CHAPITRE 3

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LÉNA


Les mains tremblantes, je place ma trousse en dernier dans mon sac. En refermant la fermeture éclair, j'ai l'impression de sceller mon destin. Cela me paraît si bizarre de retourner en cours, après un été aussi atypique.

Je m'observe tant bien que mal dans le miroir de mon iPad. Mes longs cheveux ne m'ont laissé aucun répit et j'ai dû longuement batailler pour qu'ils retrouvent l'aspect lisse qu'ils revêtent naturellement. La nuit ayant été agitée, un paquet de nœuds m'attendait au réveil.

Après avoir passé tant de semaines dans le même jogging que j'ai fini par jeter, tellement il me semblait imprégné du vice, j'ai presque pris plaisir à choisir mes vêtements, ce matin. Au début, j'étais réticente à fouiller dans ma commode, le goût de la mode m'ayant déserté. Puis, en fouillant mes pièces les unes après les autres, j'ai senti une petite étincelle se raviver, tout au fond de moi. Ce n'est pas grand-chose, mais c'est un début.

Ainsi, j'ai enfilé un petit chemisier blanc, accompagné d'un jean à la coupe boyfriend, que je n'ai pas encore eu l'occasion de porter. Je l'ai déniché chez Zara, mi-juillet et... peu importe. Le reflet de la jeune femme face à moi semble serein. C'est fou comme une image peut être trompeuse. Au moins, j'ai rempli mon objectif : ne pas attirer l'attention.

J'enfile ma paire d'Air Force One blanches, que tout le monde possède pour une bonne raison : il s'agit du meilleur basique de ces dernières années. Ces chaussures sont simples, belles, efficaces, abordables en termes de prix. Un carton plein, à mon sens.

— Bon j'y vais moi, je vais être à la bourre, me prévient Nadia. Mon cours commence dans cinq minutes.

Je jette un œil à ma montre. L'amphithéâtre où sera donné le coup d'envoi de mon année se situe non loin de notre chambre. Grâce à la visite guidée à laquelle je ne tenais pas vraiment à assister en premier lieu, je sais déjà où il se trouve ce qui me retire une certaine pression.

— Le mien dans un quart d'heures.

Hier, Nadia m'a montré où trouver nos emplois du temps. Je m'attendais à les récupérer au format papier, comme cela a toujours été le cas durant ma scolarité en France, collège et lycée confondus. Eh non ! Ici, nous vivons au vingt-et-unième siècle, tout se passe sur internet. Les facs de mon pays aussi doivent fonctionner comme ça, je suppose. Ou j'espère, pour leurs étudiants.

En accédant au site de Yale avec mes identifiants, reçus par e-mail il y a déjà deux semaines, j'ai pu obtenir toutes les informations qui me manquaient.

— On se retrouve ce midi pour le déjeuner. Et n'oublie pas de vérifier régulièrement ton emploi du temps sur internet. Ne te fie pas qu'à ta capture d'écran, il paraît qu'il y a toujours quelques couacs en début d'année et ils sont actualisés en temps réel.

Comme quoi, même une université aussi prestigieuse que celle-ci n'échappe pas à quelques problèmes de chevauchement entre les disciplines et les salles.

Nadia claque la porte en sortant et je me retrouve seule. Cela ne m'était pas arrivé depuis hier matin et moi qui pensais avoir besoin d'une solitude intense pour ne pas sombrer, je me demande si je ne me suis pas trompée. Enfin, disons que rester enfermée dans ma chambre, la plupart du mois d'août n'a pas été une option. Je ne pouvais pas faire autrement.

La faim n'existait plus, la soif se faisait rare. Plus aucun intérêt ne m'animait et la compagnie des autres me révulsait. Mes parents se sont beaucoup inquiétés et ont fait appel à leur généraliste, pas moins de deux fois en deux semaines. Il en a conclu que j'avais sûrement une forme d'intoxication alimentaire sévère. Rien de grave, mais je ne mangerais pas grand-chose pendant un moment.

S'il savait...

