Le silence se déchirait sous les cris d'agonie de Clémence, bien qu'ils ne soient estompés par l'épais bois qui me séparait d'elle.

J'avais l'impression de sombrer dans la folie. Elle était derrière un simple mur, et je ne pouvais pas être à ses côtés. Une sensation désagréable s'empara de moi. J'avais envie de vomir, de crier, de tout détruire sur mon passage pour ne rien laisser derrière moi. Je me retournais brusquement, les yeux brillants, vers Drag.

- J'ai besoin que l'on m'explique ce qu'il se passe... ! Ou alors laisses-moi la voir, je t'en supplies...!; gémis-je.

Le visage du démon restait de marbre. Mes membres se raidirent, et un cri déchirant s'échappa de ma gorge, dans le maigre espoir d'évacuer toute la rage qui s'imprégnait de mon âme. Je glissais nerveusement mes doigts dans mes cheveux, avant de griffer le mur, laissant cinq traînées de sang  sur la tapisserie crème.

Je relâchais en un soupir tout l'air accumulé dans mes poumons, avant de me laisser glisser le long du mur. Mes yeux s'évadaient sur Zac, assis lui aussi dans le couloir, complétement retourné par les évènements. J'appuyais ma tête contre le mur, ayant la sensation de retrouver peu à peu mon calme, et prendre le dessus sur ma folie.

Louise devait avoir une bonne raison de m'exclure... Oui, sûrement... La démone ne trahirait jamais Clémence... Mais alors pourquoi suis-je mis à l'écart ? C'est ma protégée, donc cela me concernerait aussi.

... A moins qu'elle ne sache quelque chose que j'ignore ?

En y réfléchissant un peu plus, il y avait tant de choses que j'ignorais à propos des démons et de leurs projets. Pourquoi faire de moi un Gardien en premier lieu ? Pourquoi moi ? Je suis sûr qu'il y avait d'autres humains capable de défier Satan. Alors pourquoi m'offrir la chance de rencontrer Clémence ? Et maintenant que j'y pense, pourquoi Clémence ?

Satan l'avait choisie avant même sa naissance, il est allé jusqu'à ôter la vie de sa mère pour sauver l'enfant, soi-disant pour que mon périple ne commence pas sur un échec, et pour son "divertissement".  Mais était-ce vraiment un jeu à ses yeux ?

Si c'était le cas, pourquoi se mettre hors de lui lorsque je violais une des règles ? Cela ne l'avait pas dérangé jusqu'à maintenant. Et puis, ce regard qu'il avait posé sur Clémence... Je ne l'avais jamais vu sous un tel jour.

Je prenais peu à peu conscience de la situation dans laquelle je me trouvais. Rien n'avait été laissé au hasard. Le démon avait tout organisé, et avait sagement attendu que les choses prennent la tournure qu'il attendait. J'avais été utilisé comme une vulgaire marionnette, mais je ne savais toujours pas dans quel but.

La porte de la chambre s'ouvrit enfin. Je me relevais, me précipitant vers le lit dans lequel Clémence dormait. Je touchais son front blême, avant de prendre son pouls en vitesse.

- Elle n'a rien.; déclara une voix derrière moi.

Je me retournais pour faire face à Louise. Ses yeux avaient repris une couleur normale, et ses doigts se resserraient sur un mouchoir imprégné de sang. Je la fusillais du regard quand je compris à qui appartenait ce sang. Elle détourna les yeux, un voile de regret avait recouvert son visage pâle.

- Je suis désolée...; gémit la démone d'une voix tremblante.

Je levais des yeux surpris vers elle. Avais-je bien entendu ? Louise qui présentait des excuses...? Dans un autre contexte, j'aurais sauté sur l'occasion et je l'aurais charrié jusqu'à ce qu'elle ne me frappe... Mais je ne sais pourquoi, mon cœur se déchirait à l'entente de ces mots. Les traits de son visage se déformaient sous l'effet de la tristesse, et elle inspira bruyamment l'air en gonflant sa poitrine.

