Le Sculpteur de rêve 3/3

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Thamys sortit de chez lui vers midi, sans raison particulière. De toute façon, il n'avait rien accompli qui ait de sens depuis trois ans. Il errait. Il mangeait. Il dormait. Il recommençait. Le monde était vide, froid, sec. Inutile.

Il marcha quelques instants, perdu dans ses pensées, dans son rêve de la veille, si vivace, si profond, si présent. Pourquoi avait-il rêvé de l'étranger ? Quelque chose lui soufflait qu'il aurait dû savoir. Mais une autre part de lui refusait de s'y pencher, de penser de nouveau à ce temps-là. Il refusait catégoriquement d'y accorder la moindre seconde. Trop douloureux.

Soudain, un drôle de son parvint à ses oreilles. Une sorte de mélopée, chantonné encore et encore. Elle lui était familière, étrangement familière. Son corps se dirigea dans sa direction sans que son cœur ait dit son mot sur la question.

Le jeune homme de la veille. Il était encore là. Il peignait.

Le tableau qu'il formait, lui, était magnifique. Concentré sur sa toile clouée à un arbre, ses lèvres marmonnant en boucle ce vieux refrain, il posait son pinceau avec application sur le blanc du tissu. Thamys voulut s'empêcher d'y penser, mais c'était trop tard. Dans son esprit avait ressurgit l'ambiance tamisé de son rêve, tous ces morceaux de lune, cette sensation de légèreté, de joie... d'amour. Cette sensation que les choses avaient un sens. Le Thamys de ce rêve aurait adoré l'image qu'il contemplait à présent, ce jeune homme si beau plongé dans son œuvre.

Thamys marcha dans sa direction, incapable de résister à son attraction. Il se plaça dans son dos. Et pour la première fois, la toute première fois depuis trois ans, il eut envie de rire.

-C'est complètement nul, lâcha-t-il d'un ton cassant, car sa voix ne se souvenait pas de la façon dont on insufflait de la chaleur dans les mots.

Dress sursauta et se retourna.

-C'est nul, répéta Thamys. Tu oses me dire que tu es un artiste ? Qu'est-ce que tu essais de représenter, au juste ? Un magma marron ? Un crottin de cheval ?

-C'est un arbre ! Protesta Dress en arborant une moue boudeuse, qui constituait pour lui le summum de ses expressions contrariées.

-Ce que tu fais ressemble autant à un arbre que toi à un peintre. Tu t'y prends n'importe comment. Tu ne peux pas commencer par le premier plan... Et qu'est-ce que tu as fait avec ces pigments ? Tu en as gâché une tonne ! N'importe quoi. Tu tiens mal ton pinceau. Ton angle de vue est abominable. Sans parler de la façon dont tu as fixé cette toile.

-Mais...

-Et le sujet choisi, franchement ? Tu n'avais rien de plus intéressant ? Tu aimes les arbres à ce point ?

-Non...

Thamys ne réfléchis pas. Il ne fallait pas qu'il réfléchisse. S'il s'attardait, ne serait-ce qu'une seconde, sur la situation, il se souviendrait que le monde était froid, vide, et que rien n'avait de sens. À la place, il se laissa porter par son instinct, sur le moment, et s'appliqua à ne pas penser à ce qu'il faisait.

Il s'assit à côté de Dress et lui prit son pinceau des mains.

-Avant de peindre, dis-moi pourquoi tu peins.

-Pourquoi ? Je ne sais pas... Pourquoi pas ?

-Si tu n'as pas de raison particulière de peindre, tu ne peindras jamais rien de beau. Si tu n'as rien à exprimer...

-Il y a... Il y a quelque chose, hésita Dress, peu habitué à tenir une conversation, et encore mois une qui parlait de lui. C'est... C'est un rêve... Mais c'est si doux, si doux... Je suis quelque part, dans un endroit sombre, constellé d'étoiles, de fragments de lumières, et je tiens quelqu'un dans mes bras, contre moi. Je sens que cette personne constitue le centre de mon univers, et que si je pouvais l'aimer pour toujours, alors ma vie aurait un sens. Je sens qu'elle m'aime, aussi. Elle se blottit contre moi, et je voudrais parler, murmurer, souffler quelque chose, mais mes lèvres ne veulent pas se mouvoir et je reste là, à l'aimer en silence... Dans ces rêves que je fais, il y a une telle douceur, une telle...

