~[III/29]~

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Livre III : Chapitre 29


Larrow ne se souvenait pas d'avoir jamais eu les mains tremblantes en tenant une arme entre ses mains. Pas une seule fois.

Lorsqu'il tenait une arme, n'importe laquelle, entre ses doigts, c'était toujours avec une justesse et une fermeté exemplaire. On l'admirait pour son calme même lorsqu'il était dans les situations les plus extrêmes. On l'applaudissait pour avoir su tirer avec la plus grande précision alors qu'il était dans une position terriblement désavantageuse. On le croyait imperturbable, déterminé et froid.

Il l'avait toujours été.

Peu importait la cible ; le moment ; le contexte. Lorsqu'il avait une arme dans la main et quelqu'un devant lui, et pour but de tuer cette personne, ses gestes devenaient maitrisés, précis, automatiques. Menés par les années d'entraînement et de pratique acharnés. Cette capacité à opérer avec une précision proche de celle d'un chirurgien l'avait sauvé dans beaucoup de situations improbables. Et il ne laissait jamais ses sentiments prendre le pas sur sa raison. C'était une règle d'or pour lui. Même lorsque c'était Abel qu'il avait pour mission de tuer, il avait eu beau fléchir un instant, il avait enfoncé Draksaura dans son ventre avec une grande justesse, s'assurant automatiquement de percer les organes vitaux pour qu'il s'agisse d'une mort rapide et relativement indolore. Ses mains n'avaient pas tremblé, pas un seul instant. Abel était tombé à terre, immédiatement achevé, sans avoir à agoniser. Même si l'on pourrait qualifier ses nombreuses années à être contrôlé mentalement comme une affreusement longue agonie à laquelle il avait mis un terme.

Alors il resta un instant perplexe lorsqu'il remarqua que ses mains tremblaient autour du pistolet en visant Lym du canon.

Troublé, il regarda ses doigts, trop serrés et donc loin d'être efficaces, qui tremblaient comme des feuilles. Voilà qui ne lui était jamais arrivé depuis qu'il avait commencé ses exercices de tir à Eleuth. Trembler, hésiter, c'était éventuellement perdre sa cible. Échouer. Bref, ne pas accomplir sa mission. Et c'était inimaginable. Pour lui, c'était une éventualité qui ne lui venait presque jamais à l'esprit.

À présent, il avait une mission. Ou du moins, il essayait de voir la situation comme une autre de ses nombreuses missions, mais son cerveau, qui était d'habitude si chirurgicalement précis et détaché, refusait tout court. Il refusait de voir « tuer Lym » comme une mission. Il refusait de voir Lym comme une cible. Il refusait de presser la détente. Même s'il savait pertinemment que c'était la bonne chose à faire, la plus raisonnable, la plus logique.

Il savait qu'il avait quelques instants pour se reprendre en main ; Cave ne raterait pour rien au monde l'occasion de monologuer un peu devant Lym. Et, comme il s'y attendait, l'auctor afficha un air sérieux mais triomphal en faisant face à celle qui avait été son élève mais qu'il ne voyait à présent que comme une ennemie.

- Vous avez vraiment cru pouvoir me cacher à tout jamais ce que vous êtes ? Ce dont vous êtes capable ? Je sais que vous êtes une Irisa, Alley. Je sais tout. Et vous et vos amis me l'avez caché, tout ce temps.

- Qui... ? commença Lym, puis ses yeux s'agrandirent et elle entrouvrit la bouche, abasourdie. Son regard se porta sur celui qui brandissait un pistolet vers elle, horrifiée.

Son raisonnement était logique. Après tout, l'une des seules personnes qui connaissait son secret se tenait aux côtés de Cave et pointait vers elle une arme. Elle regarda Larrow avec un air trahi qui lui déchira les entrailles, et il voulut tout lui expliquer, mais Cave s'en chargea pour lui.

