Retour à Combourg ou l'envie viscérale de remonter le temps

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Restez jusque la fin, il y a deux textes que j'ai écrits et qui me tiennent à cœur de partager

Je reviens vous faire un petit coucou sur Wattpad qui n'a rien à voir avec les fêtes, Noël, la nouvelle année, etc. (Mais du coup je vous souhaite tout de même de bonnes fêtes de fin d'année au passage)

Je suis retournée à mon ancien lycée à l'occasion du carrefour des formations le vendredi 17 (ça fait plus d'une semaine que je veux écrire ce chapitre mais je le fais seulement maintenant - j'ai eu la détermination d'une limace ces derniers temps, allez savoir, j'aime trop dormir, c'est effarant)
Je sais pas si vous voyez ce que c'est le "carrefour des formations" genre si vous avez ça dans vos établissements vous aussi ou si c'est propre au mien, mais en gros c'est la direction qui fait appel aux anciens élèves pour que ces derniers viennent la veille des vacances de Noël parler de leurs études aux 1ères et terminales, et ainsi leur donner des idées d'avenir.

Et donc cette année j'ai reçu un mail qui m'invitait à y participer, et avec ma meilleure amie - de laquelle je suis cette année séparée car après un an de prépa dans la même classe, nous avons pris des chemins d'études différents (moi à l'école du Louvre à Paris, et elle à Sciences Po Rennes) - on s'était dit que ce serait trop cool d'y retourner ensemble, revoir les lieux, les profs, et puis on pourrait parler toutes les deux de la prépa, de plus qu'on ne l'a pas vraiment vécu de la même manière donc c'était deux fois plus enrichissant pour les élèves... Finalement son dernier partiel a été décalé dans l'après-midi donc elle ne pouvait plus participer au carrefour des formations, et je me suis retrouvée à aller à mon lycée, seule, tote bag noire École du Louvre sur l'épaule droite (la provoc aha) et petite valise tirée derrière moi car la veille j'avais fait Paris Montparnasse - Quimper avec une grosse valise pour les vacances, mais j'avais ensuite transvasé quelques affaires pour le week-end dans une petite, et le matin j'avais fait Quimper - Rennes en TER... Bref. Me revoilà sur les lieux de mes trois années de lycée.

Mais j'avais bien grandi depuis. Mentalement. Et physiquement.
Un véritable glow-up physique, une vraie dame, presque l'impression d'être une prof haha (vous savez certain.e.s traînent une valise derrière eux sur l'esplanade et dans les couloirs) Je m'étais faite belle pour l'occasion.
(Une élève qui jouait au ballon avec ses amis devant les grilles m'a permise d'entrer grâce à sa carte - il n'y avait pas de portail à mon époque, c'était bien mieux - et quand je l'ai remerciée, elle m'a dit un truc du style "C'est moi qui vous remercie." comme si je l'impressionnais haha)

Physiquement, donc, j'avais changé. Mais dans l'âme, j'étais la même.

Déjà, prendre le train de Rennes pour Saint-Malo et m'arrêter à la gare de Combourg, ça m'a fait quelque chose. Mais quelle vague de nostalgie, vraiment étrange. L'impression de replonger dans une aquarelle intacte, une bulle de nostalgie et de douceur, une vraie capsule temporelle.

Les lieux et les sentiments sont tellement liés. La géographie et le cœur. Le pire c'est que je sais qu'à l'époque de ma terminale je n'étais même pas tant que ça heureuse, je m'ennuyais dans cette ville où il n'y avait rien à faire, la seule attraction du coin c'était le Hyper U ou les buissons près du rond-point où mes camarades se droguaient. Et surtout pas de bus pour me permettre de rentrer chez moi plus tôt (les cars scolaires partaient à 18h, j'étais chez moi à presque 19 à cause de tous les détours) alors que j'avais un emploi du temps lacunaire en terminale L.

