Grâce à Nino, le moral d'Adrien était bien remonté dans la journée du vendredi. Ils avaient parlé de jeux vidéo, de musique, et évoqué leurs projets pour le week-end qui arrivait. Nino avait imité Mme Mendeleïev, faisant rire son ami aux larmes. Cela n'avait pas empêché Adrien de suivre du coin de l'œil les déboires d'Alya, confrontée à la fâcherie de Marinette et à la réprobation sourde des autres élèves. Il trouvait assez juste que la blogueuse soit elle aussi rattrapée par le malaise qu'avaient causé ses révélations.

De retour chez lui, il s'assit à son bureau et examina la situation d'un œil plus serein que les jours précédents. Soit, il n'était pas en grâce auprès de Marinette/Ladybug. Mais maintenant qu'il avait l'occasion de la fréquenter plus assidûment, il pouvait tenter sa chance.

Pour commencer, il fallait qu'il identifie le garçon qu'elle aimait et à cause duquel elle le repoussait. Déjà, existait-il ? Il n'avait pas l'impression que Marinette sortait avec quelqu'un. (Ok, jusque-là, il n'avait pas non plus deviné qu'elle était Ladybug.) Finalement il décida que le garçon existait réellement. Elle n'avait pas besoin de l'inventer pour le repousser. Il lui suffisait de dire qu'elle ne l'aimait pas (ce dont elle ne s'était pas privée, se remémora-t-il le cœur serré).

Donc elle était amoureuse d'un autre. Et là, deux cas de figure : soit elle ne sortait toujours pas avec lui (l'aurait-il repoussée ?), soit elle le voyait en secret (dans ce cas elle devait avoir un emploi du temps aussi compliqué que le sien).

Hypothèse numéro 1 : Marinette était amoureuse d'un garçon qu'il ne connaissait pas

Hypothèse numéro 2 : Marinette était amoureuse d'un garçon qu'il connaissait.

Adrien se pencha sur l'hypothèse numéro 2 : c'était la seule sur laquelle il avait prise. Parmi les garçons qu'il la voyait fréquenter, y en avait-il un avec lequel elle se comportait différemment ?

Luka ? Adrien avait bien remarqué qu'elle lui plaisait, et il avait eu la vague impression qu'elle n'était pas insensible à l'intérêt qu'il lui portait. En tout cas, elle était moins naturelle avec lui qu'avec les garçons de la classe. Était-ce seulement parce qu'elle le connaissait moins et parce qu'il était plus âgé qu'eux ?

Il se souvint du jour où la bassiste de Jagged Stone avait été akumatisée. Était-ce pour cacher ses sentiments que Marinette n'avait pas proposé Luka quand le chanteur avait demandé un bassiste ? Elle lui avait ensuite confié le Miraculous du serpent (en second choix, il est vrai).

Marinette pouvait tout à fait sortir discrètement avec Luka sans que personne de la classe ne le sache. Si Juleka était au courant, elle ne le révélerait pas forcément. Elle n'était pas une grande bavarde. Adrien eut soudain le cœur lourd. Que pouvait-il faire contre lui ? Au moins, Luka était un type bien, tenta-t-il de se réjouir pour sa partenaire.

Adrien allait en rester là quand une idée le traversa. Ladybug lui avait dit qu'elle aimait un autre garçon AVANT de rencontrer Luka ! Ce n'était donc pas lui. Il respira mieux.

Qui, alors ?

Ivan ? Elle l'avait aidé à gagner le cœur de Mylène. Nino ? Elle ne semblait pas contrariée que ce soit le petit copain de sa meilleure amie. Nathaniel ? Il était manifestement intéressé par elle, mais cela ne semblait pas être réciproque. Kim ? Rien à signaler. Marc ? Elle l'avait aidé à collaborer avec Nathaniel mais il ne semblait pas l'intéresser particulièrement. Max ? Rien à signaler.

Il n'avait aucun d'indice pour trouver le garçon mystère. Marinette avait des relations normales avec tous les garçons, hormis lui-même, et...

QUOI ?

Alors que son rythme cardiaque partait au grand galop, Adrien tenta de maîtriser ses pensées qui partaient dans tous les sens.

Marinette souvent incapable de terminer ses phrases et tenant des propos incohérents quand elle lui parlait.