Mes mains tremblent plus fort depuis la sortie de Nadia. La solitude, cette alliée qui m'a permis de survivre quelques temps, a changé de camp. À présent, elle n'œuvre plus en ma faveur et me retrouver sans personne à mes côtés est douloureux. L'angoisse s'amplifie, ma respiration se saccade. Avant de sombrer dans une crise qui me déboussolerait complètement, je place l'anse de mon sac sur mon épaule puis je quitte la chambre à mon tour.

Université de Yale.

Cours de littérature.

Livres.

Lecture.

Cette liste mentale m'aide à focaliser mon esprit sur ce qui m'attend en ce début de matinée et à le détourner de l'anxiété.

Perdue dans mes pensées, je marche dans le couloir sans trop prêter attention aux gens autour de moi quand soudain, je percute quelqu'un. Mon épaule heurte violemment une autre, mais visiblement sa résistance semble plus accrue que la mienne car elle me projette un mètre en arrière. Mon sac tombe de mon épaule et, mal fermé, laisse échapper un manuel de littérature comparée. Par chance, les autres sont restés bien sagement à l'intérieur, m'évitant la scène clichée de la cruche par excellence qui perd le contrôle de la totalité de ses affaires (souvent si nombreuses qu'elle pourrait en remplir trois casiers à elle toute seule).

— Tu peux pas faire attention ?! tonne une voix rauque.

Sans même regarder cette personne, je me suis déjà accroupie pour ramasser mon bouquin — oui parce qu'aucun gentleman ne se situe dans le périmètre pour s'en charger à ma place et finaliser le cliché — tout en balbutiant :

— Dé... désolée...

Je me redresse et fais face à deux iris bleu clair qui me sont aussi familiers que les cheveux bruns et mi-longs fendus en deux dans leur milieu, bordant un visage hâlé à l'air farouche. Une peau dépourvue de défaut, un nez assez prononcé mais pas trop épais, des sourcils foncés et légèrement broussailleux, une bouche pulpeuse sans être ostentatoire : ces traits crayonnent le portrait d'un mannequin qui se serait perdu sur la route d'un shooting photo.

Même ses fringues semblent appuyer cette idée. Il porte un marcel blanc qui moule un torse dont je devine les courbes musclées, surmonté de son blouson à l'effigie de l'équipe de lacrosse. Sa taille est marquée par un chino beige à la coupe droite, dont le bout de la ceinture marron tombe négligemment sur le haut de sa cuisse. Une paire de Dr Martens complète le style travaillé jusqu'au bout des doigts. Enfin, jusqu'au départ de ses phalanges, constellées de bagues aux styles variés. La plupart couleur or sont assez discrètes mais deux en particulier sortent du lot. Une chevalière au joyau ébène, sur l'annulaire gauche et une tête de mort en acier gris anthracite sur l'index droit.

Le souffle coupé devant cette vision extatique, je reconnais le type qui s'est déjà moqué de moi et semble appartenir à la fraternité dont j'ai découvert l'existence samedi : Apocalypsis.

Le gars dont je ne connais toujours pas le prénom me toise de la tête aux pieds, des éclairs sortant de ses yeux. Ma douce rêverie s'interrompt et je me retrouve sur la défensive.

Son regard se pose finalement sur le manuel que je viens de ramasser et il commente d'une voix moins brutale que je ne l'aurais cru :

— Littérature comparée ? Tu ne te serais pas trompée ?

Méfiante, je rétorque :

— Je suis peut-être maladroite, mais je sais encore pourquoi je me trouve ici !

Il hausse les épaules, puis il se tourne une seconde vers ses potes avant de reporter son attention sur moi, ses traits prenant une teinte hilare.

— Tu devrais penser à une réorientation en archi. Tu m'as l'air de détenir toutes les qualités d'un bon bulldozer. Fitzgerald et Wilde n'ont qu'à prendre garde !

Ils éclatent tous de rire tandis que je me raidis. L'angoisse gonfle en moi, je la sens gagner du terrain jusqu'à devenir presque omniprésente.

— Si tu as un peu de temps libre, ils auraient besoin d'aide à la bibliothèque de littérature pour démolir une vieille cloison.

