Je ne sais pas si sa théorie sur les âmes sœurs est vraie, mais elle est vraiment si belle que je veux y croire, je veux croire que nous sommes faites l'une pour l'autre même si tout nous sépare. Je sais que je ne devrais pas vraiment, que ce n'est pas forcément une bonne chose, je suis dans le futur et elle dans le passe, ce n'est pas possible entre nous, même si je l'aime et qu'elle paraît m'aimer aussi. Heureusement, j'ai un peu de semaines à passer avec elle, alors je compte bien en profiter si elle me pardonne mon départ de l'autre jour. Mais avant, je veux mettre un dernier truc au clair :

— Quand tu as dit que tu pensais avoir trouvé le fonctionnement de mes voyages dans le temps, tu parlais de quoi ?

— Tu sais sans doute que j'ai été dans une fac de physique ?

— Oui, tu as un master de physique quantique et tu es ressortie majeure de ta promo...

— Oui, je connais ma propre biographie, rigole-t-elle en réussissant quand même à me faire rougir. D'ailleurs, il faudra que je te pose une question par rapport à ce sujet-là... Je suis insupportable à toujours me déconcentrer... Bref, je pense que ton carnet utilise la théorie des cordes, c'est-à-dire une théorie disant que le plus petit corps existant n'est pas le quark ou le lepton, explique-t-elle paraissant vraiment passionnée par ce qu'elle dit et très sûre de ce qu'elle raconte.

Alors que moi, je ne comprends rien du tout, limite je suis complètement perdue. Je ne suis même pas certaine d'avoir bien compris sa dernière phrase. Je n'ai déjà la moindre idée de ce qu'est un quark ou un lepton. Déjà que je pensais que le plus petit corps, c'était les électrons ou peut-être les neutrons – je ne sais plus bien, les cours de physique remontent à loin –, alors honnêtement, là, c'est proche du chinois ce qu'elle me dit. J'espère que ça se voit que je ne comprends rien ou presque, parce que si elle commence à partir dans un délire de physique quantique poussé, elle va très vite me perdre – si elle ne l'a pas déjà fait –, que ce soit par rapport aux termes ou aux explications en elle-même.

— En gros, les cordes interagissent ensemble, elles se modulent, elles vibrent, continue-t-elle en essayant sans doute de faire simple. C'est vraiment beaucoup plus complexe, mais pour être claire, on peut dire que quand elles interagissent, vibrent et tout. Elles peuvent déformer la gravité autour d'elle et permettant d'aller d'un point A à un point B, voir d'un univers A à un univers B, peut-être même d'aller d'un instant A à un instant B, ou même tout à la fois, ça dépend la représentation de l'espace qui s'applique en réalité, ce qui complexifie le tout.

Si c'est ça le en gros, je ne veux pas savoir ce qu'est la partie compliquée... Parce que là, ça va à peu près, c'est assez simple, mais je sens bien que c'est beaucoup plus complexe en réalité et que là, elle vulgarise vraiment la théorie – après, ce n'est pas pour critiquer, mais je suis sûre que ça serait une très mauvaise prof.

— Mais c'est un peu dur de deviner toutes les possibilités qu'offrent les cordes, il y a vraiment beaucoup d'inconnues pour l'instant... En soi, c'est complètement fou et encore un peu improbable vu l'état actuel de la science, mais la théorie se tient quand même et je suis sûre que de là où tu viens, elle a été beaucoup plus approfondie.

Elle me regarde avec l'espoir que je la renseigne, mais elle parle définitivement à la mauvaise personne.

— Peut-être, mais je n'en ai aucune idée, pour tout te dire, moi et la physique, ça fait mille, alors moi et la physique quantique, je ne t'en parle même pas, même les atomes, c'est presque trop compliqué pour moi.

Et c'est un euphémisme, mais je ne vais pas lui dire que la physique, la matière qu'elle préfère, est pour moi la pire matière au monde.

— Ouais alors ça va être compliqué de tout t'expliquer... Je vais éviter de te refaire mon exposé, je vais te perdre avant... Je parie que tu n'as pas non plus entendu parler de la gravité quantique ?

Je suis désolée pour elle, mais c'est improbable comme situation, celle de nous deux qui a besoin de comprendre, ne comprend rien à tout ça et celle à qui ça ne change rien de comprendre, comprend tout. C'est un peu un manque de bol quand même, ça me fait même rire. Surtout que je suis celle de nous deux qui pourrait lui fournir des informations supplémentaires.

— Ouais, je crois que j'ai ma réponse, rigole Terrie à son tour. C'est pas grave, ne t'en fais pas, tu n'as pas besoin de la comprendre pour savoir comment fonctionne ton carnet.

— Cool parce que sinon, mon cerveau va finir en bouille. Et dans tous les cas, je crois que je commence à comprendre... affirmé-je sans même mentir. Par contre, je ne vois pas comme c'est possible que le monde ne soit jamais tout à fait le même à mon retour dans le présent.

— C'est vrai qu'il y a ça aussi... En vrai, ça, c'est assez simple, en gros... Je vais chercher un accessoire pour mieux t'expliquer, ce sera plus simple comme ça, ajoute-t-elle en se levant.

Elle monte les escaliers et redescend peu de temps plus tard avec un globe terrestre en liège à la main – il y a d'ailleurs des punaises enfoncer dans certains pays, peut-être ceux où elle a déjà été, je ne sais pas trop.