- C'est Jennaria Coff qui m'a tout avoué. Elle vous a vu pratiquer vos pouvoirs pendant votre mission ensemble. C'était bête de votre part de penser que vous pourriez me le cacher à jamais.

- Jennaria... répéta Lym.

Elle avait l'air soulagé, comme si apprendre que Larrow n'avait pas tout dit à Cave justifiait qu'il la vise de son pistolet.

- Oui, Jennaria, poursuivit Cave, qui n'avait pas remarqué leur échange silencieux. Elle m'a raconté l'horreur que vous avez faite, détruisant tout cet entrepôt et ces hommes en poussière.

- Ces hommes étaient des soldats de Drake, marmonna Lym, qui semblait à présent décidée à se défendre. Des Faucons ! Vous les auriez tués sans la moindre hésitation.

- Bien sûr, mais ce n'est pas là le problème. Ce n'est pas ce que vous avez fait qui est dérangeant, c'est ce que vous êtes. Un monstre.

- Vraiment ? rétorqua Lym, que ce dernier commentaire semblait avoir mise hors d'elle. Parce qu'à mon avis, c'est tout le contraire. Être un monstre n'a aucune importance si l'on aide des gens en l'étant. De même, être comme les autres ne va en aucun cas justifier des actes horribles. Oui, je parle de vous.

Elle foudroyait Cave du regard, les poings et les dents serrés. Mais ses pouvoirs ne se manifestaient pas comme ils l'auraient sans doute fait en temps normal, à cause de l'enchantement qui maintenait ses capacités verrouillées.

- Vous allez à coup sûr rejoindre Drake, et nous ne pouvons pas permettre de pareils pouvoirs de tomber entre ses mains, poursuivit sereinement Cave.

- Rejoindre Drake ? Vous plaisantez ?

- Vous n'allez pas prétendre m'adorer, tout de même.

- Alors là, certainement pas, ricana Lym, bouillonnante d'une rage difficilement contenue. Je vous déteste depuis un moment déjà. Et je ne suis pas particulièrement fan de Meyer non plus. Mais de là à trahir les Dragomirs ? L'Ordre est la seule cause que je défends et l'Académie est ma maison. Il n'est pas question que je n'aille ne serait-ce qu'envisager l'éventualité de me retourner contre vous ! Si vous pensez qu'il y a n'importe quoi que je ne ferais pas pour déjouer l'Empire, même s'il s'agit de donner ma vie, vous vous trompez !

- Justement ! Pour nous aider à gagner, il vous faut mourir. Sinon vous finirez par rejoindre l'ennemi.

- Mais je viens de vous dire que jamais je ne... !

- C'est écrit ; vous êtes liée à tout jamais à la tour d'améthyste et à l'Empire de Drake, insista Cave. C'est dans la Prophétie.

- La Prophétie peut cordialement aller se faire foutre.

- Il est écrit que vous nous trahirez ! Et même si vous ne nous trahissez pas, alors Drake vous enlèvera et vous utilisera comme une arme. Chacune des deux options mène l'Empire à la victoire grâce à vous et les autres Irisas, s'ils sont encore en vie.

Larrow se souvint de ce que lui avait glissé Galleny lorsqu'il était dans la caverne. Il l'avait maintenue immobile pendant un moment et, de toute évidence dans le but de le distraire et de lui échapper, elle lui avait murmuré d'un air sournois ; « Tu savais que Drake a abandonné toute idée de recruter ta petite-amie la rouquine ? S'il la trouve, il l'enlèvera directement. Plus question de la lier à son camp. Et dès qu'il l'aura attrapée, car crois-moi, il y parviendra un jour ou l'autre, elle vivra les pires mois de toute sa vie. Ce qu'on fait à ces Irisas dans ce labo... Si tu savais. On entend les cris depuis la forteresse, parfois, tu étais au courant ? » Comme elle essayait de poursuivre, il l'avait poussée loin de lui, essayant d'échapper à ses mots empoisonnés.

