Le Sculpteur de rêves 2/3

Màu nền
Font chữ
Font size
Chiều cao dòng

Thamys n'écoutait pas les rumeurs.

Avec l'argent que lui avait gracieusement offert Malion pour le dédommager de sa perte, trois ans plus tôt, il avait acheté une petite maison, bien à l'écart d'un village lui-même minuscule, et n'en sortait que pour acheter le nécessaire vital, deux fois par mois.

Que faisait-il, le reste du temps ? Nul ne le savait vraiment. On racontait qu'il se livrait à la magie noire, qu'il était une plaque tournante de la contrebande, qu'il accueillait chaque nuit en son lit les créatures les plus sulfureuses... On ne lui prêtait jamais le beau rôle, dans ces rumeurs. À vrai dire, personne ne appréciait. Il était froid, sec, agressif, indifférent la plupart du temps, cruel et méchant, souvent. Il ne parlait à personne si ce n'était pour se plaindre ou lâcher une remarque acide, et n'avait jamais admis aucun être vivant dans sa demeure isolée. On se souvenait encore du chat de la Mère Penrous, qui avait pénétré dans sa cuisine. Il avait été retrouvé empoisonné avec de la mort au rat.

Bref, Thamys n'écoutait pas les rumeurs, personne ne lui adressait la parole de son plein gré, et c'est pour cela qu'il ne fut pas au courant de l'arrivée du voyageur.

Il arriva sans bruit, un peu après midi. Il marchait d'un pas leste, au rythme que creusait dans la terre son bâton de marche. Personne ne fit attention à lui, d'abord. Il portait un capuchon, ce qui n'était pas rare, pour se protéger du soleil, et une tunique large, salit par la poussière du voyage.

Il s'arrêta dans la seule auberge de la bourgade et s'adressa au patron.

-Bonjour, auriez-vous un repas, pour moi ?

Sa voix était chaude et douce, comme un après-midi ensoleillé. Le propriétaire de l'établissement – si on peut appeler ainsi une baraque au bord de l'écroulement – était un ancien pirate auquel il manquait un œil, une jambe et deux doigts. Il avait une voix rauque, dont il se servait à tort et à travers pour apostropher clients et employés, indistinctement.

-Un rien suffira, précisa l'étranger à la si douce, si merveilleuse voix. J'ai de quoi payer.

-Je vous en prie, répondit gentiment le pirate d'une voix apaisée. Mon mari de cuistot a prévu de trop grandes quantité, ce midi. Joignez-vous à nous. Je vous invite.

En d'autres circonstances, les clients étaient proprement estomaqués de voir ce gros dur, ce baraqué, faire allusion à son mari – qu'il appelait toujours « le bon à rien de la cuisine » – avec affection, et inviter – gratuitement !?! – cet inconnu à sa table.

-Seriez pas un peu sorcier, vous, par hasard ? s'enquit d'un air soupçonneux une femme aux épaules massives.

-Moi ? s'étonna le voyageur en se tournant vers elle.

Il retira son capuchon et lui offrit le plus merveilleux des sourires.

Le silence se fit. On n'avait jamais vu sur terre de créature plus pure et plus belle que cet homme-là, ce voyageur à la peau aussi pâle que le marbre, aux lèvres charnues, aimantes, aux boucles brunes, et aux yeux pétillants. Il n'y avait, dans toute sa personne, pas une once de malignité, pas un soupçon de méchanceté. C'était idiot, la femme le savait, c'était ridicule, le pirate se l'avouait, mais ce voyageur irradiait d'amour et de douceur.

-Chéri, lança le pirate au cuistot qui se trouvait encore en cuisine, tu veux bien apporter une assiette de plus, s'il te plait ?

Catastrophé, persuadé d'avoir mal entendu, le mari de l'aubergiste se précipita dans la grande salle.

-« Chéri » ?! Lâcha-t-il. « S'il te plait » ?

-Eh bien ? s'étonna le pirate. Ne fais pas cette tête. D'ailleurs... Janus, tu es très beau aujourd'hui. Tu es d'accord, pour l'assiette ?

Janus se mit à pleurer.

Par réflexe, le voyageur s'approcha et le prit dans ses bras.

-Il ne m'a pas montré la moindre affection depuis que nous avons cessé de naviguer, sanglota Janus dans le cou de l'étranger.

Attendri, le pirate pris son mari dans ses bras et l'emmena dans la pièce adjacente. Personne ne demanda pourquoi.

L'atmosphère avait changé, dans la salle. C'était comme si, en voyant ce parangon de tendresse, cette incarnation d'amour, chacun s'était retrouvé face à soi-même et à ceux qu'il désirait de plus cher. Tous le monde quitta l'auberge sur le champ, pour embrasser un amant, un ami, un parent, un frère ou une sœur. On compta au moins cinq demandes en mariage, ce jour-là, et plus d'une trentaine de déclarations passionnées en tout genre.

