Gemini

Màu nền
Font chữ
Font size
Chiều cao dòng

« N'y va pas, Lazare. Là-bas, ils sont tous fous. »

Je me souviens de la sentence de Marlène. Bien sûr, c'était une vraie connerie de la défier et d'y aller. Mais avais-je un autre choix à l'époque ? Tout ça me semble si lointain, alors que ne sont passées que quelques semaines. Combien au juste ? Un mois ? Deux ?

Je vivais avec Marlène comme on vivait avec une sœur ou un parent quelconque. Par pur arrangement, sans passion ni conviction ; à peine avec un vague intérêt financier. Notre relation aurait pu – aurait dû – être différente, mais très vite nous nous étions aperçus que les promesses d'une première nuit de sexe ensemble ne pouvaient être tenues entre nous.

Coucher avec sa collègue de bureau... Ca aussi c'était une vraie connerie. Mais au moins, celle-là n'avait pas prêté à conséquence. Marlène me manque parfois. J'aurais dû l'écouter au lieu de courir après mes chimères et finir dans cet endroit insensé.

Dahlia portait le nom d'une fleur qui poussait jadis sur Terre. Bien sûr, ce n'était pas son vrai nom, mais je ne lui en ai jamais connu d'autre. Elle l'avait dégoté dans le « jardin d'hiver », le conservatoire botanique de Sagitarus, la station où je vivais. Je l'avais rencontré dans un bar, un vendredi soir, après le boulot. Où d'autre ? Les fleurs de son genre poussent à la tombée de la nuit, dans les interstices nauséeux de notre civilisation en ruine.

Elle était jeune. Trop jeune pour moi, sans doute. Du haut de ses vingt ans, elle me toisait avec l'assurance capricieuse d'une créature insaisissable. Filiforme mais pourtant très féminine, ses cheveux noirs tombaient littéralement jusqu'à ses petites fesses, du moins lorsqu'elle les détachait et ne les enfermait pas dans des coiffures aussi élaborées qu'insensées. Ses yeux gris m'avaient capturés au premier regard. Je m'en étais voulu d'être une proie aussi facile. Mais pas trop longtemps tout de même. Ce qui aurait dû n'être qu'une histoire d'un seul soir, s'était transformé en une succession d'histoires sans lendemain. Parfois je passais des semaines entières d'affilée sans même la croiser. C'était devenu un jeu. Un jeu pervers, dont elle seule connaissait les règles. Dès qu'elle refaisait surface dans les parages, je devenais fou. Vraiment. Je pétais des câbles lorsqu'elle prenait un soin évident à m'ignorer dans une proximité trop peu naturelle. Elle naviguait dans les environs immédiates de mes lieux de passages : bureau, appartement et dans les bars que je fréquentais. Elle me connaissait par cœur et se déplaçait dans ma sphère comme un fantôme bien trop intime.

Parfois, elle emménageait chez moi pour plusieurs jours. Jamais plus. Je ne savais rien du reste de sa vie. Je ne voulais pas savoir d'ailleurs. Tout ce qui importait, c'étaient mes mains sur ses hanches, ma bouche contre la sienne, ses cheveux sur mon visage.

Et puis un jour.

« Je vais partir, Lazare.

— Ca je m'en doute. Tu disparais toujours. Et puis, tu reviens.

— Non. Cette fois-ci, c'est pour de bon.

— Comment ça ?

— Tu vois bien que la vie sur Sagitarus n'est pas faite pour moi.

— La vie sur la Ceinture n'est faite pour personne.

— Mais certaines stations sont plus adaptées que d'autres, selon les personnalités.

— Ca, c'est ce qu'on veut te faire croire. Tu sais bien que les populations doivent déménager le plus possible. Mélanger les gênes. Tout ça.

— Hmm ! Tu es tellement étriqué. Ton esprit manque si cruellement d'ouverture.

— Comment je pourrais être « ouvert d'esprit » lorsque mon corps et celui de millions d'autres, est enfermé dans cette boîte de métal difforme. Explique-moi.

— A n'en pas douter, Sagitarus est faite pour toi. Pas besoin de se poser de questions, pas besoin de croire en un ailleurs. Tout est bien. A sa place.

— Et tu voudrais aller où, au juste.

— Sur Gemini, bien sûr. »

Sa réponse m'avait glacé le sang. Elle n'avait pas pour habitude de plaisanter avec les sujets graves, pour le peu que nous en parlions. J'avais su immédiatement qu'elle était sincère. En y repensant, plus tard, ça semblait pourtant logique. Une personnalité comme la sienne ne pouvait s'épanouir sur Sagitarus. Cette station était faite pour les esprits sans imagination. On y accueillait les aspirants les plus brillants et les plus disciplinés. La plupart des postes étaient dévolus à l'archivage, la compilation et l'analyse de données. Je faisais partie d'une nation de bureaucrates froids. J'analysais chaque jours des relevés provenant de la surface de la Terre, et je comparais des données matérielles qui ne permettaient aucun espoir : taux de radiations fixes, qualité de l'atmosphère insuffisante, sols arables toujours contaminés...