Oh non... Tout sauf ça...

Sans même réfléchir, je la prenais fermement dans mes bras, de sorte à consoler sa peine. Son corps se raidit, sans doute à cause de la surprise. Mais elle se détendit après quelques minutes, resserrant ses doigts sur ma chemise, et laissa couler ses larmes.

- Tout est de ma faute Vengeur ...! J'aurais dû m'en douter...! J'aurais dû...!; pleura-t-elle avant que sa voix ne se brise dans un sanglot.

Je la serrais plus fort contre moi, ravalant mes questions. Ce n'était pas le moment de jouer aux arrogants. Le simple fait que Louise, une puissante démone, pleure ainsi, comme une enfant, dans les bras d'un être aussi insignifiant que moi, montrait à quel point l'heure était grave.

Elle me repoussa, laissant ses larmes sécher sur son visage, puis releva les yeux pour les plonger dans les miens.

- Je sais que tu dois attendre des explications...; sourit-elle faiblement; Mais... Je ne peux pas te les donner pour le moment.

J'allais riposter quand elle me coupa tout en continuant :

- Je ne te les donnes pas car je ne suis pas sûr de ma théorie. Sois patient s'il-te-plaît... Je te dirais tout quand j'aurais confirmé mes doutes.

- ... Pourquoi l'as-tu mordu ?; finis-je par lui demander d'une voix rauque.

- Pour savoir ce qu'elle avait. Nous autres, démons, pouvons lire dans le sang que nous buvons si nous le désirons. C'est un peu comme un diagnostique.; expliquait-elle un peu gênée.

- Verdict ?

- Quelques chose en elle vient de s'éveiller... Je n'ai jamais goûté à quelque chose de semblable... C'est étrange.; déclara-t-elle en amenant ses doigts à ses lèvres pour les effleurer; Mais comme je te l'ai dis plus tôt, je suis dans le même état que toi : Je ne sais rien.

Un silence pesant s'installa dans la chambre, et Louise, comprenant que je voulais être seul avec ma protégée, quitta la pièce en refermant doucement la porte derrière elle.  Je me retournais vers Clémence, et m'agenouillais devant le lit dans lequel elle dormait. Je pouvais entendre sa respiration régulée. C'était si calme...

Elle semblait si fragile comme ça... J'avais encore plus envie de la protéger. Qu'importe si j'étais une marionnette, du moment que je pouvais rester à ses côtés et prendre soin d'elle. Je posais ma main sur sa joue, et la caressais tendrement. J'amenais ensuite mes lèvres à son front afin d'y donner un baiser.

- Vivement que tu sois remise sur pieds...; murmurais-je.

Je me redressais, m'apprêtant à quitter moi aussi la pièce. Elle avait besoin de repos. Une main frêle agrippa soudainement mon poignet. Je me retournais, surpris. Cette main, qui avait du mal à maintenir ne serait-ce qu'une pression sur mon poignet, appartenait à Clémence. Elle était à moitié dans son lit, et à moitié dans le vide, avec mon bras pour seul appui. Je m'empressais de l'entourer de mes bras pour la soutenir, et son corps retomba sur moi, comme si toutes forces venaient de la quitter. J'allais la sermonner, quand ses yeux fatigués se levèrent vers moi.

- Tu vas... encore... partir ...?; gémit-elle dans un souffle.

Ces mots eurent l'effet d'une claque. "Encore" ?

- Clémence... Ce pourrait-il que tu te souvienne de moi...?; dis-je tout en ayant le cœur qui battait la chamade.

Elle me dévisageait, l'air endormie, avant de brusquement se rendormir.

- Clémence... Clémence !; criais-je paniqué.

Mais aucune réponse ne s'échappa de ses lèvres. Toutefois, sa respiration régulée confirmait qu'elle ne faisait que dormir, et cela me soulageais. Je la posais délicatement sur le lit, remettant correctement la couverture sur son corps épuisé. Ses doigts fins étaient toujours enroulés autour de mon poignet, ce qui me fit sourire.