Et pourtant désormais, comme j'aimerais retourner à cette époque. J'ai l'impression que c'était un âge d'or.
Après c'est un tout ; j'aimerais retourner au lycée en règle générale, à cet âge, à cette vie simple où les cours ne me prenaient pas la tête (les études sups c'est chiant putain) mais peut-être qu'en fait je trouve les études sups chiantes parce que covid, parce que ça fait deux ans qu'on ne vit plus normalement et j'en suis profondément traumatisée. J'aimerais revenir à l'époque avant le covid, c'est surtout ça, tout est biaisé par cette merde, je me sens bloquée, c'est terrible. En fait le truc c'est que, étant donné que je n'ai pas quitté le lycée en bonne et due forme, étant donné que notre départ a été brusque, précipité, vu que mon année de terminale n'est pas terminée, en quelques sortes, et bien je n'arrive tout simplement pas à faire le deuil. À tourner la page. Parce qu'on reste, mes camarades de lycée et moi, sur un goût d'inachevé. Je pense que sans ça, si on avait eu droit à nos derniers mois de lycée, la suite aurait été plus simple, j'aurais mieux vécu tout ça, le départ, les études sups...
Ce aurait été la continuité, vous voyez. On avance dans la vie, on tourne la page. Mais là, je suis juste en stand-by depuis deux ans. Je suis encore en 2019, allez, 2020 à la limite, dans ma tête, mais j'ai l'impression que 2021 n'a jamais eu lieu. (Je n'ai pas aimé cette année, par ailleurs.)

Au carrefour des formations, j'ai retrouvé une fille qui était dans ma classe en L - qui fait les mêmes études que moi d'ailleurs, Histoire de l'art, mais à Rennes 2 - et j'ai été agréablement surprise qu'elle pense exactement la même chose. Ça m'a rassurée, quelque part. Dans le sens où, c'est pas que moi, la drama queen nostalgique, qui ai cette sensation, qui n'arrive pas à aller de l'avant et à oublier le lycée... Elle aussi me disait qu'elle se sentait comme bloquée par ce goût d'inachevé.

Alors j'ai revu certains profs que je n'avais pas vu depuis deux ans (ça m'a impressionnée aha, surtout ma prof de lettres de seconde, j'avais oublié à quel point elle était charismatique)
Sauf que... Ils avaient oublié mon prénom, et ça m'a fait tout drôle. Grosse claque de la réalité. En fait le truc très étrange c'est que mes années lycée j'y repense très souvent, j'ai l'impression que c'était hier, les cours d'anglais de Monsieur C***** que tout le monde écoutait d'une oreille, mais avec du recul, ils étaient bien, ces cours, notre réputation de bonnes élèves mais surtout de bavardes avec Malika et nos fous rires au casier, cette sensation agréable d'être connue et reconnue du personnel scolaire, professeurs, surveillants, CPE, ou que sais-je... C'était tellement un petit lycée que tout le monde se connaissait.
(Je crois que ça me soûle de baigner dans l'anonymat haha
Je vous jure dans mon lycée on était chouchouté.e.s par les profs, on se connaissait bien, limite c'étaient mes parents mdrrr enfin je sais pas leur présence m'apaisait trop, c'étaient mes potos.)

Sauf que, non, c'était pas hier, deux ans sont passés, et énormément de choses entre temps. Deux ans, c'est énorme. Et moi-même je suis frappée d'avoir oublié, notamment le prénom de certains camarades que, même si je n'étais pas proche d'eux, j'aurais naturellement pensé me souvenir toute ma vie.

Et puis il y a une asymétrie dans la relation prof - élève qui est vraiment blessante. T'as des profs, ils ont changé ta vie pour toujours, tu les oublieras jamais, et tu penses que de leur côté eux aussi, ou bien tu déconnes encore sur eux avec tes potes... Et en fait ils ont zappé ton existence, c'est fou.

Après avec le port du masque c'est pas évident non plus, ils m'auraient peut-être déjà plus facilement reconnue sans, c'est sûr... Le covid et ses conséquences biaisent beaucoup de choses.

Je suis restée dans le mood pendant des jours après y être allée.
Un état d'esprit très particulier, doux, nostalgique, d'une part, mais en même temps très douloureux voire glauque à la fois.
J'étais dans une nostalgie très puissante, presque morbide, je ne sais pas. Un truc qui fait mal, vous voyez. (Ça m'arrive aussi avec des époques que je n'ai même pas connues, genre une fois ça m'avait fait ça avec Pink Floyd, notamment le clip Wot's... Uh The Deal. Quand tu te rends compte que le passé était bien meilleur que le présent.)

Surtout que je ne me sens pas très bien à Paris en ce moment (mais encore une fois, le covid ET l'hiver également biaisent beaucoup de choses) alors retourner sur les lieux de mon lycée, remonter virtuellement le temps, en quelques sortes, ça m'a donné encore plus envie de pleurer.

