Chapitre 2

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15 janvier 2021
136 jours

J'avais toujours détesté la vie que je menais. Dès mon plus jeune âge, j'avais compris que je vivais dans une prison, que ce qu'on essayait de me mettre en tête n'étaient que des mensonges, pour que je reste docile. Très rapidement, j'étais passée entre les mailles du filet que Monsieur Kerberton tendait au-dessus de nos têtes. J'avais déjoué chaque piège, évitant alors de finir comme toutes mes sœurs : une poupée sans raison, sans volonté propre. J'avais dû mettre ma rancœur de côté et me forcer à voir toutes ces filles souffrir durant leur éducation, se transformant plus ou moins vite pour devenir des Dolls. Je les avais vu connaître les coups jusqu'au sang, les touchers déplaisants des hommes venant dans la boutique, entendu les phrases rabaissantes qui atteignaient nos oreilles. J'avais subi comme elles, tout en restant lucide, sachant que ce que je vivais était tout bonnement injuste. Je m'étais de nombreuses fois demandée à quoi servait ma vie et pourquoi je devais continuer à survivre dans ce monde cruel ; et une réponse m'était apparue comme un ange tombant du ciel :

Elle.

Juste elle.

Juste le simple fait de la voir devant moi me donnait envie de me battre pour sa liberté.

Mon cœur battait pour elle.

Mes poumons se gorgeaient d'air pour elle.

Mes pensées cherchaient un moyen de changer les choses, pour elle.

Elle était devenue mon monde, le jour où elle avait franchi le seuil de ma chambre pour devenir ma colocataire. Et ce jour-là, j'étais tombée pour elle. Je l'avais ainsi protégée comme je le pouvais. J'espionnais secrètement Monsieur Kerberton lorsqu'il s'entretenait avec elle et compris bien vite qu'une étrange relation s'était tissée entre eux, couvant un secret que j'avais fini par déchiffrer. Et alors, j'avais tout fait pour qu'il ne la fasse jamais partir de Domination's scent, car, même si c'était l'enfer ici, elle était plus en sécurité entre les quatre murs qui couvraient nos cris, que dehors où n'importe qui pouvait la blesser.

Dehors, loin de moi.

Et il fallait avouer que j'avais cru qu'elle resterait toujours à mes côtés, jusqu'au jour où elle fut vendue à Jimin Park. Ce fut un déchirement. Elle n'avait montré aucune détresse ou bien même de la joie, puisque comme toutes les autres, c'était une normalité d'être achetée par un homme ; et de mon côté, je n'avais pu faire preuve de colère ou bien de peur face à sa situation. Impuissante, je l'avais vu se préparer à partir. Même pire, je l'avais aidée à s'habiller et à se coiffer, ainsi que se maquiller. Pour moi, le jour de son départ, elle avait été la plus belle femme au monde. Et ce fut encore plus douloureux de la laisser s'éloigner de moi.

Personne ne pouvait l'aimer plus que je ne l'aimais. Personne ne pouvait la protéger mieux que je ne le faisais. Personne n'allait pouvoir la voir comme la plus belle des merveilles du monde comme elle apparaissait à mon regard. J'avais appris le manque de sa personne. Le manque de sa présence dans notre chambre. Le manque de ses lèvres sur les miennes. Sa joie d'enfant qui avait laissé place à son éducation de Doll, puis à un silence affreux dans la pièce qu'on partageait. Et finalement, ce fut mon tour de quitter Domination's scent. J'étais ravie, car cela me donnait une occasion de partir à sa recherche. Seulement, je n'avais pas prévu de me retrouver avec un démon... N'ayant jamais été punie physiquement lors de mon apprentissage de poupée, je découvris la souffrance, qu'elle soit physique ou bien mentale. Et surtout, j'avais compris ce que voulait dire l'expression "toucher le fond".

J'avais voulu mourir. Et elle m'avait sauvée en apparaissant de manière surprenante dans ma vie. Et j'en tombais encore plus amoureuse. Je me fis la promesse de ne plus jamais la lâcher, de ne plus jamais la voir souffrir et de toujours la protéger. Malheureusement, je n'avais servi à rien... Et ce qui me brisait le cœur, c'était de voir que j'avais été remplacée par un incapable : Jungkook Jeon. Ma rancœur à son égard était sans limite. Je ne pouvais pas me le voir en peinture après ce qu'il avait osé faire à Crystal. Deux fois de suite il l'avait trahie. Et j'allais lui faire regretter ses choix... J'allais prendre soin de Crystal, comme j'aurais toujours dû le faire. Maintenant que nous étions libérées des chaînes de Domination's scent, j'allais pouvoir lui montrer l'amour que je lui portais et la protéger de tous les maux du monde.
« Saphir ? Entendis-je quelqu'un frapper contre la porte de ma chambre. »