Dahlia, par contre, avait un esprit vif, tourné vers un ailleurs intangible mais bien réel dans ses fantasmes.

Gemini l'accueillerait les bras ouverts. Et la dévorerait.

« N'y va pas. Il n'y a que des fous sur Gemini ! »

Elle me regarda longuement avec un sourire cruel. Ses yeux défaisaient chaque strate de mon âme, m'épluchaient couche après couche, jusqu'à me mettre à nu. Elle se redressa, entièrement dévêtue, et quitta le lit en bataille pour se diriger vers les cinquante centimètres carrés de hublot dont je bénéficiais depuis ma dernière promotion. Au début, j'avais cru qu'elle me fréquentait pour ce genre d'agréments matériels. Mais quelque part, une partie médisante de mon cerveau me disait qu'elle devait avoir accès à des appartements bien plus luxueux que le mien. Avait-elle une liste d'amants entre lesquels elle partageait son temps ? Elle n'avait jamais parlé de travail ou d'activité quelconque.

Nue, face à la galaxie, elle contemplait l'horizon de la Ceinture. Là bas, à des milliers de kilomètres, tout au bord du cercle terrestre, Gemini l'appelait. Et moi je contemplais son dos, ses épaules, ses cuisses et le creux de ses reins, regrettant déjà le temps où je pouvais les tenir fermement comme si elle m'appartenait toute entière. Stupide garçon !

Je crois me rappeler m'être moqué d'elle. J'ai dû lui dire des insanités, bêtement, pour tenter de la convaincre de sa folie. J'ai sans doute égrainé tout un tas d'arguments matériels et concrets pour la mettre face à sa propre ineptie. Stupide !

Bien sûr qu'elle n'avait pas besoin de moi pour trouver sa conviction. Elle avait tout planifié depuis des années. C'est ce qu'elle me révéla en se rhabillant, me laissant désemparé dans mes draps, comme un enfant à qui on aurait avoué qu'il ne connaîtra jamais la surface de la Terre de son vivant.

Gemini. La station impossible. L'antre de tous les excès. Personne n'y va jamais, à part quelques individus très riches et délurés qui veulent y passer du bon temps et qui reviennent pour évoquer tous les excès de ce monde sans loi. La légende de Gemini ne dépasse peut être pas la réalité des faits.

Maintenant que j'y suis, sans espoir de retour, je peux affirmer qu'aucune rumeur, qu'aucun ragot n'est à la hauteur de ce qui s'y passe réellement. Les riches voyageurs de passages n'en voit qu'une infime partie, la plus clinquante : les trois ou quatre cercles où les Gémeaux les autorisent à dépenser leur argent sans compter.

Marlène avait beaucoup pleuré les derniers jours précédents mon départ. J'avais demandé un congé exceptionnel et soldé mes économies pour me payer le trajet et de quoi survivre quelques temps là-bas. Les transferts d'argent en provenance de Gemini étaient très surveillés par les autres stations. On n'autorisant les Gémeaux à acheter les productions agricoles des autres stations que parce qu'ils les payaient au prix fort. Leur économie ne semblait tenir que sur le tourisme et quelques productions mineures du marché de la Ceinture. Par exemple, les œuvres des artistes les plus en vogue, provenaient de chez eux, tout comme certains objets de luxe, totalement superflus à la survie humaine : les bijoux, les tissus d'apparats, les babioles qui rappelaient le savoir vivre d'antan des Terriens.

Il n'y avait pas besoin de visa pour se rendre sur Gemini. A part quelques doux rêveurs ou des truands qui n'avaient nulle autre part où aller pour disparaître, personne ne souhaitait s'y installer. Et très peu de Gémeaux d'origine la quittaient pour démarrer une nouvelle vie d'ordre et de calme sur le reste de la Ceinture.

Je ne sais plus quand l'idée m'était devenue une évidence. Malgré mes recherches, je n'avais trouvé aucune trace de Dahlia. D'autres hommes la cherchaient aussi, dans les bars, les boîtes de nuits, les ruelles mal famées. J'en avais rencontré deux ou trois, et aucun ne croyait à son projet de départ vers la station maudite. Je semblais être le seul à accepter cette vérité. J'avais pensé qu'il s'agissait là d'une invitation à la suivre. Un peu comme si elle me défiait, comme si elle me disait que si j'étais le seul à oser la rejoindre, alors elle ne serait plus qu'à moi.

Dès mes premiers pas sur Gemini, j'ai su que je ne la retrouverais jamais dans cette foule bigarrée et délurée. Le débarcadère était une sorte d'immense cabaret, ou de casino, ou quelque chose entre les deux. D'anciens joueurs venus tenter le Diable erraient, désoeuvrés et quémandaient aux nouveaux arrivants de quoi subsister encore un peu plus. D'autres, encore plus désespérés, essayaient de négocier un billet de retour ; ils promettaient des sommes faramineuses à qui les ramèneraient chez eux. Les Gémeaux étaient pour la plupart tous habillés d'ors et de couleurs vives, dans des tenues extravagantes. Certains portaient fièrement à l'épaule ou au bras des animaux vivants, oiseaux chamarrés, singes, chats, petits chiens. D'autres étaient quasiment nus et suivaient, résignés, leurs maîtres. J'appris que l'esclavage « volontaire » était une coutume sur Gemini. Il s'agissait souvent de payer ses dettes de jeu, ou de s'attirer les faveurs des plus puissants. Partout, l'alcool, les drogues et le luxe empestaient les coursives. Le quotidien des Gémeaux consistait essentiellement à jouer et à dépenser des fortunes en divertissements de toutes sortes.