- Décidément, tu ne me laisses pas de répits...; soupirais-je avec un rire nerveux; qu'est-ce que je fais moi si tu ne me lâches pas, hein ?

Ses cils avaient la forme d'un arc suspendu à ses paupières. Sa peau, bien que suante et blême, était douce. Son petit nez, légèrement retroussé, était adorable. Ses lèvres vermeilles, étaient parfaitement délimitées, ni trop pulpeuses, ni pas assez. Elle était parfaite. Combien d'hommes rêveraient de passer leurs journées auprès d'un tel diamant ?

Je la revoyais encore, étant enfant, à me sauter dans les bras et rire jusqu'à ce que l'air lui manque... Serait-ce possible qu'elle se souvienne de cette époque ? De nos souvenirs ? Où était-ce juste dû à l'inconscience ?

Je posais ma mains sur ses doigts, toujours attachés à moi.

- Ne me lâches jamais, ok ?; lui murmurais-je avec un sourire nostalgique.

Les heures passaient. Après l'avoir longuement regardé, pendant toutes ces heures, je finis, moi aussi, par m'endormir, la tête appuyée sur le lit, nos mains entrelacées.

C'est le grincement de la porte qui me réveilla, au petit matin. Je sursautais, les yeux mi-clos, et la tête encore dans le cirage, avant de rencontrer le regard de Louise et de Drag. La démone apportait un gant frai, qu'elle posa sur le front de ma protégée. Quant à Drag, même si il refusait de le montrer, il s'inquiétait pour sa "fille".

- Elle a déjà reprit des couleurs.; constata Louise satisfaite.

- Oui.; confirma Drag, essayant de camoufler son soulagement.

Je soupirais à la réaction du démon. Qu'est-ce qu'ils avaient tous à jouer les insensibles alors qu'ils sont tous de véritables bisounours ? Louise émit un petit rire, échangeant un regard complice avec moi. C'est vrai qu'elle pouvait lire dans mes pensées depuis que nous étions liés... Je la fusillais du regard, lui faisant clairement savoir que je détestais quand elle faisait ça. Elle haussa un sourcil, le regard soudainement noir. Ses yeux semblaient me siffler : "Hey. Restes à ta place." J'en avais des sueurs froides... Brrr...!

Zac ne tarda pas à pointer le bout de son nez à l'encadrement de la porte, essayant de ne pas se faire remarquer. Lui aussi il allait s'y mettre, tiens ! Ce devait être son côté demi-démon... Ses yeux rencontrèrent les miens. Il rougit, embarrassé de s'être fait repéré, et sa tignasse blanche disparu de mon champ de vision à toute vitesse !

- Je t'ai vu !; criais-je à son attention sous les regards incompréhensif des deux autres démons.

- La ferme !; cria une voix venant du couloir.

J'éclatais de rire, tout en l'imaginant se ronger les doigts jusqu'au coudes ! Pauvre imbécile ! Quand un gémissement me tira hors de mes délires. Je me ruais vers Clémence, qui venait de rouler sur le dos, tout en se frottant les yeux.

- Clémence ! Tu vas bien ?; m'empressais-je de lui demander tout en posant mes mains sur ses épaules.

Elle se redressa doucement, et ouvrit ses lourdes paupières. Ses yeux magnifiques plongèrent dans les miens, encore fatigués.

- Qui êtes-vous ?

Quoi...?

Ces mots venaient de sortir de ses lèvres. Ces mots venaient d'être prononcés avec sa voix. Et ces mots venaient de m'ôter la vie. J'avais l'impression de me décomposer sur place.

Avais-je... mal entendu ...?

J'entrouvris les lèvres, mais aucun son ne sortit de ma gorge.

M'avait-elle réellement oublié ? Encore une fois ...? Une peine immense déchira mon cœur et le mit en pièce.