Assise sur le bord de mon lit, je relevai mon regard vers le battant tandis que mes mains s'affairaient à attacher ma chevelure noire en un chignon vite fait. Une femme d'une quarantaine d'années entra dans ma pièce personnelle, simplement habillée d'un jean clair et d'une chemise blanche en dentelle. Ses prunelles d'un vert émeraude se posèrent sur moi et ses lèvres teintées de rouge s'étirèrent légèrement.
« Ils seront bientôt là, me prévint-elle simplement.
- J'arrive. »

Je la vis m'attendre au seuil de la porte, sans me quitter du regard. Je terminai rapidement de me nouer les cheveux avant de me lever du lit et de la rejoindre. Ensemble, nous prîmes un couloir qui nous mena à un petit escalier en bois que nous descendîmes. Nous traversâmes le salon-salle à manger et arrivâmes devant la porte d'entrée. Puis, nous attendîmes en silence, la brune les bras croisés sous sa poitrine, quant à moi le dos droit et les mains qui ne savaient plus où se mettre.

Elle allait revenir. J'allais la revoir, enfin.
« Détends-toi Saphir, m'apostropha doucement mon aînée.
- Je n'arrive pas... Cela faisait deux semaines qu'on la recherchait... soupirai-je avec une grimace.
- Et maintenant, elle revient à la maison. Il nous faudra l'accompagner dans l'épreuve qu'elle va subir.
- Comment faites-vous Ava ? Osai-je soudainement demander.
- Faire quoi ? Lança-t-elle en arquant un sourcil.
- Vous supportez tout cela... Je veux dire, vous avez vécu plus longtemps que moi et vous avez vu tant d'horreur... Et pour Crystal... tentai-je de m'expliquer maladroitement.
- Je me dis qu'en me battant, j'arriverais peut-être à changer les choses. Donc je ne dois pas abandonner et tenir le coup. Puis, il y a toujours de bonnes personnes dans ce monde. Des personnes comme toi Saphir, termina-t-elle avec un maigre sourire, qu'elle perdit bien vite. Les voilà. »

Toutes deux, nous reportâmes notre attention sur la porte d'entrée, qui peu de temps après, laissa apparaître deux autres silhouettes dans notre champ de vision. La première, un homme d'une grande taille, blond au sévère regard d'acier surmonté d'une paire de lunettes, charismatique et élégamment habillé d'un costume gris. La seconde, une jeune femme frêle, au visage froid mais magnifique à mes yeux, maigre et simplement vêtue d'une robe courte rouge qui dévoilait outrageusement ses jambes, sa poitrine et le bord de ses fesses.
Namjoon et Crystal.
« Mesdames, pardonnez-moi de mon retard. Il m'a été assez difficile de la faire sortir de Domination's scent, déclara solennellement Kim.
- Le plus important, c'est que tu aies réussi à la libérer, répondit Longhess en se rapprochant de ma cadette. »

Pour ma part, je restais figée sur place, sans pouvoir détacher mes iris de la pitoyable figure de mon amie. J'étais horrifiée par son apparence. Dans mes souvenirs - même si l'épisode Damien l'avait marquée - elle était différente : elle avait plus de chair au niveau des joues, une expression joyeuse au niveau de ses traits et dans ses billes colorées, un engouement qu'elle avait découvert avec sa liberté. Celle qui se trouvait devant moi me déchirait le cœur. Fragile, obscure, vide. Crystal semblait sur le point de s'effondrer à tout moment et pourtant, le simple fait de la voir être une Doll de nouveau devant moi démontrait que rien ni personne ne pouvait la briser mentalement. Elle ne ressentait plus rien.
« Cr-Crystal ? Fis-je d'une voix tremblante. »

Ses yeux cristallins vinrent se poser sur moi, avec désintérêt, ce qui me fit l'effet d'un coup de poignard dans la poitrine.
« Bonjour Saphir. Je ne savais pas que tu étais au service de Monsieur Kim, dit-elle sur un ton platonique. »

