C'est seulement lorsque j'entends mon réveil sonner à l'étage que je sors de ma transe créatrice et que je laisse tout en plan pour me préparer à aller au studio d'enregistrement, même si j'ai presque fait nuit blanche et que maintenant que je m'agite, je reçois le contre coup de l'alcool d'hier. Je m'habille entièrement, puis j'ouvre à mes oiseaux et récupère mon hibou, Jump, pour prendre mon petit déjeuner avec lui, avant de regarder ce que je vais bien pouvoir manger. Malheureusement, il n'y a plus grand-chose dans le frigo, voire plus rien; il va vraiment falloir que je pense à faire des courses tout à l'heure avant de rentrer des studios.

En attendant, j'ai faim, ça fait deux heures que mon ventre gargouille, alors je vais chercher de la nourriture chez mon jumeau, l'un des grands avantages à avoir comme voisin son frère. Je pose Jump sur son perchoir et j'enfile un manteau avant de sortir affronter le vent printanier. En quelques pas, je suis déjà devant la porte de la maison de Warren, je toque, mais personne ne me répond; à tous les coups, hier, je n'ai pas halluciné, il est bel et bien parti vers trois heures du matin cette nuit, sans doute pour faire la fête, le connaissant. Il doit être rentré maintenant, du moins j'espère, mais il est sûrement amoché. Qu'est-ce qu'il m'énerve à boire et fumer à ce point. Après une petite hésitation, je me dis que tant pis, je rentre.

À l'intérieur règnent un silence pesant et une odeur de cigare. Cette fois-ci, je ne suis plus du tout en colère contre Warren, au contraire, je suis inquiète, ce n'est pas la première fois qu'il fait la fête, mais en ce moment, il a carrément tendance à repousser au maximum ses limites en abusent d'alcool, de drogue, voire même de sexe. Au lieu d'aller vers la cuisine, j'essaye de le trouver, ayant presque peur qu'il ne soit pas rentré. En passant dans le salon, je tâche de ne pas faire attention aux cadavres de bouteille et à la poudre blanche, préférant ne pas trop m'attarder et tout de suite monter à l'étage pour aller dans sa chambre, même si ce que je risque de trouver peut ne pas être mieux.

Et comme je l'aurais parié, mon frère est en train de dormir, avec un homme, que je n'ai jamais vu, à ses côtés. Mais clairement, Warren cuve et il ne se réveillera sans doute pas tout seul avant plusieurs heures, alors que nous devons partir dans environ trente minutes. Un peu résignée, et n'ayant pas beaucoup d'autre choix, je m'approche de lui pour le sortir du sommeil, croisant les doigts pour ne pas éveiller au passage l'autre garçon.

— Warren, faut que tu te lèves, on doit aller au studio, murmuré-je en le secouant légèrement.

— Dégage, laisse-moi dormir, ronchonne-t-il, n'ouvrant même pas les yeux, m'offrant des relents d'alcool et de cigare, rien qu'en parlant.

— Warren, bouge, je suis sérieuse.

— Vas-y toute seule...

Je le regarde désarçonner, c'est bien la première fois, en quinze ans, qu'il me dit d'aller à une scène d'enregistrement sans lui, il a vraiment abusé hier ou alors l'homme à côté est un bon coup, mais ça m'étonnerait. Non, il a surtout de forte chance pour qu'il n'ait pas compris tout ce que j'ai dit, il doit être défoncé et endormi. Mais ce qui me perturbe le plus, c'est qu'après que Déborah m'ait conseillé de ne pas sortir de chez moi, mon frère me dit d'aller au studio toute seule, j'ai même carrément envie de ne pas partir maintenant, ça fait beaucoup trop.

— Non, si tu n'y vas pas, je n'y vais pas non plus.

Je n'obtiens aucune réaction, mais ça ne me dérange pas, ma décision est prise, je ne vais pas au studio, tant pis, même si nous avons une musique à enregistrer et que nous sommes déjà en retard pour rendre la maquette. De toute manière, je suis bien trop fatiguée, énervée et agacée pour y aller toute seule.

