1. Bienvenue chez les Hertcomb, le summum de la normalité

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Le jardin était petit, c'était indéniable. Toutefois, c'était mieux que de ne pas en avoir du tout. Après tout, à San Francisco, ils possédaient juste une immense terrasse sur le toit de l'immeuble.

                        Pour autant, cela n'intéressait que peu Wilma : elle avait la tête presque collée à son écran de téléphone. Elle ignorait donc l'herbe jaune brûlée par le soleil californien, l'emplacement du potager qu'elle était en train d'allègrement piétiner, ainsi que les appels répétés de son père par la fenêtre de la cuisine.

                        « Je vais enterrer ce maudit téléphone ! Tu vas te retrouver avec un vieux truc à clapet si tu ne le lâches pas immédiatement !

–           Attends papa... Deux minutes... J'arrête...

–           Wilma Hertcomb. Maintenant. Tes affaires ne vont pas se ranger toutes seules et ce n'est certainement pas moi qui vais le faire ! J'ai un milliard de choses à m'occuper. »

Wilma rangea à contrecœur son petit appareil dans la poche arrière de son jean. Son père ne cessait de lui dire de ne pas le mettre à cet endroit, que c'était le meilleur moyen pour se le faire voler ou pour qu'il tombe dans les toilettes. Néanmoins, elle ne lui obéissait pas : c'était la seule poche où il rentrait.

Elle se rendit dans la cuisine où il était en train de monter un nouveau robinet. La pièce était presque entièrement blanche. Les meubles, les murs, le carrelage. Wilma était convaincue qu'il allait falloir égayer tout ça. Surtout que cette absence de couleur rendait le tout très salissant : hors de question de passer son temps à faire le ménage.

« Tu en as attrapé des nouveaux au moins ? demanda-t-il en continuant son ouvrage.

–           Quatre. Je suis niveau cinq maintenant !

- Eh bien niveau cinq ou pas, Mademoiselle la dresseuse de Pokémons, tu vas t'occuper de ta chambre et de la télévision. Je ne veux pas passer une journée de plus sans wifi, exigea son père.

–           Ja, Herr General !

- Vous pouvez disposer, soldat Hertcomb... Et faites attention à vos chaussures : si vous mettez de la terre partout, ce sera à vous de nettoyer, acheva-t-il avec un sourire de connivence. »

Monsieur Hertcomb devait bien avoir une cinquantaine d'années. À la vue de sa silhouette, on comprenait qu'il avait eu un petit relâchement et que le sport n'était pas son activité favorite. Ses cheveux roux, aussi flamboyants que ceux de sa fille, étaient coiffés en une coupe courte, à la limite du militaire. Ses petits yeux marron étaient bienveillants malgré l'autorité et la tristesse qui y transparaissaient, comme mal cachés. Il n'avait pas dû bien se raser le matin et sa tenue était un peu négligée. Jamais il ne se serait présenté ainsi devant ses nouveaux élèves. Par chance, les cours ne commençaient que dans deux semaines — une pour lui — et ce Professeur de biologie ne risquait pas d'en croiser un à cet instant.

Wilma quitta la pièce d'un air vaincu. Elle avait déjà mis dans les placards tous ses vêtements, mais ils étaient en vrac et elle ne les avait même pas triés. Toutes les babioles et la décoration, qu'elle avait apportées à Modesto, étaient restées dans les cartons. La jeune fille de seize ans se promettait qu'elle mettrait tout en ordre lorsqu'elle aurait enfin acheté de la peinture. Les murs étaient d'un intolérable jaune passé. Enfin, c'était ce qu'elle se disait pour ne pas avoir à le faire. Sa tendance à tout remettre à plus tard était sans doute un de ses plus grands défauts. Elle aurait eu une médaille si la procrastination avait été un sport.

N'ayant pas envie de plonger la tête la première dans les souvenirs, à peine une journée après son arrivée, elle voulut s'occuper de l'installation dans le salon — pièce attenante à la cuisine. Contrairement à cette dernière qui était presque finie, la table basse qui aurait dû se trouver devant le canapé marron n'était pas encore montée. La télévision avait été fixée au mur d'un rouge criard, mais les branchements n'avaient pas encore été effectués.

Elle passa une bonne partie de la matinée à travailler autour, tentant en vain d'obtenir les chaînes ainsi qu'internet. C'était assez étrange que cela ne fonctionne pas puisque le téléphone fixe n'avait aucun souci. Toutefois, Wilma ne perdit pas patience et se montra aimable avec l'opérateur qu'elle avait au bout de la ligne. Même si elle avait intérieurement envie de balancer l'appareil par la fenêtre. Elle n'était pas sûre que son père serait très content de son acte.

La chaleur commençait à se faire forte dans la maison. Ils avaient eu beau ouvrir toutes les fenêtres pour faire courant d'air, il n'y avait pas de vent. Au contraire, c'était un air chaud et lourd qui s'infiltrait dans la maison. Alors qu'elle ne faisait pas une activité physique particulièrement intense, elle sentait des gouttes de sueur perler le long de son dos. La jeune fille n'osait imaginer l'état dans lequel était son père alors qu'il changeait seulement une pièce.

Lorsqu'elle eut enfin fini son éprouvante installation, elle n'avait qu'une seule envie : manger. Monsieur Hertcomb, en bricolant autour de la plomberie, avait fait plus de mal que de bien. Maintenant, en plus de changer le robinet, il s'était retrouvé à pousser les meubles pour s'occuper de la tuyauterie.

« T'as coupé l'eau ? demanda Wilma en ouvrant le réfrigérateur.

–           Bien sûr...

- Il faudrait peut-être appeler un plombier...

- Pas besoin : je suis capable de me débrouiller tout seul. Et puis si l'on fait ça, on va se retrouver plumés en moins de temps qu'il ne faut pour le dire !

–           Papa ! Y'a rien à manger ! se plaignit la jeune fille. Faut aller faire les courses... »

Elle chercha dans les placards tandis que l'homme aux cheveux roux se débattait avec son tube de pâte à joint. Il n'était peut-être pas un grand bricoleur, mais il avait beaucoup de bonne volonté.

« Il reste pas du beurre de cacahuète ? »

                        Elle brandit un pot vide avec une moue perplexe. Son père souffla puis repartit dans son bricolage. Finalement, il lui lança :

                        « Prends de l'argent dans mon porte-monnaie... Et va à la supérette... On en a vu une quand on est arrivés, tu te souviens ?

–           Oui... »

Wilma n'avait pas envie d'aller faire les courses. Cela ne lui plaisait pas du tout. Déjà, les faire avec quelqu'un était ennuyeux, mais seul, c'était une véritable corvée. Pourtant, elle n'avait pas vraiment le choix. Au moins, il lui laissait le choix de la nourriture.

« Tu me rendras la monnaie, Wilma ! lui lança-t-il de la cuisine tandis qu'elle ouvrait la porte. Et lève la tête de ton Pokémon Go : regarde où tu vas et où tu traverses ! »

Elle ne lui répondit pas : elle était déjà partie dans la chaleur étouffante de l'été.

Le professeur de Biologie quitta des yeux son ouvrage et se leva en grimaçant. Son regard balaya l'endroit où ils allaient vivre désormais. Il espérait que ça se passerait bien. Il priait pour que Modesto soit la ville qui les aiderait à panser leurs plaies.

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