J'allais répliquer quelque chose, même la secouer pour qu'elle réagisse autrement, mais je fus stoppée dans mon élan par Namjoon qui déposa sa paume sur mon épaule.
« Ne lui en veux pas Saphir. Garde ta colère pour Kerberton, me contint-il sérieusement. Paul est arrivé ? Interrogea-t-il par la suite la brune.
- Il nous attend au sous-sol. Tu es sûr de toi ? Tu es sûr qu'on va devoir passer par-là ? Continua-t-elle en serrant fortement le tissu de son chemisier entre ses mains.
- Nous n'avons pas le choix. Le temps presse, nous ne pouvons plus nous permettre d'attendre qu'elle se réveille d'elle-même. Cependant, je ne vous cache pas que cela ne sera pas une partie de plaisir, pour elle comme pour nous, termina-t-il en portant son intérêt sur moi.
- Je le sais... fis-je avant de me pincer les lèvres. Mais je veux y assister. »

Il acquiesça en silence avant d'inviter Crystal, qui était restée muette jusqu'à maintenant, à avancer dans la maison lui appartenant. Nous lui emboîtâmes le pas une fraction de seconde après. Nous arrivâmes au niveau du sous-sol où, comme la discussion précédente le mentionnait, un homme nous attendait. D'une taille moyenne, légèrement en surpoids, châtain aux yeux bleus, Paul patientait en lisant un dossier médical qu'il tenait dans ses mains. Paul Odeville, psychiatre dans un hôpital de Paris et surtout, hypnotiseur. C'était pour cette dernière raison qu'il avait été demandé ici.
« Merci d'avoir pu te déplacer aujourd'hui Paul, le salua Namjoon en lui tendant la main.
- Tu semblais être pressé, répondit ce dernier en serrant sa paume contre la sienne. C'est donc cette jeune fille la fameuse Crystal ?
- Oui. Tu penses pouvoir inverser la manipulation psychique de Kerberton ? L'interrogea cette fois-ci Ava.
- Toute hypnose a sa faille. On va la trouver, puis on la libérera de son asservissement, assura-t-il en pointant du doigt la chaise qui se trouvait derrière lui. »

Nous portâmes tous notre regard sur la châtaigne qui était restée en retrait, toujours parfaitement droite et d'un calme olympien. Le dirigeant d'entreprise lui tendit sa main qu'elle prit sans aucune hésitation, avant d'être dirigée vers le siège. Elle s'y plaça et peu de temps après, le docteur vint accrocher ses chevilles aux pieds de la chaise, ainsi que ses poignets aux accoudoirs, sans que pour autant cela n'affecte ou bien inquiète la jeune femme. Ava me prit par la main et m'emmena dans un coin de la pièce, assez reculé pour ne pas que Crystal focalise son attention sur nous, mais assez près pour qu'on puisse assister sans problème à ce qui allait suivre. On éteignit les petits spots placés sur les murs avant d'allumer la grande lumière, se trouvant juste au-dessus de la position de la poupée. Une lumière aveuglante, d'une blancheur dérangeante, mais qui pourtant n'avait qu'un diamètre réduit de luminescence.
« Nous allons commencer, annonça Paul en appuyant sur le haut de son stylo pour en faire sortir la mine. Comment te sens-tu Crystal ? Questionna-t-il ma cadette sans pour autant porter ses yeux sur elle. »

Seulement, elle ne lui répondit pas. Pour ma part, ce ne fut pas une surprise, ni pour Ava ou Namjoon qui ne laissaient rien transparaître, mais pour le médecin, l'étonnement pouvait se lire sur ses traits faciaux.
« Tu as le droit de lui répondre Crystal, l'autorisa Kim sur un ton posé.
- Je vais bien, répondit-elle aussitôt.
- Parfait, acquiesça-t-il accompagné d'un hochement de tête. Au fur et à mesure de la discussion, je te demanderai si tu te rappelles de certaines choses. Si c'est le cas, tu devras me dire ce que tu ressens. Réponds comme tu peux à mes questions. Tu as compris ?
- J'ai compris.
- Commençons. Tu t'appelles Crystal et tu es une Doll. Vrai ?
- Vrai.
- Ta date de naissance ?
- D'après la fiche dans le classeur de dépôt, je serais née le 21 juin 2000.
- Tu as déjà été vendue à un homme, mais tu as été ramenée à Domination's scent. Vrai ?
- Vrai.
- Qui était cet homme ?
- Je ne sais pas. »

Voilà, nous étions confrontés au premier obstacle. L'absence de souvenir sur sa vie passée. Kerberton avait bien pris soin de faire une remise à zéro complète. D'un côté, j'étais ravie qu'elle ne se souvienne plus de Jeon, mais d'un autre côté, cela voulait dire qu'elle restait prisonnière de la boutique.
« Est-ce que le nom de Jungkook Jeon te dit quelque chose ? Continua Paul, pas le moindre du monde perturbé.
- Non.
- Je vois. Je sais à présent comment on va procéder, soupira-t-il en ouvrant le dossier qu'il tenait dans sa main. Ava, pouvez-vous m'amener la bassine, s'il vous plaît ? »