Mais le mal était fait. Si Drake réussissait à s'emparer de Lym, comme c'était dit dans la Prophétie, l'Ordre Dragomir serait perdu. Un pouvoir aussi immense que celui de l'Irisa mis au service de l'Empire les mènerait tous à leur perte.

Mais Lym, bien sûr, avait son propre avis sur la question.

- La Prophétie Angélique qu'a récitée il y a des années ce stupide pigeon mort ne stipule pas que je serai du côté de Drake. Elle dit simplement que je suis liée à la tour. Peut-être que mon destin est de la détruire. Peut-être que je suis votre seule chance de gagner cette guerre et que vous êtes sur le point d'anéantir cette chance !

- Je ne vais pas prendre le risque de perdre parce que je vous ai épargnée ! Je dois protéger l'Ordre, et mes élèves. Vous représentez un danger pour eux ainsi que pour tout le système. Il est de ma responsabilité de défendre l'île et mes élèves, même si c'est contre vous.

Lym fit un pas vers Cave en feulant et montrant les dents comme un fauve enragé sur le point de bondir sur sa proie. Larrow releva l'arme qu'il avait baissée en écoutant la conversation, et Lym se figea en comprenant qu'elle ne pouvait pas faire le moindre geste. Cave semblait cependant déterminé à achever leur conversation.

- Allons, vous devez bien réaliser que vous êtes une abomination, tout de même ! J'ai étudié les recherches d'Iris Keller qui ont abouti à la création des Irisas. Ce que l'on vous a injecté n'a rien de naturel. Et si nous ne faisons rien, vous finirez par exploser, par vous énerver et causer une catastrophe ou de malencontreusement tuer quelqu'un. Il y a déjà eu trop d'accidents pour que l'on puisse les oublier. Par exemple l'explosion du volcan à Arcem. C'était votre œuvre, n'est-ce-pas ?

- C'était sur ARCEM ! hurla Lym, rouge de colère. Vous étiez ravi d'apprendre que nous en avions endommagé la forteresse ! Vous étiez tous fous de joie, on nous a traités comme des héros et adulés pour nos exploits ! Mais parce que je l'ai fait avec mes pouvoirs, tout de suite, c'est un crime ?

- Là encore, ce n'est pas l'important. Ce qui compte est que c'était accidentel, n'est-ce-pas ? Votre sœur est morte, et par conséquent vous avez fait exploser un volcan.

Si Larrow ne la tenait pas en joue, Lym se serait immédiatement jetée sur Cave, c'était évident. Elle fulminait, les yeux lançant des éclairs. Cave n'aurait pas dû parler d'Elymara Alley devant une Lym qui était déjà hors d'elle ; si Larrow était distrait un seul instant, elle risquait d'arracher la gorge à l'auctor avec ses dents.

À l'extérieur du bureau, un coup de tonnerre retentit.

- C'était sur Arcem, répéta Lym entre ses dents serrées.

- Heureusement. Vous avez eu beaucoup de chance que votre sœur y meure.

À nouveau, Lym dut faire un effort colossal pour ne pas se précipiter sur lui. S'il ne s'était pas agit de Cave, à qui il n'avait pas le droit de répondre, Larrow lui aurait demandé d'arrêter de parler d'Elymara devant Lym ; lui rappeler sa défunte sœur ne la ferait que souffrir davantage, et c'était cruel de jouer avec ses sentiments comme un chat s'amusant avec une souris.

- Et si c'était arrivé ici ? Et si quelqu'un que vous aimez meurt sur Eleuth et que vous avez une nouvelle réaction aussi négative, voire pire, car si j'ai bien compris votre contrôle sur vos pouvoirs ne fait qu'empirer ? Et si vous tuiez l'un des nôtres, un innocent, ou que vous détruisiez l'Académie, faisiez s'effondrer les Galeries sur nos dragons ?

- Je ne ferais pas...

