C'était une nuit sans lune.

Des nuages bas et cotonneux, se confondant avec un brouillard de plus en plus épais, cachaient aux yeux des éventuels passants la noirceur du ciel aussi bien que le haut des buildings.

En cette heure tardive, la rue était relativement calme. Moins, cependant, que d'ordinaire : le fait que cette nuit soit celle du changement d'année n'y était peut-être pas étranger.

La porte d'une des maisons sagement alignées s'ouvrit soudainement, et laissa apparaitre sur le trottoir un rayon de lumière jaune dans lequel se découpèrent trois ombres. Accompagnées de leurs éclats de rire, jetant un dernier au revoir par-dessus leur épaule, les ombres devinrent rapidement des silhouettes et la porte se referma derrière elles.

Les trois personnes passèrent sous un lampadaire et on put remarquer qu'il s'agissait de trois femmes. Deux d'entre elles étaient sensiblement plus jeunes que la troisième, et arboraient une flamboyante chevelure rousse, là où la plus âgée était brune.

La température avoisinait les zéros, et matérialisait chacune de leurs respirations en une buée légère qui venait se mêler au brouillard environnant. Leurs chaussures à talons, assorties aux robes de soirée dissimulées sous un chaud manteau, claquaient sur le bitume tandis qu'elles se dirigeaient vers une voiture garée non loin.

La plus âgée fouilla un long moment dans son sac pour en trouver les clefs, tandis que les deux autres se disputaient la place du devant, à grand renfort de cris et d'arguments pitoyables. On ne savait pas trop qui, de l'alcool ou de la fatigue, était responsable de leur attitude. À en juger par leur âge sensiblement jeune, il s'agissait sans doute de ce dernier facteur. À l'inverse, pour la plus âgée, le dernier verre de champagne français qu'elle avait pris ne devait pas être étranger à ses difficultés à retrouver ses clefs.

Pourtant, quelques minutes plus tard, la voiture était en route, lancée à une vitesse un peu trop importante pour une nuit dans le brouillard. L'une des deux rousses avait finalement cédé sa place de devant à l'autre, vaincue par l'usure ou atteinte d'un accès de gentillesse. Quoiqu'il en soit, les trois femmes babillaient à présent joyeusement à propos de la nouvelle année à venir - sujet de conversation des plus banals, mais cela ne semblait pas les gêner.

La conductrice, fortement égayée par l'alcool qu'elle avait pu boire, riait aux éclats à chacune des nombreuses plaisanteries des deux autres. Une nouvelle blague bien placée la fit hurler de rire. Les larmes aux yeux, tandis que les deux autres chantonnaient la musique qui passait à la radio, la femme mit du temps à s'apercevoir qu'une autre voiture leur fonçait droit dessus, sortie du brouillard comme de nulle part. Trop de temps.

Son sourire s'effaça, et les rires joyeux laissèrent la place à un grand silence rempli d'effroi. Puis, aux cris d'épouvante.

La femme finit par réagir; l'alcool n'avait pas inhibé ses réflexes mais les rendait démesurément lents. La voiture allait vite, celle d'en face aussi. Tout était trop rapide. Elle tenta de faire tourner la voiture en braquant le volant de toutes ses forces, dans l'espoir d'éviter la collision.

En vain.

Les deux véhicules se percutèrent de plein fouet. Le bruit de la tôle froissée déchira la nuit aussi bien que les tympans et les vitres explosèrent en des milliers de tessons acérés. Cassées, brisées, irréparables, les voitures gisaient l'une contre l'autres. Une fumée inquiétante provenant des deux carcasses s'élevait dans la nuit.

La violence extrême du choc avait détruit tout le côté droit de la voiture des trois femmes qui riaient aux éclats quelques instants auparavant.

 Elle avait aussi détruit des vies.