Chapitre 2 - De grandes responsabilités (1/2)

Màu nền
Font chữ
Font size
Chiều cao dòng

Quatre-vingt douze, quatre-vingt treize... Il pouvait y arriver. Il ne lui restait plus que vingt-sept marches.

Ses muscles le brûlaient, son cœur tambourinait si fort qu'il menaçait d'exploser, sa chemise lui collait à la peau... Mais il ne devait pas s'arrêter.

Il n'avait jamais été aussi près de battre son record. S'il parvenait au sommet des marches, puis qu'il réussissait à exécuter vingt-cinq tractions, tout cela avant que la grande horloge ne sonne ses neuf coups... Il en tirerait une minuscule fierté personnelle. Il n'irait pas se vanter de ses exploits, mais lui saurait qu'il en était capable.

Il voulait tester ses limites, jusqu'à ce que ses jambes cessent de le porter.

Jusqu'à ne plus pouvoir respirer, jusqu'à ne plus pouvoir penser, jusqu'à...

— Marcus !

Disparaître.

— Papa et maman vont te tuer s'ils te voient courir dans les escaliers.

Il s'arrêta en haut des marches, où venait d'apparaître Julian. Coupé dans son élan, il renonça à faire ses tractions et tâcha de reprendre son souffle. Il attrapa sans broncher la gourde que lui tendait son frère, puis but jusqu'à plus soif. Au même moment, la grande horloge du parvis sonna neuf heures.

— Tu ne pouvais pas attendre une minute ? fustigea-t-il Julian dès que le silence revint. J'avais presque fini ma séance et j'allais battre mon record.

Son frère leva les yeux au ciel, pas gêné pour deux sous.

— Excuse-moi, j'ai oublié que je vivais avec le plus grand athlète de la Terre des Loups, ironisa-t-il. Lorsque tu recevras ta médaille de "champion du monde de montée d'escaliers", tu pourras te plaindre de moi dans ton discours.

Marcus ne répliqua rien et résista à l'envie de l'asperger d'eau. À la place, il étudia Julian plus attentivement, surpris de le trouver propre et habillé à une heure qu'il jugeait d'ordinaire trop "matinale". En temps normal, le jeune loup ne mettait pas le nez dehors avant dix heures, voire onze lorsque personne ne venait le réveiller. Il aurait encore dû être devant son petit-déjeuner, ou dans son bain.

— Papa veut que nous passions dans son bureau tout à l'heure. Apparemment, lui et maman ont quelque chose à nous annoncer.

Un léger mal de crâne vint aussitôt tenailler Marcus. Il en allait toujours ainsi lorsqu'une crainte, même infime, emballait sa tension.

— Pourquoi dans son bureau ? Il n'aurait pas pu nous dire ça hier soir, pendant qu'on mangeait ?

Les convoquer ainsi pour une "annonce" lui paraissait beaucoup trop solennel.

— Je crois qu'il attendait une confirmation, qu'il a reçue tout à l'heure, lui expliqua son frère.

Cela n'eut rien pour le rassurer. Mille et une possibilités commencèrent à défiler dans son esprit, des plus futiles aux plus terrifiantes. Peut-être que son père avait appris que des rebelles projetaient de renverser le gouvernement, comme cela s'était produit sur la Terre des Vampires. Ou alors, peut-être qu'il voulait juste organiser un bal. Il se pouvait aussi que son médecin lui ait appris qu'il était atteint d'une maladie incurable et que ses jours étaient comptés. Ou peut-être s'agissait-il d'Eleanor. Marcus n'avait pas vu de médecin venir au palais ce matin-là, mais qui lui disait que...

— Eh, l'interpella doucement Julian. Ce n'est pas la peine de paniquer, ça n'a pas du tout l'air grave ! Si ça se trouve, il veut juste nous dire que maman et lui vont partir quelques jours et que nous devrons gérer ses affaires.

Marcus en doutait. Leur père et Eleanor étaient déjà partis en voyage quelques mois plus tôt, pour leurs vingt ans de mariage. Le Grand Alpha ne pouvait pas s'absenter de nouveau.

— Je vais me préparer et je vous rejoins dès que je suis prêt, déclara-t-il en se dirigeant vers le hall.

— Ce n'est pas la peine de te presser, je venais juste te prévenir, mais il n'y a pas de quoi s'affol...

Il ne le laissa pas finir et traversa le palais à grandes enjambées, pressé d'atteindre sa chambre. Un domestique s'était chargé de lui préparer un bain, où il essaya de se détendre un peu. Il s'agissait habituellement de son moment préféré de la journée. Quoi de mieux que de jolies bulles chaudes parfumées, après avoir couru dans le froid ?

