Premier trip. Tellement puissant, il l'avait emmenée dans des contrées qu'elle n'aurait jamais pu imaginer. Ses nouveaux amis étaient flous, tellement plus beaux dans le brouillard crée par cette substance magique. Ses complexes étaient morts, elle était une créature surnaturelle aimée par tous. Les meubles déformés se coloraient comme par magie. Elle n'avait jamais rien vu d'aussi beau.

Second trip. Les effets tant attendus ne furent pas longs à venir. Elle fit l'amour cette nuit-là. Elle n'en gardera qu'un vague souvenir, des sensations de corps qui se mélangent, une impression de jouissance insaisissable. Ils ne s'étaient pas protégés mais à quoi bon ? Ils avaient trouvé leur réalité, bien plus belle que celle qu'on leur avait imposé. Ils s'aimaient le temps du voyage, le temps d'une éternité ou deux. Ils ne pensaient pas aux conséquences, comment auraient-ils pu prévoir qu'elle tomberait enceinte ?

Troisième trip. Les murs du garage aménagé en chambre de fortune semblaient translucides, elle voyait l'air danser devant elle. Ses sens étaient anesthésiés. Disparu, le gout du sang dans sa bouche. Disparue, l'odeur de fumée s'échappant de sa maison en cendres. Disparus, les cris de souffrance de sa mère, les cris de haine de son père. Disparues les cloques sanguinolentes de ses mains cherchant en vain à extraire des décombres les corps de ceux qu'elle a aimé.

Quatrième, cinquième trip. La redescente était chaque fois plus insupportable. Le monde auquel elle était sensée appartenir ne lui convenait plus. Seule cette substance offerte par son compagnon de voyage, son dealer en réalité, pouvait lui apporter un peu de bonheur. Sa vie n'avait plus de sens sans ces soirées fantasmagoriques, sans ces hallucinations psychédéliques.

Sixième trip. Il n'y aurait pas de redescente. Elle ne pouvait plus vivre en dehors de ses voyages. Le monde était déjà bien triste avant, il n'avait plus de saveur depuis bien longtemps. Mais à quoi bon se contenter de son malheur quand un simple buvard imprégné de LSD pouvait lui apporter tout le bonheur du monde, et bien plus encore ? Elle courait sur le lac de sa conscience, les ondes de choc devenaient des feux d'artifices assourdissants. Le réel tombait en fumée, s'envolant en brumes colorées. Toutes les nuances de rose montaient au ciel, se cachant dans ce vide infini. Non, il n'y aurait pas de redescente. Pendant que son corps, oublié là sur un sol malpropre, convulsait, se vidait de toute l'eau, de tout le sang qu'il contenait, son esprit libéré s'envolait dans ces volutes aveugles. La vie était quelque part dans cette tempête de couleur, laissant cette enveloppe charnelle détestée pour rejoindre l'âme dans son dernier voyage. Tout devint noir.

Vide. Oubli. Fin. Et soudain, une étoile.