La quarantenaire redressa la tête à l'entente de son nom et hocha la tête en s'exécutant par la suite. Elle lui donna ce fameux bassin rempli d'eau et de glaçons, dans lequel nous pouvions voir un tissu flotter. Il attrapa ce dernier dans sa main, sans pour autant l'essorer et refit face à la jeune détenue.
« Voilà comment on va procéder Crystal. Je vais te raconter des évènements de ton passé, tu essaieras de t'en rappeler et si tu n'y arrives pas, je t'aspergerai le visage d'eau glacée, expliqua-t-il calmement.
- Me rappeler ? Mais je dois me rappeler de quoi ? Fit-elle en penchant légèrement la tête sur le côté.
- De ta vie avant d'avoir été ramenée à Domination's scent. Je tiens à m'excuser d'avance, cela ne va pas être plaisant. Comme la méthode pour les remises à zéro nécessite une torture mentale et physique, du moins c'est ce que j'ai cru comprendre, je vais devoir mettre tes nerfs à rude épreuve, termina-t-il dans un triste soupir. »

Alors que mon cœur se serrait d'appréhension, le visage de la plus jeune semblait ne refléter aucune peur. Elle avait compris qu'elle allait être torturée, pourtant, cela ne l'affectait aucunement. Et je haïssais Monsieur Kerberton pour avoir réussi à leur mettre en tête que leur vie importait peu, voire pas du tout. Le scientifique regarda tour à tour les personnes présentes dans le sous-sol, annonçant par ce simple geste qu'il allait commencer ce que nous redoutions tous. Puis, lentement, il reporta toute son attention sur sa patiente.
« Tu t'appelles Crystal et tu es la favorite de Hans Kerberton. Tu as été achetée le 1er septembre 2020 par Jimin Park, pour devenir un cadeau d'anniversaire destiné à Jungkook Jeon.
- Je ne sais pas, fit-elle simplement.
- Souviens-toi, répliqua-t-il en lui balançant à la figure de l'eau glacée, ce qui la fit sursauter de surprise. À ton arrivée à la demeure de Jeon, ce dernier n'était pas satisfait de te voir et avait même dit que tu ne lui servirais à rien, continua-t-il sans quitter les prunelles cristallines de la châtaigne.
- Ce n'est pas possible. Tous les hommes rêveraient posséder une Doll, dit-elle posément.
- Souviens-toi, redit-il en effectuant le même geste glacé, avec plus d'onde dans le tissu. »

Je voyais la peau de mon amie se parsemer de frissons, de chair de poule et de spasmes irréguliers. Pourtant, elle montrait un calme parfait sur son visage. Sa respiration se faisait lente et régulière, tandis que ses paupières clignaient de temps en temps, signe qu'elle n'était pas sujette à de la panique.
« Tu as essuyé de nombreuses défaites au début de ton service avec Jeon. Il te rejetait et tu n'avais aucune possibilité de faire ton travail de poupée correctement.
- Je suis la favorite de Monsieur Kerberton, je ne faillis jamais à ma tâche.
- Souviens-toi. Il refusait de te toucher et tu ne pouvais pas feindre le plaisir. Alors il t'a obligé à en ressentir. C'était même devenu un marché entre vous.
- Une Doll n'a pas le droit de ressentir du plaisir, elle doit seulement utiliser la simulation.
- Souviens-toi. »