Cependant, même en immergeant sa tête sous l'eau, il ne parvint à se vider l'esprit. Il détestait les surprises. Son père le savait et quoi qu'il avait à leur dire, il aurait pu le prendre à part avant Julian. Cela ne lui aurait rien coûté de le mettre au courant sans faire durer le suspens et... Calme-toi. Quand il commençait à s'inquiéter, il en voulait bêtement à tout le monde.

Il se sécha aussi vite que possible, puis enfila une chemise blanche et un pantalon bleu. Il quitta sa chambre sans attendre que ses cheveux bruns soient complètement secs et se dirigea vers le bureau de son père. Il trouva la porte entrouverte et entra sans frapper, comme il le faisait d'habitude.

Julian et Lyssandra attendaient déjà, assis dans des petits fauteuils. La présence de cette dernière rassura Marcus. Si leur père avait réellement quelque chose de grave à leur annoncer, il aurait pris la peine d'en informer ses fils avant d'impliquer la petite amie de Julian.

— À quelle heure sont-ils censés venir ? s'enquit-il en se posant sur une chaise.

Ni son frère, ni Lyssandra ne paraissaient préoccupés. Il se sentit stupide d'être le seul à appréhender un entretien avec leurs parents, d'autant plus que la veille, tout semblait aller pour le mieux.

— Ils ne devraient pas tarder, supposa Julian. Je t'ai dit que tu n'avais pas besoin de te dépêcher, mais comme tu ne m'écoutes jamais...

Lyssandra esquissa un petit sourire, tandis que Marcus se déridait un peu.

— Ton entraînement s'est bien passé ? l'interrogea-t-elle.

— Très bien, même si je préfère quand j'ai une accompagnatrice. Je suis passé devant votre chambre avant de descendre, mais vous aviez tous les deux l'air de dormir à poings fermés.

La louve était souvent partante pour participer à ses séances d'exercice, en particulier lorsqu'il s'entraînait au combat. En seulement quelques mois, elle avait déjà fait beaucoup de progrès. Marcus admirait sa détermination, qui ne fléchissait quasiment jamais.

— Je viendrai demain, lui promit-elle. Peut-être même que nous réussirons à te motiver pour te joindre à nous ?

Elle se tourna vers Julian, qui ne semblait pas particulièrement enchanté.

— Vous êtes trop matinaux pour moi. Et si c'est encore pour que vous vous moquiez de moi, je préfère passer mon tour.

Lyssandra gloussa, tout en échangeant un regard amusé avec Marcus. Si on lui avait un jour dit qu'il s'entendrait si bien avec la petite amie de son frère, il aurait eu beaucoup de mal à le croire.

Il s'était toujours imaginé qu'une jeune profiteuse réussirait à attraper Julian dans ses filets. Il croyait son frère trop gentil et naïf pour se méfier des demoiselles intéressées par son titre, or il l'avait durement sous-estimé. En réussissant à se faire passer pour un Neutre pendant un mois, le jeune loup avait rencontré un amour sincère, où aucune fortune, ni aucun titre royal n'étaient venus s'en mêler.

Et par miracle, Lyssandra remplissait toutes les autres exigences de Marcus. Non seulement elle rendait son frère heureux – ce qui satisfaisait le critère principal – mais il ne lui trouvait pas un seul défaut. Courageuse, dévouée, réfléchie, pleine de bonté...

Elle était l'amie qu'il avait longtemps rêvé d'avoir et il lui tardait qu'un jour, elle devienne officiellement sa soeur.

— Ah, vous êtes tous là ! s'exclama Eleanor en entrant dans la pièce. Votre père ne va pas tarder, un conseiller l'a intercepté dans le couloir.

Elle salua tout le monde avec entrain, visiblement de très bonne humeur. Cela encouragea Marcus à se détendre complètement et à cesser de se poser mille questions.

Le Grand Alpha ne tarda pas à faire son entrée et referma la porte derrière lui. Lorsqu'il remarqua que les trois jeunes loups étaient déjà arrivés, ses yeux bleus s'écarquillèrent derrière ses lunettes.

— À ce que je vois, rien de tel que quelques mystères pour vous attirer, commenta-t-il en s'installant sur son siège.

— Ou des gâteaux, ajouta Julian. Nous espérons tous t'entendre annoncer que tu prends ta retraite pour te consacrer à la pâtisserie.

Eleanor s'esclaffa, tout en s'asseyant sur le bureau de leur père.

— Voilà une idée que je lui répète tous les jours. Mais ce que nous avons à vous dire est encore mieux !

Ses yeux constellés de doré pétillaient et elle semblait d'humeur à faire durer le suspens. Elle se tourna vers leur père en souriant et pendant un instant, Marcus se demanda si elle n'était pas enceinte.

