Le Roi Menteur 3/4

Màu nền
Font chữ
Font size
Chiều cao dòng

-Quelle heure est-il ? grommela le cinquième frère en arrachant un par un les pétales d'une tulipe.

-Arrête de râler. Tu as déjà demandé l'heure il y a cinq minutes, répondit l'aîné en vérifiant la lame de sa dague. Il est bientôt minuit. Il y a des chances pour que ni l'un ni l'autre ne se montre, mais sait-on jamais. Tenez vos armes prêtes...

Il eut à peine le temps de finir sa phrase qu'une étrange musique se fit entendre. Crispés sur leur lame, les frères se dirigèrent vers l'origine de la mélopée. Là, derrière ce stupide banc de pierre, les roses étaient en train de luire...

Ils retinrent un hoquet de surprise lorsqu'une silhouette se dessina lentement au milieu des roses. Un visage, une chevelure, une silhouette...

L'aîné se redressa en lâchant un sifflement admiratif. Rhosen sursauta.

-Saydan ? Tenta-t-il, plein d'espoir, en direction de la silhouette.

-Pas vraiment, non, railla l'autre.

Les six frères sortirent de leur cachette.

-Mais c'est qu'il avait bon goût, le petit ! Commenta l'aîné d'un air appréciatif en jugeant du regard l'apparence de Rhosen.

Le roi maudit serra les poings sur sa cisaille.

-Que lui avez-vous fait ? Cracha-t-il.

-Voyons, répondit l'aîné en lui tournant autour, une étincelle de concupiscence au coin du regard, nous ne ferions pas de mal à l'un des membres de notre chère famille...

-Cessez votre petit manège, répliqua Rhosen en se demandant lequel il allait éborgner en premier. Où est Saydan ?

Le silence qui répondit à sa question lui glaça le cœur. Il s'imagina le corps de son prince quelque part, sans vie, ses lèvres sans sourire, ses yeux sans étincelles... La vague de désespoir que produisit cette simple image faillit le rendre fou.

-En fait, reprit l'aîné, qui dégustait visiblement avec plaisir la détresse du roi maudit, nous comptions sur toi pour nous le dire.

Le soulagement heurta Rhosen si fort qu'il faillit se laisser tomber à genoux. Mais il ne pouvait pas baisser la garde.

-Il est partit, dit-il. Il a quitté le pays. Vous ne le retrouverez jamais.

Un coup violent dans le creux de ses reins déstabilisa Rhosen, qui lâcha son arme improvisée et tomba à genoux. L'un des frères s'était glissé dans son dos. L'aîné écarta négligemment la cisaille et s'accroupit pour enfermer le menton de Rhosen dans ses mains.

-Il est partit monter une armée, n'est-ce pas... Avec qui s'est-il allié ?

-Avec personne, répliqua Rhosen en se défaisant de l'étreinte.

Les six frères l'encerclaient, l'empêchant de fuir ou de se relever.

-Saydan ne cherche que le bonheur du peuple, reprit Rhosen, désespéré. Il ne veut pas d'une guerre civile. Jamais.

-Allons donc, grinça le sixième frère. On s'en fiche du peuple. Saydan veut à tout prix les écouter et les contenter, mais ce ne sont que des bouseux, des serviteurs. Notre naissance nous donne le droit d'en faire ce qu'on en veut.

-Nous, reprit le cinquième, nous voulons être rois pour l'argent. Saydan veut distribuer notre richesse durement gagnée aux plus pauvres. C'est énervant. Ils vont tout dépenser ! Ils n'ont qu'à trouver un travail et gagner le leur.

-Saydan cherche toujours à faire la paix avec les voisins, continua le quatrième. C'est contraire aux lois de la nature ! Que le plus fort gagne, et que les ressources lui reviennent !

-Saydan essaie de nous empêcher de revendiquer notre droit sur le corps des plus beaux serviteurs ! Renchérit le troisième. Ils sont là pour servir, non ? Et c'est un honneur d'atterrir dans notre lit !

-Le pire, continua le deuxième sur la même lancé, c'est qu'il entend régner équitablement, sans privilège... Même pour la noblesse ! N'importe quoi.

-Nous, nous sommes de vrais rois, termina l'aîné. Nous règneront sans partage, sans que la moindre contestation puisse s'élever. Et si les deux vieilles ne sont pas contentes, on les étouffera dans leur sommeil.

Rhosen les regarda avec horreur, incapable de trouver une solution qui le sortirait de ce pétrin.

-En attendant, continua le plus âgé, on peut bien s'amuser un peu...

Il attrapa la tunique de Rhosen et tira sur le col jusqu'à le déchirer. Le tissu tomba le long des épaules jusqu'aux coudes du roi maudit, révélant sa poitrine pâle.

-Eh, dites, intervint l'un des frères. Il est sortit des roses, non ? Je me demande ce qui se passe si on fait ça...