J'étais venu à la recherche d'une fille et on me conduisit dans une quantité incroyable de bordels, des plus sordides aux plus raffinés. Nulle part où je passais, je n'entrevoyais la longue chevelure sombre de Dahlia.

Au bout de plusieurs jours d'enquête acharnée, un homme au sourire inépuisable et aux manières d'assassin, du nom d'Ignace, m'apprit qu'il avait croisé à plusieurs reprises une jeune femme qui semblait correspondre à la description que je lui en donnais.

Elle vivait dans les appartements d'une matrone appelée Sélina. Elle s'en servait tantôt comme suivante, tantôt comme favorite et appréciait l'offrir à ses invités. La réputation de cette esclave, d'après ses dires, dépasserait bientôt Gemini, et on viendrait de toute la Ceinture pour goûter aux plaisirs de sa jeune chair. Le type me dégoûtait et je ne croyais ses mensonges qu'avec une méfiance suspecte, jusqu'au jour où il me montra une vidéo de Dahlia sur son porte-réseau.

Ma sublime Dahlia apparaissait enchaînée et souriante dans un extrait d'orgie abjecte, entourée d'hommes et de femmes qui se livraient à diverses débauches.

Le piège était évident, mais je me croyais encore assez fort pour le déjouer. J'obtins de mon maître chanteur, la promesse de m'amener jusqu'à elle, en échange d'une liste de menus services qu'il rallongeait de jour en jour.

Pour le satisfaire, je dû mentir, voler, m'attirer les faveurs de vieilles truies et de jeunes requins.

Enfin, n'y pouvant plus, et parce que sans doute je perdais en patience et en discrétion, le bandit me fit inviter chez Sélina, me présentant à elle comme un jeune homme très avenant et prêt à donner de ma personne pour déjouer les contraintes administratives des douanes de Sagitarus.

Sélina s'en réjouit et y crut dur comme fer. Elle me tint à son service durant plusieurs jours et je dus gagner sa confiance jusqu'à ce qu'elle me considère digne d'être admis dans son premier cercle, celui qui donnait accès à ses « soirées mondaines ».

Dahlia me reconnut immédiatement. Elle s'approcha de moi et m'embrassa à pleine bouche avant d'exploser de rire et de se détourner. Je la vis s'éloigner pour monter sur une table basse et danser en l'honneur d'autres invités.

Lorsque je tentai de la saisir pour lui parler, elle me repoussa violemment et alla se nicher contre le torse d'un homme gigantesque. J'ignorai sa manœuvre et hurlai tout mon désarroi. Je livrai toute ma hargne et mon désespoir, et aussi ma joie immense de l'avoir retrouvée. Elle continuait à minauder et à m'ignorer. Je me ruai sur elle pour l'empoigner et la traîner loin de cet enfer.

Des hommes se levèrent et firent cercle autour de moi. Sélina les écarta et vint me faire face.

« Alors c'est lui dont tu m'as parlé si souvent, Dahlia ?

— Oui, Maîtresse. C'est le fou qui m'a poursuivit depuis Sagitarus.

— Et moi qui te prenais pour une menteuse.

— Suis-je libre, Maîtresse ?

— Hmm... Quelles étaient les conditions de notre pari, déjà ?

— Je devais t'apporter un esclave de Sagitarus.

— On dirait bien que tu as finalement réussi. Même s'il t'aura fallu presque deux ans.

— Mais, le voici, Maîtresse.

— Oui. En effet. Quel est ton nom, esclave ?

— Vous foutez pas de ma gueule ! Je n'ai rien à voir avec vos conneries. Dahlia, viens avec moi. On rentre chez nous.

— Mais c'est ici, chez moi, sombre crétin !

— Qu'est-ce que tu racontes ?

— Il s'appelle, Lazare. Et si ton serviteur, Ignace, s'est bien débrouillé, il n'a plus aucun moyen de partir de Gemini. »

Les sourires satisfaits de mes hôtes s'élargirent. Ignace reçu sa récompense ; Dahlia, la sienne. Et moi je dus me battre pour me frayer un chemin vers la sortie.

Parfois, je croise Dahlia, aux bras d'hommes élégants près de l'embarcadère. Elle ne manque jamais l'occasion pour me laisser quelques pièces et me glisser à l'oreille son unique promesse.

« Quand tu en auras assez de regarder en arrière, viens à moi. Je serai toujours prête pour être ta maîtresse. »

Alors je la regarde s'éloigner et mes soupirs me rappellent les pleurs de Marlène. Il n'y a que des fous sur Gemini.


______________________

juin 2015

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen2U.Pro