- Mais si c'était accidentel ? C'est possible. N'allez pas me dire que vos pouvoirs ne sont pas assez puissants, vous savez qu'ils le sont, et je ne vous croirais pas.

Larrow vit alors avec un serrement au cœur la colère de Lym s'éteindre comme la flamme d'une bougie sur laquelle on aurait soufflé. Elle fut remplacée par une sombre, morbide acceptation de son sort, comme si tout le poids du monde lui tombait soudain sur les épaules. La fille fulminante qui semblait à deux doigts de se mettre à hurler avait disparu pour laisser place à une nouvelle personne, fatiguée, lasse et qui venait d'accepter que peut-être Cave avait raison. C'était, étrangement, bien pire de la voir ainsi. Larrow aurait préféré voir l'Irisa déterminée à se battre et à se défendre au péril de sa vie que cette Lym abattue qu'il n'avait presque jamais vue avant. Cette enfant perdue qui avait soudain l'air incroyablement jeune. Elle n'avait même pas encore atteint sa majorité. Larrow avait aperçu un petit fragment de ce qui se cachait derrière la façade d'assurance et de blagues de Lym à la mort de Sofy et à celle de Mar. Mais la voir exposée, l'air brisé, devant lui, c'était dépaysant.

Les paroles qui s'échappèrent ensuite d'entre ses lèvres ne firent qu'aggraver la douleur de Larrow.

- J'y ai déjà pensé. Quelqu'un m'a raconté qu'un Irisa a un jour accidentellement tué son ami durant une crise de colère. Je... Je n'ai pas envie que ça arrive. Mais... Mais je ne crois tout de même pas être un monstre.

- Comment avez-vous libéré Ashton ?

Elle leva la tête, troublée et désorientée par la question inattendue.

- Quoi ?

- Comment l'avez-vous fait ?

- Je... J'ai utilisé mes pouvoirs sur lui. J'ai fait tellement mal à Galleny qu'elle a fui le corps.

Elle sembla réaliser au fur et à mesure de ses paroles à quel point ce qu'elle disait était horrible et tordu. La honte et la culpabilité se peignirent sur son visage, et ses épaules s'affaissèrent davantage, la résignation évidente dans son air fatigué.

- Je ne voulais pas le blesser, c'était nécessaire pour le sauver, parvint-elle à articuler, mais même sa défense semblait faible et lasse, distante, à présent.

- En essayant de sauver des gens, vous pourriez faire bien pire. Les plus terribles hommes sont ceux qui font le mal en essayant de faire le bien et son convaincus d'aider. Drake en est un bon exemple. Il pense bien faire mais ne fait que détruire des vies. Et lui n'a que des pouvoirs normaux de videntis ; si vous devenez la nouvelle Drake, avec vos capacités, imaginez tout le mal que vous pourrez faire à notre monde, en pensant bien faire.

Être comparée à Drake sembla être comme une énième lame lui traversant l'estomac, et elle fixa Cave, choquée qu'il ose l'abaisser au niveau de l'Empereur. Ses questions étaient lisibles sur son visage, exposées aux yeux de tous. « Suis-je vraiment aussi monstrueuse que Drake ? » Lym avait l'air tellement blessé que Larrow en avait mal. Il voulait la rassurer, lui promettre que non, bien sûr que non, elle n'était pas comme Drake, elle ne serait jamais comme lui, mais il se sentait incapable de parler. Peut-être parce que Cave ne lui en avait pas donné l'autorisation.

- Je ne veux pas faire de mal à qui que ce soit, murmura Lym en fermant les yeux un instant.

- Nous non plus ne voulons pas que vous blessiez des innocents. Alors vous comprenez pourquoi nous devons en finir avec vous.

Elle prit une profonde inspiration, et leva les yeux vers le canon de l'arme. Comme un contrecœur, elle hocha la tête, et murmura un triste « je comprends », semblant accepter son sort.