À quarante-trois ans, il ignorait si cela était encore possible. L'âge ne paraissait cependant pas avoir d'emprise sur leur mère. Cela faisait vingt-et-un ans qu'il la connaissait et malgré le temps qui passait, il la trouvait inchangée. Quelques marques de fatigue venaient parfois assombrir son visage, mais elle rayonnait avec le même éclat qu'autrefois.

Quant à son père, Marcus espérait vieillir aussi bien que lui. Ses cheveux bruns commençaient un peu à grisonner, or d'après les quelques murmures qu'il avait surpris lors des bals, cela ne déplaisait pas à la gent féminine. Même s'il semblait souvent las ou harassé par le travail, il se ranimait dès qu'il passait du temps avec sa femme ou ses enfants.

— Votre mère et moi avons décidé de vous organiser un voyage sur la Terre de l'Émeraude, déclara-t-il enfin.

Les épaules de Marcus se détendirent une bonne fois pour toutes, et il se moqua de sa capacité à envisager tout et n'importe quoi. Lyssandra et Julian seraient ravis de partir tous les deux loin du palais, comme ils l'avaient fait quelques semaines plus tôt. La jeune louve avait alors rendu visite à sa tante Marienna, l'alpha du Topaze. Marcus trouverait le palais un peu vide sans les deux loups, cependant ses parents seraient là.

— Pour tous les trois, précisa Eleanor.

Marcus se figea.

— Comment ça ? Vous voulez que je parte avec eux ?

Il devait forcément avoir mal entendu. Ou alors, sa mère était d'humeur à lui faire une mauvaise plaisanterie.

— Tout à fait, approuva néanmoins son père. Nous vous avons prévu une petite tournée dans plusieurs villes et villages de la région. Cela fait longtemps que notre famille n'est pas allée là-bas. Les gens seront heureux de vous voir.

Le futur dirigeant comprenait la nécessité d'un tel devoir de représentation. Si le Grand Alpha voulait être respecté par ses sujets, il fallait qu'il sache se montrer proche d'eux. Toutefois, ce rôle incombait généralement aux membres de la famille qui n'avaient pas d'autres responsabilités.

Et le moins que l'on pouvait dire, c'était que Marcus avait d'autres responsabilités.

— Il est hors de question que j'aille perdre mon temps là-bas, protesta-t-il sans élever la voix. Ma place est au palais et nulle part ailleurs.

Amuser les foules et sourire à tout le monde était le travail de Julian. Il excellait d'ailleurs à cette tâche, là où Marcus échouait lamentablement. Il ne savait pas faire semblant d'être intéressé par des gens dont il ignorait le nom, pas plus qu'il n'appréciait jouer les bêtes de foire.

Cela tombait bien, il n'était pas né pour ça.

— Tu n'as pas quitté la Terre du Diamant depuis des années, s'attrista Eleanor. Et c'est à peine si tu sors du palais, tu es tout pâle...

Il retint un soupir et prit sur lui pour conserver un air stoïque. Elle disait certes la vérité, mais il refusait que quiconque s'inquiète pour lui.

— Ce n'est pas sur la Terre de l'Émeraude qu'on pourra bronzer, fit remarquer Julian. Surtout en cette saison, nous allons finir congelés !

Marcus lui fut reconnaissant de se ranger de son côté. Seule Lyssandra paraissait vraiment réjouie par la perspective d'un tel voyage. Ses yeux marron s'étaient illuminés dès que le Grand Alpha avait évoqué la Terre de l'Émeraude et un immense sourire ne quittait pas ses lèvres.

— Vous ne serez pas à plaindre, puisque vous dormirez dans les plus belles auberges de la région, déclara leur père. Les villageois décideront peut-être de vous organiser quelques parades, mais à part ça, vous passerez la plupart de votre temps dans des salles de réception très bien chauffées.

— Mais vous aurez quand même du temps pour visiter, ajouta Eleanor comme Lyssandra perdait un peu son enthousiasme. La Terre de l'Émeraude est magnifique, je suis sûre que vous allez vous y plaire !

Julian marmonna quelque chose au sujet de la neige et sa mère leva les yeux au ciel. Elle chercha du soutien auprès de Marcus, qui ne lui fut d'aucun secours.

— Je n'ai rien à faire là-bas. C'est très aimable à vous d'avoir pris la peine de nous organiser tout ça, mais personnellement, je n'irai pas. Je n'ai pas le droit de voyager avec Julian, de toute façon.

Les deux héritiers directs au titre de Grand Alpha ne pouvaient prendre le risque de se déplacer dans le même véhicule. Si leur convoi était attaqué, leur père se retrouverait sans descendance.