-Tendresse, finit Thamys d'une voix rauque, étranglée.

Sans prononcer un mot de plus, il se leva et s'enfuit. Il rentra chez lui, claqua la porte, et se réfugia dans le noir. Tendresse. Ce simple mot faisait mal. Car l'univers en était dépourvu, désormais. Il n'y avait plus rien, rien qui ressemble à la douceur, pour lui, en ce monde.

Il resta ainsi jusqu'au soir, l'esprit aussi vide que le cœur, et s'endormit comme ça, contre le sol dur.

Le lendemain, il sortit de nouveau de chez lui, poussé par un je-ne-sais-quoi.

Le jeune homme était encore là, au même endroit. Il ne peignait pas. Il attendait. Lorsque Thamys pénétra dans la clairière, il lui tendit sa palette, ses pinceaux et ses outils.

-Tu veux bien m'apprendre ?

Thamys s'en saisit, parce qu'il ne pouvait rien faire d'autre, à cet instant, qu'accepter ce qu'on lui tendait, ce reliquat de son passé, de ce qu'il avait été.

Il passa le reste de la journée à expliquer la spécificité de chaque pigment et la bonne manière de les préparer.

-Au fait, je m'appelle Dress, lui apprit le jeune homme.

-Thamys, répondit sobrement l'intéressé en se saisissant d'un pilon.

Sa voix n'était plus aussi agressive qu'au premier jour, mais elle restait morne, vide, parfois sèche. Dress ne s'en formalisait pas.

-Tu sais, dit-il à la fin de la journée, c'est la première fois que je parle avec quelqu'un.

La surprise fit momentanément flancher l'indifférence de Thamys, qui lui envoya un regard interrogatif.

-Les gens qui me voient se trouvent toujours submergés d'émotion, expliqua Dress. Je les rends heureux, apparemment, je leur rappelle d'aimer. Mais personne ne m'a jamais parlé à moi, véritablement. Personne ne m'a jamais demandé mon nom.

-Moi non plus, je ne te l'ai pas demandé.

-Non, mais tu m'as écouté assez longtemps pour que je te le donne.

-C'est parce que je ne peux plus aimer. Le monde est vie et creux, pour moi. Tu ne risques donc pas de me rappeler quelqu'un. Tiens, essaie.

Il lui tendit les outils, dont Dress se saisit avec révérence, la gorge serrée par l'aveu qui venait d'être fait. Il ne croyait pas que c'était possible, de ne pouvoir aimer, mais ne dit rien.

Lorsque la nuit tomba, les empêchant de travailler, Thamys se leva et se dirigea vers sa maison. Une drôle d'idée le fit s'arrêter au dernier moment.

-Tu dors dehors ? Demanda-t-il brusquement en se retournant.

-Oui, répondit Dress, le plus simplement du monde.

-Idiot.

Ils se regardèrent un instant sans parler, le jeune homme si lumineux, si doux, et l'autre si dur, si sombre.

-Viens chez moi, lâcha enfin Thamys, comme s'il parlait du mauvais temps. Ça ne servirait à rien que je t'apprenne quelque chose si tu attrapes une pneumonie.

Et, sans rien ajouter, il prit le chemin de chez lui.

Le lendemain matin, Thamys ouvrit les yeux dans une pièce ensoleillée. Il se leva en un bond et se précipita dans le salon, où avait dormit Dress.

Il avait ouvert les rideaux et les fenêtre, laissant entrer la lumière et l'air frais du matin, qui entrait dans la pièce avec bonheur. Il n'avait jamais ouvert les rideaux depuis son arrivée ici. Il n'y avait même pas songé.

-Deuxième leçon ? demanda Dress avec excitation.