Mais à ce moment, son regard, qui s'était posé sur le pistolet braqué sur elle, dévia vers celui qui le brandissait, et son regard s'emplit à nouveau de colère, d'une rage blanche et pure qui formait un flagrant contraste avec sa triste lassitude d'un instant plus tôt. Larrow crut qu'elle allait lui crier dessus, et il se fit tout petit, prêt à subir la colère de la seule personne qui comptait pour lui ; il l'aurait bien mérité, étant donné ce qu'il s'apprêtait à faire. Mais à sa grande surprise, elle dirigea plutôt sa colère sur Cave, le foudroyant du regard.

- Moi, d'accord, je comprends. Je vois bien que je suis une anomalie, un monstre, un danger, tout ça, tout ça, et blablabla. Mais pourquoi Larrow ?

- Hein ? balbutia Larrow, dérouté – et il découvrit que sa voix tremblait. Il n'avait pas dit un mot depuis qu'il avait pris son arme.

- Comment ça ? demanda Cave, bien plus calme mais tout aussi surpris, et Lym sembla ne s'énerver que davantage en voyant son air intrigué.

- Larrow ! Vous le traitez comme un soldat, comme une arme. Depuis qu'il a dix ans, alors qu'il n'était qu'un enfant. C'est injuste ! Même à présent, vous l'obligez à faire le sale boulot pour vous. Ce n'est pas à lui de s'occuper de tuer qui vous voulez pour que vous puissiez garder les mains propres.

- Vraiment ? Vous êtes à deux doigts de la mort et c'est pour lui que vous vous inquiétez ? Larrow va bien. Je ne l'ai jamais obligé à faire quoi que ce soit. Il a pris sa décision ; protéger Eleuth, et les Dragomirs. Protéger le monde. Il n'y a pas à l'en blâmer.

- Il n'a rien choisi du tout. Il est arrivé à l'Académie lorsqu'il avait dix ans et qu'il était orphelin, et vous l'avez accueilli comme un père, mais aussi comme un chef. Bien sûr qu'il vous obéi. Vous avez vu du potentiel en lui, y avez trouvé un atout pour l'Ordre, et l'avez donc entraîné pour qu'il ne voie devant lui qu'un futur de Dragomir dévoué. Son seul but, c'est de protéger l'île et de tuer Drake, même s'il faut donner sa vie. Vous avez trouvé un enfant perdu, et en avez fait de la chair à canon ! Un soldat ! Même toute cette petite scénette, ce n'est qu'un test supplémentaire, pas vrai ? Une épreuve de plus à passer. N'importe qui est parfaitement capable de me tirer une balle dans la tête, c'est pas comme si ça nécessitait de grosses compétences. Mais vous l'avez choisi, lui, pour cette tâche, et c'est assez facile de deviner pourquoi. Vous l'avez convaincu de ne s'attacher à personne, et comme il a commencé à s'attacher à moi, vous le faite tuer ses prétendues faiblesses pour le punir. Parce qu'un soldat sans sentiments est tellement plus facile à manipuler qu'un soldat qui en a, n'est-ce-pas ?

- Lymerya, ça suffit, gronda Cave, qui avait à présent un peu plus de mal à se maîtriser et avait serré les poings.

Mais cet ordre marmonné entre des dents serrées ne fit qu'ajouter au vase la goutte d'eau qui le fit déborder, et Lym explosa. Si sa voix était encore un peu sous contrôle plus tôt, à présent, ce n'était qu'un déluge de mots furieux et de reproches.

- Vous en avez fait une deuxième version de vous-même qui croit aux mêmes choses que vous ! Pour qu'il vous succède et fasse exactement les mêmes monstruosités que vous avez commencées ! Vous l'avez dépouillé de tout sentiment, parce que vous les voyez comme une faiblesse !

- Croyez-moi, je ressens beaucoup de choses, et à cet instant précis, il s'agit d'agacement, s'énerva Cave, qui était clairement passé outre le stade du simple agacement pour arriver à la colère.