Énième attaque froide, plus violente que les précédentes, puisque cette fois, le tissu vint rencontrer la peau de son faciès dans une claque humide, me faisant alors grincer des dents. Je n'appréciais pas de savoir qu'elle allait être torturée ainsi, mais le voir utiliser la violence montait la colère en moi. Ce qui me gênait aussi, c'était de voir qu'il semblait connaître chaque point clé de la vie de Crystal. Comment avait-il eu ces informations ? Avait-elle été sous surveillance depuis sa première sortie de Domination's scent ? En observant les deux autres témoins de la scène, il était clair que j'étais la seule pour qui ce flot d'informations choquait. Les énumérations de la vie de ma cadette se succédèrent et les "souviens-toi" suivis de leur punition physique s'enchaînèrent au même rythme. Au début, je pensais que cela ne rimait à rien puisqu'elle ne semblait afficher aucune émotion. Seulement, lorsqu'il raconta qu'elle avait failli mourir puisqu'une personne avait attenté à sa vie, elle laissait transparaître dans ses iris du doute. Et c'était une bonne chose pour nous.
« Tu t'es un jour retrouvée dans une fête foraine, parce que Jeon avait voulu t'y emmener en te faisant passer pour une femme libre.
- C'est... C'est impossible. Une Doll ne... ne peut cacher sa nature, laissa-t-elle entendre hésitante.
- Souviens-toi, répéta-t-il toujours avec le liquide glacé. Tu es un jour allée à Fem avec Jeon et Park. Tu y as vu l'horreur de notre triste réalité, des enfants forcés à donner leur corps. Et aussi, tu as failli y laisser la vie, cependant, Jeon t'a sauvée en tuant ton agresseur. Par la suite, il t'a promis de ne jamais te laisser tomber.
- Et pourtant, il l'a fait... murmura-t-elle si bas que peut-être elle n'avait pas dit cela. Je n'ai pas pu aller à Fem, les poupées y sont interdites d'entrer.
- Souviens-toi. »

Cette fois-ci, je vis sa mâchoire se serrer et les veines de son cou commencer à ressortir. Elle ressentait, de ce que je voyais, de l'énervement. Il fallait que l'on continue sur cette voie. On parla de sa première rencontre avec Ava et Namjoon, de sa supercherie pour aider Hoseok à savoir où se trouvait sa jumelle, de la tentative infructueuse de Jeon de la faire quitter le pays. Tout cela, elle avait tenté de le nier maladroitement, apportant des explications et répliques bancales. Elle était de plus en plus fiévreuse. Je pouvais le voir à sa respiration qui devenait sifflante, à la teinte rouge qui s'était installée sur ses pommettes - et pas à cause des coups de torchon -. Elle souffrait d'un mal inexplicable. Elle se perdait dans ses mots, bégayant étrangement. Parfois, elle acquiesçait ce qui avait été raconté tantôt, avant de nier plus fortement. Elle secouait de plus en plus la tête, tirant sur les liens qui retenaient ses poignets et ses chevilles. Plus le temps passait, plus elle ressemblait à un animal prisonnier qui tentait de sortir de sa cage.
« Tu ne t'y attendais pas, mais tu es finalement tombée amoureuse de lui, annonça gravement Paul.
- C'est faux ! Cria-t-elle en se débattant soudainement. Je ne connais pas cette personne ! Je ne comprends pas pourquoi vous vous essoufflez à me raconter une telle histoire ! Ce n'est pas la mienne !
- Souviens-toi, l'ignora-t-il.
- Non ! Je ne veux pas me souvenir ! Refusa-t-elle en grimaçant de douleur.
- Souviens-toi, répéta-t-il sans pitié accompagné de sa torture. Tu es tombée amoureuse de lui et tu étais prête à tout lui donner. Jusqu'au jour où il t'a trahie...
- Arrêtez ! Hurla-t-elle en le coupant dans sa phrase, les yeux écarquillés d'horreur. Ne dites pas un mot de plus !
- Il t'a trahi en t'échangeant sans pitié contre un contrat, avec Damien Graham. »

Ce nom me hérissa les poils au niveau de la nuque, quant à Crystal, je pus voir qu'elle était presque sur le point de vomir de dégoût mélangé à de la terreur. Mais pour elle, cela semblait être un véritable cauchemar vivant. Devant nous, elle était en train de vivre une profonde et terrifiante catabase. Ses pupilles s'étaient écarquillées, quant à sa silhouette, cette dernière tremblait affreusement. Elle perdait toute contenance, tout ce stoïcisme qui était naturel chez les poupées. Ses dernières barrières avaient, une seconde fois, été brisées par ce Damien Graham qui représentait tous nos démons. Et pourtant, c'était cet homme qui enfin nous montrait qu'on se rapprochait de notre objectif : ramener Crystal.
« Tu as vécu un enfer sans nom, reprit-il son récit, impassible.
- Arrêtez, je vous en supplie... Arrêtez ce supplice, implora-t-elle.
- Tu y as rencontré la mort de tes sœurs là-bas, ainsi que la souffrance, mais surtout... Tu as été violée, continua-t-il en gardant son regard figé dans celui fuyant de la châtaigne. »