— Tout sera parfaitement sécurisé, assura le dirigeant. Vos gardes ne vous quitteront pas et votre itinéraire sera confidentiel.

Marcus espéra que Julian allait prendre le relais dans leur tentative d'avorter le projet. Cependant, voir Lyssandra si heureuse semblait avoir fait tomber ses réserves.

Tant mieux pour eux, mais Marcus allait devoir se débrouiller afin d'échapper à ce voyage.

— La situation sur la Terre des Vampires requiert toute notre attention, rappela-t-il à son père. Au cas où tu l'aurais oublié, une espèce entière a disparu en un claquement de doigts. C'est l'une des pires périodes d'instabilité que notre monde ait jamais connu, et nous ne savons pas quelle tournure vont prendre les choses. Il est de mon devoir de rester avec toi pour veiller à la sécurité de la Terre des Loups.

Jusque-là, le Grand Alpha avait refusé d'intervenir sur la Terre des Vampires. Il prétendait que ce n'était pas aux loups-garous de s'en mêler et que toute ingérence serait mal perçue. Marcus ne partageait pas son avis, puisque nul ne pouvait savoir ce qu'il allait advenir des anciens vampires.

Avec des millions de nouveaux Neutres face à eux, les lycanthropes se retrouvaient en sérieuse infériorité numérique. Si pour une raison ou pour une autre, ces individus s'unissaient et décidaient de déclarer la guerre aux loups, ce serait un carnage.

— Dans l'immédiat, il s'agit de mon devoir, répondit calmement son père. Chaque jour, des informateurs me tiennent au courant de la situation sur la Terre des Vampires. Surveiller ce qui se passe est la seule chose que nous pouvons faire. Nous n'interviendrons que si tout dégénère, ce qui est pour le moment loin d'être le cas.

Marcus serra les dents, agacé par ce genre de réponses.

— Quand les choses dégénéreront, il sera trop tard. Des gens ont réussi à renverser le roi des vampires. Sans vouloir te vexer, il s'agissait de l'homme le plus puissant du monde. Non seulement les Neutres pourraient se révolter contre nous, mais en plus, cela pourrait donner des idées à notre propre peuple.

Il savait que la situation des anciens vampires n'avait rien de comparable avec celle des loups. Le Grand Alpha fédérait ses meutes, tandis que le roi divisait ses sujets pour régner. À force d'excès, le monarque s'était brûlé les ailes et avait explosé dans son palais.

Ou du moins, c'était ce que les rumeurs racontaient.

Toutefois, il existait bon nombre de loups stupides, qui pourraient avoir envie de déclencher une révolte pour le simple plaisir d'admirer le résultat.

— Si les vampires ont disparu, c'est parce que leur roi et leur princesse oppressaient leur peuple, intervint Eleanor. Que je sache, ce n'est pas ce que nous faisons. Dans une pareille situation, le rôle de notre famille est justement de se montrer présente pour chaque loup dont nous avons la responsabilité.

— Et en tant que futur dirigeant, tu dois être particulièrement impliqué, renchérit le Grand Alpha. Tu l'es déjà en m'aidant au palais, et je t'en suis infiniment reconnaissant. Cependant, les gens n'ont pas conscience de tout ce que tu fais pour eux dans l'ombre. Il n'y a qu'en te voyant sur le terrain qu'ils t'adresseront la reconnaissance que tu mérites.

Marcus avait beau comprendre leur point de vue, il n'avait pas la tête à aller se pavaner bêtement dans une région voisine. Il le ferait peut-être dans quelques mois, mais pour l'heure, des préoccupations plus urgentes requéraient son attention.

— La reconnaissance attendra. Outre mon envie de rester afin d'apporter mon aide, j'ai une autre excellente raison de décliner votre proposition.

Ses parents ayant l'air trop décidés pour accepter des négociations, il n'avait d'autre choix que de jouer cartes sur table.

Aux regards curieux qui se retrouvèrent braqués sur lui, il comprit que cela fonctionnait. Une vague d'appréhension le fit hésiter et il conserva le silence quelques instants. Lorsque ses mots auraient franchi ses lèvres, il n'y aurait plus de retour en arrière. Il ne revenait jamais sur ses engagements, or celui-ci allait complètement bouleverser sa vie.

Néanmoins, s'il voulait être certain de ne pas se dérober, c'était maintenant ou jamais.

Après tout, puisque toute la famille était réunie, autant en profiter pour faire sa propre annonce.

— Je ne peux pas partir, parce que je vais me marier.

Et voilà. Il avait allumé la mèche et la flamme filait trop vite pour qu'il puisse l'arrêter.

Sans surprise, tout ne tarda pas à exploser.

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen2U.Pro