Thamys le regarda un instant. C'était peut-être les restes de son sommeil qui s'accrochait à sa conscience, c'était peut-être la lumière dorée qui, en se posant sur le visage de Dress, le paraît de lumière... Mais il était beau. Cette constatation envoya dans le cœur de l'ancien artiste un pic de chaleur douloureux, comme un fer chauffé à blanc. C'est dur de ressentir lorsqu'on a arrêté si longtemps. Il n'avait rien trouvé beau depuis trois ans.

C'est ainsi qu'il donna à Dress sa deuxième leçon. Puis sa troisième... Sa quatrième...

Les journées filaient à une vitesse incroyable.

Désormais, Thamys se levait le matin pour accomplir quelque chose. Il se levait pour Dress. Sa vie se colorait de sens, très, très doucement, comme une goutte de teinture dans une mer de larme, qui se délierait avec paresse. Lorsqu'il côtoyait Dress, de drôles de choses lui arrivait. Parfois, l'espace d'un instant, fugitif, il se sentait léger, léger, comme s'il suffisait d'un bond de ses pensées pour atteindre le ciel. De temps en temps, il fermait les yeux, et il sentait l'odeur de la peinture. Il se trouvait transporté autre part, dans un atelier gigantesque, dans un passé pas si lointain, lorsqu'il était un autre, lorsqu'il savait aimer. Des lambeaux de rêves venaient émailler ses journées. Il se souvint qu'autrefois, il rêvait en permanence, perdu dans d'autres mondes, au milieu de créatures fantasmées et d'amants imaginés. Où était la clef de ce jardin d'enfance, ce jardin d'innocence, ce jardin de bonheur où tous ses rêves avaient été enfermés, emprisonnés ? Où était la clef ?

Dress, lui, savourait l'idée de pouvoir, enfin, côtoyer quelqu'un. Il parlait avec Thamys, il lui racontait ce qu'il n'avait jamais dis à personne – puisque personne n'écoutait. Il lui racontait ses rêves, ses espoirs, et ce vide au fond de lui. Il lui disait à quel point il était heureux d'aider les gens si facilement, et à quel point il se sentait seul. Il apprit à connaître Thamys, aussi. Il savait percevoir, sur son visage, la trace d'un sourire à peine esquissé, toujours fugitif, toujours retenu au dernier instant. Il aimait le voir s'emporter, et savait que dans ces instants-là, lorsqu'il tenait le pinceau, lorsqu'il lui expliquait comment peindre, le visage de Thamys devenait tout autre. Il se détendait, perdait une décennie, en même temps que sa froideur et son agressivité. Son regard abandonnait son éclat perçant pour devenir plus flous, plus dispersé, comme si des dizaines de pensées coulaient en permanence dans son esprit. Il aimait ces moments-là, mais il savait qu'ils ne duraient pas, que Thamys finissait toujours par se raidir, par ce souvenir de qui il était, et il tombait, il tombait de ces hauteurs où ses rêves l'avaient emporté, il tombait et s'écrasait sur le réel, dans toute sa dureté. Dress avait mal, dans ces moments-là, mal de voir Thamys perdre ses couleurs et sa jeunesse, son envie de vivre, sa passion, et tout l'amour qu'il pouvait porter. Il aurait voulu trouver la blessure de Thamys, sa fêlure, sa brisure, il aurait tant voulu la rafistoler, pour lui, pour lui permettre de peindre encore...

Pourquoi était-il capable d'aider tout le monde sauf lui, lui, le seul qui importait vraiment ?

Ils passèrent trois mois ensembles, trois mois à se côtoyer, chaque jour, à se connaître, à s'apprivoiser.

Et puis Dress dit :

-Est-ce que tu sais sculpter ?

-Non.

La réponse était tombée, franche, net, clair, précise.

-Mais, dans la cabane...

-Dress, je ne sais pas sculpter.

En temps ordinaire, Dress aurait laissé tomber l'affaire. Mais là, à cet instant, il sentit qu'il tenait peut-être quelque chose, quelque chose qui l'aiderait à comprendre que qui avait fait de Thamys ce qu'il était aujourd'hui.

-J'ai trouvé une lettre, insista-t-il de sa voix douce. Une lettre d'un certain Milateno. Il était question de pardon... Il me semble connaître un Milateno. Malion m'en avait parlé. Un grand artiste, je crois...