Elle éclata brusquement de rire, se jetant en arrière pour retomber sur le lit.

- C'était une blague ! Une blague ! Si tu avais vu ta tronche !; ria-t-elle jusqu'aux larmes.

Une blague...?

Une blague.

Oh... Une blague...

- Toi alors !; criais-je en lui sautant dessus; je vais te faire passer l'envie de me faire des blagues d'aussi mauvais goût !

Elle ria de plus belle, alors que je la chatouillais sous les yeux incrédules de Drag et Louise.

La démone soupira, avant de nous dire que le petit déjeuner était servit en bas. Mais nous étions trop occupé à jouer pour remarquer que les deux démons avaient quitté la chambre. Une fois épuisés, à bout de souffle, et après au moins une demi-heure de rigolade, nous nous étions effondrés sur le lit, les yeux fixés sur le plafond.

- Je suis désolée.; finit par soupirer Clémence; J'ai dû vous inquiéter.

- Mais de quoi tu parles ? Tu n'as aucune excuses à faire, idiote. L'important c'est que tu ailles mieux.; lui répondis-je en levant les yeux en l'air.

- ... ça va peut-être te paraître étrange mais... Je ne me rappelle plus vraiment de ce qu'il s'est passé. je me souviens avoir rencontré cet homme étrange, puis...; Elle hésita longuement, ses yeux perdus dans le vide, comme si elle se souvenait brusquement de quelque chose; Puis plus rien.; acheva-t-elle mal à l'aise.

- Rien ?; répétais-je en articulant bien clairement pour lui faire comprendre que la comédie ne marchait pas avec moi.

Elle parut troublée quelques secondes.

- Rien.; dit-elle de nouveau avec un sourire désarmant.

Je n'eu pas le cœur d'insister. Peut-être ne se sentait-elle par prête à me le dire ? Je devais lui faire confiance... Elle me le dira un jour ou l'autre. Je le sais. La confiance était essentielle entre un Gardien et sa protégée, je le sentais. Je me rappelais les évènements d'hier soir et me redressais en vitesse. Elle sursauta, rencontrant mon regard et semblant attendre des explications.

- Clémence...; murmurais-je la sueur coulant de mes tempes.

- Renger...?; hésita-t-elle.

- Est-ce que tu te rappelles de ce qu'il s'est passé hier soir ?; lui demandais-je.

Elle me dévisageait. Et plus elle gardait le silence, plus le stress me gagnait.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé hier soir...?; me demanda-t-elle effrayée.

Je pouvais lire des milliers de suppositions dans ses yeux, mais sa réponse était honnête. Elle ne se rappelait pas.

Elle ne se rappelait pas...

Je baissais les yeux, essayant de cacher ma déception. Elle m'interrogeait du regard, avant de m'assiéger de milles questions. Si elle avait fait une bêtise, ou quelque chose d'étrange, comme si elle venait de s'éveiller d'une cuite. Je la repoussais gentiment, tout en faisant durer le suspens. Elle semblait désespérée à l'idée qu'elle ait fait une chose anormale, et c'était amusant de la faire tourner en rond de la sorte ! Je ne m'en lassais pas !

- Renger ! C'est pas drôle ! Allez, dis-moi !; se lamenta-t-elle.

- "Moi".

- Je vais te tuer !

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Voili voilou pour ce nouveau chapitre ! Alors ?? Rassurés ?

Merci beaucoup d'avoir lu jusqu'ici et de continuer à lire vous êtes géniaux ! :')

Dites, je pensais à faire une histoire racontant la vie d'Elther (Louise) après avoir fini Gardien, afin d'éclairer plus de mystères et révéler des secrets qui ne seront pas encore dévoilés ici... Qu'en pensez-vous ??? N'hésitez pas à me donner votre avis, à voter/ commenter !

Gros bisous à toutes et à tous et à bientôt pour un nouveau chapitre de Gardien !