Le lendemain c'était l'anniversaire d'Oann. Ses dix-huit ans. À un moment dans la soirée, je l'ai serrée dans mes bras, et j'ai pleuré parce que j'ai réalisé combien elle me manquait, combien cette vie-là, à laquelle elle participait, me manquait, combien tous les jours de mon lycée me manquaient.

J'ai une envie viscérale de remonter le temps. Je veux remonter le temps, je veux remonter le temps. Revenir à l'époque avant le covid. Tout part en vrilles depuis.

Et puis, tout en parlant avec Monsieur C*****, j'ai réalisé une chose. Que tous ces camarades, ces professeurs, ces anecdotes, cette ambiance un peu morne de province mais dotée d'un charme si particulier, j'avais envie d'immortaliser tout ça. J'avais envie de l'enfermer dans un livre. Une trilogie combourgeoise.

J'ai envie de ressusciter cette époque, de cristalliser ce microcosme. Comme Le Bal du moulin de la Galette de Renoir, qui est un monde préservé.

À la manière de Proust (excusez cette comparaison un peu ambitieuse), je cristalliserai moi aussi ces êtres chers que j'ai côtoyés ces trois années, et ce pour l'éternité. Personne ne tombera dans l'oubli. Je sauvegarderai tout.

Concernant l'École du Louvre, en fait le bail c'est que j'ai l'impression d'un gros syndrome de l'imposteur.

Je sèche des cours pour lesquels d'autres paieraient pour aller, je vois des gens mille fois plus passionnés que moi par ce que j'étudie et moi qui y suis je ne le suis même pas... Après aussi c'est parce que c'est la première année, on voit presque que de l'archéologie, les bronzes chinois, le commerce mésopotamien... Bon. C'est pas ma came. Même les pyramides (vous allez me détester) mais même ça de base j'aime pas de fou donc bon.
Mais même, j'ai l'impression qu'en effet l'histoire de l'art c'est pas tant que ça pour moi, moi mon truc c'est vraiment les LETTRES. Mais c'est amusant parce que, justement, j'ai rencontré plein de gens cool à l'école du Louvre pour le coup (exactement les gens que j'aurais aimé rencontrer en prépa, LES GENS J'AI FAIT UN CAFÉ LITTÉRAIRE GENRE WOW LES GENS ÉTAIENT SI MIMS ET INTELLIGENTS) mais c'est comme si eux aussi ils s'étaient fait avoir, ils s'étaient dit "Wow la peinture tout ça trop culturel on kiffe" alors qu'au fond on ne jure que pour la littérature et on aurait tous dû traverser la Seine.

J'y suis allée car il faut bien aller quelque part [à l'école du Louvre], mais à choisir je serais restée au lycée. Je vous jure, les études sups... C'est mal fichu en fait. Je n'ai pas assez de cours, au Louvre. C'est comme la fac, mon emploi du temps est lacunaire, mais la charge de travail est immense, tout ce que je déteste 🤡

Ça me manque les journées de lycée bien rempli mais genre en 1h de cours tu fichais rien, c'était chill, tu riais avec tes potes, tu pouvais même lire en classe haha MAIS T'APPRENAIS DES TRUCS QUAND MÊME c'était magique. Je vous jure mon niveau en anglais genre il a tellement glow down, alors que j'en ai fait en prépa en plus, c'est terrible.

Aujourd'hui c'est tout le contraire, dans l'amphi tu prends tes notes à 3000 à l'heure, tes feuilles de cours sont dégueulasses, ils manquent des bouts... C'est ça le problème c'est que tu ne dois même pas juste relire tes cours chez toi, tu dois les (RE)FAIRE 🤡
Genre wsh les gens à ce stade mettez-nous plus d'heures dans la semaine, donnez plus de séances à cette pauvre Ariane Thomas.

Et puis j'ai l'impression de vivre dans le noir. Enfin, dans la lumière artificielle, et je déteste ça. Ça me déprime inconsciemment. Je prends le métro, vingt-six minutes - sous terre. Parfois je ne sors même pas dehors parce que la station est liée au centre commercial du Carrousel où se trouve l'amphi principal (oui, j'ai essentiellement cours dans un centre commercial, c'est un délire, tout le monde imagine "Fufufu l'école du Louvre, t'as des escaliers en marbre et des carrelages en sol d'échiquier, des statues de Voltaire en mode Sorbonne / Panthéon / Comédie Française" ou que sais-je, mais non c'est des portes vitrées, une espèce de hall avec un comptoir, du gel hydro-alcoolique et des distributeurs de cafés et de snacks, puis des portes qui t'amènent à un amphi plongé dans le noir car on est en sous-sol en fait, d'ailleurs ça capte même pas les SMS haha, on est sous le Louvre.) Et donc pas de fenêtres dans les amphis. Et putain mais je me rends compte que ça me manque. Le manque de lumière du jour conjugué à la pollution de la ville, la plante que je suis elle est pas bien. (Je suis TELLEMENT sensible à mon environnement, à la météo, à la lumière, c'est dingue)