Thamys s'était figé. Dress fut horrifié de constater que, dans son regard choqué, s'était infiltré quelque chose qu'il n'avait jamais vu chez lui, quelque chose qu'il n'aimait pas. De la colère. De la haine.

-Malion ? Gronda-t-il. Ton maître est Malion ?

Il s'approcha de Dress, les poings serrés, le regard sombre.

-Tout ce temps, tu trainais à mes côtés, tu voulais que je t'apprenne à peindre... Et tu était l'apprenti de celui qui m'a tout pris ? Tu connais celui qui m'a trahi ?

Il crachait ses mots comme du venin, comme quelque chose de sale, qui avait besoin de sortir, de s'extirper.

-Dégage, dit-il, de la même voix, avec la même figure, que lorsqu'ils s'étaient rencontré pour la première fois.

-Mais... tenta Dress.

-Dégage, Dress. Vas-t'en. Disparais. Meurs. Ce que tu veux, tant que je ne t'ai plus sous le nez.

-Thamys... souffla le jeune homme d'une toute petite voix.

-Dégage, Dress ! Hurla cette fois Thamys, ses poings serrés appelant à la violence. Qu'est-ce que tu attends ? Qu'est-ce que tu crois ? Qu'on va devenir amis, toi et moi, que tu vas pouvoir me raconter tes problèmes pathétiques, qu'est-ce que c'était déjà, « être spécial pour quelqu'un » ? Pauvre petit Dress ! Dégage ! Disparait !

Dress ne s'était jamais senti aussi blessé, trahis, malmené. Il avait révélé à Thamys ce qui lui était le plus cher, ce qui le rendait le plus vulnérable... Il n'avait pas le droit de lui dire ça.

Il ouvrit la bouche pour lui crier quelque chose, n'importe quoi, céder à la colère, pour la première fois de son existence... Mais il ne put pas. Son poing retomba, ses yeux s'emplirent de larmes.

-Adieu, Thamys, murmura-t-il en quittant la pièce. Tâche d'être heureux.

Et il partit.

La pièce parut soudain vide, incroyablement vide, au petit être qui se trouvait au milieu, agité de sentiments contradictoire, de colère, de regret, de nostalgie, de haine, de peine, d'espoir, de désespoir... Il s'effondra en sanglots.

Le jour suivant, Thamys n'ouvrit pas ses rideaux. Le monde était redevenu obscur et vide. Le rire de Dress trainait partout et disparaissait dès qu'il arrivait, comme s'il le fuyait. Ce qui lui manquait le plus, ce n'était pas la beauté de Dress, la pureté de son apparence, non... Ce qui lui manquait, c'était son air appliqué lorsqu'il peignait, c'était sa joie simple de vivre chaque instant, c'était sa patience, lorsqu'il attendait que Thamys se dépêtre de ses démons, trouve le bon mot, extrait de ses souvenirs le bon conseil. Ce qui lui manquait, c'était son sourire, c'était son ingénuité, sa candeur, sa gentillesse, et la façon dont il le regardait, avide qu'il était de la moindre parole, le moindre geste. Dress était horriblement seul, et contrairement à lui, il ne l'avait ni mérité, ni voulu. Thamys avait envie de pleurer à chaque fois qu'il y pensait. Mais, en même temps, il valait mieux qu'il soit partit, non ? Il trouverait certainement bien des personnes plus qualifier que lui pour l'aimer.

L'aimer...

Était-ce ça, qui le taraudait ? Était-ce ça qui le hantait la nuit, lorsqu'il s'éveillait au milieu d'un rêve, toujours ce rêve, ce même rêve où il reposait dans les bras de sa statue, la statue qu'on lui avait volé, qu'on avait détruite ? Tendresse...

Thamys n'était pas retourné au vide, après le départ de Dress. Les émotions que le jeune homme avait fait naître chez lui était encore là, présentes, trop présentes.