Il referma son doigt sur l'une des tiges et la brisa. Rhosen hurla et tomba sur le dos.

-Je suis pas beau, avec ça à ma boutonnière ? Plaisanta le frère en glissant la fleur dans la poche de sa veste.

-J'en veux une aussi ! Protesta le cinquième.

-Et moi aussi, alors ! protesta un autre.

-Attendez, bande d'idiots... essaya d'intervenir l'aîné.

Mais il était trop tard. Rhosen hurlait au fur et à mesure que les fleurs étaient arrachées. Finalement, l'aîné haussa les épaules, cueillit la plus large des roses, et la glissa à sa boutonnière, sans faire attention à la musique qui emplissait l'atmosphère, ni à l'aspect luisant des pétales.

Lorsqu'ils se retournèrent, Rhosen avait disparut. Ne restait plus dans l'herbe tendre que l'empreinte de son corps.

~

Le bal était ce soir.

Saydan se morfondait sur le dos de son cheval, le regard perdu dans le vide. Il était à quelques kilomètres de la capitale, en direction du port, où l'attendait un bateau pour l'ailleurs. Loin de ses frères, loin de son royaume, loin de sa vie, loin de Rhosen.

Chaque coup de sabot dans le sol lui piétinait un peu plus la poitrine. Il avait l'impression de laisser des bouts de lui tout au long du chemin, comme si son cœur brisé, réduit en miettes, ne pouvait plus maintenir d'unité.

-Vous avez bien fait de vous décider à quitter le pays, finalement, lui lança Azarël, la chambellante, qui l'accompagnait. Madame Myrme m'a dit que vos frères avaient envoyé des dizaines d'espions un peu partout chez les domestiques, cette semaine. Ils ne comptaient pas vous laisser assister au bal.

Saydan soupira.

-Ce n'est pas comme si mes mères allaient remarquer mon absence, de toute façon. Pour les espions, ça ne fait aucune différence, puisque personne, à part vous, ne savait où je comptai me rendre. Je ne vois pas ce que les domestiques pourraient leurs app...

Il s'arrêta au milieu de sa phrase, le souffle coupé. Une image venait de le percuter. Rhosen.

Il tira sur les rennes de son cheval, lui fit faire demi-tour, et repartit à toute allure vers la capitale.

La nuit était en train de tomber. Pourvu que j'arrive à temps, pour l'amour des Fées...

~

Les grands jardins du château grouillaient de monde, invités prestigieux, nobles, ambassadeurs, souverains et souveraines, tous étaient venus assister au bal qui déterminerait l'avenir du royaume. Les discussions allaient bon train. La plupart s'inquiétaient à voix basse de l'absence de Saydan, tandis qu'une minorité, qui constituait tout de même une part appréciable, flattait allégrement les six frères, dans l'espoir d'obtenir quelques privilèges une fois le couronnement de l'un d'entre eux achevé. Les splendides roses qu'ils arboraient à leur boutonnière était l'objet de nombres de compliments.

Saydan, habillé comme un domestique, se glissa incognito dans la foule, un plateau de crevettes à la main. Il entendait traverser les grands jardins pour se rendre directement au sien. Il était bientôt minuit. Il n'avait plus de temps à perdre.

Alors qu'il passait près de la suite royale, une main se tendit pour attraper l'une des crevettes qui garnissait son plateau. Il baissa instinctivement la tête et leva son chargement d'amuse-bouche pour dissimuler son visage.

-Où est Saydan ? s'inquiéta la voix de la Reine Cateryna. Ses frères sont là. Où est-il ?

-Gregeoy m'a dit qu'il était trop occupé pour venir, répondit l'autre Reine en désignant l'aîné, qui se pavanait devant d'un jeune homme.

-Le soir où nous annonçons le titre de l'héritier ? Je sais que c'est un enfant frivole et superficiel, mais tout de même, cela me semble bien improbable. Son absence commence vraiment à m'inquiéter, ma chère... Je ne me souviens pas l'avoir vu cette semaine.

Il y eut un silence, tandis que l'autre souveraine réfléchissait.

-Moi non plus, dit-elle enfin. Mais il ne peut rien lui être arrivé, n'est-ce pas ? On nous l'aurait dit.

-Oui, certainement... Attendons encore un peu, pour l'annonce. Il va peut-être arriver.

Saydan refourgua son plateau à un autre et prit la fuite. Au moins, elles m'aiment encore un peu, songea-t-il en poussant la porte de son petit jardin. Son esprit se focalisa aussitôt sur Rhosen. Sur la grande horloge du château, l'aiguille frôlait le douze de minuit.

Il s'enfonça dans le jardin. La lune était ronde, ce soir-là, illuminant l'espace d'une lumière argentée, assez claire pour permettre de voir distinctement.

Saydan atteignit enfin le petit banc de pierre.

-NON !

Son hurlement transperça la nuit.