Lym se contenta cependant de le fixer méchamment, un sourire mauvais étirant ses lèvres lentement.

- De l'agacement, hein ? répéta-t-elle. Eh bien, permettez-moi d'empirer un peu les choses !

Sur ces mots, elle se jeta sur lui, lui donnant un coup de pied bien placé, un coup de poing au nez, et enfin lui tordant le bras derrière le dos avant qu'il n'ait pu esquisser le moindre geste. Cave poussa un cri de douleur, et Larrow visa de son arme, mais il n'était pas sûr de pouvoir presser la détente. Non seulement il risquait de toucher Cave, mais abattre Lym comme un animal... Il n'était plus si sûr d'en être capable.

Mais l'auctor parvint à se débrouiller tout seul, utilisant sa Télékinésie pour projeter Lym à l'autre bout de la salle. Dénuée de ses pouvoirs, elle était toujours une excellente combattante, mais elle ne faisait pas le poids face à deux des Dragomirs les plus forts de l'Ordre au maximum de leur puissance. Elle percuta le mur et tomba par terre, gardant les yeux fermés moins d'un instant avant de se redresser à genoux et s'appuyer de son coude sur une table pour se relever douloureusement. Ses yeux verts lançaient des éclairs. Elle essuya son poing poissé de sang sur son t-shirt sans se soucier des traces rouges qu'il y laissa.

Cave s'essuya hargneusement le nez, qui était peut-être cassé, en se redressant à son tour, furieux.

- Ça suffit, à présent ! Pourquoi n'acceptez-vous pas votre sort, tout simplement ?

- J'exige un avocat, rétorqua Lym en levant un doigt d'un air autoritaire. Techniquement, j'ai droit à un avocat. J'en suis sûre à quatre-vingt dix pour cent. Ils ont toujours droit à un avocat dans les films.

- Un avoc... C'est une plaisanterie !

- Non, sérieusement, insista Lym. Bon, peut-être pas d'avocat, mais je demande quelqu'un d'autre pour me tuer. J'ai compris que je mérite de mourir, c'est pas comme vous étiez le premier à dire une chose pareille ; et moi-même, je sais qu'il faut que je meure pour qu'Eleuth soit sain et sauf. Mais c'est injuste que Larrow doive s'en charger. Prenez ce pistolet et tuez-moi vous-même. Ou appelez quelqu'un d'autre.

- Je crois que négocier l'identité de votre tueur ne vous aidera en rien. Et puis, vous n'êtes pas en position d'apporter une quelconque objection. Maintenant, arrêtez de vous comporter comme une enfant.

Lym soupira, comprenant qu'elle était condamnée quoi qu'elle dise ou fasse, et que tous les arguments du monde ne feraient pas fléchir l'auctor. Celui-ci se déplaça pour être à côté de Lym et face à Larrow, et le regarda droit dans les yeux. Le videntis, se sentant perdu et les mains tremblant à nouveau, évita son regard pour ne pas avoir à comprendre ce qu'il voulait dire.

- Larrow ?

Il leva enfin les yeux pour croiser ceux, sérieux et à nouveau calmes, de Cave. Il y avait un ordre dans son regard, une ineffable mission qu'il lui donnait. Une énième tâche qu'il devait barrer de sa liste de choses à faire. Larrow prit une profonde inspiration. Ce n'était rien de plus qu'une autre mission, essayait-il de se dire. Un autre Faucon qu'il devait abattre, un autre ennemi à mettre à terre d'une balle précise.