Le fou rire se poursuit, sans le moindre respect pour moi. Je me sens complètement paralysée face à ce type qui a débarqué dans mon existence comme un boulet de démolition, pour rester dans sa stupide métaphore.

Puis brusquement, comme si l'angoisse n'était rien de plus qu'un comburant, elle s'embrase et la fureur prend le dessus.

— Si tu ne veux pas que je démolisse ce que t'as entre les jambes, à ta place je la fermerais. Une castration est si vite arrivée.

Ses amis ricanent un peu moins, lui conserve toujours cet arrogant sourire au coin des lèvres. Toutefois, je lis en lui la surprise d'avoir trouvé du répondant.

— Si tu veux mon avis, ajouté-je, te priver de descendance ne serait pas une grande perte. Ce serait plutôt un cadeau à l'humanité.

Sur cette réplique cinglante, je tourne les talons puis m'éloigne fièrement dans le couloir, le torse bombé. Une satisfaction intense coule dans mes veines, après avoir remis ce type à sa place. C'est comme si je m'étais libérée temporairement de mes chaînes et cela m'a fait un bien fou.

En revanche, je me suis éloignée sans réfléchir et j'ai emprunté la mauvaise direction. C'est malin ! Maintenant, si je veux rejoindre mon amphi sans croiser ce gros con je vais devoir faire un détour et je risque d'arriver en retard.

Je pèse le pour et le contre. Après tout, je viens de l'affronter dignement, je pourrais très bien repasser près de lui.

Non, je ne peux pas.

Tout courage m'a déserté et visiblement, mon comburant semble arriver à sec. L'angoisse se trouve toujours là, tapie dans l'ombre, attendant son heure. Or elle n'a plus l'emprise nécessaire à prendre le contrôle, ni même à booster mes autres émotions. Dépourvue d'audace, de colère, ou de quoi que ce soit d'autre, je retombe dans ma volonté de discrétion. À nouveau, ça s'engage mal si je commence à me faire des ennemis un peu partout.

J'emprunte une tout autre sortie que celle prévue à l'origine puis je contourne deux bâtiments pour rejoindre mon amphithéâtre, tout en pressant l'allure pour ne pas arriver en retard. Si je m'en tiens aux films et séries, les enseignants s'en moquent si nous arrivons en retard, pas vrai ?

Peu rassurée, j'accélère encore tout en prenant garde à ne pas trébucher. Il ne manquerait vraiment plus que ça pour que ma journée soit au comble de la perfection.

Parvenue devant les portes noires, je pousse doucement celle de droite pour ne pas me faire remarquer au cas où le cours aurait déjà commencé.

1 : le cours a bel et bien commencé.

2 : la porte vient de grincer dans un bruit à en réveiller un mort.

3 : tout l'amphi (au moins une centaine de personnes pour ce que je peux en juger) se retourne vers moi.

4 : la vraie vie ne correspond pas aux films et séries.

Le maître de conférences, un vieux type ratatiné portant un monocle comme s'il s'était auto-proclamé critique de peinture rare du dix-septième siècle m'avise, tout en bas. Je viens visiblement d'emprunter une entrée qui mène au point le plus haut de l'espace d'étude, les sièges descendants vers l'homme qui déclare :

— En retard le jour de la rentrée pour votre tout premier cours ? Vous commencez bien l'année, mademoiselle...

Le feu me monte aux joues, sous la pression de tous ces regards qui me jugent sans me connaître.

La pause marquée dans la phrase m'indique que je suis censée compléter à sa place.

— de Clermont-Germain. Léna !

— Eh bien, on accusera le jetlag pour cette fois. Assurez-vous d'acheter une montre pour mon prochain cours, ma patience a des limites.

Je me faufile jusqu'à la rangée la plus proche pour m'installer sur un siège fonctionnant sur le principe des strapontins, comme dans le métro. J'ai eu l'occasion de le prendre des milliers de fois, à Rennes et occasionnellement à Paris.

Tandis que je sors mes affaires, le monde semble se désintéresser de moi et je me concentre tant bien que mal sur le début du cours.