Le matin suivant, il laissa son cœur prendre la relève et se saisit de ses pinceaux. Dress naquit sur la toile, tout auréolé de lumière. Il avait les yeux mis clôt, comme pour savourer le baiser que ses lèvres entrouvertes venaient de voler. Thamys porta la main à ses propres lèvres, brulantes. Il aurait tant voulu qu'il lui vole ce baiser, il aurait tant voulu se blottir dans ses bras... Dress...

Puis son regard se reposa sur le tableau et il comprit, enfin.

Mais comment était-ce possible ? Comment... Ma statue s'est brisée. Comment a-t-elle pu prendre vie, comment a-t-elle pu me retrouver ?

Sa vue se brouilla. Il pleura, il pleura, encore, et encore, un torrent de larmes brûlantes qui emportèrent tout avec elles, nettoyèrent tout, renversèrent tout. Et la fêlure, au fond de son cœur, se rouvrit enfin, libérant l'accès à son monde secret, à son cher jardin, libérant ses rêves, sa douceur, et tous les espoirs qu'il y avait enfermé. Contrairement à ce qu'avait cru Dress, il ne fallait pas colmater la brèche pour guérir Thamys de la noirceur et de la glace qui l'avait envahi. Il fallait l'ouvrir, il fallait le rendre vulnérable de nouveau pour le rendre capable d'aimer, il fallait le rendre capable d'être touché.

Au milieu de ses larmes, Thamys se rendit compte de ce qu'il avait fait. Du fond de sa dépression, aveuglé par sa douleur et sa colère, il avait chassé Dress. Il avait chassé celui qui incarnait tout ce qu'il était capable d'aimer et de chérir.

-Non... balbutia-t-il, soudain paniqué. Non... Je ne le perdrai pas encore, pas encore, pas cette fois...

Il sortit en trombe de sa maison, titubant légèrement sous l'éclat aveuglant du soleil. La dernière fois, c'était un autre qui lui avait enlevé sa tendresse. Cette fois, c'était lui, avec ses paroles inconsidérées, qui l'avait peut-être brisé, cassé, détruit, oh, Dress, Dress...

Il courut jusqu'au village, demanda partout si on l'avait vu. Les habitants étaient stupéfaits de la voir dans cet état, mais nul n'avait vu Dress (pour eux, il n'était que « le jeune homme si beau »). Thamys remonta jusqu'à chez lui, essoufflé, mais incapable d'arrêter. La panique lui donnait des ailes. Et s'il ne le trouvait pas ? Et s'il avait perdu sa chance, gâché cet incroyable miracle ? S'il était condamné à vivre seul, encore, toujours, jusqu'à la fin de sa vie ?

Il continua le sentier qui courrait vers l'est, toute une journée durant. De Dress, nulle trace. Désespéré, il s'assit sur le bord de la route pour pleurer.

Une ombre le recouvrit. C'était celle d'un voyageur tout de noir vêtu. Sa barbe broussailleuse et ses cheveux charbonneux lui donnaient un drôle d'air.

-Malion ? s'exclama Thamys, surprit.

-Lui-même, répondit Malion de sa voix grave et bienveillante en s'agenouillant devant lui. Thamys, tu dois faire vite. Tu dois le retrouver.

-Dress ? Renifla Thamys. Vous savez où il est ?

-Non, répondit à regret Malion. Mais... Écoute-moi bien. Lorsque ta statue a été brisée par cet abruti de Minolito, j'ai récupéré chaque morceau, dans l'espoir de pouvoir les réassembler. Je n'avais jamais rien vu d'aussi touchant que ton œuvre, Thamys. On dit que je suis un peu magicien. C'est tout à fait vrai. J'ai usé de mes pouvoirs pour rendre à ta création sa forme originale... Mais, voilà : l'incantation accomplie, ce n'est pas une statue qui se trouvait en face de moi, mais un véritable jeune homme, de chair et de sang. Il ne se souvenait pas de rien, à part de toi, ou, plutôt, d'un rêve qu'il faisait chaque nuit, où il enlaçait une personne aimée. Je ne lui ais rien dit, j'avoue ne pas connaître le protocole adéquat pour apprendre à quelqu'un qu'il était une statue. Mais à partir de l'instant où il a pris chair, il n'a pas arrêté de te chercher, Thamys, sans même savoir qui tu étais. Lorsqu'il t'a retrouvé, Thamys, j'ai senti qu'il était heureux, ou, du moins, qu'il pouvait l'être. Mais lorsqu'il t'a quitté... Que s'est-il passé ? Non, ne me réponds pas, ce ne sont pas mes affaires... Mais si tu désires l'avoir à tes côtés, tu dois le retrouver vite. J'ai peur que privé de raison de vivre, il redevienne statue. Tu ne sais vraiment pas où il pourrait se trouver ?