Bien sûr, j'ai de bons souvenirs à Paris, je vis des choses chouettes. Et puis je vous dis, mon expérience est actuellement corrompue par l'hiver (je fais partie de cette catégorie de la population affaiblie voire carrément déprimée par cette saison) et... LE COVID.
Mais il n'empêche que je demeure une personne proche de la nature, qui a grandi à la campagne, que la capitale étouffe. De plus, Paris est tellement grand, et comme tu te sens encore plus seul.e dans une ville aussi grande...
(Ça me rappelle les paroles de Michel Berger :
De mon village, capitale
Où l'air chaud peut être glacial
Où des millions de gens
Se connaissent si mal)

Pour finir, je vous laisse sur deux textes que j'ai écrits récemment et qui me tiennent à cœur de partager. Le premier fait écho à ce dont je viens de parler, le deuxième revient sur ce goût d'inachevé et cette sensation de blocage liés à mon année de terminale abruptement achevée. Bisous, je vous aime.

*
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Je ne suis pas une enfant de Paris. Je suis une enfant de la campagne. Je me moque de Paris. Je n'aime pas y vivre. Petite déjà, j'avais cette lucidité que ce que je vivais-là était précieux. Le plus épanouissant est de trouver un charme à une chose qui n'en possède pas. À Paris, tout est trop beau, l'architecture est objectivement trop belle, tout a été fabriqué dans la mesure d'être beau, ou bien ne l'est pas du tout. Le palais du Louvre et l'ancienne gare d'Orsay, superbe, avec ses grandes horloges que l'on aperçoit de loin dans la nuit, la tour Eiffel, de l'autre côté de la Seine, symbole parisien incontournable, qui n'est en réalité qu'un tas de ferraille touristique, par trop connu dans le monde entier ; tout cela ne me plaît pas. C'est impersonnel. C'est trop.

Je me rappelle de cette fois, sûrement un mercredi après-midi, où j'étais allée dans l'épicerie du village acheter des bonbons avec une amie. Attendant à la caisse, j'avais regardé l'extérieur à travers les grandes baies, et le cadre m'avait tant plu. L'asphalte silencieuse de la route en pente, les quelques voitures garées devant le bar en face de l'église, le bruit sourd et incessant des congélateurs, et celui de la porte quand on l'ouvrait et qui annonçait que l'on entrait.

Petites épiceries de bourgade, des publicités pour des agences d'électricité, les grands panneaux qui annoncent de leurs petites barres de néons rouges le prix de l'essence à l'entrée des stations-service qui figurent dans des villes où je n'habite même pas. Les promenades au bord du canal dans l'air pluvieux, comme dans une aquarelle de Loukine, le virage dangereux que nous empruntions à pied et alors lorsqu'une des rares voitures passait il fallait presque se jeter dans le talus où grésillaient les grillons, sous le ciel azur et le soleil doré. Prendre le bus le matin sous les étoiles et, en attendant sa venue annoncée par le contact bruyant des pneus contre le gravier, photographier avec un émerveillement rêveur cette
« voie lactée redimensionnée à l'échelle du ciel ».
Dans le car scolaire qui me mène au lycée, observer les bois illuminés par les premiers rayons du jour, tout en émergeant lentement du sommeil, en rêvassant. Les villages se réveillent au fur et à mesure du passage du car, les fenêtres du rez-de-chaussée éclairant la pénombre, les vitrines des petites boulangeries matinales où d'anciens camarades de classe travaillent déjà, l'impressionnante église de Meillac où j'imagine parfois me marier dans un costume édouardien, le demi-tour du car près d'une ferme agro-alimentaire, Tears for Fears dans les oreilles, la rencontre d'un autre car scolaire, Péricourt prend le C23, puis l'emprunt de la direction de gauche, et cette longue route droite à perte de vue, telle une avenue californienne, pleine de promesses pour les heures à venir, alors que le ciel arbore désormais des camaïeux de rose.
Sur l'esplanade qui ne possédera pas de grilles le temps de ma scolarité, je retrouve Jade et Lucie. Elles fument, nous discutons, puis nous nous rendons en cours de philo en passant par le hall aux larges baies vitrées. Je me risque à jeter un coup d'œil par-dessus mon épaule, dans l'espoir d'apercevoir l'être cher, et quand cela se produit, je souris bêtement, par amour, ou par moquerie de cet anorak noir qui lui donne l'air si gauche. Le jour se lève en philosophie. Je m'ennuie, je dessine des chefs-d'œuvre dans la marge.

