu'il essayait de faire paraître. Depuis presque deux mois, il allait dans les jardins, à minuit, retrouver quelqu'un...

-Et dire qu'il se permettait de nous faire la morale sur nos orgies, grommela le troisième.

-Que faisons-nous ? Demanda le quatrième à l'aîné.

-Nous allons au rendez-vous, répliqua l'autre, un sourire sur son visage froid. Nous verrons bien...

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