Le cœur glacé, incapable d'esquisser le moindre mouvement, les yeux écarquillés s'emplissant lentement de larmes brûlantes, il contempla le rosier arraché qui lui faisait face.

Il ne restait plus aucune fleur.

Ses genoux lâchèrent. Il s'effondra sur le sol, l'esprit vide, deux trainées de larmes creusant ses joues.

-Rhosen... balbutia-t-il en essayant de ne pas comprendre ce qui s'était produit, de ne pas s'imaginer ses frères arrachant les roses, assassinant Rhosen. Oh, Rhosen...

L'aiguille de l'horloge atteignit minuit. Une note perça la muraille de ses sanglots. Une musique triste, lente, mais si faible, si étouffée, qu'elle semblait venir de très loin d'ici.

Une lueur tremblotante filtra au milieu des feuilles qui recouvraient le sol, morceaux de cadavre du rosier. Saydan se mit à fouiller frénétiquement parmi les feuilles, jusqu'à mettre au jour un bouton de rose, si petit, si délicat, si modeste et si fragile qu'aucun de ses frères n'en avait voulut.

Un visage se dessina sur le sol, puis une chevelure et une silhouette, allongée sur le dos.

-Rhosen, balbutia Saydan en se penchant par-dessus le visage qu'il avait cru ne jamais revoir.

-Saydan, dit doucement le roi maudit en tendant une main pour effleurer sa joue. Tu es revenu...

-Je suis revenu pour toi, sanglota Saydan en posant sa main sur la sienne, enfouissant son visage au creux de sa paume. Pour toi.

-Mais, Saydan... s'étonna le jardinier. Pourquoi ? Je t'ai envoyé au loin... Je t'ai repoussé, je t'ai dit que je ne t'aimais pas...

-Mais moi je t'aime, répondit le prince en tentant vainement d'arrêter ses larmes. Et même si ce n'est pas réciproque, je ne pouvais pas t'abandonner... Je... Oh, Rhosen, je suis si désolé... C'est ma faute, s'ils ont coupé les roses. C'est ma faute ! Si le rosier ne fleurit plus, tu mourras... Il aurait mieux valut que tu ne me rencontres jamais !

-Je ne suis pas d'accord, le contredit doucement Rhosen en s'asseyant, sa main toujours en coupe sur la joue du prince. Je préfère mourir maintenant que vivre sans t'avoir rencontré.

Saydan, sous le choc, ouvrit des yeux écarquillés.

-Mais, tu m'as dit... Tu m'as dit que tu ne...

-Je suis un menteur, le coupa Rhosen.

Il posa son autre main de l'autre côté de son visage et l'attira à lui pour l'embrasser, goûtant avec passion la douceur de ses lèvres.

Lorsqu'ils se séparèrent, Saydan avait cessé de pleurer et ses joues étaient rouges, brulantes.

-Tu es magnifique, murmura Rhosen. Certainement l'être le plus beau que je n'ai jamais rencontré.

-Je... Je... Balbutia le prince. Je... Je n'avais jamais fait ça.

-Fais quoi ?

-Un baiser, souffla Saydan en rougissant de plus belle.

Rhosen sourit, incapable de retenir l'élan de tendresse qui lui fit poser de nouveau ses lèvres sur celles du prince.

Instinctivement, Saydan referma ses bras autour de sa taille et de ses épaules et le serra contre lui. Lorsque le baiser s'acheva, il enfouit sa tête dans le cou de Rhosen et le serra plus fort. Déstabilisé, le cœur troublé, Rhosen le serra en retour. Lui qui avait eu tant de conquêtes, qui était allé si loin dans les plaisirs de la chair... Pourquoi ce moment, cette étreinte, lui apparaissait-elle comme la chose la plus intime et la plus touchante qu'il n'ait jamais connue ?

-Je t'aime, Saydan, murmura-t-il.

Et il n'avait jamais rien dit de plus vrai. Le prince cru qu'il allait mourir de bonheur.

À cet instant, des trompettes se firent entendre, demandant le silence.

-Elles vont donner le nom de l'héritier, murmura Saydan. Tout est perdu.

-Peut-être pas, mon cher prince, répondit doucement Rhosen en se séparant de lui.

Il se leva et lui tendit la main. Puis il ramassa le bouton de rose et le glissa dans la poche de son prince.

-Je n'ai peut-être plus que cette nuit, reprit le roi maudit, mais je n'ai pas dit mon dernier mot. Ces roses sont magiques, tu te souviens ?

-Mais toi, tu n'es pas sorcier... le contredit Saydan, incapable de comprendre où il voulait en venir.

-Oui et non, mon amour, répondit Rhosen, conscient de la rougeur que faisait naître l'appellation sur les joues du prince. J'ai vécu si longtemps abreuvé de magie que j'ai bien finis par comprendre deux trois tours... Mais dépêchons-nous. Nous avons un bal où aller. Tu veux bien être mon cavalier ?

-Toujours, répondit Saydan en lui prenant la main.

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen2U.Pro