— Comme je le disais, bienvenue à toutes et à tous à l'université de Yale. Vous me désignerez sous l'appellation Sir Henry.

Il commence à expliquer de quelle manière il a obtenu ce titre de noblesse britannique, mais je ne parviens pas à me concentrer sur ses paroles.

Mon cœur bat encore la chamade, sous l'effet d'un trop plein d'émotions successives. Je n'arrive pas à me détacher de l'altercation que je viens d'avoir dans le couloir. Je devrais m'en vouloir de m'être déjà fait remarquer, alors que je ne cherche qu'à rester discrète pour mener une existence se rapprochant le plus possible de la tranquillité, si tant est que ce soit possible. Pourtant, je n'y arrive pas. Tout ce que je ressens, c'est une profonde colère qui après s'être estompée n'a pas tardé à revenir au galop.

Le visage du type aux yeux bleus revient flotter dans ma tête et mon estomac se contracte. Je ressens une furieuse aversion pour lui, jusqu'au fond de mes tripes et je ne connais même pas son prénom. Comment est-il possible d'être aussi arrogant et... agaçant et... désagréable et... canon.

Je m'arrête un instant sur ce dernier mot. Cerise sur le gâteau, non content d'être un abruti fini, ce garçon possède le physique le plus sublime que j'ai croisé depuis bien longtemps. Je n'ai pas exactement eu le temps de détailler ses traits mais tout chez lui semble dépourvu du moindre défaut. Jusqu'à ses deux mèches de cheveux, qui tombent négligemment des deux côtés de son visage. Ce genre de coupe de séducteur de base irait sûrement à 0,3% de la population et il faut qu'il en fasse partie.

C'est indéniable, ce type est un avion de chasse. Ce qui le rend encore plus détestable à mes yeux. Je voue une haine profonde aux gens qui se croient supérieurs aux autres parce que la nature leur a offert une plastique agréable.

— ... comme vous pourrez le constater à la page trois-cent-dix-sept de votre manuel.

Je sors de ma rêverie en prenant la phrase de Sir Henry en plein milieu. Non seulement l'autre imbécile m'a conduite à arriver en retard mais en plus, maintenant, il me distrait dans mon travail.

Il va falloir te ressaisir, ma petite Léna.

— Vous réaliserez vite que j'ai la fâcheuse tendance de ne pas suivre le programme dans l'ordre. Je bondis de connexion en connexion au fil des opportunités, c'est là toute la richesse de la littérature et croyez-moi, votre sens critique en sera plus affûté que jamais quand j'en aurai fini avec vous.

À nouveau, je décroche et je dois lutter contre moi-même pour me débarrasser des deux billes bleutées qui me hantent.

À la fin du cours, je contemple ma prise de note désastreuse. Sir Henry parle tellement vite que j'ai dû écrire comme une souillon pour suivre le rythme. Des trous s'étendent partout sur les quatre pages manuscrites que j'ai prises, signe de mes déconcentrations fréquentes, inopinées et incontrôlables.

— Je veux que vous ayez lu le premier opus de la série The Leatherstocking Tales de James Fenimore Cooper pour la semaine prochaine.

Je note brièvement cette info dans l'angle de ma feuille, déjà illisible. Les autres étudiants travaillent tous sur un ordinateur portable et je commence à comprendre pourquoi. La prise de note sur support informatique était interdite dans mon lycée, aussi je n'en ai jamais pris l'habitude. Là, je crois que je vais devoir investir si je ne veux pas perdre le fil. Quand je vois le niveau de difficulté qui s'annonce, dès le premier cours...

Quand je quitte l'amphithéâtre, je songe encore au garçon avec lequel je me suis embrouillée dans le couloir. Cette scène m'a tellement happée que je n'arrive même plus à me focaliser sur le monde autour.

Pourtant, au fond de moi, une autre conséquence sommeille. Car, sans même que je le remarque, les élans de colère qu'il me provoque ont doucement effacé l'angoisse, le temps d'une heure.

Une heure supplice.

Une lueur esquisse.

Une heure salvatrice.


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