Thamys ne prit même pas le temps de répondre. Il sauta sur ses pieds et repartie à toute allure en direction de chez lui. Il se précipita dans la forêt, suivant son instinct plus que son esprit.

Il était là. À l'endroit où il l'avait surpris en train de peindre la première fois. Il était là, parfaitement immobile, la peau aussi blanche que du marbre, sous l'éclat de la lune. Il enlaçait un corps invisible, le visage penché vers lui.

Thamys s'approcha, le cœur au bord des sanglots.

La peau de Dress était froide et dure, comme du marbre.

Une larme coula sur la joue de Thamys. Il était si petit, soudain, perdu.

-Dress, murmura-t-il, Dress...

Dress ne bougea pas. Ce n'était qu'une statue.

Thamys se coula dans son étreinte. Son corps avait changé, mais il s'adaptait encore parfaitement aux bras immobiles de Dress. Étouffant un sanglot, Thamys plongea son regard dans celui de la statue, si froide, si impersonnelle...

-Pardon... murmura-t-il en fermant les yeux.

Plus rien n'avait d'importance. Il se blottit un peu plus contre le torse de Dress et s'endormit, déterminé à ne jamais se réveiller.

Une chaleur, sur sa joue, finit pourtant par l'éveiller. Il était allongé sur le sol.

Un corps était serré contre le sien, un corps vivant qui l'enlaçait. Il ouvrit les yeux.

Le visage de Dress était tout près du sien. Il le dévorait du regard, son regard si doux. Il ne disait rien.

-Je t'ai déjà dit que tu étais beau ? Murmura Thamys.

-Non, répondit Dress en souriant, les yeux chargés de larmes émues.

-Je t'ai déjà dit que tu étais à mes yeux ce que l'univers avait de plus précieux ?

-Non, répondit encore Dress, en pleurant franchement.

-Je t'ai déjà dit que je t'aimais ?

Dress l'embrassa.

Au début, le baiser fut doux et chaste. Puis Dress glissa ses doigts dans les cheveux de Thamys et entrouvrit ses lèvres pour l'embrasser plus fort, plus passionnément. Lorsqu'ils se séparèrent, haletants, Thamys lui adressa un regard aussi attendris que surpris.

-Eh bien, quoi ? Répondit Dress, légèrement sur la défensive. Je suis ta création, mais j'ai grandis, depuis... J'ai vécu. Je ne suis pas un objet, ou une statue passive...

-Heureusement, murmura Thamys en l'attirant à lui pour l'embrasser encore. Tu es quelqu'un.

-Et je t'aime, souffla Dress en cédant à ce nouveau baiser. Je t'aime, même sans le savoir, je t'ai toujours aimé... Cela ne changera jamais.

Ils restèrent longtemps enlacés sur l'herbe tendre.

Le lendemain, ils décidèrent de partir ensemble, quitter cette horrible maison, et trouver un endroit où vivre tous les deux, un endroit magnifique où il pourrait peindre, sculpter et s'aimer.

Bien sûr, les démons de Thamys n'abandonnèrent pas si facilement la partie, il y eut d'autres heures sombres où les rêves s'étaient enfuis, d'autres heures dures et froides, que seul Dress savait surmonter.

Ils vécurent heureux, pourtant, malgré tout ce que la vie a de cruel envers les artistes et les rêveurs.

Ils vécurent heureux, ensembles, jusqu'à ce que le temps les emporte, ne laissant derrière lui qu'une statue de marbre blanc. Un couple enlacé au milieu d'un baiser.

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