Le voyageur soupira et sortit de l'auberge le ventre vide. C'était toujours pareil. Personne ne l'écoutait, personne ne lui demandait jamais rien. Il était heureux d'aider les gens, il l'était sincèrement. Seulement, il y avait ce vide, au fond de lui, qu'il n'arrivait pas à combler... Il offrait sa tendresse sans distinction, à tous ceux qui en auraient besoin. Il consolait les plus démunis, il réunissait les amoureux, les amis, les parents. Mais lui n'avait ni amoureux, ni amis, ni parents. Il n'avait personne pour qui sa tendresse signifie quelque chose de particulier. Personne à chérir de manière singulière, à serrer contre lui pour son propre plaisir.

Alors il parcourait le monde, incapable de se fixer, incapable de trouver de quoi remplir ce manque, au coin de son cœur.

Il remit sa capuche et se rendit au marché, où il parvint à effectuer quelques achats sans attirer trop d'attention. Que faire, à présent ? Continuer à errer ? Si au moins il se souvenait de sa vie d'avant... Il avait peut-être une famille ! Mais au-delà de trois ans, tout se brouillait dans son esprit. Son dernier souvenir remontait à Maitre Malion lui expliquant qu'il l'avait retrouvé évanouis sur le pas de sa porte. Complètement amnésique.

Il soupira en rangeant ses pommes dans son sac.

-Oh, l'étranger ! l'apostropha la vendeuse. Tu m'as l'air d'être un voyageur, non ?

-En effet, répondit l'intéressé avec un grand sourire qu'elle ne pus pas voir, sous sa capuche, mais devina dans sa voix.

-Si tu repars à pied, évite le chemin qui va vers l'est.

-Le chemin de l'est ? Pourquoi ?

-Il y a une maison, au pied de la montagne, juste au bord du chemin. Celui qui y habite déteste à peu près tout le monde. Fais attention, s'il avait des chiens, il serait capable de les lâcher sur toi. Enfin, pour ça, il faudrait qu'il soit capable de cohabiter avec un autre être vivant sans lui vouloir de mal...

-Il est si méchant ? S'enquit le voyageur d'une voix ingénue.

-Il n'a pas une once de bienveillance dans le cœur, petit, c'est moi qui te le dis.

Le voyageur la remercia et la paya, pensif. Une drôle d'idée venait de germer au coin de son esprit.

Son problème, dans la vie, c'est que personne ne faisait réellement attention à lui. Il était trop beau, trop « pur », les gens qui le voyaient se mettait à rire, ou pleurer, et partaient embrasser leurs proches. Il n'avait jamais discuté avec personne. Il n'avait jamais ne serait-ce que donner son nom à personne ! Mais si cet individu était si mauvais, s'il ne recelait aucune part de bonté, s'il n'avait aucun proche... Alors c'était absurde, un peu désespéré, mais peut-être pourrait-il lui parler ?

Il enfila son sac son ses épaules et s'engagea sur la route de l'est.

Il ne mit pas longtemps à apercevoir la maison. C'était un simple carré sombre au milieu des arbres, d'une laideur admirable. Le voyageur faillit douter, mais se reprit. Quel que soit l'individu qui habitait là, il n'allait pas le tuer, tout de même, si ? Lui, tout ce qu'il voulait, c'était parler à quelqu'un.

Il s'avança jusqu'à la porte d'entrée et frappa, trois fois.

Aucune réponse.

Il frappa encore...

Silence.

-Bonjour ! Cria-t-il. Je m'appelle Dress ! Je suis un peu perdu...

-Va-t'en, lâcha une voix dans son dos.

Dress se retourna. L'individu qui lui faisait face était un homme à la silhouette sèche, émacié, aussi raide que la glace. Son visage était dur. Ses yeux bleus glaciaux. Dress déglutit et retira sa capuche.

-Je ne voulais pas vous causer de tort...

-Dégagez.

Le voyageur faillit sourire. C'était la première fois qu'on lui disait de dégager une fois qu'on avait vu son visage ! Ce curieux bonhomme était immunisé à l'amour. Parfait. Sauf que... Il n'allait pas pouvoir lui parler longtemps, dans ce cas...

-Vous êtes sourds ? Râla le froid personnage. Je vous ai dit de débarrasser le plancher ! Vous êtes devant chez moi.

Dress prit une grande aspiration. Il allait devoir se montrer agressif. Courage !

-Je... Je ne suis pas chez vous. Je suis... devant.

L'autre lui jeta un regard à congeler une bougie.

-Je suis un... artiste, bégaya Dress. Je viens peindre... la forêt. Voilà.