Mais lorsqu'il tourna vers sa nouvelle cible, ce n'était ni un Faucon ni un ennemi. C'était Lym, avec ses cheveux ébouriffés, ses taches de rousseur, et ses grands yeux verts qui le regardaient. Il se souvenait de la toute première fois où il avait croisé ce regard. Lorsqu'il était au lycée St Exupéry et avait commencé à faire fondre la grille pour s'échapper, et que quelqu'un l'avait appelé derrière lui. « Tu es en train de cramer mon école », avait-elle annoncé, des reproches plein la voix et l'air désapprobateur. « Arrête ça. »

Mais aujourd'hui, il n'y avait pas, comme il s'y serait attendu, de la haine, des reproches et de la colère dans les grands yeux de Lym. Elle le regardait d'un air triste et résigné, presque désolé. Il pointa à nouveau le pistolet vers sa tête, et elle laissa échapper un petit soupir.

- Je suis désolée qu'on en soit arrivés là, Larrow. Sache juste que je ne t'en veux pas. C'est Cave qui t'y force. Et puis, peut-être qu'il a raison. Il vaut peut-être mieux que je ne sois plus là. Je suis seulement désolée que ce soit toi qui doives t'en charger.

Larrow n'arrivait pas à en croire ses oreilles. Était-elle vraiment en train de le pardonner durant ses derniers instants ? De s'assurer qu'il sache qu'elle ne lui en tenait pas rancune ? Les mains tremblantes, il essaya de corriger sa prise sur l'arme pour mieux viser.

- Ça va aller, Larrow, promit-elle doucement.

C'était rare qu'elle utilise une voix douce pour parler à qui que ce soit, sauf peut-être avec Kosh des fois. D'habitude, chacun de ses mots débordait de mordant et de sarcasme, et toutes ses phrases étaient ponctuées d'une blague.

Larrow se concentra. S'il continuait à penser à Lym comme son amie, il ne pourrait jamais finir sa mission. Il devait se représenter l'Irisa, le monstre, l'abomination, comme Cave persistait à l'appeler. Il la revit qui détruisait tout ce qui l'entourait, poussant un hurlement loin d'être humain, à Arcem. Puis le verre qui explosait en morceaux dans la maison de Sofy. Les serpents de lumière rouge qui l'entouraient lorsqu'elle se servait de ses pouvoirs. Ses yeux de cette étrange couleur rouge foncé, qui brillaient si fort qu'ils en étaient aveuglants.

Son sourire lorsqu'il venait lui apporter des cerises parce qu'elle avait encore oublié son petit-déjeuner.

Ses mots furieux et sa quête de vengeance lorsqu'il s'agissait d'Orion ; sa manière glaciale et détachée d'évoquer ses parents, comme s'ils n'avaient aucune importance pour elle. La froideur avec laquelle elle avait amené Ash à deux doigts de la mort, un peu plus tôt, pour expulser Galleny.

Son nez barbouillé de peinture qui se plissait lorsqu'elle riait.

Toute la colère, toute la haine, toute la tristesse, qui étaient enfermées en elle et tourbillonnaient comme un orage prêt à éclater, comme si elle était à deux doigts de détruire toute l'île à tout moment. L'effrayant pouvoir qu'elle possédait en elle et qui serait fatal à n'importe qui. Sa capacité de destruction inimaginable.

- Larrow ? l'appela Cave d'une voix qui lui semblait très, très lointaine, le ramenant à la réalité. Il faut le faire. Il est de ton devoir d'en finir.

C'était vrai. C'était sa mission. Sa tâche. Son devoir. Il n'avait pas le droit de reculer parce qu'il s'était attaché à la cible. C'était une cible. Une énième cible à éliminer. Point. Il prit une profonde inspiration et réaffirma une dernière fois sa prise sur la crosse de l'arme.

Il devait en finir. C'était son devoir. C'était pour ceci qu'il avait été formé toutes ces années. Toute sa vie. Sauver Eleuth, même si pour cela il devait tuer quelqu'un qu'il aimait.

Il est de ton devoir d'en finir.

- Je suis désolé, murmura-t-il, et il n'avait jamais rien dit d'aussi sincère de toute sa vie.

Il prit une profonde inspiration. Il visa. Encore.

Sa main cessa de trembler.

Larrow tira.

Boom.

:)

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