Un hurlement soudain s'échappa de la bouche de cette dernière. Elle laissait la douleur présente dans ses souvenirs s'exprimer, la dévastant sous son passage. Je pouvais voir la sueur se former sur son front en multitudes de gouttelettes qui vinrent tracer leur chemin sur le pont de son nez, pour finir en cascade vertigineuse vers le sol. Cela m'était insupportable de la voir comme ça. Et même si je me disais que c'était "pour son bien" de lui faire vivre cette expérience, je nous trouvais abominables d'accepter qu'elle souffre ainsi. Elle secoua plus fortement ses bras, souhaitant sûrement arracher les liens qui la retenaient.
« Après l'épisode de Graham, Jeon t'a récupérée et suivi alors une sombre période de traumatisme, reprit posément Paul.
- Plus un mot ! Plus un mot ! Cria-t-elle avec rage.
- Tu as pensé que Jeon avait changé parce qu'il était différent avec toi, plus attentionné. Alors tu as décidé que tes sentiments pouvaient refaire surface. Tu as fini par donner ton corps à Jeon.
- Fermez votre gueule ! »

Je ne reconnaissais plus ma jeune amie devant moi. Ce n'était que la représentation même de la colère et de la dévastation. Était-ce normal qu'elle se transforme ainsi ? Pour avoir une réponse à ma question intérieure, je cherchais le regard de Namjoon qui observait la scène, adossé contre le mur, les bras croisés sur son buste. Il capta tout de suite ma recherche de contact visuel et sembla même comprendre ce qui me dérangeait, puisqu'il acquiesça simplement avant de détourner ses iris gris vers la victime de ce supplice.
« Nous approchons d'un dernier segment de ta vie Crystal, prévint le scientifique.
- Je ne veux pas l'entendre ! Je ne veux plus rien entendre ! Refusa-t-elle en secouant énergiquement la tête.
- Jeon est reparti pour une semaine en voyage d'affaires. Seulement, Park qui devait rester avec toi t'a ramenée à Domination's scent.
- Mais pourquoi vous me faites ça ? Pourquoi me briser ainsi ? Je n'en peux plus ! S'époumonna-t-elle.
- Tu es restée deux semaines à Domination's scent. Jeon n'est jamais venu te récupérer...
- Arrêtez, je vous en prie, sanglota-t-elle en fermant si fort ses poings que ses ongles finirent par trancher la chair, laissant couler des filets de sang sur sa peau.
- Jeon n'est jamais venu, répéta-t-il cette fois avec pitié pour la jeune femme. Il t'a une seconde fois abandonnée... »

Le silence vint s'installer dans le sous-sol. Un silence fébrile, brisé par le souffle saccadé de la poupée. Ses sanglots transpercèrent nos cœurs. Je voulais me jeter à ses côtés et la prendre dans mes bras, mais le regard que me jetait Ava m'en dissuadait. Ce n'était pas encore le moment.
« Est-ce que tu te souviens de tout ce que je viens de dire ? L'interrogea doucement Odeville. Crystal, est-ce que tu te souviens ? Répéta-t-il lorsqu'il ne reçut aucune réponse de sa part.
- Laissez-moi mourir... articula-t-elle finalement en baissant la tête.
- Est-ce que tu te souviens Crystal ? Ignora-t-il sa réplique.
- Je ne veux plus vivre ... Laissez-moi tranquille, termina-t-elle en relevant son visage. »

Nous fûmes tous surpris par l'action qu'effectua soudainement Paul. Il attrapa entièrement la bassine et la vida d'un coup en pleine face de la jeune femme. Cette dernière s'exclama de stupeur et de douleur face à la claque glaciale.
« Dernière fois que je me répète. Te souviens-tu Crystal ? Est-ce que cette vie qui est la tienne alimente ta colère ? Est-ce que tu te souviens du début et de la fin de ta présumée histoire ? Demanda-t-il plus froidement, comme énervé.
- Oui ! Oui je m'en rappelle et ça me tue ! Répondit-elle en le foudroyant du regard. »

Nous nous étions tous arrêtés de respirer face à sa réponse, à cette colère bouillonnante dans ses prunelles pourtant si froides. Elle se souvenait. Crystal nous était revenue, et pourtant, je ne l'avais jamais sentie aussi loin. J'avais l'impression qu'à tout moment, elle nous échapperait. Et comme si mon mauvais pressentiment s'avérait juste, je vis ses yeux se révulser et son corps tomber vers l'avant, avant d'être retenue par les liens qui l'empêchèrent de chuter de sa chaise.
« Crystal ! Criai-je en me précipitant vers elle.
- Ce n'est rien ! S'exclama en retour Paul, tendant sa main dans ma direction. C'est un contrecoup des flots de souvenirs qui lui sont revenus. Elle a besoin de repos, pour qu'elle puisse assimiler ces informations, termina-t-il en faisant signe à Namjoon de s'approcher. »