Marinette dont il s'était souvent demandé si elle le considérait comme un ami compte tenu des messages contradictoires qu'elle lui adressait.

Marinette qui semblait toujours trébucher ou faire tomber des choses quand il entrait dans son champ de vision

Marinette qui s'était montrée incapable de jouer contre lui la veille au basket.

Mais pourquoi ne s'en était-il pas rendu compte avant ? Parce qu'à chaque fois qu'il s'en était étonné, Alya ou Nino lui avait dit qu'il se faisait des idées. Ah bravo les copains !

Mais pourquoi Alya parlait-elle maintenant ?

Adrien se leva et se positionna devant sa fenêtre.

Donc, jusqu'à maintenant, Alya et Nino aidaient Marinette à cacher ses sentiments pour lui, parce qu'ils pensaient qu'il ne s'intéressait pas à elle (ce qui était vrai). Mais Alya avait désormais compris que Marinette/Ladybug lui plaisait beaucoup... mais que tant qu'ils ignoraient leur identité secrète, cela ne pouvait pas marcher. Donc elle les avait pris tous les deux à part pour leur expliquer ce qu'elle avait deviné, en espérant débloquer la situation.

Adrien arborait maintenant un très large sourire. Ainsi, sa Lady avait des sentiments pour lui, assez forts pour lui faire perdre tous ces moyens en sa présence et lui faire repousser le mec génial qu'il était en Chat Noir !

Ça, c'était la meilleure nouvelle de l'année ! Au moins aussi géniale que la bague qui lui permettait de fuir cette chambre morne et glaciale. En y pensant, il irait bien se dégourdir les pattes pour évacuer le regain d'énergie que lui donnaient ces revigorantes pensées. Il regarda l'heure sur son téléphone. Il lui restait une demi-heure avant le dîner.

— Plagg, transforme-moi !

oOo

Adrien avait émotionnellement été sur les montagnes russes tout le week-end (et avait au passage déçu son professeur de piano, désespéré Vincent le photographe, et fortement décontenancé Nathalie par ses sautes d'humeur).

Quand il pensait au raisonnement qu'il avait tenu le vendredi soir, son cœur se mettait à chanter et il souriait béatement. Malheureusement, la vie lui avait appris qu'entre ce qu'on espérait de tout son cœur et la réalité, il y avait un gouffre qui ne se laissait pas aisément franchir. Sa mère ne reviendrait jamais, il ne devait pas attendre de son père un regard affectueux, et les sentiments de Marinette pour lui ne reposaient que sur des suppositions hasardeuses.

Il se pouvait donc qu'elle soit amoureuse de Luka (ils avaient pu se rencontrer plus tôt que ne le croyait Adrien), l'être d'un autre garçon inconnu, ou amoureuse de personne. En tous les cas, ne pas s'intéresser à lui. Et là, le moral d'Adrien plongeait en chute libre.

Il se demanda comment sortir de cette incertitude. Car il en était certain : il préférait savoir que c'était cuit plutôt que de continuer à se poser la question. Mais pour autant, il ne se sentait pas le courage de faire sa déclaration à Marinette. C'était une chose de le faire avec un masque (même à une personne aussi fantastique que Ladybug) et une autre de se mettre à nu, le visage découvert. Il comprenait pourquoi Marinette n'avait jamais osé lui parler de ses sentiments (il se félicitait qu'elle ne l'ait pas fait : cela lui aurait fait de la peine de la repousser).

Donc il voulait savoir, mais il avait la trouille de demander. (Eh bien oui, on ne peut pas être un héros tous les jours ! Et que ceux à qui cela ne plaisait pas aillent combattre les vilains à sa place !)

Heureusement, il avait une carte joker.

oOo

Le lundi matin, Adrien se prépara rapidement, avala son petit déjeuner à toute allure et houspilla son chauffeur pour avancer l'heure habituelle du départ. Arrivé avec un bon quart d'heure d'avance, il alla dans la cour au lieu de monter directement en classe. Comme il l'espérait, Nino et Alya s'y trouvaient, appréciant de se voir en tête à tête en début de journée.

Il fonça sur eux, prit la main d'Alya et l'entraîna en disant :

— Désolé, Nino, je te l'emprunte une minute.