Le soir, retrouver ma chambre et sa décoration hétéroclite, puis ouvrir ma fenêtre pour fermer ses volets jaunes et grinçants, et en profiter pour contempler une ultime fois la campagne, à laquelle j'ajoute des charmes secrets. Des paysages qui se succèdent dans le lointain, un arbre qui me promet un ailleurs, la campagne anglaise, des accents de James Ivory à ce balcon, et en mai, quelques oiseaux dont les cris m'évoquent l'Afrique.

J'ai décollé les papillons des portes de l'armoire. Nous avons vendu la maison.

La maison dans la campagne me manque.

Tout cela me manque tant.

(20/12/21)

*
*
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Il faut en parler. La pandémie a ruiné ma vie. En mars de mon année de terminale, nous avons tous quitté l'école, du jour au lendemain. Les professeurs d'éducation physique et sportive vidaient les casiers, des ballons et des raquettes étaient jetées du haut de la mezzanine. Tout le monde quittait le navire.
C'était une drôle d'ambiance. Étrangement excitante car totalement inédite, surréaliste même. Et à la fois, tellement perturbante, et profondément triste.

[...]

Je me souviens avoir pleuré, discrètement, les larmes qui
coulent silencieusement le long des joues, derrière les cheveux, en cours d'histoire-géographie, car je pressentais que nous ne reviendrons pas au lycée. Je ne faisais pas confiance aux dires
du gouvernement, on finit par les connaître, ils disent deux semaines et cela finit par quatre mois. Nous étions censés quitter l'école pour deux semaines. Un mois, tout au plus. Nous
revoir en avril. Je n'y ai jamais cru et, effectivement, camarades de terminale L, nous ne nous sommes jamais revus.

Ce professeur que j'ai tant aimé cristallise une époque inachevée, dont je n'arrive pas à faire le deuil. [...]

L'année d'après, je suis retournée au lycée pour la remise des diplômes du baccalauréat - que nous n'avons même pas passé. [...]

J'ai déménagé, je suis partie à Paris
pour les études. Je suis revenue au lycée à l'occasion du carrefour des formations, deux ans après ma terminale. Les lieux n'avaient pas changé, mais les gens avaient oublié. J'ai parlé avec mes professeurs de lettres de seconde et de première, qui avaient tant compté pour moi, mais ils avaient oublié mon prénom. La réalité fait mal. Je ne peux pas leur en vouloir. Moi-même je suis frappée de constater tout ce que j'ai oublié, des choses simples que je n'aurais jamais pensé. Je me définis désormais par ce dont je ne me souviens plus. Je ne multiplie pas les souvenirs, je les soustrais.

J'ai parlé avec mon professeur de français. Lui disant que j'étais à Paris, il a eu l'air légèrement cynique, peut-être un peu jaloux ; une espèce de
« Excuse-nous de n'être que des petits professeurs du lycée de Combourg. Notre pauvre vie doit te paraître bien ennuyeuse comparée à la tienne. » Je l'ai ressenti comme cela. Mais, Monsieur, si vous saviez combien cette vie-là m'est précieuse et me manque. Je n'aime pas Paris. Je ne suis pas une enfant de la ville. On m'a ôté une partie de cette vie, et j'en voudrai au monde toute ma vie, de m'avoir arraché des mains ces jours de fous rires, ces jours de mon adolescence, ces jours de bonheur, aussi des jours plus tristes, mais tous, des jours dans ce lycée cher à mon cœur et où j'aurais dû, naturellement et dans la continuité des choses, assister des heures et des heures encore à des cours de philo, retrouver Jade et Lucie qui fument sur l'esplanade, rire, faire la moue, espérer, écouter du Liszt dans le car scolaire, encore et encore, rêver, t'aimer, m'excuser, te sourire, avec les dents, lumineuse, du rouge sur les lèvres et des étoiles dans les yeux, puis passer le baccalauréat, et dire au revoir en bonne et due forme à ces trois années dont la dernière brutalement arrêtée
me laisse bloquée, et m'empêche d'avancer.

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