-Écoute, petit, je ne sais pas ce que tu fiches ici, mais tu n'es certainement pas un artiste. Tu as les mains trop propres et trop parfaites pour ça, et tu ne me feras pas croire que tu transportes tout ton matériel dans ce sac. Maintenant, on s'est bien amusé, mais tu peux dégager.

Dress lui jeta un regard surprit. Il avait l'air de s'y connaître, en matière d'artiste. Pourtant, ce n'en était certainement pas un. Il manquait, dans son regard, l'air rêveur qu'avaient tous les ceux qu'il avait rencontrés.

Alors qu'il était perdu dans ses réflexions, il sentit une main le pousser violemment sur le côté. Il tituba et se rattrapa in extremis au mur. Thamys le dépassa sans un regard, rentra chez lui et claqua la porte.

Une fois à l'intérieur, dans la pénombre qui enveloppait continuellement les lieux, il s'adossa au battant de bois et se laissa glisser jusqu'au sol, les yeux fixés sur ses mains tremblantes. D'étranges souvenirs revenaient à sa mémoire. Pourquoi, pourquoi maintenant ? Des lambeaux de souvenirs, des échos, des notes, des parfums... À la lisière de sa conscience, la sensation autrefois familière d'un monde imaginaire, perdu depuis longtemps. Il ferma les pieds, étouffant ces souvenirs d'une autre vie, d'un autre temps. Aujourd'hui, son esprit était vide, sec, ratatiné sur lui-même. Froid. Il n'y avait plus aucun héros, aucun chevalier, aucun prince à délivrer. Aucune muse, aucune fée. Rien.

Il se redressa lentement, traversa la pièce vide et sombre qui constituait la plus grande part de sa maison, et se rendit jusqu'à sa chambre, encore plus vide et plus froide.

Là, il s'abandonna aux bras de Morphée et plongea aussitôt dans les limbes du sommeil.

Des centaines de fragments de lune, éparpillés dans la pièce, tout autour de lui. Il est fragile, vulnérable, mais si léger, si léger... Sur le point de s'envoler. Ses mains s'agitent seules, exaltées par les musiques qui dansent dans son esprit.

Le visage d'un homme. Un homme à la peau pâle, comme le marbre, aux yeux mi-clos, aux lèvres entrouvertes, savourant un baiser imaginaire...

Thamys s'éveilla en sursaut.

-Le visiteur ?! Lâcha-t-il à voix haute.

Ses mots résonnèrent longuement dans la pièce vide avant de mourir.

~

Dress s'éveilla avec la rosée du matin. Dormir dehors en le dérangeait pas particulièrement. Il aimait contempler les étoiles en s'endormant et profiter de la brise passagère sur sa joue, comme un baiser du vent.

Tout en croquant dans la pomme qui constituerait son petit déjeuner, il explora les environs, au hasard, sans intentions précises. Il fut surpris de trouver, à moitié dissimulés dans les fourrés, une petite cabane. Dévoré de curiosité, il tira la porte à lui.

À l'intérieur, des piles de toiles prenaient la poussière, à côtés de sculptures couchées, parfois brisées, qui fixaient le vide. Tout respirait l'oubli, ici, la nostalgie, comme un vieux coffre à jouets sans enfants à côté.

Dress entra dans la cabane, attiré, presque malgré lui, par les œuvres abîmées. Un papier froissé, à moitié rongé par l'humidité, attira son attention. Il s'agissait d'une enveloppe. Le cachet était brisé, mais on voyait que s'était le temps, et non la main de l'homme, qui avait fait son office. Personne ne l'avait lu.

Poussé par quelque chose d'indéfinissable, Dress ouvrit la lettre.

-Thamys... lut-il à voix haute.

Le nom lui plaisait bien. Les sonorités roulaient sur sa langue, comme une douce friandise. Il reporta son attention sur la lettre. On n'en lisait plus grand-chose...

-Je suis désolé... Passion... abandonner ses rêves ? ... Jalousie...pardon... pardon... renvoie tes œuvres... ma faute... Tendresse... pardon... pardon...

Après ça, seule la signature était visible.

-Milateno.

Sans savoir pourquoi, Dress avait le cœur gros. Il avait l'impression qu'une tragédie s'était produite ici, quelque chose d'abominable, de si triste, et de si vain...

Son regard fit le tour de la pièce, glissant sur les œuvres empilées comme des déchets. Un établi attira son attention. Dessus se trouvait une caisse entrouverte, à l'intérieur duquel dormait quelques toiles de la meilleure qualité, des pinceaux à n'en plus savoir que faire, et des sachets de poudres à broyer.

J'ai dit que j'étais un artiste, songea Dress. Et si j'essayais ?

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen2U.Pro