Il attira la blogueuse jusqu'à un coin de la cour et lui fit face. Elle ne paraissait ni étonnée ni indignée. Plutôt amusée.

Ouais, c'est ça, rigole !

Il prit une grande inspiration et demanda :

— Si je demande à Marinette de sortir avec moi, à ton avis, elle va accepter ou je vais me prendre une tôle ?

Alya sourit. Elle se rapprocha d'Adrien, se haussa sur la pointe des pieds pour mettre sa bouche à la hauteur de l'oreille de son camarade, et chuchota simplement :

— Fonce !

Puis elle le contourna pour rejoindre son amoureux. Adrien monta en classe avec une expression radieuse.

oOo

— Alya, tu n'arrêtes donc jamais, protesta Nino quand elle le rejoignit.

— C'est lui qui est venu me chercher, se justifia Alya. Et il est d'excellente humeur, cette fois.

— C'est pas grâce à toi ! C'est moi qui ai dû lui remonter le moral vendredi.

— Et ce matin, c'est mon tour. Et d'ici peu, ce sera Marinette.

— Tu ne peux pas laisser tomber ?

— On en reparle d'ici un jour ou deux, proposa Alya d'un ton tellement assuré que Nino secoua la tête et proposa de se diriger vers la classe.

oOo

Marinette arriva juste une minute avant le début du cours (elle était en net progrès). Adrien, Alya et Nino étaient déjà installés. Adrien lui sourit quand elle passa devant lui, et en réaction, elle fit tomber son cartable qui s'ouvrit. Chloé fit une remarque désagréable et Adrien se pencha pour redonner à Marinette sa trousse qui avait roulé jusqu'à ses pieds.

— Ne fais pas attention à elle, lui chuchota-t-il.

— Mer... merci balbutia Marinette, morte de honte.

Étrangement, Alya n'avait pas son air désolé habituel devant sa maladresse. Elle arborait un petit air satisfait. Marinette renonça à comprendre. C'était trop compliqué pour un lundi matin.

oOo

Adrien rongea son frein toute la journée. Il n'allait quand même pas lui faire sa déclaration au milieu de la cour. Il tenta d'agir comme d'habitude, mais il le pouvait s'empêcher de la suivre du coin de l'œil. C'est fou comme elle était à l'aise pour parler avec les autres. Par contre, elle était réellement très maladroite. Apparemment, seul son costume la guérissait de ce handicap. Mais il s'étonnait moins d'avoir reçu son yoyo sur la tête les premières fois qu'ils avaient combattu ensemble.

C'est à regret qu'il rentra chez lui pour déjeuner (il fallait bien rentabiliser le chef étoilé qui officiait chez lui). Ce n'était pas la première fois qu'il pestait de ne pas pouvoir profiter de la pause méridienne pour rester avec ses amis. Ce jour-là, c'était une occasion de perdue de trouver un moment en tête à tête avec Marinette.

En fin d'après-midi, quand la professeure donna le signal du départ, il se retourna et dit à sa voisine de derrière :

— Tu pourrais m'aider pour le devoir de français de demain ?

— Je... tu crois ? répondit Marinette visiblement stressée.

— Je peux venir chez toi pour le composer ?

— Mais... ta voiture ne vient pas te prendre ?

— J'ai dit que j'allais travailler chez un ami. J'appellerai pour rentrer chez moi.

— Tu as besoin d'aide, Adrien ? s'immisça Chloé. Tu peux venir avec moi, si tu veux. Mon chauffeur te raccompagnera.

— C'est gentil, Chloé, répondit aimablement Adrien, bien qu'il soit agacé par l'interruption, mais Marinette a déjà accepté.

— Ah bon ? Ah oui... oui, bien sûr, bredouilla la déléguée de classe.

— Allons-y, alors, proposa Adrien.

Alors qu'elle rangeait fébrilement ses affaires, il remarqua qu'ils étaient le point de mire de toute la classe. Il pouvait comprendre que cela intéresse Alya et Nino, au titre de meilleurs amis, mais les autres ? N'avaient-ils pas mieux à faire ? À parier ? put-il ajouter en voyant Kim et Alix parlementer en les regardant.