Tous deux s'affairèrent à la libérer, avant que le plus grand des deux hommes ne la prenne dans ses bras et ne la porte en dehors du sous-sol.
« Vous êtes très proche d'elle Saphir... Elle aura extrêmement besoin de votre soutien, s'adressa pleinement à moi Odeville.
- Je ne la lâcherai pas, assurai-je en fronçant les sourcils. Je ne suis pas Jeon. »

Sur ces mots qui avaient ravivé ma haine envers l'ancien Maître de ma cadette, je quittai à mon tour la pièce, remontant au rez-de-chaussée d'un pas droit et assuré. Je savais où j'allais pouvoir retrouver la châtaigne. J'arrivai à l'étage et me dirigeai vers la chambre qui se trouvait tout juste en face de celle qui m'avait été attribuée. Avant même que je ne puisse abaisser la poignée, cette dernière s'inclina d'elle-même et laissa apparaître sur le seuil Kim.
« Comment va-t-elle ? L'interrogeai-je en le voyant refermer le battant après sa sortie.
- Elle n'a pas encore repris connaissance... Mais je suis sûre qu'elle doit être troublée, cela se lit sur son visage, répondit-il en s'adossant contre le mur, croisant les bras sur son torse peu de temps après. Je suis désolé que tu aies dû assister à cela, ajouta-t-il en me fixant du coin de l'œil.
- Ne t'excuse pas, tu m'avais prévenue qu'on n'avait pas d'autres choix et que cela serait difficilement supportable, pour elle comme pour nous, soupirai-je en remettant une mèche derrière mon oreille.
- Paul a raison sur un certain point. Tu seras son seul repère ici. Elle va avoir besoin de toi durant les prochains jours surtout.
- Tu n'as pas besoin de me le rappeler. J'ai failli à ma tâche trop de fois, mais cela ne recommencera plus. Elle a trop souffert alors qu'elle n'a que vingt ans. Je ne laisserai plus personne lui faire du mal, même si je dois en perdre la vie, assurai-je froidement.
- Elle a de la chance de t'avoir, déclara-t-il en posant sa main sur mon épaule.
- Non... Je suis chanceuse de l'avoir... le corrigeai-je en passant à côté de lui avant de rentrer dans la chambre. »

Je me retins de claquer la porte, ne voulant pas réveiller l'inconsciente qui était allongée dans le lit, la couverture remontée sur le haut de sa poitrine. Cela me faisait souffrir de la voir dans cet état avec cette grimace presque fiévreuse sur son visage aux traits tendus de douleur et de peine. Doucement, je me rapprochai de son lit et vins m'asseoir sur le bord du matelas. Je retirai mes chaussures et me glissai par la suite délicatement sous la couette. La tête installée sur mon oreiller, je me tournai à demi pour observer mon amie endormie. Elle semblait plus fragile que dans mes derniers souvenirs, plus pâle et plus fatiguée... mais elle n'en restait pas moins belle à mes yeux.

Je l'avais retrouvée.

Elle était là, à mes côtés en ce moment.

Je n'allais pas la laisser partir.

J'allais devenir ce rempart contre la cruauté de notre monde...

Avec un faible sourire, je portai ma main à sa joue que je caressai du revers de mes doigts, avec la plus grande tendresse du monde. Je sentis sa peau frissonner sous la mienne, puis, lentement, je vis ses paupières se soulever. Ses iris cristallins restèrent quelques secondes perdus dans le plafond au-dessus de nos têtes, avant qu'elle ne les fasse dériver dans ma direction. Peu de temps après, je sentis ses doigts se joindre aux miens et un maigre sourire se dessiner sous ma main qui se trouvait encore sur sa joue.
« Saphir, articula-t-elle faiblement.
- Oui... Je suis là, acquiesçai-je avec un sourire heureux. Je suis là et je ne te lâche plus, assurai-je en me rapprochant d'elle. »

Elle fit pivoter son corps dans ma direction. Quand nos yeux s'ancrèrent les uns dans les autres, je pus tout y lire : la joie de se revoir, la douleur de se souvenir du reste. Et là, elle se mit à pleurer. Je détestais voir ces larmes tracer leur chemin sur ses pommettes. Je détestais voir son sourire disparaître sous un triste étirement disgracieux de ses lèvres.
« Il... Il n'est jamais venu... sanglota-t-elle en venant se réfugier dans mes bras. »