— Alors, imaginons que chaque fuseau horaire est une réalité différente, ou un monde différent, ou un univers, ou je ne sais pas comme tu préfères appeler ça. Dans tous les cas, à chaque fois qu'on prend une décision, même quelconque, l'univers change, prenant deux directions différentes, l'une sera sur un fuseau et l'autre sur un autre, avant cette décision qu'on peut représenter comme étant l'un des pôles, l'univers est exactement pareil, mais après, il y a une légère différence parce qu'une personne a pris une décision différente. En soi, c'est assez imperceptible comme différence, c'est presque rien. Mais pour toi qui voyages dans le temps, ces différences doivent se voir plus ou moins fort.

— Comme l'effet papillon ?

— C'est quoi l'effet papillon ?

— Si je ne dis pas de bêtises, c'est un truc qui dit qu'un battement d'aile de papillon peut avoir de grandes conséquences.

— Oui, ça a peut-être un rapport avec ce que je t'ai expliqué.

— Et du coup, c'est pour ça que d'un voyage à l'autre, ça change ? Parce que j'ai influencé des décisions.

— Logiquement oui, il y a peut-être même des fois où si tu vas plus loin dans le passé, tu effaces tous tes autres voyages vu que tu vas dans un passé, que tu modifies ce passé et qu'en revenant, tu n'es plus sur le fuseau où tu avais changé quelque chose la dernière fois.

— Oui, comme pour mon père... soupiré-je en comprenant enfin pourquoi après que j'ai tenté de sauver mon grand-père, j'ai perdu de nouveau mon père...

J'aurais préféré le savoir avant, mais mieux vaux tard que jamais, au moins maintenant, je sais quoi faire pour que ce que je modifie reste ancré dans mon présent...

Mais en vrai, je n'aurais jamais parié sur le fait qu'elle allait me croire, encore moins qu'elle allait comprendre mieux que moi toute cette histoire... Si j'avais su, je lui aurais tout dit depuis le début, ça aurait évité certains problèmes, comme ceux de l'autre jour, dont je me serais volontiers passée.

— Il te reste combien de voyages d'ailleurs ? demande-t-elle en paraissant avoir attendu de poser la question depuis le début ou presque.

— Je ne sais pas trop... Enfin si, je sais, mais je ne sais pas encore ce que je vais en faire... Il est évident que j'en utiliserais le plus possible pour passer du temps avec toi, mais à un moment, il faudra que je retourne définitivement dans mon présent après avoir réglé certains détails...

Détails dont je ne suis moi-même pas certaine, il est évident que j'utiliserais un voyage pour mon père. Mais peut-être que j'en prendrai aussi un pour Warren, je ne sais pas encore, je n'arrive pas à me résoudre de le laisser mourir. Surtout maintenant que c'est aussi un de mes amis, en plus d'être le frère de Terrie et je ne veux pas qu'elle le perde alors qu'ils sont si proches l'un de l'autre, ça serait monstrueux de lui faire subir ça alors que j'aurais peut-être pu l'éviter...

— Combien de temps à peu près ?

— Deux semaines, peut-être trois, je ne suis pas encore certaine... affirmé-je avec tristesse, ne m'étant pas aperçue avant de le dire à voix haute, à quel point ce n'était rien...

— Et dans ton présent ? Il n'y aurait pas une chance entre nous, m'interroge-t-elle encore pleine d'espoir.

— Disons que tu as l'âge d'être ma grand-mère... hésité-je sachant très bien que ça peut être très bizarre à entendre, c'est déjà très bizarre à dire...

— Ah... c'est très perturbant quand même... on a tant de différence d'âge que ça dans ton présent ?...

— Malheureusement oui...

— Alors ça veut dire que tu es née dans les années 2000 ? Et qu'on a cinquante ans d'écart ?

Pourquoi c'est une scientifique déjà ? Parce que là, elle est pile dans le mille ou presque. Et je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée qu'elle sache de quand je viens, ce n'est peut-être pas le mieux pour nous deux. Je ne veux pas qu'elle m'attende indéfiniment. Et je ne veux pas non plus que j'espère la revoir un jour une fois que je n'aurais plu moyen de retourner la voir dans le passé...

— À peu près oui...

— C'est vrai que ça peut être compliqué pour nous si j'ai soixante-dix ans et toi que vingt ans...

— On n'a que le passé pour nous malheureusement... soupiré-je en lui prenant la main. Et même si ce n'est que deux ou trois semaines, je veux les passer avec toi et en profiter au maximum...

— Moi aussi, je veux les vivre avec toi et t'aimer le plus possible... murmure-t-elle en posant sa main sur ma joue.

Elle me regarde quelques instants, hésitante, mais je ne lui laisse pas le temps de faire le premier pas et je l'embrasse.

Qu'est-ce que j'aime l'embrasser, de sentir la douceur de ses lèvres, la chaleur de sa peau, ça m'avait tellement manqué en seulement quatre jours... Je ne sais pas comment je vais faire pour m'en passer un jour... Je sens déjà que ça va être dur. Surtout si je continue d'y prendre autant goût, mais je ne compte pas arrêter de l'embrasser pour faciliter les choses. J'ai bien vu l'autre fois ce que ça a donné... Ce n'est pas ma définition de bonne idée...

Mais bien sûr, vu que toutes les bonnes choses ont une fin, notre baiser se fait interrompre, nous nous sommes à peine embrassées que quelqu'un débarque.

— Oh... désolée... s'excuse Warren tout de suite en devenant rouge tomate.

Un peu gênée, je me lève et m'éloigne un peu de sa sœur qui le fixe, choquée, n'en revenant pas qu'il ait débarqué pile au mauvais moment.

— Je vais y aller, tu viendras me voir... plus tard... il faut que je te parle... ajoute-t-il définitivement gêné.