Incertains regards

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Posés sur moi, dans cette rame de métro suintante de fatigue et de résignation, ses yeux bleu-gris couleur de ciel couvert me dévisagent. Ou est-ce l'affiche dans mon dos ? Le reflet me renvoie le sourire éclatant d'une actrice américaine, blonde comme la Californie, belle comme nulle part. Que regarde-t-il ? Là-bas, assis sur ce strapontin relevé et déplié un bon million de fois de trop, perdu parmi les yeux vides d'une foule poussiéreuse et déjà presqu'entièrement digérée par le transit quotidien dans ces viscères mécaniques, glissant d'Austerlitz en Cambronne ou de République à Nation puis à Père Lachaise, son regard clair me met à nu. Du moins le voudrais-je. Le vent confiné, remugle parfumé de Lacoste et de friture d'oignon, soulève mes cheveux, les graissant de sa main maculée de cambouis et de sueur. Sur mon front, une mèche blonde ondule et s'affaisse, mue par l'aspiration du train-train.

Bien sûr les garçons me scrutent parfois, et je sens alors le malaise s'immiscer en moi aussi sûrement que le serpent de leur vice se délecte de mes quelques centimètres carrés de peau découverte. J'esquive, je détourne les yeux pour mieux en trouver d'autres, encore plus lugubres ou méprisants, encore plus pervers et libidineux.

Mais ces yeux-là, loin de me toiser ou de me déshabiller, me respectent et m'enveloppent de bienveillance. Être admirable, plus que désirée, se sentir belle sous la caresse de pupilles complices, et non simplement « bonne à baiser » dans l'imagination dénaturée d'un frustré insignifiant, voilà qui vaut le coup de jouer.

Non que je me sente particulièrement jolie, surtout ici, derrière la vitrine de ce zoo cosmopolite et artificiel – et pour m'en convaincre je n'ai qu'à me comparer aux étranges créatures aux longues jambes et au maquillage suburbain qui cohabitent dans mon wagon – mais est-il si illusoire que je puisse attirer l'attention d'un charmant jeune homme ?

Entre le roulement des têtes qui se balancent au rythme du tangage métropolitain, nous croisons et décroisons nos regards, lui assis près d'un vieux marocain moustachu, tout absorbé vingt minutes durant dans son gratuit, moi harnachée à mes barres métalliques, araignée docile attendant patiemment la fin du trajet.

De station en station, d'arrêt brusque en bousculade, la géographie humaine de la rame de métro évolue vers le rapprochement et le chassé-croisé entrecoupé de nos quatre yeux.

Le vent aux mains sales plante les griffes de mes cheveux fourchés en plein dans ma cornée. Une larme et la peur d'une conjonctivite s'en échappent, bientôt rejointes par le bord d'un doigt fin – celui qui ne porte JAMAIS d'alliance et qui me rappelle le vrai sens du mot solitaire.

Le jeune homme poursuit sa silencieuse cour.

Est-ce bien moi qui mérite toute cette attention ? Comment ne s'est-il pas lassé de ce même visage timide et sans fard, alors que papillonne autour les mantes et les tailles de guêpes ? Ne regarde-t-il pas ces deux vietnamiennes aussi séduisantes que brunes ?

Pourtant alors qu'il se frotte les yeux, le jeune homme au charme estudiantin, fixe toujours ce point de fuite où voguent mes doutes et mes fols espoirs. Mais de son point de vue, là-bas, en contre plongée assise, peut-être tient-il le compte mental des stations le long du schéma de la ligne : Grenelle – Dupleix – Bir-Hakeim, bientôt le départ.

Pour la première fois je souris, puisqu'un sourire ne coûte rien selon les maximes des magazines. Son geste à lui est bien plus mystérieux car il relève son écharpe sur son nez et déchausse son casque d'écoute musicale. Il se lève et s'apprête à lever le camp.

L'angoisse de ne plus le revoir, de le perdre avant même de le connaître, me fait agir. Pour la seule et unique fois de ma vie, je ne veux pas peser le pour et le contre, ni même osciller entre regret et remord.

Crissement de freins, mouvement de foule, glissement de porte et course vers l'inconnu, me voilà sur le quai à chercher un regard. Son foulard bien relevé, laissant à peine la place à l'éclat de ses yeux bleu-gris que j'aime déjà tant, je le vois qui se lance dans l'ascension d'un escalator. Moi je gravis quatre à quatre une volée de marches. J'éternue.

De l'autre côté du panneau qui annonce le Trocadéro, il y a un brouillard étrange et magique, comme un nuage de smog pur. J'éternue. Mon bel étudiant est déjà dehors. Je suis sur ses traces, je tends la main vers lui, attrape son coude qui se dérobe immédiatement.

Je ne le vois plus, je ne le sens plus. Je suis aveugle. J'étouffe. Je sens que je vais tourner de l'œil. J'éternue. Je pleure.

Je suis seule au milieu de cette manifestation, une grenade lacrymogène soupirant à mes pieds. Pourquoi les beaux étudiants veulent-ils toujours faire grève et se battre contre les CRS plutôt que m'inviter au cinéma ? 


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mai 2010

reprise 02/11/2016

correction 21/11/2016

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