Elle n'avait pas besoin de mettre un nom sur la personne, je savais très bien de qui elle était en train de parler. Je la serrai alors fortement contre moi, enfouissant mon visage dans sa chevelure pour en respirer son parfum.
« Je sais que c'est ignoble de te dire ça, mais oublie-le, laissai-je entendre dans un murmure.
- C'est impossible... Il est gravé en moi, répliqua-t-elle difficilement. C-comment il va ?
- Crystal...
- Ne me mens pas. Je sais que vous avez des informations sur lui, alors dis-moi comment il va, insista-t-elle, me fixant de ses yeux larmoyants. »

Pourquoi voulait-elle souffrir plus ? Elle venait tout juste de s'échapper de la manipulation mentale de Monsieur Kerberton... Elle devait se laisser du temps... Mais je voyais à son regard qu'elle en avait besoin. Elle devait savoir, pour par la suite prendre une décision vitale. Alors, pour l'aider, je devais lui répondre sincèrement, sans transformer la réalité. Et par la suite, j'allais être là pour lui laisser mon épaule sur laquelle elle allait pouvoir pleurer autant qu'elle le voudrait.
« Il est rentré de son voyage d'affaires et a repris son activité dans son entreprise. Il n'a pas semblé partir à ta recherche et même, d'après nos sources, il aurait recommencé à fréquenter le Bordel des plaisirs, avouai-je en caressant doucement le dessus de sa tête. »

Aucune réaction de sa part. Et pourtant, je savais que cela devait être un véritable carnage dans son cœur. Jungkook Jeon l'avait oubliée, bien plus rapidement qu'elle n'allait le faire.
« Merci pour ta sincérité, dit-elle finalement avant de se pincer les lèvres.
- Ne le laisse pas te briser à nouveau Crystal. Il ne mérite pas l'intérêt que tu lui portes, tentai-je de la remotiver.
- Ce n'est pas un simple intérêt Saphir... Je l'aime... Tu sais ce qui me tue ? C'est que je souhaiterais maintenant de ne plus m'en souvenir. Je ne veux plus l'aimer et quand j'étais à Domination's scent, c'était le cas parce qu'il n'existait plus dans ma vie. Mais... Mais maintenant, il hante à nouveau mes souvenirs ! S'écria-t-elle en serrant les poings. Je l'aime à en crever ... Je l'aime et c'est une torture ! Je veux que ça cesse ! S'agita-t-elle.
- Crystal ! M'exclamai-je en la retenant contre moi. Du calme... Tout va bien se passer ...
- J'en ai marre de souffrir à cause de lui Saphir... Pourquoi faut-il que j'aime les mauvaises personnes... Celles qui m'abandonnent sans regret ? Pleura-t-elle dans mon cou.
- Crystal... soupirai-je tristement.
- S'il te plaît... Je t'en supplie... Reste avec moi... Ne m'abandonne pas toi aussi... lâcha-t-elle d'un ton déchiré. »

Mon cœur se brisa sous sa demande et mon étreinte se fit alors plus forte, plus rassurante et chaude. Je déposai un baiser sur son front avant de prononcer ma promesse :
« Toujours. Je serai toujours avec toi. »

Elle se trompait. Elle me portait peut-être un amour différent du mien, mais moi, je n'allais pas la laisser tomber.

Lorsqu'on aimait sincèrement et simplement une personne, on donnerait sa vie pour la voir ne serait-ce que sourire. 

Bonjour ou bonsoir tout le monde ! 

Et voici et voilà le chapitre 2 ! Plus long que le précédent et surtout il permet de revoir Crystal ! 

Étonnés que cela soit un point de vue de Saphir ? En parlant de ma petite Saphir adorée, qu'est-ce que vous en avez pensé de sa manière de voir le monde ? Est-ce que vous êtes surpris qu'elle soit en réalité amoureuse de Crystal ? Que pensez-vous que cela va engendrer dans le reste de l'histoire ? Est-ce que vous avez remarqué qu'elle s'adresse au vouvoiement à Ava et le tutoiement avec Namjoon ? Une idée de pourquoi ? 

Concernant Crystal. Ma petite chérie est de retour mais dévastée ! Est-ce qu'elle réussira à reprendre sa vie en mains ou se laissera-t-elle dépérir ? Pensez-vous qu'elle reverra Jungkook ? 

D'ailleurs, il s'en ait pris plein la tête notre Jaykay haha ! Des choses à dire sur lui ? 

J'espère que ce chapitre vous aura plu et que vous avez hâte de voir le prochain ! Je vous dis donc à bientôt, le 18 septembre 2024 (ou plus tôt si j'ai réussi à écrire deux chapitres dans le mois !)

À bientôt mes petits loups ! 

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