Alors que Marinette et lui se dirigeaient vers la sortie, il comprit soudain pourquoi tout le monde paraissait passionné par son invitation : ils savaient tous que Marinette s'intéressait à lui depuis des mois. Mais quel imbécile aveugle il avait été !

Il était presque aussi rouge qu'elle quand il franchit la porte de la classe.

oOo

Ils passèrent par la boulangerie avant de monter chez Marinette. Sa mère sourit à Adrien et donna un panier avec des viennoiseries à sa fille. Sa camarade parut gênée par cette attention, mais Adrien la remercia chaleureusement. Ils montèrent les escaliers en silence, puis grimpèrent l'échelle de meunier qui menait à la mansarde servant de chambre à Marinette. Il y était déjà venu pour s'entraîner à la compétition entre collèges d'Ultimate Mecha Strike.

Manifestement, Marinette avait eu le temps de réfléchir durant leur trajet. Une fois sa trappe refermée, elle se tourna vers lui et demanda :

— Tu as vraiment besoin d'aide pour le devoir, ou tu voulais me parler ?

— Je voulais te parler, mais je ne dis pas non pour que tu m'aides pour le résumé.

— D'accord. Qu'as-tu à me dire ?

Adrien la regarda, intimidé. Elle avait pris à la fois le ton, mais aussi l'attitude de Ladybug. Il se sentit totalement incapable de lui parler de ses sentiments. Mais lui aussi pouvait basculer en Chat Noir.

— J'ai pensé, puisqu'on est dans la même classe, qu'on pouvait s'entraider pour couvrir nos absences, improvisa-t-il. Si on ne peut pas sortir discrètement, que l'un de nous fasse semblant de se sentir mal et que l'autre l'emmène à l'infirmerie, par exemple.

— Oui, c'est une bonne idée, reconnut Marinette. Et puisque nous avons nos numéros de téléphone, on pourra aussi se joindre, même quand nous ne sommes pas en costume.

— Comme ça, tu pourras m'appeler jour et nuit ! la taquina Adrien.

À sa grande stupéfaction, cela la fit instantanément basculer en mode « Marinette ».

— Non, non, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, protesta-t-elle en faisant des moulinets de bras.

Malheureusement, elle n'avait pas encore posé le panier de viennoiseries et fit voler les croissants. Elle fit un pas en avant pour les rattraper et se prit les pieds dans son cartable qu'elle avait posé à terre. Instinctivement, Adrien s'avança, l'attrapa par le coude et lui rendit son équilibre, comme il l'avait déjà fait une centaine de fois en tant que Chat Noir.

Au lieu de reculer immédiatement, comme il le faisait habituellement, il la garda contre lui.

— C'est bon, Chat, tu peux me lâcher, fit machinalement Marinette reprenant son intonation de Ladybug, avant de tourner la tête vers lui.

— Je suis Adrien, répondit-il quand il rencontra son regard.

Elle sursauta et rougit. Il vit sa respiration s'accélérer. Ils restèrent quelques instants sans bouger, leurs deux corps proches à se frôler, la main d'Adrien toujours posée sur le bras de Marinette. Pas réellement une étreinte, mais pas une posture neutre non plus.

— Tu as compris, finit-elle par constater.

— J'ai émis des hypothèses, corrigea-t-il. Je t'ai dit à plusieurs reprises ce que je ressentais pour toi. Cela n'a pas changé maintenant que je sais qui tu es. À présent, que tu sois Marinette ou Ladybug, tu en fais ce que tu veux.

Quelques secondes s'écoulèrent. Puis Marinette, comme si elle abandonnait un combat contre elle-même, laissa sa tête basculer en avant et fit reposer son front contre l'épaule de son partenaire. Adrien sentit son cœur faire un grand bond. Il fit glisser sa main vers le dos de Marinette et la fit venir encore plus près contre lui. Il sourit en sentant les mains de sa Lady se poser doucement contre ses omoplates.

Alors qu'ils se serraient doucement l'un contre l'autre, Adrien se dit que sa mère ne reviendrait pas, que son père ne le regarderait jamais avec amour mais que, parfois, ce que l'on espère de tout son cœur peut devenir réalité.

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Et voilà, c'est terminé.

La semaine prochaine on enchaîne sur une histoire très différente. D'ici là, portez-vous bien et faites attention à vous.