Ayant pris ma décision, je le laisse dormir en paix et je redescends pour lui voler de la nourriture. Je prends juste une boîte de conserve de cassoulet, j'ai faim de canard, puis je retourne chez moi. Alors que je fais chauffer le contenu de la boîte, j'appelle Andrew Bush, l'avocat de Her Majesty, n'ayant pas le numéro du label pour m'excuser en personne du délai supplémentaire qu'a pris l'album. Ça sonne plusieurs fois dans le vide et je tilt alors qu'il est huit heures du matin et qu'on est samedi, il doit encore dormir. Oups...

— Allô, fait Andrew, encore complètement endormi.

— Oui, Andrew, c'est Terrie Century, je suis vraiment désolée si je t'ai réveillé, mais je n'ai pas le numéro d'Hollywood Record et l'on ne pourra pas rendre la maquette de Come On ce soir...

Je l'entends soupirer, mais je sais qu'il est sympa et il connaît le groupe depuis suffisamment longtemps pour savoir que c'est exceptionnel.

— OK, je vais les prévenir, je m'en occupe. Il est quelle heure à Los Angeles là ? Vingt-trois heures... Je peux peut-être même l'appeler maintenant. C'est quoi l'excuse que je lui donne ?

Je sais qu'il est capable d'en inventer une, mais je lui dis la vérité :

— Il manque l'instrumentale d'une musique parce que je n'ai eu un nouvel archet pour ma contrebasse qu'hier après-midi, et là, ce matin, Warren est bien trop défoncé pour aller au studio, tu sais bien que je déteste y aller sans lui.

Bon OK, ce n'est pas toute la vérité, mais il risque de me prendre pour une folle si je lui répète ce que m'a conseillé Débrah.

— Ouais, je vais exagérer la vérité, mais ça devrait passer.

— Merci beaucoup.

— D'ailleurs, une dernière petite chose, comment je leur explique que vous ayez joué Don't Try Death hier, au lieu de la passer pour la première fois aujourd'hui à la BBC.

— Inspiration d'artiste.

— Parlez-m'en avant la prochaine fois, ce sera mieux.

— Désolée...

— Je te laisse, je vais appeler Steve avant qu'il ne dorme, si j'attends demain huit heures, je vais finir par me faire tuer, mieux vaut qu'il soit prévenu. Aussi, tu t'occupes de prévenir le... le reste du groupe j'espère.

— Bien sûr, merci encore... affirmé-je avant de raccrocher.

Dès que c'est fait, je téléphone à Ruth pour lui dire que ce n'est pas la peine d'aller au studio aujourd'hui. Elle répond tout de suite, déjà réactive et réveillée.

— Pourquoi, il y a un problème ? panique-t-elle presque immédiatement.

— Oui, ne t'en fais pas, c'est juste que Warren n'est pas en état de venir et je ne veux pas y aller sans lui... tenté-je de la rassurer.

— C'est It Was Meant To Be, tu ne l'aimes pas, c'est ça ? Si c'est ça, on l'enlève de l'album, ce n'est pas grave...

Je me retiens de soupirer, j'adore Ruth, mais elle a juste un manque de confiance en elle assez inquiétant, ce qui pose parfois problème pour ce qui est de ses musiques lors des enregistrements.

— Non, elle est géniale ta musique, ne t'en fais pas, c'est vraiment moi qui ne veux pas aller au studio sans Warren, promis.

— Promis ?

— Oui, je ne t'ai jamais menti, tu le sais bien.

Sentant, rien qu'à travers le combiné, qu'elle est sceptique, j'ajoute :

— J'ai omis la vérité une fois, c'est tout et c'était il y a longtemps maintenant, je ne vous connaissais pas bien encore.

Elle rigole, sans doute en repensant au jour où je lui ai révélé mon secret, ainsi qu'à tous les membres de Her Majesty, c'est vrai que c'était comique de voir les têtes du groupe à ce moment-là, je pense qu'ils n'étaient pas vraiment prêts mentalement, mais au final, ils l'ont bien pris. D'un autre côté, ils n'ont pas eu le choix, nous allions monter sur scène dans quelques minutes à peine, ils n'allaient pas tout laisser tomber à cause de moi.

— Bon, je te laisse, je vais me recoucher du coup. Tu t'occupes d'appeler Leroy, il doit... Enfin bref, tu t'occupes de Leroy et Dean j'espère.

Épatant comme personne n'est motivé pour réveiller King. Je ne suis d'ailleurs pas plus motivée, mais quand il faut, il faut... Il va être d'une humeur massacrante.